Chapitre 14
Le retour
La lumière du soleil m'éblouit quand je m'extirpe du tunnel. Sous mes pieds, la trappe se referme en emportant avec elle la dernière image de Lhénaïc. Autour de moi, l'herbe a de nouveau perdu sa couleur verte. J'éprouve presque un choc à revenir ici. C'est comme faire une plongée brutale dans le monde réel. Je retrouve la réalité des arbres calcinés, les nuages gris dans le ciel et la terre noire sous mes pieds. Les vêtements que Lhénaïc m'a offert sont déjà noirs de poussière. Autour de moi, un monde mort et triste s'oppose à la beauté de celui que je viens de quitter.
C'est le bruit caractéristique d'un vaisseau qui me fait reprendre mes esprits. Le bruit gronde et fait trembler le sol. Par expérience, je sais que le vaisseau se trouve loin. Pourtant, je ne peux m'empêcher de trembler. Le son résonne dans un bruit sourd et menaçant dans le silence environnant.
Je m'accroupis sur le sol pour récupérer de la terre et recouvre la trappe. J'arrache au passage des touffes d'herbes carbonisées. Je veux croire qu'un jour, les rivières asséchées qui coulaient autrefois au milieu des pins, des chênes et des bouleaux, pourront de nouveau faire entendre leur musique sur les galets. Je me relève et met à marcher. J'espère de tout cœur ne rencontrer aucun prédateur sur mon chemin. Mon arc est caché près de la clôture où il ne vaut mieux pas que je remette les pieds là-bas pour le moment. Lhénaïc m'a fourni un vieux pistolet à rayon laser dont je ne sais même pas me servir. D'après Valentin, qui semble avoir les armes en admiration, il me suffit d'appuyer sur la gâchette après avoir retiré le cran de sécurité. Je me demande si j'aurais le temps et la présence d'esprit d'enlever cette sécurité en cas d'attaque. Mon sac est beaucoup plus lourd que lorsque je suis arrivée à l'Odéon. À l'intérieur, Lila m'a obligé à prendre de la nourriture et quelques livres pour Nicolas.
J'ai décidé de ne pas parler d'Olivier à mon meilleur ami. Ce n'est pas à moi de le faire. Je me demande comment les enfants réagiront en me voyant rentrer. Robin a dû les informer de mon départ. Étonnement, l'idée de les retrouver m'effraye autant qu'elle me fait plaisir. Je n'arrive pas à imaginer leurs réactions lorsque je leur ferai part de toutes les informations récoltées ces derniers jours.
J'avance prudemment, le visage tourné vers le ciel et je scrute les nuages. Je prie pour qu'aucun vaisseau ne survole la plaine que je traverse à découvert. Je n'aimerais pas aimer finir en bouillie au beau milieu de plusieurs arbres morts. Mes pieds s'enfoncent dans le noir charbonneux du sol et mes baskets blanches sont bientôt pleine de poussières. Je m'arrête pour avaler une pomme en contemplant l'horizon. L'Odéon s'éloigne de plus en plus à chacun de mes pas. Je me demande où est Lhénaïc à présent. Est-il déjà rentré dans la cité ?
Sans que je ne sache pourquoi, mes pensées s'enfuient vers Mathie. Je me rends soudain compte que, depuis quelques jours, je n'ai plus rêvé de sa mort. Pendant près d'un an, je n'ai pas passé une seule journée sans revoir son visage. Mes pensées étaient sans cesse accaparées par son souvenir. Pourtant, aujourd'hui, il me semble que cela faisait une éternité que je n'avais plus pensé à lui.
Je prends une pause et m'assois sur un tronc d'arbre déraciné et calciné. Je contemple le ciel gris transpercé d'éclairs en grignotant. La pluie ne va pas tarder à tomber. Je me sens plus légère en reprenant mon chemin. La nuit est tombée lorsque j'aperçois enfin le rocher qui mène vers le souterrain. Une pluie fine commence à goutter sur ma tête, mes vêtements et mes cheveux sont maintenant trempés. L'eau finit de retirer les derniers vestiges de la couleur blonde que m'a posée Lila. Arrivée devant le souterrain, je pousse mon sac devant moi et me glisse dans l'étroit passage. Comme je m'en doutais, la porte blindée en métal est fermée. Toutefois, la petite lampe que Nicolas allume lorsque je sors à l'extérieur pour leur rapporter à manger est éclairée. C'est comme s'ils m'attendaient, même après trois jours passés loin d'eux. Je lève ma main devant moi et frappe à la porte.
