Chapitre 32
Les survivants de la falaise
Les deux gardes salent Alex d'un signe de tête. Ils tiennent chacun un fusil le long de leur hanche. Mon compagnon de voyage dépose son deltaplane à ses pieds tout en me faisant signe de faire de même avec mon arc. Je n'ai pas très envie de me retrouver désarmer mais j'obéis.
– Bon vol Alex ? demande l'un des deux hommes.
– Tu te moques de moi parce que tu aimerais savoir voler, rétorque ce dernier.
Le deuxième homme éclate de rire. Je dois reconnaitre qu'Alex a quelque chose d'étonnant. On ne croise pas tous les jours un homme qui se déplaceen deltaplane. Les regards des deux gardes se posent sur moi.
– Qui t'es toi ? demande le premier.
– Elle s'appelle Anahbelle Evans, explique Alex. Elle vient du Nord.
– Pourquoi tu ramènes l'un d'entre eux ici ? T'as oublié l'accord ? Tu en croises un et tu le buttes, ce n'est pourtant pas bien compliqué.
Je trouve ses paroles assez virulentes et retiens l'insulte qui me vient à la bouche.
– Tu m'écoutes quand je parle ? s'agace Alex. Elle ne vient pas de l'Odéon mais du Nord ! Elle fait partie des survivants.
– C'est nous les survivants.
– Elle veut seulement parler à Noé. Il décidera.
Je ne connais pas les deux gardes, et eux non plus. Ils ne me reconnaissent donc pas et je doute un instant qu'ils acceptent de me laisser passer. Finalement, c'est sûrement mieux que Lhénaïc ne soit pas là. Comment les deux gardes l'auraient-ils accueilli si jamais il était venu jusqu'ici avec moi ? Ils n'auraient certainement pas attendu qu'il leur livre une explication avant de se jeter dessus pour le tuer. Je dois à tout prix parler à quelqu'un qui me connait et qui pourra confirmer ma présence auprès des premiers rebelles. J'ai vécu parmi ces hommes durant une année mais je passais la plupart de mon temps avec Mathie. Lorsque nous chassions, je faisais toujours partie des mêmes groupes et je n'ai pas pris le temps de discuter avec chacun et d'apprendre à les connaitre. Je n'ai jamais été très sociable. C'est Nicolas qui les connaissait. Il aurait dû venir à ma place.
– J'la connais pas, dit le premier garde.
– Moi non plus, je ne vous connais pas, rétorqué-je
– On ne peut pas prendre le risque Nieman, continue le second. Tu le sais !
– Elle est seule. Que veux-tu donc qu'elle nous fasse ? répond Alex.
Ils n'ont pas l'air convaincus mais ils finissent par accepter de me laisser entrer. Comme Alex l'a souligné : je suis seule. Même si j'étais une espionne infiltrée, ils pourraient toujours me capturer et me tuer une fois à l'intérieur. Pour le moment, je suis inoffensive. Les deux gardes fouillent mon sac puis m'invitent à passer.
La grotte s'enfonce dans un profond tunnel qui semble interminable. Le souterrain est plus large et haut que les galeries sous l'Odéon. Je me demande jusqu'à quelle profondeur nous allons de voir nous enfoncer pour trouver les baraquements. Alex actionne un interrupteur qui éclaire le chemin. La lumière révèle des rails et un petit wagonnet. Je prends place à l'intérieur pendant qu'il referme une porte sur le côté. Il accroche sa machine volante au wagon et appuie sur une manivelle. Le petit train démarre dans un bruit de grincement et les rails s'enfoncent dans les profondeurs de la galerie souterraine. J'ai mille questions à poser mais Alex demeure silencieux.
Une dizaine de minutes plus tard, le wagonnet s'arrête et nous descendons. Alex me laisse passer la première et je tourne sur ma droite pour déboucher sur un petit balcon creusé dans la roche. Je découvre alors un spectacle des plus ahurissants. Sous mes yeux, des dizaines de construction sortent de la roche à la manière de maisons troglodytes, toutes éclairées par des lumières jaunes. La grotte, immense, ressemble à un essaim d'abeille. Au sol, plusieurs dizaines de personnes sont rassemblées et discutent tout en s'échangeant des produits de toutes sortes. Je reste bouche-bée.
– Combien êtes-vous ? interrogé-je.
– Presque deux cent je crois.
– Je vous croyais cinquante.
– Il y a eu de nouvelles arrivées récemment.
Comment cela est-il possible ? Comment autant de personne peuvent-elles vivre ici et surtout pourquoi Johns les laisse-t-il faire ? Alex souhaite passer chez lui pour poser son oiseau volant avant de m'accompagner chez Noé. Il me propose de venir prendre une douche et me reposer. Nous prenons un escalier creusé dans la pierre qui descend en spirale jusqu'au sol et des hommes saluent Alex à son passage sans prêter attention à moi.
– Que voulais-tu dire par « il y a eu de nouvelles arrivées » ? questionné-je.
– Nous étions une cinquantaine au début puis nous avons été rejoints par d'autres. En plus des survivants de l'armée de Lhionel, nous avons aussi rencontré d'autres hommes et des femmes et avons établi notre un refuge ici.
