Chapitre 17

Le bunker secret


–  Combien de chance pour que nous ne trouvions rien cette fois-ci encore ?

            Robin lève les yeux au ciel. Pour une fois que ce n'est pas moi qui maugrée contre Macha ! Les premiers jours après notre dispute, la jeune fille m'a presque parue amicale. Pourtant, elle a rapidement retrouvé sa mauvaise humeur naturelle. Plus d'un mois est passé depuis mon retour de l'Odéon et nous sortons tous les deux jours afin de parcourir la vallée. Pour l'instant, nous n'avons obtenu aucun résultat, ce qui a tendance à agacer Macha.

            Nous organisons des roulements avec des groupes de trois ou quatre personnes. Simon et les jumelles voulaient se joindre à nous mais Nicolas les en a dissuadé en leur montrant ma cicatrice dans le dos. Celle-ci s'est bien refermée grâce au matériel de soin envoyé par Valentin mais elle me fait grimacer si je fais des gestes brusques. Pour l'heure, nous marchons dans la vallée en suivant le GPS. Je commence à penser qu'il a été enseveli à jamais et les autres sont sûrement arrivés à la même conclusion que moi car Macha ne cesse de faire montre de sa mauvaise humeur.

–  Nous sommes beaucoup trop loin de l'Odéon, décrété-je en m'arrêtant.

            Je pose mon sac sur le sol et en sors du pain et du fromage. Je donne une part à Robin et Macha qui l'attrapent et l'avalent aussitôt. Nos conditions de vie se sont nettement améliorées depuis que Lila nous envoie de la nourriture. Je me suis résolue à accepter l'aide alimentaire de Lila. J'y ai même pris goût. Il est plaisant de retrouver de vrais aliments, de sentir son ventre plein le soir et de ne pas être obligée d'aller voler dans les champs surveillés de la cité. Macha continue de chasser pour compléter nos rations et nous ne mourrons plus de faim, ce qui est un progrès.

–  Je te l'avais bien dit qu'on s'éloignait, soupire Macha.

–  Nous sommes trop loin de la clôture, observé-je.

            Mes souvenirs du bunker sont imprécis. Même Macha, qui a vécu à l'intérieur une partie de sa vie, ne se souvient pas de son emplacement. La plaine a changé depuis le printemps dernier et tout est mort et brûlé autour de nous. Je me rappelle d'un arbre creux et d'un énorme rocher qui se trouvaient à côté de la trappe par laquelle Mathie et son père me faisaient sortir. Malheureusement, le paysage autour de nous est presque essentiellement constitué de ces deux éléments.

–  Combien de temps mettait Lhénaïc pour rejoindre le bunker par les souterrains ? demande Macha pour la centième fois.

–  À peu près une heure.

–  Alors le bunker n'est pas loin de la clôture, répète Robin.

            J'attrape mon sac et l'enfile sur mon dos. Nous avons déjà eu cette conversation des milliers de fois. Robin a déjà tenu ces mêmes propos dans ce même décor et Macha ces mêmes railleries. Nous tournons en rond. 

–  Tu aurais du papier et un stylo ? demande Robin.

            Je sors de mon sac ce qu'il me demande et il s'assoit par terre en posant la feuille sur ses genoux. Il nous invite à faire comme lui et je m'accroupis pour l'écouter.

–  Regardez. Ici, c'est l'Odéon, dit-il en faisant une première croix sur sa feuille. Et là, c'est la forêt. Ensuite, il y a la clôture. Notre souterrain est à environ deux kilomètres de celle-ci, là. Les coordonnées du GPS indiquent que nous sommes ici. Donc, si on trace une croix entre là et là, ça signifie que le bunker principal devrait se trouver dans ce secteur.

            Il termine son dessin en tirant un grand trait entre nos souterrains et un périmètre inconnu. Son dessin ressemble à un méli-mélo de traits qui s'entrecroisent. Personnellement, je ne suis pas plus avancée ! 

–  Ce n'est qu'une supposition évidement. Ça ne fonctionne que si les kilomètres indiqués par Lhénaïc sont bons.

            Je ne vois toujours pas où il veut en venir et je suis en train de me triturer le cerveau quand Macha pousse un cri. Je me retourne d'un bond pour regarder le ciel mais il n'y a rien. Je fronce les sourcils alors qu'elle sautille littéralement sur place pour répondre à Robin qu'elle a suivi son raisonnement.

–  Tu es obligée de hurler ? la rabroué-je.

            Elle me jette un regard noir et nous reprenons notre marche. Au lieu d'aller vers l'est comme nous en avions l'habitude, Robin nous fait emprunter un chemin plus au nord. Nous le suivons tout en gardant le GPS à la main et je ne cesse de fixer le sol comme si le bunker allait sortir de terre. Mon comportement ne répond à aucune logique. Même si je marchai sur le bunker, je ne pourrai pas le voir puisqu'il est sous terre. Macha traîne des pieds derrière nous. Robin reste à mes côtés et fixe le GPS comme s'il allait se mettre à sonner pour confirmer sa théorie.

