Chapitre 16
Colère et ressentiments
Nous retrouvons notre grotte dans la soirée. Les enfants crient de joie en nous voyant rentrer et se jettent dans les bras de Nicolas. Je sens que l'on me touche l'épaule et me retrouve dans ceux de Tristan qui me serre contre sa poitrine, chose qu'il n'a jamais fait jusqu'à présent. J'ignore pourquoi il fait preuve d'une affection si soudaine à mon égard et je lui rends maladroitement son accolade avec une petite tape dans le dos.
– J'ai cru que vous étiez morts, m'avoue-t-il. Je m'en veux tellement. Je ne les ai pas entendu arriver.
Il resserre un peu plus fort son étreinte et je l'éloigne doucement de moi en sentant sa main se poser sur mon dos meurtri.
– Tu es blessée ? s'écrie-t-il.
Je ne l'ai jamais vu aussi paniqué et tente au mieux de le rassurer.
– Ne t'en fais pas, ce n'est pas très grave.
Robin ordonne aux enfants de lâcher Nicolas pour nous conduire dans la cuisine. Macha, assise sur la grande table, garde les yeux baissés et les mains posées sur ses genoux. Elle relève la tête en nous voyant entrer puis reprend la contemplation de ses pieds. Nicolas fait coulisser la porte transparente et nous enferme dans le petit espace.
– Ce qui est arrivé n'est la faute de personne, déclare-t-il en jetant un regard en coin à Tristan.
– Réjouissons-nous qu'il n'y ait eu aucune perte, complété-je.
Macha relève la tête.
– Nous avons vu les vaisseaux bombarder la zone dans laquelle vous vous étiez réfugiés, raconte-t-elle. Nous avons couru et nous ...
– Nous sommes rentrés, termine Tristan. On vous a abandonnés.
Il détourne le regard, comme s'il éprouvait une énorme culpabilité.
– Ne dites pas de bêtise, commenté-je. Vous ne nous avez pas abandonnés. Vous vous êtes mis à l'abri.
– Comment vous en êtes-vous sortis ? demande Ludmilla.
– Nous nous sommes cachés sous un tronc d'arbre, explique Nicolas. Évidemment, Anahbelle a d'abord tenté de réduire en poussière les vaisseaux à l'aide d'un minuscule pistolet laser mais elle l'a fait tomber dans la cendre.
Je lui jette un regard noir et il me fit un clin d'œil. Je ne suis pas sûre que sa tentative d'humour soit appropriée.
– Ce pistolet aurait pu nous sauver la vie, répliqué-je.
– Mais nous sommes en vie !
J'opine de la tête. J'avoue, je n'ai pas été très efficace. Cela dit, je n'aurais jamais fait tomber mon arme si une bombe n'avait pas explosé à côté de nous. Mon dos choisit ce moment pour me brûler fortement et je grimace en passant ma main derrière.
– Peux-tu me passer la tablette ? demandé-je à Nicolas.
Il sort l'appareil déchargé du sac à dos et me le tend.
– Quelqu'un a une prise ?
Ils me fixent en silence, comme si je venais de dire une énormité.
– Quelqu'un peut-il recharger cette tablette sans prise ?
Robin tend la main et me prend l'écran. Je le laisse faire et le regarde retirer une partie. Il sort la batterie et l'examine du coin de l'œil avant de la remettre à l'intérieur. Finalement, il déclare qu'il aura besoin d'un peu de temps et sort de la pièce en nous laissant stupéfait.
– Comment compte-t-il le faire marcher au juste ?
– Avec de la chaleur, explique Ludmilla.
Robin revient vite avec des bougies, sort la batterie de l'instrument et retire des fils qu'il accroche entre eux avant de les porter au-dessus de la flamme. Il a toujours été doué en technologie. Le fil crépite. Il reste ainsi plusieurs minutes avant de remettre la batterie à l'intérieur pour me tendre l'appareil. Je le remercie d'un hochement de tête et appuie sur le bouton « on ». L'écran s'allume, c'est incroyable !
– Tu comptes faire quoi ? demande Robin.
– Où as-tu appris tout ça ? demandé-je tout en tapant le mot de passe.
– Au camp, avec Mathie.
– Ah !
Je clique sur la petite icône qui permet d'envoyer des messages à distance. En quelques lignes, j'explique ce qu'il s'est passé et demande du matériel de soin pour Nicolas et moi.
– Vous êtes blessés ? demandé-je à Macha et Tristan.
– Juste quelques égratignures, me répondent-ils.