– Qui est là ? demanda une voix que je reconnais comme étant celle de Simon.
– C'est moi, réponds-je.
La porte s'ouvre et Nicolas se jette dans mes bras. Désarçonnée, je manque de tomber et pose mes bras derrière lui pour le serrer plus fort.
– J'ai cru que tu ne reviendrais jamais, dit-il.
Je souris et pose mon front contre le sien alors qu'il me serre encore et me tâte, comme pour s'assurer que je ne suis pas blessée. Les petits arrivent en courant et se jettent sur mes jambes pour m'enlacer. Dans le fond, je vois Macha, les sourcils froncés. Elle ne semble pas aussi heureuse que les autres à l'idée de me revoir.
Une fois les enfants calmés, Nicolas m'entraine dans la cuisine et appelle les plus grands à nous rejoindre. Robin, Ludmilla, Tristan et Macha viennent s'asseoir autour de la table, avec une bougie pour simple éclairage. Nous fermons la porte pour ne pas que les enfants entendent notre conversation. Leurs regards sont fixés sur moi et je ne sais pas par où commencer. Mon meilleur ami est assis et tient son visage posé entre ses deux mains, les coudes sur la table.
– Robin m'a dit que tu étais partie pour retrouver Lhénaïc. Pourquoi tu ne nous en as pas parlé avant ?
Sa phrase me fait l'effet d'un coup de massue. C'est vrai que j'aurais dû leur expliquer mon plan – ou mon absence de plan – mais je n'ai pas réfléchi. Je ne réfléchis jamais ! Pourtant, j'aurais dû agir en groupe plutôt que jouer solo. J'ai pris le risque d'être capturée par l'Odéon et je les ai laissés plusieurs jours dans l'incertitude de mon retour.
– Je pensais que Lhénaïc était un traitre, réponds-je. Je ne voulais pas vous mettre en danger.
– Du coup, tu as préféré prendre le risque de mourir, réplique Macha. Quel acte de bravoure !
– Je suis désolée, m'excusé-je.
– C'est facile de demander pardon après coup, crache-t-elle.
Elle a raison, même si ça m'agace de le reconnaitre. Nicolas lui fait les gros yeux et pose sa main sur son épaule pour la calmer. Les yeux de la jeune fille semble me lancer des flammes. Je termine de raconter mon histoire en gardant certains détails pour moi. Ils n'ont pas besoin de savoir que je me suis promené au parc en tenant la main de Lhénaïc et que nous avons failli nous embrasser. C'est mon jardin secret. Je leur parle surtout de la résistance intérieure, de Valentin et de son projet baptisé RSG ou « les Rebelles de la Seconde Génération ».
– Et comment veulent-ils que nous retrouvions l'ancienne base des rebelles ? me coupe Macha.
– Ils sont au courant qu'elle a été ensevelie, non ? interroge Ludmilla.
– Ça ne les gêne pas que nous risquions notre vie dehors ? s'agace Macha.
Elle commence à m'énerver !
– Comment allons-nous la retrouver ? interroge Robin sans tenir compte des sarcasmes de la jeune fille.
Je sors la tablette que Lhénaïc a mise dans mon sac à dos et la leur tend.
– Ils m'ont fourni ça. Lhénaïc a mis un GPS à l'intérieur qui va nous servir de guide pour retrouver l'ancienne base. Nous pourrons aussi communiquer avec eux à distance.
– Et ils pourront aussi facilement nous repérer, continue Macha. Ingénieux, tu ne trouves pas ? Tu viens d'introduire le loup dans la bergerie.
– Macha ! la réprimande Nicolas.
D'un regard, il lui intime l'ordre de se taire. Elle le foudroie du regard.
– Admettons que nous localisions le bunker, poursuit-il. Comment ferons-nous ensuite ? Il est certainement enseveli sous de la terre et ...
