Chapitre 20
Un vent d'espoir
Je suis couverte de sang lorsqu'ils me ramènent en cellule et mes membres sont perclus de douleur. Ils me jettent sans ménagement dans ma cage et referment la porte à clé. Je me roule en boule sur moi-même et gémis. J'ai mal. Du sang coule des zébrures qu'ils ont dessiné dans mon dos. Ce que je viens de vivre me parait surréaliste. Après le départ de Mathie, les exterminateurs m'ont détaché de la chaise pour fixer mes chevilles et mes poignets sur une grande planche. Ensuite, ils ont déchiré mon t-shirt et se sont mis à me frapper. J'ai perdu le compte à partir de vingt. Mon dos me tire et ma migraine frappe encore plus fort contre mon crâne. Plus encore que la douleur physique, c'est surtout le souvenir des mots de Mathie qui me fait le plus de mal. Ils tournent et retournent dans mon esprit. Les exterminateurs ne m'ont rien demandé. Ils se sont contentés de frapper. Comme s'ils voulaient me délivrer un message.
Après m'avoir enfermé derrière les barreaux, ils jettent des vêtements roulés en boule dans ma cellule puis repartent. Je n'y fais pas attention et restai longtemps allongée sur le sol jusqu'à perdre connaissance et sombrer dans le sommeil. Lorsque je rouvre les yeux, le décor n'a pas changé. Je suis toujours seule dans ma cage et douleur m'arrache un cri lorsque je tente de me retourner. Je passe ma main dans mon dos et la retrouve couverte de sang séché. J'appuie sur mes avant-bras et me redresse en serrant les dents.
Je tends la main vers les vêtements qu'ils ont jeté dans la cellule et déroule la cordelette qui les entoure comme je le peux. J'ai mal et des larmes roulent sur mes joues. Il s'agit d'une robe blanche avec des bordures bleues. Elle ressemble à celle que m'a donné Lila le soir de la cérémonie du Pouvoir. L'ironie de la situation ne m'échappe pas. Je souffle fort et donne un coup violent sur les barreaux, devant moi. Un vertige me saisit et je reste quelques minutes sans plus bouger pour éviter de vomir. Quand ma vision est redevenue nette, j'enfile la robe en serrant les dents, les larmes aux yeux, en retenant mes cris de douleur alors que mes zébrures dans mon dos brûlent et tirent.
La porte s'ouvre alors.
Je sursaute et recule. Plusieurs exterminateurs entrent et mon corps est pris de tremblements incontrôlables. Je m'en veux de réagir ainsi mais je ne peux pas m'en empêcher. Les exterminateurs ne s'intéressent pas à moi. Ils ouvrent une cellule et y jettent quelqu'un. Je le reconnais immédiatement : Nicolas ! Mon meilleur ami est balancé dans la cage comme une poupée de chiffon. Ils referment la prison et partent, sans un mot. Je m'avance vers les barreaux, à quatre pattes, les agrippe et pose ma tête entre deux barres de fer.
– Nicolas, appelé-je.
Il est allongé par terre, sur le côté froid et me tourne le dos. Je l'appelle de nouveau. Son corps tressaille et il tend sa main devant lui avant de se redressa doucement. Nos yeux se croisent. Les siens sont injectés de sang et son visage est tuméfié.
– Qui t'a fait ça ? demandé-je.
– Ils ne se sont pas présentés, répond-il.
Je souris malgré moi devant sa répartie.
– Ils m'ont tabassé sans me poser aucune question, ajoute-t-il.
Son regard s'attarde sur moi et sur mes mains recouvertes de mon sang. Je détourne le regard et cache mes poignets.
– Que veulent-ils ? interroge-t-il.
– Notre armée, réponds-je.
– Nous avons une armée ?
– C'est ce que pense Mathie.
Il fronce les sourcils. En s'appuyant sur ses bras, il se redresse un peu plus et s'avance vers les barreaux de sa cage pour me faire face.
– Notre Mathie ?