– Tu peux leur demander du pain ? lance Nicolas.
Je lui tourne le dos et lève les yeux au plafond. Combien de fois faudrait-il que je leur répète qu'il est dangereux de détourner de la nourriture. L'image devient noire, grésille puis l'appareil vibre pour afficher une réponse. Je la lis à haute voix pour les autres, tout en soupirant devant l'humour de Valentin.
– Bonjour guerriers et guerrières des profondeurs, ici l'agent Valentin. Votre randonnée d'hier a fait grand bruit dans l'Odéon. Toute la cité ne parle plus que des résistants qui ont été tués. Félicitations à Nicolas et Anah, vous êtes officiellement morts. Maintenant, permettez-moi de vous dire que vous nous avez fait une belle frayeur ! Nathaniel va vous envoyer du matériel médical. Lila s'occupe de détourner les circuits de distribution pour vous faire parvenir de la nourriture (Anah, ne fais pas cette tête, c'est sans danger !). Bon courage à vous.
L'écran redevient noir. Je relis plusieurs fois le message, un peu triste à l'idée que Valentin n'est pas fait mention une seule fois de Lhénaïc. Où est-il ? Est-ce qu'il s'est inquiété ? Je tends l'appareil à chacun, puis Robin le récupère pour sortir la batterie et la remettre en charge.
– Nous allons réessayer demain ? demande Nicolas.
– C'est dangereux, marmonne Macha.
– Il faudra aller chasser de toute façon, rappelé-je.
– Nous n'avons plus besoin de chasser, rétorque-t-elle. Tes nouveaux amis nous envoient des colis.
– On va laisser passer quelques jours, le temps qu'ils continuent de nous croire morts, décidé-je. Ensuite, nous ressortirons. J'emmènerai Robin et Ludmilla cette fois-ci.
– Quoi ? s'écrie Macha. Parce que Tristan a fait une seule erreur nous sommes consignés ici ? Et si c'était vous qui restiez dans la grotte pour changer ?
– Ça n'a rien d'une balade d'agrément, lui rappelé-je.
– J'en ai plus qu'assez de vos décisions.
Elle se lève d'un bond, furibonde. Je la toise du regard, déjà agacée par son comportement.
– Je connais ces terres mieux que vous tous, s'écrie-t-elle. Parce que vous venez de là-bas, vous vous croyez tout permis. Vous pensez avoir tous les droits.
Nicolas et moi échangeons un regard, un peu gêné.
– Calme toi Macha, ça ne sert à rien de t'énerver, nous ..., commence Nicolas.
– Non, je ne me calmerai pas, reprend-t-elle. Je n'ai jamais mis les pieds dans l'Odéon moi. J'ai vu mes parents mourir sous les bombes atomiques qui ont ravagé mon village. Je ne suis pas une petite privilégiée comme vous, ma famille est morte et...
– Je comprends ton trouble, la coupé-je. Mais tu n'es pas la seule à souffrir, nous avons tous ici...
– FERME LÀ !
Cette fois, je recule d'un pas. Elle s'est avancée et sa colère semble décupler.
– Je te déteste depuis le jour où Mathie t'a choisie à ma place.
– Quoi ?
J'arque un sourcil, ne sachant pas quoi ajouter.
– J'étais sa préférée. Il était comme un frère pour moi. Plus que ça même. C'était... Et tu me l'as pris. Tu es arrivée, et il n'y en avait que pour toi. Toi, la fille parfaite. L'étrangère chassée de l'Odéon avec son toutou de meilleur ami.
Nicolas se lève d'un bond. D'un geste de la main, je lui intime de ne pas bouger car je risque de ne pas pouvoir me retenir sinon.
– Tu vois, qu'est-ce que je te disais, il répond à tous tes ordres, crache-t-elle en jetant un regard noir à Nicolas.
– Ne te sers pas de la haine que tu éprouves envers moi contre lui !
– Vous n'avez qu'un désir, avouez-le ! Retourner là-bas ! Vous vous prenez pour des chefs ! Nicolas ne pense qu'à elle, et toi ... Tu crois que je n'ai pas vu ton sourire quand tu es rentrée ? Nous avons passé trois jours à te croire morte et tu rentres le sourire aux lèvres et des cadeaux pleins les poches ! Qu'est-ce qui me fait croire que tu n'es pas une espionne ? Qu'ils ne t'ont pas recrutée pour nous détruire ?
– Tu délires !
