Chapitre 23

Retrouvaille glaçante


            Lorsque je me réveille, je suis allongée dans un lit aux draps blancs, dans une minuscule pièce. Je cherche de tous les côtés un visage familier mais ne trouve rien d'autre qu'une chambre vide. Elle ne contient qu'un petit bureau et une chaise sur laquelle sont posés un jean propre et une vieille chemise blanche. Je me redresse sur mon lit et suis prise d'un vertige. Je dois rester un moment sans bouger avant de pouvoir me relever.  Quand je m'en sens capable, je passe mes jambes par-dessus le matelas et laisse mes pieds retomber sur le sol. Debout, j'avance vers le petit bureau sur lequel se trouve un mot rédigé à la hâte d'une écriture fine que je reconnais comme étant celle de Lhénaïc. 

« Tu as perdu connaissance. Lila t'a soignée. Tu trouveras des vêtements propres sur la chaise et une salle d'eau derrière la petite porte sur ta droite. Viens nous retrouver quand tu te sentiras mieux. Je t'embrasse. Lhénaïc. Ps : Nicolas va bien »

            Je souris avant de m'apercevoir que je ne porte rien d'autre qu'un vieux débardeur et une culotte. Un miroir dans le coin de la pièce me renvoie mon visage. J'ai piètre allure et mes traits sont tirés. Je me mets de dos et tourne la tête pour essayer d'observer les dégâts. Lila a fait du bon travail. Les plaies sont presque toutes cicatrisées mais elles ne sont pas belles. Mon dos n'est plus qu'un confetti de zébrures qui me laisseront sûrement des cicatrices à vie.

            Je sens un haut le cœur me monter à la gorge, ouvre la porte sur ma droite et trouve des toilettes dans lesquelles je vomis. Je m'assois par terre et respire profondément. Ma tête me fait mal et des points noirs défilent derrière mes paupières fermer, pendant que mes oreilles bourdonnent. Quand je me sens enfin mieux, j'entre dans la douche et fais couler l'eau chaude sur mon corps. Je me lave les cheveux durant de longues minutes et de l'eau marron vient s'échouer à mes pieds. Une fois propre, je me sèche puis enfile les vêtements laissés à mon intention.

            Je sors ensuite pour découvrir un long couloir, comme dans les cales d'un bateau. J'avance tout droit sans vraiment savoir où aller et frappe à plusieurs portes que je trouve fermer. C'est finalement après trois tentatives que je trouve enfin un garçon derrière un bureau. Il lève la tête en m'entendant entrer et me sourit.

–  Oh ! Tu es enfin réveillée, lance Valentin.

            J'entre dans la pièce et jette un coup d'œil autour de moi. Il est assis devant un ordinateur sur lequel il pianote, seul. Je ne le connais pas suffisamment pour avoir envie de le serrer dans mes bras, et j'aimerais bien qu'il m'indique où sont les autres.

–  Combien de temps j'ai dormi ? demandé-je.

–  Deux jours. Tu étais brûlante de fièvre, explique-t-il. Tu délirais pas mal !

–  Ah.

–  Lila s'est occupait de toi. Lhen' a essayé aussi, mais elle l'a viré.

–  Pourquoi ?

–  Bah, il est nul en médecin, alors qu'elle a suivi des cours. Tu voulais qu'il joue au docteur ?

            Il me renvoie un petit sourire en coin et je reste un instant à l'observer, mi-agacée, mi-intriguée par son attitude. Ne sachant quoi répondre, je préfère jeter un coup d'œil autour de moi. Mes yeux rencontrent essentiellement des chaises, des bureaux vides et des ordinateurs qui semblent usagés. La pièce ressemble à celle dans laquelle Lhionel travaillait, quand il faisait ses recherches et qu'il organisait les plans de la résistance. 

–  Où sommes-nous ?

–  Suis-moi, je vais te montrer.

            Il m'attrape par le bras et me tire vers la sortie. Je me dégage vite, n'ayant pas très envie d'être collé contre lui et fixe les murs de métal autour de nous. Le plancher fait du bruit au contact de nos pas. Valentin me fait monter les marches d'un escalier bringuebalant puis s'arrête en me faisant signe de passer devant lui. J'avance et reconnais enfin l'endroit.

            Nous sommes dans un bunker. Celui-là même où se trouvaient les chambres des anciens rebelles. Le balcon sur lequel nous nous trouvons s'étend en spirale et permet de relier les différentes pièces par des escaliers qui donnent accès au réfectoire, au rez-de-chaussée. Je fais quelques pas et laissai me regard se porter vers le sol. En bas, une grande table et des chaises sont encore dressés, avec des restes de repas. Je reste figée un moment à contempler mon ancien chez moi.