– Je ne suis pas sûre qu'il s'agisse encore de notre Mathie.
Je lui explique toute l'histoire à partir du moment où nous avions vu les vaisseaux dans le ciel, avec Robin et Ludmilla. Comment Mathie a failli le mettre à mort, comment nous nous sommes faits capturés, comment il m'a révélé qui il était. Je lui parle de sa folie, de son fanatisme, de sa traitrise. La fin de mon histoire se perd dans un murmure.
– Je suis désolé, murmure Nicolas.
– Ça va, je gère mieux que j'en ai l'air.
Il me jette un regard triste mais n'insiste pas. À la place, il se pose sa tête entre les barreaux et soupire.
– Que compte-t-il faire de nous ? demande Nicolas.
– Nous tuer j'imagine.
– Il n'a pas proposé d'alternative ?
– Notre vie et celle de notre armée contre celle de Lhénaïc et de Lila.
Nicolas ricane.
– Je ne crois pas qu'il laissera la vie à aucun d'entre nous.
– Moi non plus.
Je décroche mes bras des barreaux. Il n'y a aucune issue. Nous allons mourir. Même si j'avais voulu trahir les miens – ce qui n'est pas le cas - nous n'avons pas d'armée. Nous n'avons même pas été capable de reformer un semblant de résistance avant de nous faire capturer. La grotte dans laquelle se cachent quelques pauvres enfants ne contentera pas Mathie et je mourrai plutôt que de lui révéler où ils sont. Je recule de quelques pas, à quatre pattes, lève la tête et observe autour de moi. Deux murs gris, des barreaux, une cellule. Rien n'est à notre avantage ici. Nicolas me regarde faire. Il s'est assis et a entouré ses genoux de ses bras.
– On ne peut pas s'échapper, me dit-il. Pas sans une aide extérieure.
– J'oublie toujours que tu es un expert de l'évasion.
Sa remarque me fait sourire. La dernière fois que je me suis retrouvée enfermée dans une cage, c'est lui qui est venu me délivrer. J'ai l'impression qu'une éternité est passée depuis ce moment.
– Tu crois que nos aventures s'arrêtent là ? demandé-je.
– Il faut bien mourir un jour, répond-il.
– Quel optimisme.
Il éclate de rire.
– Je vais mourir sans même l'avoir revue, ne serait-ce qu'une seule fois, murmure-t-il.
Il lève les yeux vers le plafond. Je sais qu'il pense à Lila et je suis triste pour lui.
– Ce n'est pas toujours agréable de revoir la personne qu'on aime tu sais, dis-je.
– Tu n'aurais pas aimé revoir Lhénaïc ?
Je plante mon regard dans le sien. Mais pourquoi tout le monde me parle de Lhénaïc ? Je ne suis pas amoureuse de lui. Pour l'heure, j'essaye surtout de retirer les images du Mathie fou qui nous a capturé et ordonné notre torture. C'est déjà bien suffisamment. Je ne vais pas m'encombrer l'esprit avec un autre garçon.
– En tout cas, j'aurais aimé ne pas revoir Mathie, marmonné-je. Vivant, je veux dire.
– Alors, c'est vrai... Il nous a vraiment sacrifié pour... ça ?
Il jette un regard circulaire. Mes yeux suivent les siens et je ravale les larmes qui me montent aux yeux. Mon dos me brûle et ma tête est lourde. Penser à Mathie me donne envie de pleurer et de hurler.
– Oui, il nous a vraiment sacrifié. C'était lui le traitre.
Et c'est sans doute cela le plus difficile à vivre.