– Vous êtes embrigadés Nicolas et toi. Vos esprits resteront à jamais reliés à l'Odéon. Moi, je n'ai pas eu le cerveau trafiqué par des pilules. Bon sang, regardez ce qu'ils ont fait à Tristan !
L'intéressé relève la tête et croise mon regard. Macha est dans tous ses états. Elle tremble de rage et serre fortement la table.
– C'est justement parce qu'ils connaissent l'Odéon qu'ils sont les mieux placés pour nous aider, tente Robin.
– Ah oui ? Tu crois ça ? Mais regarde là ! Elle n'attend qu'une chose. Retrouver son très cher Lhénaïc. Entre traîtres ils se comprennent. Tu n'as eu aucun mal à oublier Mathie pas vrai ? J'espère que tu as pris du bon temps au moins avec le fils du dictateur !
Cette fois, je ne peux plus me retenir. D'un bond, je me jette sur Macha. Sa dernière phrase a eu raison de ma patience et elle m'a poussé à bout, à croire qu'elle voulait en venir aux poings. Je passe par-dessus la table et nous basculons sur le sol, en emportant quelques assiettes oubliées sur le passage. La jeune fille m'envoie un coup de pieds dans mes côtes au moment où j'attrape ses poignets et tape ma tête contre son front. Le coup manque de m'assommer et décuple ma migraine. Je la maintiens fortement sur le sol et elle relève la tête pour planter ses dents dans ma main. Je hurle de douleur au moment où quelqu'un m'arracher. Dans les bras de Nicolas, je gesticule et cherche à m'échapper pour revenir frapper Macha. Robin et Tristan la tiennent. Nous sommes deux furies.
– Comment oses-tu dire ça ? m'écrié-je. J'ai pleuré Mathie chaque jour depuis qu'il est mort. J'en ai fait des cauchemars toutes les nuits. J'ai supplié qu'on me le rende !
Macha se débatte entre leurs bras et Nicolas me plaque contre son corps. J'ai envie de le mordre.
– Tu es comme tous les odéonistes, raille-t-elle. Calculatrice et cinglée.
Je pousse un cri furieux et échappe à mon meilleur ami. Ludmilla se met en travers de ma route et je m'arrête nette, ne voulant pas blesser la jeune fille.
– Tes parents ont payé des milliards pour faire partie du système tandis que les miens mouraient, crache Macha alors que les deux garçons la relâchent. Et tu viens me donner des leçons. Pour qui te prends-tu ? Ton cerveau est mort et tu n'as presque aucun souvenir. Si je te dis que je suis suédoise, cela n'éveille rien pour toi ! Ta mémoire se limite à des livres lus en cachette avec ce garçon. Comment peux-tu vouloir te battre pour ramener un monde que tu n'as jamais connu ?
– J'ai le droit de me battre pour un monde meilleur ! Ce combat n'appartient pas qu'à toi. J'ai tué mes parents, j'ai ...
Elle éclate de rire, le souffle court.
– Et ton précieux Lhénaïc, pourquoi n'a-t-il pas assassiné son père, lui ?
Je tape dans le mur pour faire passer ma rage. La douleur remonte jusque dans mes tempes, j'ai l'impression que des marteaux me tapent le crâne. Mes doigts saignent, à la fois à cause de sa morsure mais aussi en raison des coupures que je viens de m'infliger.
– J'ai le droit de me battre pour ce monde, autant que toi ! murmuré-je.
– Ça suffit ! s'écrie Nicolas ! Stop ! On est dans le même camp, vous vous en souvenez ?
Macha et moi nous figeons, essoufflées. Autour, les autres n'osent plus bouger et gardent leurs yeux rivés sur nous. Depuis combien de temps avions-nous envie de nous battre l'une contre l'autre ? Je respire fortement et sens mon cœur battre comme un fou. Je suis soudain extrêmement fatiguée. C'est comme si une chape de plomb s'abattait sur ma tête. Macha se met mise à pleurer. Je la vois glisser le long de la paroi rocheuse. Elle replie ses jambes contre sa poitrine et les enroule de ses mains. Je reste debout sans savoir quoi faire. Ses mots sont violents, aussi tranchants que des lames.
En la voyant pleurer, ma colère retombe. Elle a le droit d'être en colère. Elle se bat depuis l'enfance pour défendre la liberté. Quel âge a-elle lorsque ses parents sont morts ? Six ans ? Peut-être moins. Elle a passé sa vie à se battre contre l'Odéon.
– Tu as raison, déclaré-je.
Macha cesse de pleurer et relève la tête. D'un geste, elle chasse les mèches de cheveux qui retombent sur son visage blafard.
