Chapitre 35 : Les étoiles se condamnent entre elles


— NEVEN — 


Victoire me scrute plus qu'elle me regarde, alors que je fais de la tambouille avec mon riz trop cuit. Quand je daigne enfin lever les yeux sur elle, son expression me blase un peu plus. Ce n'est pas de sa faute, elle s'inquiète parce que je ne parle pas. D'habitude, c'est moi qui lance les sujets de conversation.

— Quoi ? demandé-je. J'ai de la sauce au coin des lèvres ?

— Le jour où je regarderai tes lèvres plutôt que tes yeux, je serai morte, m'assure-t-elle.

— Agréable, plaisanté-je.

— Ah mais qu'on soit d'accord, t'es hyper mignon hein. Mais je préfère les nanas.

— Oh...

— Toi que les mecs ?

— Non, les meufs aussi. J'suis pas attiré par un genre particulier.

Elle me sourit un peu. Son visage a retrouvé des couleurs et ses blessures se sont un peu résorbées. Parfois, elle me confie qu'elle arrive à mener sa barque ; parfois, qu'elle y arrive plus, mais qu'elle essaie. Je suis fier d'elle.

— Nev', je vois bien que ça va pas.

Je repose ma cuillère en plastique et cligne des yeux.

— T'es pas obligé d'en parler, mais...

— Le père d'Aukai est mort.

— Ah. Merde.

— Ouais. Et moi j'arrive pas à l'aider, parce que j'suis un naze.

— N'importe quoi..., soupire-t-elle en levant les yeux au ciel.

Sa réponse me met en colère, mais je ne sais pas trop pourquoi. Je dis la vérité.

— Aukai m'a demandé de sortir quand il a su pour son père. Il n'a pas besoin de moi pour se consoler.

— Neven, je connais pas Aukai, mais c'est gravé sur sa tête qu'il est très solitaire.

— Comment ça ?

— Bien sûr qu'il a besoin de toi !

— Ah ouais ?

— À côté de « solitaire » y a écrit « amoureux transi » sur son front, réplique-t-elle.

— Je pense pas.

Elle pousse son plateau qu'elle a moitié vidé, puis me force à la regarder sans me toucher. Ce sont juste ses yeux qui s'ancrent dans les miens jusqu'à ce que je daigne l'imiter.

— Aukai t'aime. Il te laisse vivre chez lui, vous couchez ensemble, il partage un morceau de sa vie avec toi alors qu'il est resté seul pendant trois ans. Trois ans, c'est énorme. Il n'est pas du genre à avoir besoin de câlins ou de parler quand il va mal, il a besoin de retourner à cette solitude.

— Mais...

— C'est son espace à lui, tu dois le lui laisser sans lui en vouloir.

— Je lui reproche rien.

— Non, mais t'es triste qu'il te demande de le laisser.

— Évidemment, comment je pourrais pas l'être ?

— Comprends-le et dis-toi que c'est comme ça qu'il ira mieux. Les gens ont parfois besoin d'être consolé par la solitude plutôt que par leur entourage. Tu le sais parce que tu dis rien non plus quand ça va pas. Tu gardes tout pour toi.

— C'est...

Je veux dire que c'est différent, que mes problèmes à moi, ils ne sont pas importants, mais je sais qu'elle va me sauter à la gorge si j'ose y penser trop fort. Je compte. Ma vie compte et mes soucis aussi, il faut jusque que je m'en rappelle. Je ne dois pas oublier.

— C'est quoi ? me demande Victoire.

— C'est vrai.

Sur ces paroles, je me lève et débarrasse mon plateau. Victoire ne m'imite pas ; c'est rare qu'elle me suive partout, surtout quand elle n'a pas fini son repas.

— Je t'attends, déclaré-je.

— Merci, me sourit-elle.

Les premiers jours, elle me disait toujours de me casser, que je n'avais rien à faire avec elle et son monstre. Il est toujours là, mais j'ai l'impression qu'il lui fait moins mal, comme si elle avait appris à l'apprivoiser même si, parfois, il surgit pour essayer de se révolter. Victoire lutte de toute son âme pour faire plaisir à ses parents. Au fond, je sais que c'est aussi parce qu'elle veut s'en sortir. On peut prétendre vouloir vivre pour les autres, mais il arrive un stade où l'on veut aussi vivre un peu pour soi.