¤
Rapidement, je perds le compte des jours. J'ignore combien de temps nous restons enfermés dans cette cage. Parfois, la porte s'ouvre et un exterminateur entre pour nous donner à manger ou à boire. La plupart du temps, la porte reste fermée. La prison n'est éclairée que par une minuscule ampoule qui reste en permanence allumée et nous ne dormons que de façon hachée. On m'a apporté de l'alcool et des compresses pour que je puisse désinfecter mes blessures. J'ai hurlé de douleur en répandant le liquide, c'était comme me brûler. Nicolas a gardé le dos tourné pour ne pas me voir souffrir, mais il n'a pas manqué de m'entendre. J'ai réussi, tant bien que mal, à nettoyer les coupures pullulantes et déposer quelques compresses pour empêcher qu'elles ne se rouvrent. Lorsque j'ai demandé à Nicolas de m'expliquer l'étendue des dégâts, il a failli tourner de l'œil et s'est mis à vomir dans le seau qu'on nous laisse au fond de la cellule. J'en ai déduit que ce devait être affreux à voir.
Mathie est venu nous voir une seule fois. Il nous a demandé où étaient les rebelles et comme nous restions mutiques, j'ai craint qu'il envoie une nouvelle fois les exterminateurs nous torturer. À la place, il s'est contenté de nous annoncer que nous allions être exécutés sous peu, si nous ne parlions pas. Je reste de longues heures par terre, allongée sur le ventre à fixer le mur devant moi. Je me sens vide de toutes pensées. D'autres fois, je fais les cent pas dans ma cellule puis donne des coups violents contre les barreaux pour faire sortir ma rage. Nicolas me regarde faire sans réagir. Lorsqu'il me fait remarquer que m'échiner les barreaux est inutile, je redouble de colère et frappe de plus belle. Lui reste calme, assis sur le sol. Pour passer le temps, il récite des passages de ses livres préférés. Je crois que l'ennui et l'attente me rendent plus dingue encore que la douleur de mes blessures.
Un jour, la porte s'ouvre et quatre exterminateurs entrent, suivi de leur chef. Ils Deux d'entre eux me passent les menottes aux poignets tandis que les autres s'occupent de Nicolas. Nous nous laissons faire, trop faibles pour riposter et ils nous font monter les escaliers avant de nous pousser vers un ascenseur.
– Ou est-ce que vous nous emmenez ? demandé-je.
Pour réponse, on me met un coup dans le dos. Je pousse un cri de douleur et sens mes genoux vaciller alors qu'une vague de vertige me saisit. Ils me rattrapent et me forcent à me tenir debout. Nous entrons dans l'ascenseur et Mathie appuie sur un bouton. Les portes se referment et nous conduisent au rez-de-chaussée, jusqu'à un grand hall. Les regards de tous les employés se dirigent vers nous à notre arrivée. Personne ne parle. Les gens semblent terrifiés.
Tant mieux ! Tant qu'ils continuent à avoir peur de nous – ce qui est franchement ridicule ! – j'ai encore une chance, même infime, d'échapper à la mort. C'est Mathie lui-même qui me l'a enseigné. Les trois secrétaires de l'entrée se rongent les ongles en nous regardant passer. Les autres vaquent à leurs occupations tout en gardant un œil attentif sur Nicolas et moi.
Nous sortons du bâtiment et nous retrouvons sous un soleil flamboyant, dans une chaleur étouffante. L'été est arrivé. Les grandes tours, de verre ou de marbre, nous font face et des dizaines de personne se massent dans les rues pour nous regarder passer.
– J'avais oublié à quel point c'était beau ici, murmure Nicolas à côté de moi.
– Ne te laisse pas aveugler, chuchoté-je.
– Comme le pourrai-je ?
Il me montre ses mains enchainées. Les exterminateurs marchent, le regard fixé droit devant eux. Mathie est en tête.
– Où nous emmène-t-il d'après toi ? demande Nicolas.
– Au palais, réponds-je.
– Est-ce qu'ils vont nous exécuter ?