– Anah va nous faire creuser à l'aide de pioches, j'imagine, l'interrompt Macha.
Je lui jette un regard noir.
– Ce serait beaucoup trop long, lui répond Tristan comme si nous avions réellement songé à cette possibilité.
– La base de Lhionel a été construite dans un bunker hermétiquement protégé, rappelle-je. La terre n'a sans doute fait que le recouvrir.
– Ce qui ne résout toujours pas le problème des pioches, fait remarquer Macha.
Mon regard croise celui de Nicolas.
– Valentin a eu une idée, expliqué-je.
– Qui implique que nous nous mettions en danger, je présume ? demande Macha.
– Il nous faudra un appât, déclaré-je.
Le silence tombe. Nicolas regarde les autres pour suivre leur réaction.
– Des appâts pour des pioches ? demande Tristan sans comprendre.
– Pour les vaisseaux, je pense, répond Nicolas qui a compris où je voulais en venir.
– Tu es complétement folle, s'énerve Macha. Tu ne vois pas que c'est ce qu'ils cherchent ! Ils veulent notre mort.
– Moi, je veux bien, déclare Tristan.
– Non, tu ne veux pas, l'interrompt-elle. Tristan, tu ne vas pas te mettre en danger pour ces gens. Je refuse.
– Ce n'est pas à toi de décider, rappelle Nicolas. C'est Anah qui prend les décisions.
Macha se lève d'un bond. On dirait une furie. Je m'écarte sur ma chaise pour éviter qu'elle ne me saute à la gorge.
– J'étais résistante bien avant vous ! Je n'ai pas à vous obéir !
Elle pointe son doigt sur Nicolas et moi. Mon meilleur ami ne bouge pas d'un poil et continue de la regarder d'un air calme. Moi, j'ai envie de me jeter en travers de la table pour l'attraper et lui intimer le silence. Je m'apprête à répondre mais Nicolas prend la parole avant moi, ce qui est sans doute mieux. Je suis bien loin d'être une experte en diplomatie.
– Que proposes-tu d'autre que ce plan ? demande-t-il.
– Et si c'était un piège ? rétorqué-t-elle. Tu y as pensé ? Qui nous dit que Lhénaïc, elle et ses nouveaux amis n'ont pas prévu de nous éliminer ?
– Rien, réponds-je. Je n'ai rien pour te prouver ma bonne foi. C'est à toi de choisir ou non de me faire confiance.
Mes paroles résonnent étonnement avec celles de Lhénaïc. Et cela semble toucher Macha. Au lieu de continuer à m'assaillir de reproche, elle se rassoit. Tristan pose une main derrière son dos pour l'apaiser tandis qu'elle continue de me fixer comme si elle voulait m'étriper. Au moins, elle a cessé de hurler, c'est déjà ça.
– Vous voulez vous battre oui ou non ? demandé-je.
– Me battre oui, répond-elle. Pas me suicider.
– Personne ne te demande de te suicider, fait remarquer Nicolas.
– De toute façon, personne ne sera mis en danger, expliqué-je. C'est moi qui servirai d'appât.
Nicolas tourne brusquement son visage vers moi.
– Non, rétorqué-t-il. Tu es la seule à connaître assez le bunker pour savoir où Lhionel gardait ses plans.
Il se lève et pose ses deux mains sur la table. Tous les yeux sont maintenant fixés sur lui. Le silence plane sur l'assistance. Nicolas est impressionnant par son calme olympien.
– C'est moi qui servirai d'appât, insiste-t-il. La discussion à ce sujet est close. Anah a réussi à entrer en contact avec des personnes dans l'Odéon qui ne demandent qu'à nous aider. Vous voulez sortir d'ici ? Vous voulez faire vaciller cette dictature et remettre un jour les pieds à l'extérieur pour vivre en liberté ? Si oui, vous allez vous plier entièrement aux décisions d'Anah que vous avez élue comme votre cheffe !
– Je n'ai pas voté pour elle, rappelle Macha.
– Ça s'appelle la démocratie, la coupé-je.
– Et tu as été la seule, lui fait remarquer Tristan. En plus, tu as voté pour toi.
