Chapitre 12 : Les abîmes sont ma prison

TW : Mutilation. Ce chapitre est déconseillé pour les âmes sensibles. La scène est poétisée dans sa forme mais pas dans son fond. À partir de ce chapitre, la thématique de la dépression sera évoquée plus en profondeur. Vous êtes averti.es. 

Bonne lecture ♥ 


— NEVEN — 


Je ne vais pas y arriver. C'est trop fort. Trop douloureux. Les vagues me submergent, l'océan est déchaîné. Ma chaloupe a coulé, j'ai l'impression de m'enfoncer dans les abysses. Les abîmes sont ma prison. Je ne peux plus respirer. Je n'en peux plus de lutter pour essayer de voler un peu de souffle à la vie qui me refuse obstinément l'accès au bonheur. C'est trop difficile. Je ne peux pas.

— Je ne peux pas...

Les crises n'ont jamais été aussi fortes. Peut-être parce qu'elle veillait toujours à ce que je prenne mon traitement, et peut-être parce que je l'ai délaissé au détriment de ma santé. Même en grandissant avec, c'est si difficile de se faire une raison. Je suis dépendant de médicaments toxiques pour ne pas me brûler au contact du monde. La vérité, c'est que je ne serai jamais comme lui. Que ma vie se résume à essayer de m'adapter à celles des autres. Je ne veux pas de ça.

Aukai est différent, lui. Aukai sait comment respirer sans avoir la certitude que le lendemain, il se noiera dans une marée noire de lamentations, sans avoir la certitude qu'à l'heure prochaine, il aura envie de surfer sur la vague de l'inconscience pour se sentir vivre. Pour se sentir en héros toutes les fois où il était minable.

Et de vaisseaux, et de vaisseaux,

Et de voiles, et tant de voiles,

Mes pauvres yeux allez en eaux...

Sauf que je ne pleure pas. Il n'y a aucune larme pour me rappeler qu'en fait, je suis bien en vie, que ça en vaut la peine. Rien n'en vaut la peine, pas même le bleu du ciel, ni celui d'Aukai ou de la mer. Rien n'est bleu. Tout est rouge.

Rouge comme la lame qui se loge au creux de ma peau pour déchirer un peu de moi. Rouge comme le sang qui se rue hors de ma peau. Rouge comme la crasse que crachent mes plaies. Elles me font atrocement mal, sauf que je ne m'entends pas crier. Je ne m'entends pas gémir. Vivre encore moins. J'ai les mollets décharnés. Parce que je les ai rendus rouges, eux aussi.

C'est cette couleur qui m'englue, elle me fait peur. Le bleu n'a jamais imprégné mon cœur. Il n'y a que le rouge. Aukai baigne dans le bleu de l'espoir, moi dans l'écarlate de l'interdit. Quand je ne la brave pas, je la fais serpenter sur ma peau.

— Imbécile, m'entends-je murmurer.

Mon téléphone vibre, c'est sans doute papi. Ou Aukai, puisqu'Aukai veut me connaître. Il veut sans doute voir toutes mes nuances, mais n'y trouvera que ce rouge dégoûtant. J'essaie d'en rincer mon âme, mais je crois que c'est peine perdue. L'océan ne sera jamais assez grand pour absorber le mien.

La lame écartèle ma peau, incise profondément ma chair jusqu'à ce le rouge jaillisse de l'entaille. Je suspends mon geste, la tête bouffée par du coton. Peut-être que cette fois j'ai réussi atteindre le ciel. C'est mon nom, après tout.

Mes yeux coulent sur le sol que j'ai inondé de vermeil. Mes épaules s'affaissent, mes doigts tremblent, ma vue m'échappe. Je lâche la lame.

Son fantôme est derrière moi, me regarde avec désapprobation. Je lui offre mon plus beau doigt d'honneur.

Quand je me retourne, il n'y a que ma solitude. La baie vitrée est ouverte, le soleil brûle. Le ciel est bleu, lui. Je me relève et, quand je veux m'avancer, je me rends compte qu'en fait, je suis tombé. Mes mains glissent, suintent de rouge. Je me précipite jusqu'au balcon. Sa barrière me rentre dans le ventre quand je l'atteins.

Les yeux levés vers le ciel, je tends le bras pour espérer le toucher. En priant pour que cette fois, les anges m'aient entendu exister.

Mes genoux s'affaissent. J'entends comme un cri dans mes oreilles bouchées. Les abîmes les ont rendus presque sourdes. Ce qui se passe à la surface, je ne le perçois plus. Ma main me cramponne à la barrière, sauf que je sens qu'elle se relâche. Je lâche ma prise. J'ai de la peinture rouge dans les cheveux, sur le visage. Elle glisse sur mes joues comme les larmes que je ne trouve jamais. Que je veux pouvoir ressentir.

Bordel, je veux pouvoir vivre.

Je ferme les yeux. J'ai sommeil et, pour une fois, l'insomnie ne me retiendra avec elle. Mon corps s'endort et j'ai enfin l'impression de pouvoir respirer. De ressentir, une seule seconde, cette grisante impression d'exister.

Parce que je suis en train de disparaître. 



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