Les sentiments se mêlent en moi. Je ne peux pas m'empêcher de penser que nous avons vécu dans un souterrain miteux alors qu'ils bénéficient du confort de cette grotte. Durant un an, nous avons été affamés et nous nous sommes crus seuls. En attendant, ils étaient des centaines, regroupés ici. Si nous avions eu connaissance de leur existence, nous aurions pu apprendre à vivre loin de la peur, au sein d'une vraie communauté. Alex s'arrête devant une porte ronde en métal. Il grimpe les deux marches du perron et l'ouvre. À l'intérieur, l'espace est rudimentaire et la pièce doit faire une dizaine de mètre carré. Il m'indique la salle de bain et je m'y enferme aussitôt pour retirer mes vêtements et me glisser sous la douche. L'eau chaude me fait du bien et je soupire d'aise. Je lave mes cheveux pour retirer la poussière et aperçois du sang à mes pieds. Ce n'est pas le mien mais celui de Lhénaïc, mes mains en étaient recouvertes. Je pense à lui. Où est-il à présent ? A-il pu rejoindre Charles ou nos amis ? Lorsque je suis propre, je sors de la douche et m'enroule dans une serviette. Alex frappe à ma porte et me tend des vêtements propres. Il s'agit d'un pantalon écru et d'une tunique de la même couleur.
– Ce sont de vieux vêtements d'Emhy, ma femme. Je crois qu'ils seront à ta taille.
Je le remercie d'un hochement de tête. Le pauvre homme me fait de la peine. Il a laissé son air renfrogné et antipathique au placard pour le remplacer par un visage triste. J'enfile les vêtements qui me donnent l'impression d'être en pyjama et noue mes cheveux avant de sortir de la salle d'eau. Alex s'est changé lui aussi. Sa chemise n'est plus tâchée du sang de Lhénaïc et j'ai envie de me rendre immédiatement chez Noé. Prenant mon mal en patience, j'accepte quand même de me reposer quelques heures. Il est tard et nous avons besoins de dormir. Nous irons le voir le lendemain. Alex me propose son lit mais je préfère dormir par terre, roulée dans ma couverture sur le sol. Alex reste un moment assis sur une chaise à griffonner des notes dans un carnet mais je suis trop fatiguée pour veiller et je m'endors rapidement.
¤
Je me réveille quelques heures plus tard et le décor n'a pas changé. La pièce est toujours aussi petite et étriquée et Alex ronfle dans son lit. Je m'extirpe de ma couverture et m'étire. Mon ventre gargouille, signe de mon appétit. Je me relève, range mes affaires dans mon sac et m'approche discrètement de la seule fenêtre de la pièce. Le plafond est bas et je me baisse pour éviter de me cogner. La vitre de verre m'offre une vue panoramique sur la grotte endormie. En bas, quelques personnes s'activant et dressent des étals. Je suis fascinée et les regarde un moment avant de faire le tour de la pièce. Alex parle d'une maison mais l'espace ressemble davantage à une chambre. Le mobilier est en bois et pour le moins spartiate. Curieuse, j'ouvre un placard et trouve du pain frais et un pot de confiture que je récupère pour déjeuner. Je suis en train de manger mes tartines lorsqu'Alex se réveille. Il cligne plusieurs fois des yeux, comme s'il cherchait à se souvenir de qui je suis puis se lève en maugréant avant de s'enfermer dans la salle d'eau. J'entends l'eau couler et attends qu'il revienne pour lui tendre une tartine dans laquelle il plante ses dents. Il reste ensuite plusieurs minutes à fixer le mur derrière moi. La situation est un peu malaisante.
Alex finit par me poser des questions sur Khisa. Il veut savoir à quoi elle ressemble, si elle a grandi et comment elle occupe ses journées. À un moment, il se lève pour ouvrir un tiroir et sort une photo vieillie qu'il me tend. Sur le cliché, il est assis à côté d'une femme brune qui tient une petite fille d'à peu près deux ans dans ses bras. Elle a des cheveux bruns et de grands yeux verts. Je reconnais Khisa, même si l'enfant a changé pour devenir une petite fille. Alex me propose de sortir alors que les habitants de la grotte commencent à se réveiller et nous nous dirigeons vers les étages.
Noé occupe un appartement situé au sommet de la grotte et il faut monter plusieurs séries d'escaliers pour y accéder. Une fois en haut des marches, Alex me désigne une porte et s'esquive discrètement en m'assurant que je trouverai Noé à l'intérieur. J'inspire profondément et frappe. Au début, personne ne me répond et je recommence à plusieurs reprises jusqu'à ce que la porte s'ouvre sur un homme d'une trentaine d'année aux cheveux blonds cendrés qui porte une barbe de plusieurs jours. Son visage est ovale et son nez en trompette. Il fronce les sourcils en me voyant et s'écarte pour me laisser entrer.
– Je te croyais morte.
Voilà qui a au moins le mérite de donner le ton à notre futur conversation.
– Tu me reconnais ?
– Je n'oublie jamais les visages, répond-il. Tu as changé, mais pas à ce point.
– J'ai vieilli.
– Maigrie plutôt.
– C'est le risque, quand on n'a rien à manger.
Il hoche la tête. Il n'a l'air ni heureux ni en mécontent de me voir, il affiche plutôt un air résigné. Je regarde autour de moi. La pièce est plus grande que la demeure d'Alex mais le mobilier est tout aussi minimaliste. Elle ne me donne pas envie d'y rester. Pourtant, je me résigne à m'asseoir sur une chaise en bois et il prend place face à moi.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top