L'après-midi, je vois Camille dont le sourire est toujours aussi grand. Elle m'annonce ma permission définitive. Je suis libre à partir de vendredi, mais je ne vois pas ça comme une délivrance. Je vois ça comme une épreuve, parce que je vais retourner chez moi, que je vais devoir affronter de nouveau ma solitude, même si Aukai est là. L'hôpital ne m'a pas apporté plus de malheurs que j'en avais déjà. Le psy avait raison, ce n'est pas une prison.

J'ai rencontré Victoire et Maguy, Maxime aussi. Ce sont des gens affreusement bienveillants qui m'ont aidé. J'ai peur de les oublier comme j'ai tendance à l'oublier elle ces temps-ci. Quand je le dis à Camille, elle a l'air encore plus radieuse.

— Tu ne l'oublies pas. On n'oublie pas ses traumatismes. C'est comme vouloir vider une plage de sable. Même si tu y passes toute ta vie, il restera toujours un grain. Tu ne l'oublieras jamais, tu vis seulement sans son souvenir.

Cette fois, c'est moi qui souris à tirer mes joues jusqu'à mes oreilles. Est-ce que c'est possible ?

Camille fait un point sur mon traitement et m'annonce qu'en fonction des résultats de ma prise de sang du matin même, je pourrais savoir si oui ou non, un traitement pour le sommeil en plus pourrait me convenir. J'ai besoin de dormir, ça devient le plus vital pour moi. Quand Aukai ronfle comme un ours, je garde les yeux ouverts sur le plafond en priant pour qu'aucun cauchemar n'en surgisse.

— On va réussir à stabiliser ça aussi, me promet Camille.

— T'es sûre ?

— On a réussi à te construire une planche, me rappelle-t-elle.

C'est là que j'entends mon cœur battre. Il danse. Je regarde Camille et lui souris de nouveau.

— Non, on a réussi à construire un bateau.

***

Je n'ai assisté qu'à un enterrement dans ma vie, et il était plus triste que celui-là. Pas parce qu'on regrettait la personne décédée, mais parce qu'il n'y avait personne pour la pleurer.

Ici, il y a du monde. Des anciens collègues, des amis, de la famille, des enfants... Ses enfants. Aukai est engoncé dans un costume noir avec une rose blanche dans la poche de sa veste. Il est entre moi et Heipoe, la main de sa sœur dans la sienne. Je l'ai toujours connue pleine de répartie et d'envie, la voir si abattue me donne le sentiment que la vie n'épargne personne, pas même ceux qui font toujours de leur mieux.

Je me sens étriqué dans mes propres vêtements ; je les ai achetés la veille pour éviter de me planter mal sapé à l'enterrement d'un homme qui a toujours fait très propre sur-lui. C'est limite si ma mère n'a pas été enterrée dans sa robe de chambre rose et pleine de trous. Pour son départ à elle, je n'ai fait aucun effort ; j'ai même mis de la couleur, que ça égaie un peu cette scène morose. Aujourd'hui, je ne veux pas égayer l'église ni troubler son silence. Juste l'écouter.

La main d'Aukai serre la mienne quand la musique se lance. Son regard est vide et démoli, même s'il ne pleure pas.

Quand je lui ai dit que je viendrais à l'enterrement de son père, il m'a demandé pourquoi je voulais m'infliger ça. J'ai répondu la première chose qui m'est venue en tête :

— Parce que je t'aime, moi aussi.

Il m'a offert son premier sourire depuis la mort de son père, puis m'a pris dans ses bras. Ils tremblaient, mais je n'ai rien dit.

Une musique se lance, mais je ne la reconnais pas. Je sais qu'elle vient d'Hawaii, parce que le père d'Aukai voulait partir avec le souvenir du pays où il a passé les plus beaux moments de sa vie. Heipoe a l'air de connaître les paroles, puisqu'elle ferme les yeux et bouge ses lèvres sans produire un seul son.

Puis, Aukai se penche sur la tombe de son père en lâchant ma main. Son corps tout entier se tend, mais je me doute que son visage est inexpressif. Ça fait trois jours qu'il l'est presque tout le temps, comme si le fait d'arquer les sourcils allait fracasser le barrage retenant toutes ses larmes.