Sa remarque manque de me faire éclater de rire. Le visage de Nicolas et sa position m'en dissuadent. La situation n'a rien de comique. Quand je vois Nicolas et son attitude, je me demande qui, de nous deux, est le véritable chef. Cela aurait dû être lui.
– Si quelqu'un à un meilleur plan à proposer, qu'il le dise maintenant.
Je m'attends à une intervention de Macha mais elle se contente de croiser les bras. Je me suis souvent demandée s'ils m'avaient élu pour mes compétences ou parce que j'étais l'ancienne petite copine de Mathie, et qu'ils avaient eu pitié.
– Je viendrai avec toi, décide Tristan en se penchant vers Nicolas.
– Je serai avec vous moi aussi, ajoute alors Mach, à mon grand étonnement. Il est hors de question que je vous laisse tous les deux jouer les héros. Vous ne tiendrez pas deux minutes si vous devez vous battre.
Je leur explique plus en détail le plan que Nathaniel a conçu. Nous savons que le bunker est situé à l'Est de l'Odéon. Le lieu exact reste imprécis. Malgré les bombardements de l'an passé, j'espère qu'au moins une partie du bunker a été préservé. Lhionel disait toujours que seule une implosion pouvait le détruire. Il nous suffit de localiser la porte d'accès et de la faire sauter. Valentin m'a proposé de la dynamite mais comme cela risquait d'alerter l'Odéon, ils ont soumis cette histoire d'appât. Les vaisseaux seront quand même attirés, sauf qu'ils penseront nous avoir tué et que ce seront eux qui ouvriront la trappe d'accès en faisant tout sauter. Le plan est ingénieux, mais risqué. Parce que nous pourrions mourir !
– Pardonne-moi de remettre en question un plan si bien conçu, intervient Macha. Mais il me semble difficile de survivre à une bombe.
Elle a raison. Lorsque Nathaniel m'a expliqué son idée, je me suis immédiatement opposée. Sauf qu'il m'a assuré que ce serait sans danger. Il travaille dans les laboratoires de l'Odéon et est chargé de la conception des pilules mises en place par le gouvernement pour effacer les mémoires ou modifier les ADN. De ce que j'ai compris, à l'aide d'un séquençage complexe, il est parvenu à en créer certaines qui nous protégerons.
– D'après Nathaniel, à l'instant où nous avalerons ces pilules, nous deviendrons invisibles, expliqué-je. Les yeux des exterminateurs sont génétiquement modifiés. De la même manière que leurs organismes et leurs cerveaux ont été trafiqués, ils voient comme un écran d'ordinateur codé. C'est une sorte de fond noir et de ligne verte avec des chiffres. Vous me suivez ?
Ils opinent de la tête pour montrer qu'ils me suivent.
– En tant qu'êtres humains, nous sommes constitués d'une infinité de données. Elles sont toutes reliées à un fichier qui se trouve dans les yeux des exterminateurs. C'est comme ça qu'ils savent si vous êtes ennemis ou amis de l'Odéon.
– Ce sont plus des machines que des êtres humains à ce stade, remarque Robin.
– Je me demande la souffrance qu'ils ont dû endurer pour en arriver là, murmure Ludmilla.
– Ils n'ont pas souffert, dit lentement Tristan. C'est comme si on s'endormait, un voile sombre tombe devant vos yeux.
Je me tourne brusquement vers lui. Il garde le regard perdu dans le vide, comme à son habitude. Les odéonistes ont-ils voulu faire de lui un exterminateur sans y parvenir complétement ? La conscience d'Tristan est-elle en partie amputée ? J'éloigne ces images de ma tête pour me reconcentrer sur le problème actuel.
– Ces pilules sont censées supprimer nos codes génétiques, reprend-je. À l'instant où nous les avalerons, nous disparaitrons de leurs écrans pour réapparaitre sous de fausses données.
– Je ne vois pas en quoi cela va nous permettre d'éviter leurs rayons lasers, raille Macha.