–  C'est ton ami Macha qui nous a envoyé les coordonnées du bunker. 

–  Il n'a pas été détruit ?

–  Non. Ce sont les galeries d'accès qui se sont écroulés mais la structure a été préservée.

–  Comment Macha s'y est-elle prise ? Je croyais que Mathie... Que les exterminateurs avaient vu l'endroit quand ils nous ont arrêté...

–  Je ne vais pas leur retirer le plaisir de te le raconter eux-mêmes, s'amuse-t-il. 

            Il me fait descendre un escalier en colimaçon pour rejoindre la grande salle. Une fois en bas, j'avise les portes qui s'ouvrent sur d'autres pièces vers lesquels Valentin m'entraîne, sans cesser de parler. Je ne suis pas sûre de l'apprécier et je n'arrive pas bien à savoir pourquoi. Il n'est pas méchant, il est même sympathique, bien qu'un peu trop bavard et taquin à mon goût. Nous arrivons enfin devant une double porte en métal et il s'arrête pour me faire face. Son visage prend soudain un air sérieux et je crains ce qu'il va me dire.

–  Elle est plutôt jolie Macha.

–  Hein ?

–  Macha ! La rebelle. Elle est jolie, répète-t-il.

–  Je croyais que tu appréciais Lhénaïc ?

            Un sourire amusé éclaire son visage et il me fait un clin d'œil.

–  Jalouse ?

–  Non.

–  Un peu quand même ?

–  Tu fais ce que tu veux avec Lhénaïc.

–  Ok, tu es jalouse.

            Je détourne le regard et pointe la porte du doigt.

–  On peut y aller ?

–  Tu sais quel est son style d'homme ? poursuit-il sur le ton de la conversation.

–  À Lhénaïc ?

–  Mais non ! À Macha !

–  Oui, répliqué-je. Ce n'est pas toi.

            Je le pousse pour passer. Mon ton cassant ne l'empêche pas de garder son sourire et il hausse les épaules avant de sortir une carte magnétique de sa poche.

–  Tant pis, je pensais avoir mes chances.

–  Je crois qu'elle apprécie Tristan de toute façon.

–  Celui qui a les cheveux blancs ? Sérieusement ?

            Je lui jette un regard noir. Tristan est la personne la plus gentille qui soit, il n'a pas intérêt à le critiquer. Valentin arrête enfin de me harceler de question et passe sa carte dans une interstice sur le côté de la porte. Celle-ci s'ouvre sur un groupe de personne que je connais très bien. Toutes les têtes se tournent vers nous à notre entrée et mon cœur s'emballe. Je pourrais me mettre à pleurer à l'idée de les revoir, mais le peu de dignité qu'il me reste m'en dissuade. Les enfants ne sont pas là. Seuls les plus âgés sont assis devant des ordinateurs tandis que les autres se sont rassemblées autour d'une table pour discuter. Quand leurs yeux se posent sur moi et qu'ils s'arrêtent de parler, j'ai comme l'impression d'arriver en retard à une fête d'anniversaire. Un brusque sentiment de malaise me saisit. Ludmilla, Robin, Macha et Nathaniel sont penchés sur une vingtaine de documents de travail et s'arrêtent de parler, comme si j'interrompais dans une discussion importante. Nicolas, la jambe entourée d'une attelle et d'un bandage, est assis en face d'un ordinateur, Lila à côté de lui. Je cherche Lhénaïc du regard et finit par le trouver, debout dans le fond de la pièce, en train de discuter avec Tristan.

            Nicolas est le premier à abandonner sa chaise. En boitant, il s'avance vers moi et se ette dans mes bras avant de me serrer contre lui. J'enroule mes mains derrière son dos et respire son odeur. Il se retire et laisse Lila m'embrasser sur les joues. Les uns après les autres, mes amis viennent me prendre dans leurs bras, ou me serrer la main. Macha se contente d'un hochement de tête, comme Lhénaïc qui reste en retrait. Après ce débordement d'affection, je toussote et reprend ma posture de cheffe pour demander :

–  Alors, quelles sont les nouvelles ?

            Macha, penchée sur une feuille de papier, relève la tête.

–  Par quoi souhaites-tu commencer ? demande-t-elle. Votre évacuation ? L'explosion ratée du bunker ? La formation de notre nouvelle armée ou la ...

–  La formation de notre nouvelle armée ? répété-je.

–  Ce n'est pas parce que tu disparais durant un mois que le monde cesse de tourner.

            Hein ? Quoi ? Combien ? Un mois ? Je reste sans voix. Comment cela peut-il être vrai ? Le temps n'a pas pu filer si vite quand nous étions dans les prisons de l'Odéon, si ?