– Je ne mérite pas ma place auprès de vous.
Nicolas s'avance vers moi et resserre sa main sur mon épaule. Je me laisse tombée sur une chaise et passe mes mains sur mon visage.
– Après la mort de Mathie, c'est toi qui aurais dû prendre la tête de la résistance.
C'est la vérité. Elle est plus entraînée et plus légitime que moi. Son esprit n'a jamais été embrumé par les pilules de l'Odéon, ni par leur propagande. Comment aurais-je réagi à sa place ? Je suis une ancienne ennemie et je la dirige. Je comprends qu'elle puisse trouver cela révoltant.
– Tu as le droit d'être en colère.
Elle se décolle du mur. Ma colère est entièrement retombée et elle aussi parait plus calme.
– Je ne peux pas te prouver que je ne travaille pas en secret pour l'Odéon.
– Anah, chuchote Nicolas.
– Et tu as raison, je n'ai pas le droit de me plaindre en comparaison du malheur qui a touché les tiens et le monde.
– Aucune douleur est plus légitime qu'une autre, me contredit elle à ma grande surprise.
Elle se relève en s'appuyant sur le mur et je la regarde faire sans oser réagir. Robin et Ludmilla ne nous lâchent pas du regard tandis que Tristan aide Macha qui s'appuie contre son épaule.
– Nous sommes dans le même camp, continue-t-elle. Peu importe qui nous étions hier et d'où nous venons. Je n'aurai pas dû te parler ainsi.
– Non, tu avais raison, réponds-je. Et tu as le droit d'exprimer ta colère.
– J'avais envie de te taper dessus.
– Moi aussi.
Nous hochons la tête d'un même mouvement, comme si la hache de guerre était enterrée. Nous ne serons sûrement jamais les meilleures amies du monde, mais peut-être allons-nous arrêter de nous hurler dessus à l'avenir ? Je tourne la tête pour essayer de capter le regard de chacun.
– Nous devons avoir confiance les uns dans les autres. Sinon nous sommes perdus.
Nicolas hoche la tête et les autres l'imitent. Macha ne cesse pas de me fixer de ses grands yeux clairs. Elle rejette encore ses cheveux blonds en arrière et se masse le front.
– Le pouvoir de commander la résistance te revient de droit, annoncé-je. Je n'aurais jamais dû être élue.
– Mais tu l'as été, répond-elle. Et je dois me plier à cette décision.
– Même si tu ne me trouves pas légitime ?
– Je ne te trouve pas illégitime non plus. J'ai seulement du mal à accepter tes ordres.
– Et pour Mathie...
– Oublie ce que j'ai dit !
Elle ne semble pas vouloir en reparler. Elle détourne le regard puis soupire.
– Garde ton poste, je ne veux pas être cheffe. C'est trop de responsabilités et les gens détestent toujours les chefs. Regarde-moi, je passe ma colère contre toi à chaque fois que quelque chose ne va pas.
– On pourrait inverser les rôles pour une fois, non ? proposé-je en souriant.
– Je ne veux pas perdre ma liberté d'expression. Par contre, j'aimerais que tu nous inclues davantage dans tes décisions et que tu cesses de nous maintenir à l'écart. On est un groupe, c'est ce qui doit nous différencier d'eux.
Elle pointe son doigt vers le plafond et je comprends qu'elle désigne l'Odéon et la dictature par ce « eux ». Elle a raison, je suis égoïste parfois. Je leur tais des choses et impose mes décisions pour les protéger, au lieu d'agir en collectif. Il faut que les choses changent. Et même si je préfèrerai les accompagner, j'accepte qu'elle, Ludmilla, Tristan et Robin sortent demain pour rechercher le bunker, sans moi. Cette décision m'en couta mais elle est nécessaire pour l'entente de notre groupe.
¤
J'embrasse chacun des petits pendant que Nicolas éteint les lumières. Valentin nous a fait parvenir du matériel médical et mon meilleur ami m'a aidé à panser ma blessure dans le dos. À priori, elle n'est pas belle à voir mais ne nécessite pas de points de suture, ce qui est rassurant. Je me couche sur ma couverture en repensant à la colère de Macha. Je lui ai dit que je pensais à Mathie tous les jours mais il me semble pourtant qu'une éternité est passée depuis que je n'ai plus rêvé de lui. Au lieu de son sourire et de ses yeux verts, je vois désormais le visage de Lhénaïc en rêve. Lhénaïc et ses yeux bleu foncé, avec ses pigments violets, dans son visage triste. Mathie et Lhénaïc, les exacts opposés ! Ils n'ont rien à voir l'un avec l'autre. L'un est calme, posé et angoissé ; l'autre était fougueux, hyperactif et sûr de lui.
