Chapitre 39 : Les arcs en ciel naissent des larmes du ciel
— NEVEN —
La première semaine, j'ai laissé Aukai retrouver sa famille et profiter d'elle. Je sais que le lendemain de notre arrivée, il est allé libérer son père dans l'océan. Quand il est rentré, Aukai n'a pas eu envie d'en parler. Oliana avait le regard triste et rouge des larmes passées, Heipoe celui d'une guerrière enfin parvenue à faire ses derniers adieux. Je les admire tous.
La seconde semaine, Aukai m'a réveillé en me caressant l'épaule. Son souffle s'échouait contre ma nuque, sur laquelle il déposa un baiser. Je me tourne un peu vers lui et souris.
— Tu sens la menthe.
— Je me suis brossé les dents.
— Ça fait longtemps que t'es réveillé ?
— Une trentaine de minutes.
Il m'adresse un regard que je connais trop bien ; il a une idée derrière la tête.
— Crache le morceau, le taquiné-je.
— Elles sont parties faire des courses...
— Tu les as pas aidées ?
— Je pense qu'elles avaient envie d'être seules. Et de nous laisser seuls, aussi.
— Intéressant, ça.
Son sourire espiègle me fait rire. Ça fait longtemps que je ne l'avais pas vu avec une telle vie dans les yeux. Il respire l'espoir, l'envie d'y arriver, de surmonter ça aussi.
Je l'embrasse en glissant ma main sur sa joue. Mes doigts s'enfouissent dans sa barbe où quelques poils blancs contrastent avec le brun de sa pilosité. C'est maintenant que je réalise à quel point je me fous de nos treize ans d'écart ; ils n'ont jamais été un problème pour moi, même lorsqu'on n'était pas ensemble.
Ensemble, là l'un pour l'autre. Je n'ai jamais été « ensemble » avec personne. Et c'est dingue. J'aimerais que ça dure toujours. Qu'il ne parte jamais. J'ai peur que ça arrive.
Ses lèvres frôlent les miennes, quand ses dents saisissent celle inférieure. Un baiser fiévreux lui répond. Ma main trouve son torse ligaturé de cicatrices, la sienne parcourt mon avant-bras zébré de douleurs passées. Son bassin frotte le mien.
— Ça te dit qu'on aille voir la mer tous les deux cet après-midi ? me murmure-t-il.
— L'océan, rectifié-je. Je veux voir l'océan avec toi.
Je me positionne au-dessus de lui, goûte son sourire. Ses yeux m'envoûtent, leur azur me transporte déjà dans cette plénitude que je touche dès que je m'y perds.
Maintenant que je connais Aukai sur ce plan, je sais à quel point le sexe peut être génial. La main glisse vers le bas de ses fesses. J'appuie d'une pression du doigt et le regarde fermer les paupières. Mes lèvres frôlent son érection.
— T'es chiant, me grogne-t-il.
Je me recule.
— Je déconne, je déconne, s'empresse-t-il de rectifier. Mais arrête de me torturer...
Mon haussement de sourcils le fait rire ; rire qui se change en soupire à la seconde où je le prends en bouche en le masturbant à la base de son sexe. Je connais ses zones érogènes, je connais les signes de son plaisir ou déplaisir. Je connais de lui ce que personne ne découvrira jamais.
Très vite, il s'impatiente de ne pas me donner d'excitation à moi aussi. C'est toujours comme ça ; si je m'occupe de lui, il finit par grommeler dans sa barbe pour échanger les rôles. Mes iris ancrés dans les siens, je savoure la sensation de sa main sur mon sexe, de ses lèvres contre les miennes. Je me fous de l'orgasme. Ce qui compte, c'est de le voir aimer le moment et chaque geste que je lui offre avec l'ivresse de l'amour.
Je suis fou de lui.
Mais bizarrement, cette folie-là ne m'effraie pas.
***
— J'avais hâte qu'on y aille tous les deux, confié-je, alors que mes pieds foulent la route vers la plage.
— Faudra remercier ma mère, c'est grâce à elle qu'on a une plage rien que pour nous.
— Ah bon ?
— Personne vient ici, c'est top tordu pour trouver la plage.
— Oh... Alors, merci maman Aukai.
Mon copain sourit, sa main dans la mienne. Elle poisse tellement la chaleur nous fait suer, mais il ne la retire par pour autant.
Je le suis jusqu'à l'océan que j'entrevoie. Là, je me rue vers lui avec une euphorie qui me dévore. J'entends Aukai rire derrière moi, puis ses pas accélérer leur cadence. Maintenant que son cœur marche, il peut me suivre jusqu'à l'autre bout de l'univers. Je suis heureux de lui avoir apporté ça. Ça et d'autres choses, il me le répète toujours.