–  On va commencer par votre évacuation, décide-t-elle en voyant que je ne me décide pas à répondre.

            Face à son air déterminé et sa façon de s'exprimer, je me demande qui de nous deux est la véritable cheffe de cette pièce. J'ai sûrement perdu mon statut lorsque j'ai été capturée.

–  Les pilules qu'ont avalé Macha et Tristan ont été très efficaces, explique Nathaniel, fière de lui.

–  Oui, ça a bien marché, ricané-je d'un ton sarcastique. Nicolas et moi avons fini capturer.

–  Ce n'est pas la faute de mes pilules, rappelle-t-il. Macha et Tristan ont pu quitter le terrain juste avant l'explosion et rejoindre Ludmilla et Robin.

–  On a vu les exterminateurs vous capturer, ajoute Robin. On était caché derrière un rocher à ce moment-là. Nous sommes vite rentrés dans la grotte pour pouvoir contacter Valentin. 

            Je suis presque étonnée qu'ils aient appelé les amis de Lhénaïc à l'aide, vu toute l'affection que Macha semblait leur porter.

–  Valentin a piraté le système de l'Odéon, explique Ludmilla. C'est comme ça qu'on a su où vous étiez.

–  Et vous étiez mal, soupire Macha.

–  Quand on a compris qui vous séquestrez, on a réfléchi à la meilleure méthode pour vous sortir de là, poursuivit Valentin, ce qui n'était pas une mince affaire.

–  On savait qu'on risquait de griller notre couverture en vous libérant, continue Nathaniel, mais c'était la seule solution. Quand Johns Lenark a réclamé votre exécution, on a envoyé Lhénaïc vous chercher.

            Raconté ainsi, l'histoire parait simple. Sauf qu'ils ont sans doute été confrontés à plus de difficultés. Faire évader des prisonniers des prisons les mieux gardées de la cité n'était pas une mince affaire.

–  Tu veux raconter la suite Lhén ? demande Nathaniel en se tournant vers Lhénaïc.

            Ce dernier tourne la tête vers son ami avant de baisser les yeux sur une feuille de papier qu'il tient dans sa main et de hausser les épaules. 

–  Elle la connait, dit-il.

–  Oui, donc, nous avons décidé d'intervenir et de ..., poursuit Nathaniel.

–  Vous saviez qui était Mathie ? le coupé-je.

            Il hoche la tête. Valentin et Lila aussi. Lhénaïc s'obstine à ne pas me regarder et j'ai envie de traverser la pièce pour lui arracher son papier des mains. Je sens mes mains trembler et la colère affluer. Je respire, une fois, deux fois, trois fois. Je réglerai cela plus tard. En attendant, j'ai beaucoup d'autres questions qui méritent d'être éclaircies.

–  Comment avez-vous retrouvé le bunker ? demandé-je. Les exterminateurs ne sont pas descendus ?

–  Si, mais nous ne sommes pas dans celui que nous avons déniché, explique Macha. J'y suis descendue après les exterminateurs, il n'y avait rien, à par des papiers éparpillés partout sur le sol et de vieux écrans cassés. En revanche, j'ai trouvé ça !

            Elle attrape une boîte en métal, posée derrière elle, et la met sur la table.

–  Des cartes, des plans et ce boîtier.

            Elle me montre le petit appareil jaune avec un écran. Je le prends dans mes mains, intriguée, et appuie sur le bouton. Un gros point rouge apparait, suivi d'une grande carte.

–  Bravo, tu m'as localisée, m'apprend-elle. J'ai rentré mon nom. C'est pour ça que le point nous situe ici. Cet appareil permet d'indiquer la localisation de toutes les personnes vivantes sur la planète. Il faut seulement rentrer leur identité. 

            Je fixe le bouton qui clignote sans bien comprendre.

–  Lhionel avait déjà commencé à dresser une liste, continue Tristan en me tendant une longue feuille de papier qui retombe à mes pieds.

–  La plupart des personnes qui y figurent sont mortes lors de la bataille du printemps.

–  Mais certains sont en vie, ajoute Nathaniel. Nous les avons localisés mais pas encore contacté.

–  J'ai aussi retrouvé cette carte mémoire dans un des ordinateurs, continue Macha. C'est un annuaire, avec les noms de tous les hommes et les femmes qui vivaient sur la planète il y dix ans. Il y a des milliards de nom inscrits et la plupart sont morts. Mais c'est aussi une base de données incroyable.