– Entre le temps où vous disparaitrez et le temps où leurs données se crypteront, vous pourrez vous mettre à l'abri. Il faudra être rapide. Vous n'aurez qu'une trentaine de secondes. L'analyse terminée, ils tireront. Leurs écrans afficheront alors des données parfaites et ils repartiront en pensant avoir accompli leur mission.
Le plan est risqué et un peu foiré, je le reconnais. Mais nous n'avons rien d'autres. Notre survie dépend de trois petites pilules dont j'ignore réellement l'efficacité. Nicolas suit mon regard vers les médicaments.
– Et pourquoi nos supers héros de l'Odéon ne viennent pas faire le sale boulot eux-mêmes ? demande Macha.
Elle commence vraiment à m'exaspérer !
– Tu as raison Macha, envoyons Lhénaïc ! J'imagine que Johns trouverait ça normal que son fils se balade en plein milieu des terres brûlées.
– Nous sommes les seuls à pouvoir agir de l'extérieur, la raisonne Nicolas.
– De toute manière, je préfère ça plutôt que de moisir un peu plus longtemps dans ce trou à rat, décrète Robin en se levant de table.
– Je crois que nos « pseudo-alliés » de l'Odéon ne se rendent pas compte des dangers qu'impliquent le fait de sortir ! s'énerve Macha.
– Je croyais que tu acceptais de leur faire confiance, soupiré-je.
– J'ai confiance en Nicolas, réplique-t-elle. Et il a confiance en toi.
Je croise le regard de mon meilleur ami. Je sais que quelle que soit ma décision, il la suivra.
– Et moi j'ai confiance en eux, déclaré-je.
– Bien, c'est toi la cheffe ! juge Robin. Moi ça me suffit comme raison.
Je lui souris. Il se lève et décrète la conversation close. Je le remercie du regard et il entraine Ludmilla à sa suite pour rejoindre les enfants. Macha prend le bras de Tristan et lui fait signe de venir avec elle. En partant, elle me jette un dernier regard noir. La porte se referme derrière eux et je me retrouve seule avec mon meilleur ami.
– J'ai eu si peur, me dit-il. Ne refais plus jamais ça !
Je hoche la tête et me saisit de ses mains. Il pose sa paume sur la mienne et me sourit.
– J'ai vu Lila !
Il cesse de bouger. Un instant, il fixe le mur sans répondre avant de pointer de nouveau son regard vers moi.
– Tu l'as vu ! Ou tu ...
– Je l'ai vu et je lui ai parlé. Et j'ai mieux encore. Elle travaille avec Lhénaïc et les autres dans leur projet de résistance contre l'Odéon.
Les émotions se succèdent les unes après les autres sur son visage. Il passe ses mains sur celui-ci et respire un grand bol d'air.
– Comment est-elle ? me demande-t-il, des étoiles dans les yeux.
– Vous êtes pareils tous les deux, elle m'a posé la même question sur toi, ricané-je.
– Elle t'a parlé de moi ? Elle se souvient de moi ?
– Bien entendu qu'elle se souvient. Elle ne t'a jamais oublié.
J'évite de lui mentionner l'existence d'Olivier. Après tout, c'est son affaire et je ne veux pas gâcher la joie qui se lit sur le visage de Nicolas.
– J'aimerais tellement la revoir, murmure-t-il.
– La prochaine fois que je retournerai à l'Odéon, tu viendras avec moi, promis-je.
Son visage est baigné de larmes.
– Est-ce que je suis en train de rêver ?
– Euh, je ne crois pas ! Sinon, nous faisons tous les deux le même rêve.
– Descartes disait qu'il n'y a pas d'indices concluants, ni de marques assez certaines pour que l'on puisse distinguer nettement la veille du sommeil. Et que parfois, on est tellement étonné qu'on arrive presque à se persuader que l'on dort.
– Euh... D'accord... Si Descartes le dit.
Il faut vraiment qu'il arrête la philosophie. Pendant qu'il essuie ses larmes, j'attrape le sac à dos que j'ai glissé par terre à l'entrée, l'ouvre et me saisis des deux livres que m'a confié Lila.
– Justement, en parlant de Descartes...
Nicolas se lève d'un bond et m'arrache presque les livre des mains avant que je n'aie pu finir ma phrase. Sans me laisser le temps de continuer, il l'ouvre et en ressort un morceau de papier, glissé entre les pages. Comment a-il su que Lila lui avait écrit ?