Dès que j'arrive sur la plage, j'abandonne mes tongs pour ensevelir mes pieds dans le sable brûlant autant qu'il est doux. J'inspire en fermant les yeux, reprends la main d'Aukai pour l'entraîner avec moi jusqu'à l'océan. Il ne peut pas me tuer. Elle mentait. Il sera ma délivrance.
À la seconde où j'enfonce mes pieds dans l'eau, j'ai l'impression d'avoir brisé une autre barrière qu'elle m'imposait ; celle de me conformer à ce qu'elle me disait, même quand tout n'était qu'un ramassis de mensonges.
L'océan est magnifique. L'eau est plus claire et plus limpide qu'en France, le sable plus blanc et le soleil plus bleu. Bleu comme la couleur qui gave mon âme jusqu'à noyer le rouge.
Pris d'un élan que je ne contrôle pas, j'embrasse un peu sauvagement mon copain, dont le sourire est contagieux. Et en adressant un regard au ciel, je lève mes deux points en adressant des doigts d'honneur à celle que j'ai enfin abandonnée. Elle n'est plus derrière moi à m'épier.
Même si son fantôme ne mourra jamais dans mon esprit, je sais qu'il s'est éteint dans mon cœur.
— Viens, me souffle Aukai.
Il me prend la main et se remet à courir en longeant la frontière de l'océan. Sa mousse nous chatouille les pieds. On arrive près d'une grotte dans laquelle Aukai se glisse.
— J'espère qu'il y aura personne...
— Il est vingt et une heure, tu penses que des gens peuvent venir à cette heure-là ?
— Je sais pas. Mais les touristes rentrent normalement, l'été est terminé.
Je hoche la tête et le suit en veillant à mes pieds nus sur le sable parcouru de petites pierres près des énormes rochers que je frôle.
— Je venais ici avec mon père, au coucher de soleil, c'est juste magnifique.
Je ne réponds rien, parce que j'ai les yeux rivés vers l'eau turquoise, sur laquelle se reflète la lumière orange du soleil somnolant.
— Putain, Aukai...
Il me sourit, tout fier de lui.
— C'est un truc de fou...
— Il fallait que je t'y emmène au moins une fois.
— J'adore cet endroit, putain ! hurlé-je en sautillant comme un gamin.
Aukai éclate de rire. Je ne tarde pas à l'imiter. Quand je le vois s'enfoncer dans l'eau après avoir retiré son tee-shirt, je l'imite. L'eau m'arrive aux épaules, mais Aukai doit se mettre sur la pointe des pieds pour ne pas couler. Je le prends contre moi.
— Je t'aime comme t'as pas idée, confié-je.
— Oh si j'en ai une.
Je l'embrasse avant de lui adresser un regard taquin.
— N'y pense..., commence-t-il.
Je ne le laisse pas finir et plonge dans l'eau en l'emmenant avec moi. L'eau claire chante et m'ensorcèle. Je fais quelques brasses sur place, juste pour profiter de la sensation de l'eau sur mes bras. J'ose ouvrir les yeux. Le sel me les brûle. Je lève la tête vers la surface. Le crépuscule resplendit à travers la caverne, même si je ne vois que les couleurs.
Je reprends mon souffle en riant. Aukai a un sourire immense. J'ai envie que ça dure toujours. Pendant que je sors de l'eau pour m'asseoir sur une roche, je murmure :
— Aukai...
— Hum ?
— On reviendra ici, hein ?
— Autant de fois qu'on pourra, répond-il en me rejoignant.
— Qu'est-ce que tu vas faire, quand on sera rentrés ?
Il ne s'attendais pas à la question, puisqu'il me regarde de travers.
— J'y ai réfléchi... mais je sais pas trop.
— Pourquoi ne pas reprendre ton métier de rêve ?
— Bah... et la confiserie ?
— Elle était à ton père.
— Mais elle me revient.
— Alors vends-la.
Il écarquille les yeux.
— Tu la vends pour trouver une autre maison moins pourrie, proposé-je, dans une rue moins bruyante... Un endroit où tu seras bien.
— Mais mon père...
— Aurait voulu que tu t'épanouisses dans la vie. T'es pas heureux avec ce taf, Aukai. Ça fait une semaine qu'on est là, et je vois bien que t'es soulagé ne plus avoir la confiserie à gérer. C'est ta vie, pas celle de ton père.
— Il aurait pas approuvé.
— Elle n'aurait pas approuvé que je vienne ici, que je sois en couple avec un homme, encore moins que je vive loin d'elle.
— C'est différent...