Je me contente de hausser les épaules. S'ils nous tuent maintenant, ils ne pourront plus obtenir les informations qu'ils souhaitent. Peut-être que Mathie veut juste nous exhiber devant Johns Lenark pour obtenir une médaille qui sait ? Plus rien ne m'étonnerait venant de lui à présent. Le silence est oppressant. La population est disciplinée, ils ne bougent pas et se contentent de nous regarder passer. J'entends les battements de mon cœur qui martèlent ma poitrine de coups violents. Nous tournons à l'angle d'une rue et j'aperçois l'esplanade. Au-dessus, la foule est massée sur un pont. Un éclat de lumière attire mon attention et je relève la tête. Une personne me fait signe discrètement. Je plisse les yeux et reconnait Valentin. À ce moment-là, l'exterminateur me pousse pour que j'avance plus vite et je perds de vue l'ami de Lhénaïc. Mathie nous ordonne de nous arrêter.
– Regarde !
Je me retourne vers Nicolas qui pointe deux écrans géants du regard. Ils projettent nos visages sur les murs du palais. Au-dessous se trouve la liste de nos crimes.
– J'ai les cheveux si longs que ça ? interroge Nicolas.
– Je te les couperai en rentrant si tu veux ? ironisé-je.
Ma phrase ne prête pas à rire. Nous savons tous les deux que nous avons peu de chances de rentrer.
– Tu as vu, on me reproche d'avoir libéré une prisonnière, commente-t-il.
– C'est déconseillé, me moqué-je.
L'humour nous a toujours permis de faire face aux situations les plus périlleuses. Une brise légère se lève et les cheveux de Nicolas se soulèvent. Je lui jette un regard en biais. C'est ma faute s'il est là aujourd'hui. S'il ne m'avait pas libéré il y a trois ans, rien ne tout ceci ne lui serait arrivé. Il continue à fixer l'écran au-dessus de nous alors que Mathie nous ordonne d'avancer. Quand nous arrivons devant le dôme de cristal, je laisse mon regard s'abandonner sur sa surface miroitante. Quelle merveille ! La surface vitrée et transparente, légèrement rosée, scintille dans la lumière du soleil. Au-dessus, le palais nous surplombe de sa masse. Focalisée sur les ornements du palais, je mets quelques minutes à remarquer qu'une personne se tient dans l'encadrement d'une colonne, en contrebas. Je plisse les yeux puis les écarquille, avant de donner un coup de coude à mon meilleur ami.
– Quoi ?
– Relève la tête.
Il fronce les sourcils et suis mon regard. C'est à ce moment-là qu'il la voit. Je crois qu'à cet instant, plus rien d'autre n'a d'importance. Lila et Nicolas s'observent, les larmes aux yeux et ils se sourient dans une communion silencieuse. Je n'ai pas besoin de regarder mon meilleur ami pour savoir qu'il pleure. Les larmes sur les joues de Lila me le confirment. Les exterminateurs ne prêtent nulle attention à la scène qui se joue sous leurs yeux. Leurs cerveaux minables ne peuvent pas comprendre le lien invisible entre Nicolas et Lila. Ils ne peuvent pas comprendre que cet échange muet est une promesse d'avenir et d'espoir. Une pointe de jalousie vient se loger dans ma poitrine en les regardant. Parfois, j'aimerais ressentir la même chose qu'eux.
Lila finit par s'écarter de la colonne et disparait. Mathie choisit ce moment pour nous faire rentrer dans le dôme. Il ordonne aux exterminateurs de retourner aux prisons tandis que deux patrouilleurs prennent la relève. Je me laisse faire, tout comme Nicolas qui semble dans un tout autre monde. Une fois les portes passées, Mathie nous fait tourner dans un couloir pour emprunter les grands escaliers de marbre qui conduise au palais.
Soudain, Nicolas s'arrête. D'un mouvement brusque, il se dégage du patrouilleur qui l'escorte, plante son regard dans le mien et me dit :
– Sais-tu arme est la plus forte des êtres humains ?
Je secoue la tête, alors que le patrouille qui me tient resserre sa main autour de mon bras. Nicolas a des larmes dans les yeux.
– L'espoir. Et l'amour est porteur d'espoir.
Mathie l'assomme pour le faire taire.
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