– Elle dit qu'elle m'aime, murmure-t-il.
– « Oh Roméo, pourquoi es-tu mon Roméo », commencé-je.
– Tu te moques de moi ? De nous ?
– À peine.
J'éclate de rire et il se joint bientôt à moi. Ça fait du bien, beaucoup de bien. À cet instant, toutes les tensions accumulées ces derniers jours retombent d'un seul coup. C'est un rire incontrôlable. Le genre de fou rire qui vous fait mal au ventre mais après lequel vous vous sentez si bien.
– Je suis désolée, m'excusai-je en essuyant les larmes qui roulaient sur mes joues. C'est très joli, vraiment, très romantique.
Je ris de plus belle alors que Nicolas plie le morceau de papier entre ses mains.
– D'accord, il n'y a aucune originalité dans le fait de dire à quelqu'un qu'on l'aime. Mais je n'ai pas entendu ses mots de sa part, ni de la tienne d'ailleurs, depuis trois ans, réplique-t-il.
– De la mienne ? Tu voudrais que moi aussi je te fasse une déclaration d'amour ?
Nicolas lève les yeux au ciel et me jette une vielle bouteille d'eau au visage. Je la saisis et avala une gorgée de liquide d'un trait avant de souffler fortement pour me calmer.
– J'ai l'impression que depuis Mathie, tu as oublié ce qu'est l'amour. Avant, tu me disais souvent que tu m'aimais d'amitié.
Je me calme instantanément. Ses paroles me font l'effet d'une douche froide. J'en oublie mon fou rire.
– Je te trouvais triste depuis l'invasion.
– Mathie est mort, le coupé-je. Ils sont tous morts. Toi aussi, tu étais triste.
– Oui, mais j'ai toujours su que je reverrai Lila. Encore aujourd'hui, bien que l'avenir soit incertain, j'ai en moi la certitude que je ne mourrais pas sans la revoir.
– Mais moi je ne reverrais jamais Mathie.
– Tu as changé Anah ! Je ne serai incapable de dire pourquoi mais je sens que tu n'es plus la même qu'il y a trois jours.
Il dépose les livres sur une petite étagère. Je sens un frisson me parcourir et pense à Lhénaïc. Je pourrais parler de lui. Évoquer mon trouble, mon cœur qui bat quand je le regarde, mais je me retiens. Nicolas met son doigt sur le livre et relève ses yeux vers moi.
– Ce message est un symbole d'espoir. Tu comprends ?
– Oui, je ne voulais pas me moquer.
– Il y a des mots dont on ne peut saisir la portée que lorsque l'on est amoureux. Des mots que l'on pourrait entendre encore et encore, et qui produiraient toujours le même effet.
Le discours de Nicolas touche juste. Je sens une pointe resserrer mon cœur. Mathie ne m'a jamais dit qu'il m'aimait. Et Lhénaïc ? Que ressent Lhénaïc ?
– C'est toi qui aurais dû prendre la tête de la résistance, lui dis-je.
– Non, répond-il aussitôt. Je suis trop diplomate, je ne suis pas assez effronté. Ce n'est pas d'un orateur dont ils ont besoin mais d'un guide. Ils ont besoin d'une personne de terrain et non d'un gratte-papier. Quand tu as disparu, personne ne s'est tourné vers moi dans l'espoir que je pourrai peut-être redresser la situation. Personne ne m'a dit : « nous croyons en toi Nicolas ». Ils ont simplement attendu que tu reviennes, parce que c'était une évidence. Tu ne pouvais pas ne pas revenir.
– Tu m'as sauvé la vie. Sans toi, je serais morte.
– C'est vrai, j'ai ma part de succès moi aussi, se gargarise-t-il.
Il se met à rire.
– Mais je ne suis pas toi !
Il me fait un clin d'œil. Il a raison, je ne lui disais pas assez souvent combien je l'aimais. Il est ma famille. Ils sont tous de ma famille. Pas celle qui m'a mise au monde mais celle que j'ai choisi. Et celle-ci compte bien plus que le reste du monde.
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