À son tour, je l'entends marmonner les paroles en chantant. Sa voix grave cogne caresse les vitraux de l'église. Aukai plonge sa main dans la tombe et caresse la joue de son père. Elle doit être glacée et fripée comme du parchemin. Le bras d'Aukai se remet à trembloter, mais il le cache en reculant jusqu'à mon niveau. C'est au tour d'Heipoe de s'avancer. Les larmes dégoulinent de son visage, mais elle fait en sorte qu'aucune n'aille avec son père. Près de lui, elle lui sourit et lui murmure un « merci » qui m'a fendillé l'âme.

— Au revoir, papa, ajoute-t-elle tout bas.

Quand tout le monde a laissé un souvenir de lui dans la tombe. Un mot, une anecdote, une citation, un rire teinté de tristesse, un sourire... Une rose blanche, aussi.

On referme la tombe sous nos yeux. J'aimerais être peiné pour cet homme dont je ne connais le nom que depuis aujourd'hui. Philippe est mort assez jeune, emporté par Alzheimer, mais reste à jamais dans nos cœurs. C'est ce qu'a dit le curé. Oui, je ne vais pas l'oublier ; je refuse de laisser son souvenir mourir.

En rentrant, j'irai le peindre. Peut-être qu'un jour, je remettrais cette toile à Aukai pour qu'il se rappelle, lui aussi. Ou à Erwan, qu'il ait le souvenir de son grand-père, même si papi n'a été pour lui qu'un homme silencieux et retranché dans ses pensées. Je suis sûr qu'au fond, il espérait que tout s'arrête. Un homme sait quand sa vie doit s'achever, et la mort ne lui fait pas peur.

Non, Philippe n'a pas eu peur ce jour-là où ses yeux se sont fermés pour se rouvrir loin de ce monde.

Perchée sur un charriot à roulette, la tombe est poussée par trois hommes habillés en noir. Ils la font sortir de l'église, là où le corps sera incinéré.

Elle, elle ne voulait pas qu'on la brûle, elle voulait être enterrée selon les coutumes. Je l'ai insultée à son enterrement, mais j'ai respecté sa volonté : je lui ai offert l'adieu qu'elle voulait, avec les chansons chiantes et les babillages d'un homme fatigué de répéter. Sa mise en terre était solennelle.

Je pense que moi aussi, je préfèrerais être brûlé, puis dispersé dans les rivières et les courants. Je serai sûr qu'une part de moi rejoindra la mer.

— Aukai..., appelle Heipoe d'une voix vrillée.

Son frère lève sur elle des yeux livides. Erwan, lovée contre sa mère, tend le bras chez son oncle.

— Un câlin, tontonbon ?

Aukai force un sourire, mais il est tout cassé. En prenant son neveu dans ses bras, il interroge Heipoe du regard. Elle tripote ses doigts, comme moi quand je suis stressé. Pendant que ses yeux voguent dans l'église, elle confie :

— Il va falloir qu'on voie pour le certificat et ses affaires dans l'hôpital, et...

— Tu ne pouvais pas attendre qu'on sorte de l'église avant de me dire ça ? chuchote Aukai d'une voix glaciale.

— C'est pas ça, je voulais surtout dire, par rapport à... à ses cendres...

— J'irai les chercher, Heipoe.

— C'est pas ça, s'entête-t-elle, agacée que son frère la coupe.

Les deux sont affreusement crispés, l'une de peine et l'autre d'une colère qu'il noie sous une expression trop froide pour qu'elle soit la sienne.

Heipoe relève la tête et sourit derrière ses larmes.

— Il veut que ses cendres soient versées dans la mer d'Hawaii.

Les épaules d'Aukai retombent d'un coup. Je m'approche timidement et le voit cligner des yeux plusieurs fois.

— Mais on peut pas...

— C'est ce qu'il a demandé. Sa seule volonté, précise-t-elle. Peu importe ce que ça nous coûtera... on fera ce voyage pour lui, compris ?

Aukai acquiesce à peine, repose Erwan par terre puis adresse à sa sœur un nouveau regard lourd de sens. Heipoe donne son approbation silencieuse sans que je sache à quoi elle se rattache. Après une étreinte affectueuse, Aukai se dirige vers la sortie. Une seconde, je m'attarde sur Heipoe.