            Je suis impressionnée. Je n'ai pas réussi à faire avancer nos affaires pendant près d'un an. Macha arrive, prend les choses en main et on se retrouve soudain avec un annuaire contenant le nom de plein de personnes encore en vie, susceptibles de nous aider. Je me demande encore à quoi je vais bien pouvoir servir. Je relève les yeux vers la jeune fille qui a croisé les bras et attend que je parle.

–  Je crois que je vais rendre mon titre de cheffe, déclaré-je en lui rendant la feuille de noms.

            Nicolas hausse les sourcils et Macha soupire.

–  On s'en fiche de ce rôle de chef, déclare-t-elle. On est un collectif. Nathaniel coordonne la résistance intérieure avec Charles, qui se trouve toujours dans l'Odéon, et je m'occupe d'ici avec Tristan. On a tous un rôle à jouer, et toi et Lhénaïc aussi.

–  Moi et Lhénaïc ? répète-je.

–  Les gens vous écoutent, déclare Nicolas. Vous êtes des symboles et ce sont vos paroles qui inciteront les gens à se battre contre l'Odéon. 

            Je lève les yeux vers Lhénaïc qui s'est enfin décidé à me regarder. Son regard bleu se plonge dans le mien. Pourquoi ai-je l'impression qu'il doute, tout comme moi, d'être un symbole ?

–  Lorsque nous aurons dressé une liste suffisamment conséquence, vous partirez retrouver les survivants et vous les convaincrez de nous rejoindre, termine Nathaniel.

            Je me force à respirer. C'est beaucoup d'informations d'un coup, et je ne crois pas être préparée. Leur stratégie me parait un peu bancal. Ces personnes, éparpillées aux quatre coins du monde, ne seront pas forcément accessibles. Et qu'est-ce qui leur fait croire qu'elles auront envie de me suivre ? Ou de se battre ?

–  Qu'est-ce que tu en penses toi ? demandé-je à Lhénaïc.

            Je suis perdue et j'ai besoin de son avis. Après tout, lui aussi vient d'être traité de symbole. Un instant, il semble déconcerté que je m'adresse directement à lui, puis il hausse les épaules.

–  Tu es plus à même de soulever les foules que moi. Tu es sur ton territoire.

–  Mais tu m'accompagneras ?

            Il hoche la tête. Bien ! Je serai ravie de partager ce rôle avec un garçon devenu à moitié muet. Peut-être m'en veut-il d'avoir dû quitter l'Odéon ? Ma libération lui a coûté sa place après tout. N'ayant pas envie de me disputer, je les laisse poursuivre leurs travaux et sors de la pièce. J'ai mal à la tête et je suis encore fatiguée.  Je rejoins la grande salle et m'assois sur une chaise avant de poser ma tête entre mes mains. Au plafond, les ampoules grésillent.  J'entends un bruit sur le côté et relève la tête pour voir Nicolas, suivi de Lila, qui prennent place en face de moi.

–  Comment te sens-tu ? demande la jeune fille.

            Elle pose une main sur mon front.

–  Ça va, merci, réponds-je en le lui retirant. J'ai juste la tête qui tourne. Et je ne comprends pas pourquoi il réagit ainsi.

            J'ai ajouté ma dernière phrase dans un murmure, plus pour moi-même que pour eux. Lila me sourit tristement. Elle semble avoir compris de qui je parle.

–  Il a eu peur pour toi, me dit-elle.

–  C'est pour ça qu'il ne me parle pas ?

–  C'est difficile de quitter l'Odéon, poursuit-elle.

            Sur ce point, je ne peux pas la contredire. Plonger dans la réalité fait toujours mal.

–  Et puis, continue-t-elle, tu as plusieurs fois répété le prénom de Mathie dans ton sommeil.

–  Ah ...

            Le visage de mon ex me revient brutalement en mémoire. Son sourire, ses mains sur ma peau, son rire. Sa trahison. Je n'ai pas envie de m'en rappeler. Pas comme ça. Nicolas m'attrape le poignet.

–  Je crois... Je crois qu'il t'aime beaucoup.

–  Et bien, il a une drôle de façon de me le montrer.

            Je retire ma main, agacée. Ce n'est pas parce que je murmure le nom de mon ancien amant dans mon sommeil que Lhénaïc doit me tourner le dos. S'il m'apprécie, il n'a qu'à venir me voir et me parler. Je me lève et laisse Nicolas et Lila pour rejoindre ma chambre.

            En montant l'escalier, je sors le mot de Lhénaïc que j'avais glissé dans ma poche. Je jette un coup d'œil dessus, le relis une fois, puis deux, avant de le froisser et de le laisser tomber dans une poubelle. Qu'il vienne donc me dire ce qu'il ressent lui-même !

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