–  Attention à la branche !

            Je soulève mon pied au dernier moment. Derrière moi, Robin ne lève pas le sien assez tôt et se retrouve le nez collé sur le sol. Macha nous rejoint en courant alors que l'appareil vibre fortement entre mes mains. Le point rouge clignote. Je fais un pas sur le côté et il vibre plus fort. J'avance encore de quelques mètres et il émet un son aigu et strident. Je me retourne vers eux, un sourire sur les lèvres.

–  Je crois que nous l'avons trouvé, annoncé-je.

            Robin se relève pendant que Macha vient à mes côtés, fixant son regard sur l'appareil.

–  C'est maintenant qu'on doit jouer les appâts ? me demande-t-elle.

–  Vous croyez que c'est le bon bunker ? interroge Robin en se massant le pied.

–  Le GPS émet un signal sonore au contact d'un endroit où l'amplitude magnétique est élevée, expliqué-je. C'est peut-être un autre bunker mais il peut toujours nous permettre de rejoindre celui que nous cherchons en utilisant les galeries. Souviens-toi qu'ils sont tous reliés les uns aux autres.

–  Sauf le nôtre, commente Macha.

–  Parce que les tunnels étaient trop proches de l'Odéon et qu'ils ont été détruits par les bombes, répliqué-je.

            Mon cœur bat la chamade. Je voudrais me mettre à creuser tout de suite. Par réflexion, je jette un coup d'œil vers le ciel vide. La nuit tombera dans quelques heures et nous ne pouvons pas restés dehors à attendre l'arrivée des vaisseaux. Macha tremble d'impatience mais je trouve plus raisonnable que nous rentrions. Malgré mon désir de rester ici, je me range à son avis et rentre les coordonnées sur le GPS pour retrouver le lieu plus tard.

            Nous rentrons dans notre grotte et, à peine arrivée, j'ordonne une réunion d'urgence et invite les enfants à participer. Rassemblés autour de la table, ils affichent des visages graves.

–  Nous avons trouvé quelque chose, annoncé-je.

            Des sourires s'affichent sur le visage des plus jeunes. Khisa se met à applaudir mais je lui fais signe d'arrêter. Il ne faut pas crier victoire trop vite. Nicolas me tend une boîte en fer rouillée et je l'ouvre pour sortir les pilules que Nathaniel m'a donné.

–  Nicolas, Macha et Tristan, vous êtes toujours volontaires ?

–  Tu sais bien que je ne vais pas laisser Tristan, raille Macha.

            Nicolas hoche la tête et se contente de garder le silence.

–  Bien, continué-je. Shaunia et Milona ! Demain matin, vous serez seules ici avec les autres enfants. Votre mission sera de veiller sur eux. Si nous ne revenons pas, vous prendrez contact avec Valentin.

            Les jumelles hochent la tête dans un même mouvement. Je sors de mon sac la tablette et décroche une partie, ne gardant que le GPS. Les deux petites le prennent dans leur main comme s'il s'agissait d'un bijou particulièrement précieux.

–  Ludmilla et Robin ! Tous les trois, nous allons chercher les vaisseaux, annoncé-je. Ne faites pas ces yeux-là ! Nous devons les attirer vers le bunker. Nicolas, Macha et Tristan, vous serez en place au-dessus de la zone que nous avons découverte. Quand vous les entendrez approcher, faites-en sorte qu'ils aient le temps de vous voir et ensuite, avalez-ça !

            Je leur donne à chacun une pilule.

–  Quand les vaisseaux partiront, nous descendrons dans le bunker et je vous indiquerai quoi faire. Des questions ?

            J'espère qu'il n'y en aura pas car j'ignore ce que nous ferons une fois dans le bunker. Mon plan s'arrête à l'ouverture de la trappe, j'aviserai de la suite plus tard. Les enfants hochent la tête et gardent le silence. Ils semblent conscients de la dangerosité de notre entreprise. Si les pilules ne fonctionnent pas, il y a toutes les chances du monde pour qu'on meurt. J'aurais aimé laisser Robin et Ludmilla dans les souterrains pour veiller sur les petits mais je sais qu'ils n'accepteront pas. Les jumelles doivent donc prendre le rôle des adultes.

            Nous mangeons dans un silence pesant.

            Une fois les lumières éteintes, je reste quelques temps seule dans la cuisine et hésite à envoyer un message à Valentin ou Lhénaïc. Je me décide finalement pour quelques mots brefs, destinés à les informer de notre action du lendemain. Je ne parle pas de nos craintes. De mes craintes. Je n'écris rien de personnelle à Lhénaïc.

            Après tout, sa vie n'est pas ici et il a déjà ses amis. Qu'aurais-je pu lui écrire ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top