— Je suis désolé de... de ce qui t'arrive, enfin vous arrive. Vous le méritez pas. Je vais peindre ton père pour... pour immortaliser son souvenir.

— Merci, Neven.

Elle me sourit franchement, puis me prend dans ses bras. Les miens sont rigides contre mon corps, avant que je me décide à les enrouler autour de la taille d'Heipoe.

— Courage, soufflé-je. Il ne partira jamais.

Même si parfois, on aimerait que les fantômes s'en aillent pour nous laisser vivre, plutôt que nous donner l'envie de les rejoindre.

Je lâche Heipoe pour rejoindre Aukai au seuil de l'église. Je n'ose pas prendre sa main, alors je me contente de le suivre jusqu'à sa voiture. Dès qu'il claque la portière, il grommelle :

— Il nous aura fait chier jusqu'au bout, hein...

— Aukai..., m'étranglé-je.

Morose, il enclenche la première sans me regarder. Le trajet est silencieux, pesant et froid. J'emmêle mes doigts et commence à gratter une cuticule. Ma bague d'anxiété était trop colorée pour aller avec ma tenue. Je déteste le silence, il me rappelle le passé. Alors, j'ose demander :

— Tu ne voulais pas rester pour récupérer les cen...

Je m'interromps.

Pauvre naze, ta question est super blessante.

— Non, réponds quand même Aukai. Faut trois jours pour qu'elles refroidissent assez. J'irai les chercher lundi.

— Je viendrai avec toi.

— T'es pas obligé.

— Je sais.

— Et ça t'apportera rien.

— Je ne suis pas avec toi parce que j'attends quelque chose.

Même si je donnerai mon âme pour le voir heureux.

Il ne répond rien, accélère un peu trop pour rentrer plus vite. Je ne dis rien et essaie de cacher ma nervosité comme je peux, mais l'angoisse acidifie ma gorge.

Dès qu'on rentre à l'appart, il pousse un peu fort la porte sans saluer Lana, dont les miaulements ont l'air inquiets. Food tourne autour de mes pieds, alors qu'Aukai s'enfonce dans la cuisine.

— Je vais faire à dîner, ça va m'occuper.

— Tu veux que je parte ? demandé-je.

— Non, reste.

Il a parlé dans un murmure, mais je l'ai entendu. J'acquiesce sans dire un mot. Si je lui propose de faire la cuisine à sa place, il va m'envoyer chier. Alors je reste planté comme un imbécile dans le salon, Food dans mes mains, Wonder outrée de ne pas avoir eu le bonjour de son maître et Lana morte d'inquiétude.

D'un coup, je me sens à l'étroit.

— Putain !

Un fracas retentit dans la cuisine. En posant Food, je me précipite presque dedans. Aukai a les mains appuyées sur le plan de travail, un pot de moutarde en face de lui. Ses épaules tremblent.

— J'arrive pas à l'ouvrir..., chuchote-t-il.

Puis, sa voix se casse, ses genoux commencent à se dérober.

— J'arrive pas..., répète-t-il. C'est trop dur, je peux pas...

Il hoquète le sanglot qu'il retient. Je me rue presque sur lui, récupère le pot de moutarde et, quitte à m'éclater les doigts, j'arrive à l'ouvrir. Aukai regarde le couvercle avec les yeux gorgés de larmes, qu'il tourne vers moi.

— Tu peux y arriver, lui promets-je. Mais tu dois laisser les autres t'aider pour ça, Aukai.

Il me sourit piteusement, puis fuit le contact visuel que j'essaie d'établir.

— Regarde-moi s'il te plaît, lui soufflé-je.

Il relève la tête. Les larmes dévalent ses joues et ses lèvres sont pincées pour retenir la peine dans sa gorge. J'essuie l'eau qui longe son nez, puis l'embrasse furtivement.

— Aukai...

Son sanglot le secoue. Il l'expulse avec une plainte qu'il a retenue trop longtemps. Je me précipite pour le prendre dans mes bras. Il ne me repousse pas et se réfugie contre moi.

Il pleure comme un enfant qui a perdu ses parents parce qu'il a baissé la tête trop longtemps. C'est encore plus terrible de savoir que l'un d'eux ne reviendra jamais.