— Ça l'est pas. Tes parents n'ont pas à décider de ta vie. T'es libre, Aukai. Comme lui, ajouté-je en caressant la surface de l'océan.
Il m'observe avec attention et semble peser mes mots. Je sais qu'il a peur de décevoir et qu'il a du mal à se défaire des missions dont on l'a affublé, mais Aukai ne sera jamais heureux s'il vit pour les autres. Encore plus pour les morts.
— Ta vie est à toi. Reprends le travail que t'aimais, un endroit où tu aimes habiter... Plus rien ne te rattache à la confiserie.
— Son souvenir..., confie-t-il.
— Il est partout, son souvenir. Ici, parce que vous y êtes allés. Dans ton cœur parce qu'il y restera toujours. Tu m'as dit de vivre pour moi. Alors fais-le aussi. Tu mérites d'être heureux, Aukai.
— Toi aussi...
— Je le suis. Même si... même si j'ai peur, je suis heureux.
Il s'approche de moi. Le soleil miroite dans ses yeux.
— De quoi tu as peur ?
— Que ce bonheur-là s'arrête. La tempête reviendra un jour. On ne tue pas l'océan, on ne le dompte pas non plus. On s'adapte à lui...
Mon bateau est plus solide qu'il n'a jamais été, surtout qu'il y a maintenant des gens dedans pour m'aider à garder le cap. Je sais qu'avec Victoire, on essaie de partager le même bateau pour avancer ensemble.
— Avoir peur que le bonheur s'arrête, c'est ne pas profiter quand il est là, me répond Aukai. Ne pense pas à après et à ce qui arrivera, juste à maintenant, tu vois ?
— Mais quand maintenant sera fini...
— Il y aura après, il y aura demain... après-demain et tous les autres jours. Tu seras pas toujours heureux, mais sans tristesse, y a pas de joie. Il faut juste savoir la retrouver.
— Tu m'aideras ?
Il sourit de nouveau.
— Je ne vois pas mon après sans toi, Neven.
— Ni ton demain ? demandé-je avec espoir.
Il secoue la tête.
— Ni celui-là ni aucun autre. C'est toi que j'aime, OK ? Même si tu ne vois pas ce que je vois quand je te regarde, tu dois me croire.
— Je commence à te croire...
C'est la vérité, même si parfois, je me demande ce qu'il fait avec un fêlé comme moi, j'essaie de me convaincre que ma folie n'en est peut-être pas une. Que je ne me résume pas à ma maladie, même si elle ne se soignera jamais. Dans les yeux d'Aukai, je n'ai pas l'impression d'être un dépravé fêlé. Je me vois autrement. Tout comme moi je le vois comme il ne se verra jamais.
— Parce que c'est pareil pour toi, ajouté-je. Y a tellement de trucs magnifiques chez toi dont tu te rends pas compte.
Des doigts, je longe les vergetures le long de ses hanches. Il rougit, même si ça se voit à peine derrière sa peau tannée.
— Je les verrai peut-être un jour, souffle-t-il.
— Moi, je les verrai toujours.
Il a l'air ému, épouse mes lèvres, puis sort de la caverne pour contempler le crépuscule. Je l'y rejoins et m'assieds à ses côtés, sur une pierre et en-dessous du soleil.
Je lève les yeux, un sourire dans le cœur. Ce sont les gens qui l'ont esquissé, parce qu'ils m'ont entendu exister. Contre Aukai, je garde la tête penchée en arrière.
On dirait que le ciel est différent. Que ses nuages sont l'écume des vagues. Ses nuances de bleu ont la profondeur des abysses. J'aime le contempler et m'y retrouver.
L'océan du ciel.
F I N
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Hello ! Voici la fin de L'océan du ciel. Merci énormément à celles.ceux qui sont là depuis le début de l'histoire et qui on suivi chaque sortie de chapitre, vous m'avez motivée comme jamais <3
J'espère de tout mon cœur que l'histoire vous a plu ; vous êtes ses premiers lecteur.ices. ♥
Pour l'instant, je n'ai plus rien à proposer sur Wattpad, hormis mes fantasy que je destine à l'édition.
L'océan du ciel ne restera pas aussi éternellement ici. Il trouvera sa place en édition, tout comme Cœurs écarlates ou MDTS. Je pense me tourner vers l'autoédition avec ce livre ci. J'y tiens beaucoup. <3
Si vous avez des questions ou des retours, je suis toute ouïe.
Sinon, je serai toujours active sur insta : garancedejorna_autrice (je parle des udpate d'édition d'Enndray et futurs update de L'océan du ciel, puis de plein d'autres trucs hihi)
Au plaisir de vous parler ici ou là-bas, plein de love sur vous et merci encore ! ♥
Garance ~
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