Mes pensées s'égarent vers Lhénaïc et les dernières paroles de Macha viennent se heurter à mon souvenir de lui. « Pourquoi n'a-t-il pas assassiné son père, lui ? ». C'est vrai. Pourquoi ? J'ai bien tué mes parents. Je suis sûre que Mathie aurait tué les siens pour nous sauver, mais Lhénaïc... Il m'a pourtant dit qu'il était dans les vaisseaux au moment où ils larguaient les bombes atomiques. Je l'imagine, petit garçon, prostré derrière son père et je suis incapable de voir en lui un assassin. Nous ne sommes pas tous nés pour nous battre une épée à la main. Il y a différentes façons de résister. Je tourne mon visage vers les enfants autour de moi en pensant à la culpabilité que Lhénaïc doit éprouver. Il ne se pardonnera jamais ce qui est arrivé. Il se juge responsable. Ce n'est pas lui qui avait lâché les bombes mais il n'a rien fait pour les empêcher de pleuvoir du ciel. En nous aidant, il cherche peut-être à racheter ses fautes et se faire pardonner l'infamie de son père et la mort de milliers d'innocents.
– On ne peut pas changer l'Histoire.
Je me retourne sur ma couverture. Nicolas s'est rapproché discrètement, je ne l'ai pas entendu arriver. C'est son quart d'heure philosophie.
– Qu'est-ce que tu veux dire ? chuchoté-je.
– Avec des si on pourrait refaire le monde. Si Lenark n'avait pas lâché ses bombes...
– ... des milliers d'innocents auraient été épargnés.
– Mais nous n'aurions rien appris.
– Ah ! Parce que nous avons appris quelque chose grâce à lui ?
– Oui, que la vie ne tient qu'à un fil, que tout peut basculer du jour au lendemain, et qu'il est plus difficile d'être bon que d'être mauvais.
Il se laisse tomber sur sa couverture et je soupire. Parfois, je ne comprends rien à ce qu'il raconte. Son souffle se fait court et je crois qu'il s'est endormi, jusqu'à ce qu'il demande :
– Qu'espérons-nous trouver dans le bunker de Lhionel ?
Je fixe le plafond, la seule chandelle restée allumée projette des ombres sur les parois.
– Les anciens plans des rebelles, avec les entrées et sorties de la cité, les plans des architectes. Et des armes.
– C'est tout ?
– Non. Enfin, je ne crois pas. Lhénaïc cherche autre chose mais...
– Mais... ?
– Je ne suis pas sûre qu'il le trouvera. Je ne suis pas sûre qu'ils existent.
– Qui ?
Je me retourne et pose ma tête sur ma paume, mon coude contre ma couverture.
– Il pense que d'autres personnes ont survécu à l'extermination.
Nicolas se redresser et tend l'oreille pour m'écouter plus attentivement.
– Valentin a fait des recherches à partir des satellites, expliqué-je. Les bombes atomiques de Johns ont détruit toutes les villes qui existaient sur chaque continent. Mais certains hommes ont survécu, comme les rebelles de la première génération.
– Nous savons déjà tout cela, rappelle Nicolas.
Je hoche la tête et lui fais signe de baisser d'un ton.
– Tu te rappelles que Lhionel passait son temps à chercher les hommes et les femmes qui avaient survécu pour constituer une armée ?
– Oui, il envoyait des unités dans les plaines à la recherche de partisans. Mais ils sont tous morts l'an dernier et ...
– Peut-être pas tous ! le coupé-je. Lhionel était le seul à savoir comment dénicher les survivants qui se cachaient de l'Odéon. Lhénaïc dit qu'il possédait un logiciel, où je ne sais pas quoi.
– Et tu ne les crois pas ?
– J'ai peur de me faire trop d'espoir.
Il repose ma tête sur la couverture. Nicolas me sourit et se penche vers moi, un sourire aux lèvres.
– On n'a jamais trop d'espoir, chuchote-t-il avant de se retourner.
Il s'éloigne de moi pour se caler contre un mur. Je le regarde quelques instants en plissant les yeux puis pose un bras sous ma tête. Ma migraine est toujours présente et j'ai besoin de dormir. J'espère qu'ils ont raison, qu'il y a d'autres survivants. Parce qu'imaginer que nous sommes seuls est encore pire que d'espérer pour rien.
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