J'enfouie ma main dans ses cheveux et le garde près de moi. Mon âme absorbe les états de la sienne, mais je sais que j'aurais dû mal à les garder. Je ne sais pas garder ma tristesse enfouie ; je saurais garder celle d'Aukai, vivre avec s'il le faut. Je ne la laisserai pas l'attendre une seconde fois. C'est naïf, mais je m'en fous. Je veux juste le protéger.

— Désolé, sanglote Aukai contre moi. Désolé, désolé, désolé...

Je sais que ce n'est pas à moi qu'il s'adresse, c'est à lui. Je l'étreins un peu plus fort

— Il veillera sur toi, il ne t'en veut pas, Aukai.

— Si... si, j'aurais dû... j'aurais dû être là. Je l'ai abandonné...

— Non, tu l'as pas abandonné. T'es resté ici pour lui.

— Mais ça suffit pas... ça suffira jamais...

— Tu aurais pensé ça même si tu en avais fait plus. Tu as fait de ton mieux. Tu as fait ton maximum jusqu'à la fin.

Il remue la tête, toujours contre moi. Ses genoux ont l'air de trembloter et son âme se briser. La mienne se fendille. Pour la première fois, son océan est plus déchaîné que le mien, et je ne sais pas comment l'apaiser. Aukai ne doit pas couler. Après, c'est trop dur de remonter. Trop dur de reconstruire un bateau au milieu d'une mer déchaînée sans jamais savoir quand la vague surviendra. Ça ne doit pas lui arriver.

— Ça ira, lui murmuré-je. Ça passera...

— Je sais..., pleure-t-il. Je sais, mais c'est trop dur...

J'ai envie de lui dire que je le comprends, mais ça serait mentir. C'était terrible de faire mon deuil, et je le fais encore aujourd'hui, mais ça ne sera jamais la même sensation que celle d'Aukai. Je ne la regrette pas, je la maudis. Ce n'est pas à moi que j'en veux, c'est à elle. Aukai avait une relation différente avec son père. Je ne la ressentirais jamais, mais je peux essayer...

J'ai envie de pleurer aussi, maintenant.

Ma paume va et vient sur son dos, mes lèvres embrassent le sommet de son crâne, pendant que j'essaie de lui dire que ça ira, même si je sais que ces paroles n'ont aucune profondeur. J'ose juste espérer que, comme lui sur moi, ma voix l'apaise. Je ne sais pas si c'est elle, mes caresses ou juste le temps, mais Aukai s'arrête de sangloter. Sa respiration est affreusement aléatoire, ses yeux encore mouillés et ses lèvres luisantes, mais il ne hoquète plus de douleur. Une douleur que je ne peux apaiser avec rien d'autre que des mots.

Il relève la tête vers moi. Des pouces, j'essuie ses joues. La culpabilité brille dans son regard, parce qu'il n'a pas été assez là pour lui, parce qu'il n'a pas pleuré à son enterrement, parce qu'il ne peut pas lui offrir son éternité à Hawaii.

— J'suis désolé, soupire-t-il en reculant un peu.

— De quoi ?

— J'ai honte d'avoir...

Il ne finit pas sa phrase. Je lui souris.

— N'aie pas honte d'être toi. Je t'en voudrais jamais pour ça.

— T'es trop pur pour ce monde...

Il a tellement tort...

— Et toi trop dur, tu as fait de ton mieux.

— Mais c'était pas suffisant...

— Ça ne l'aurait jamais été à tes yeux. C'est que lorsqu'ils partent qu'on se rend compte de tout ce qu'on aurait pu faire avec eux. Mais c'était déjà trop tard, Aukai. T'es pas responsable de tout ça.

Il hoche la tête sans grande conviction. Lana miaule timidement à nos pieds. Désolé, Aukai se baisse pour la récupérer dans ses bras et l'embrasser sur le front. Elle ronronne, frotte ses moustaches contre les joues encore moites de son maître. Puis, elle se tourne vers moi et se met à faire la même chose, tordant le cou pour me lécher la mâchoire. Aukai sourit. Une raie de lumière dans la tempête. Il se remet contre moi, Lana toujours contre lui.

— Merci... merci, Neven.

Je l'embrasse doucement.

Ne me remercie pas de t'aimer.

Alors que Food entre aussi dans la cuisine et que je le soulève du sol, mon regard glisse sur le frigo rempli de souvenirs. J'écarquille les yeux.

J'ai une idée. 

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