Caleb quitta le couloir et s'arrêta au seuil des portes battantes. La lutte contre cette musique était comme se battre contre les démons de son passé. Il n'en pouvait plus et pourtant il continuait de lutter parce qu'elle se trouvait à l'intérieur. Il ferma les yeux, la tête légèrement inclinée en arrière puis se redressa, les muscles crispées. Enragé il poussa les deux battants et tenta de dominer les bruits qu'il ne supportait plus. Ce faisant, il se concentra sur l'endroit où se trouvait la jeune femme et la vit en train de mettre son manteau, esquissant des gestes de la main à son amie. La lutte était enfin terminée, songea-t-il en la voyant partir alors que la jeune femme qui l'accompagnait tentait de la retenir. Caleb rejoignit à son tour l'entrée et quitta cet endroit en bousculant le vigile.
Une fois loin du bruit il poussa un grondement rageur en fixant la jeune femme qui s'éloignait dans la nuit noire. Son ouïe n'était plus qu'un tonnerre de bruits sourds lui rappelant le passé...un passé qui s'effaçait momentanément quand il était proche d'elle.
Caleb avait pourtant essayé de s'éloigner d'elle. La veille il n'avait pas pu s'empêcher de la toucher, épris d'une pulsion malveillante qu'il n'avait pas pu réprimer. Pourtant il ne regrettait pas chaque seconde qu'il avait passé avec elle, les doigts enveloppant sa gorge, l'odeur délicieuse de son parfum. Caleb avait alors recouvré ses esprits et s'était précipité hors de l'immeuble avant de céder à ce désir lancinant, présent partout en lui. Il savait au plus profond de son être qu'elle le voyait comme un fou, un danger pour l'équilibre tranquille de sa vie bien rangée. Il s'en voulait amèrement de ne pas pouvoir se maîtriser en sa présence car elle ne méritait pas la froideur de son âme. Pour toutes ses raisons il avait pris la décision de rester loin d'elle. Hélas il avait seulement tenu trente minutes avant que son esprit reprenne le dessus sur la raison. Ensuite, il avait enfin comprit...
Tout ce qui l'entourait était un obstacle à sa volonté. Le bruit, le monde, les barrages qui se dressaient sur son passage étaient nombreux et il savait qu'il ne parviendrait jamais à rester auprès d'elle sans éprouver de la colère car tous ces éléments déclenchaient en lui une sourde rage.
La suivant en prenant le soin de maintenir une distance raisonnable, Caleb se sentait soulagé de la savoir loin de ce club où venait de naître en lui une dévorante jalousie. Spectateur, il avait dû endurer la scène qui s'était joué sous ses yeux jusqu'à ce qu'il comprenne ce que ce jeune fougueux voulait d'elle.
Il enfonça ses poings dans les poches de son pantalon, expirant par les narines.
Trente minutes plus tard, il s'arrêta à hauteur de l'immeuble dans lequel elle venait de se réfugier. La sachant saine et sauve Caleb rebroussa chemin jusqu'à sa voiture qu'il avait garée non loin de là et prit un chemin opposé.
Caleb serra le volant jusqu'à sentir le cuir se déformer et accéléra.
Il devait prendre une décision et si jusqu'ici sa raison, son esprit et sa volonté étaient en contradiction totale, ce soir ils s'emboitaient en un seul et même bloc.
Il savait au tréfonds de lui-même qui rien ne lui procurerait la paix...pas tant qu'il n'aurait pas résolu cette énigme.
Et cette énigme s'appelait Malia.
Le soleil se levait lentement sur le visage de Caleb qui toute la nuit avait songé et envisagé la suite des événements.
Son téléphone vibra dans sa poche intérieure, l'expirant de sa torpeur.
- Oui Seth ?
- Je peux savoir où tu es ? Je te cherche partout depuis des heures.
- Je ne suis pas à l'hôtel, j'ai un rendez-vous à neuf heures.
- Avec qui ? S'enquit Seth sur un ton curieux.
Caleb aperçut un homme s'avancer vers lui avec une mallette à la main.
- Je t'envoie l'adresse, rejoins-moi quand tu le pourras.
Caleb raccrocha, envoya l'adresse et fourra son téléphone dans sa poche.
- Monsieur Harper ?
- C'est moi-même, dit-il en lui tendant sa main.
Caleb le salua en attrapant sa main et l'homme esquissa une grimace en récupérant sa main qu'il massa contre sa veste.
- Votre altesse je...
- Monsieur Al-Eydhar, rectifia Caleb avec autorité.
Mal à l'aise il s'écarta en arborant un sourire chaleureux.
- Si vous voulez bien me suivre.
Caleb le suivit, d'abord sensible à ses explications avant de se plonger dans ses pensées. Il s'y arracha pour étudier la pièce éclairée.
- Voici le salon, composé d'un espace détente
Caleb observa attentivement l'espace détente puis le suivit dans les autres pièces.
- Combien de chambres ? Demanda Caleb abruptement.
- Cinq monsieur Al-Eydhar, répondit-il en empruntant un escaliers qui menait vers les chambres.
- Est-ce qu'il y a un bureau ? Le questionna-t-il en ouvrant l'une des baies vitrées.
- Oui, vous avez tout à disposition monsieur Al-Eydhar, salles de bains, cuisine, chambres, salon privé, espace détente, bureau.
Caleb n'avait pas besoin de se retourner pour comprendre qu'il jouait gros. Il pouvait sentir son stress et lorsqu'il se retourna, son front perlait de sueurs.
- Je le prends, lâcha-t-il avec fermeté.
Monsieur Harper écarquilla les yeux, puis cilla en tirant le mouchoir de sa poche pour se le passer sur le front.
- Vou...vous l'achetez ? Maintenant ?
- Toute de suite, je le veux sans attendre.
Les sourcils légèrement froncés Caleb se retourna pour faire face à l'horizon.
- Je suis honoré monsieur Al-Eydhar vous n'imaginez...
Caleb leva la main pour lui imposer le silence. Oui, le silence, songea-t-il en fermant les yeux. Caleb savoura le bruit du vent en investissant le pont et s'approcha de la balustrade pour dévaster l'horizon bleu et infini d'un regard déterminé.
- C'est parfait, tout est parfait, murmura-t-il en baissant la tête pour mieux la relever en aspirant l'air marin.
~
Il était près de midi quand Seth gara sa voiture près de North Cove Harbor. Il marcha jusqu'au ponton et s'arrêta quand il aperçut son ami au loin, vêtu d'une impeccable chemise noire, mains dans les poches, lunette de soleil dissimulant son regard implacable. Seth émit un petit rire et le rejoignit alors que des hommes se pressaient devant une passerelle et sur le ponton créant une agitation loin d'être insensible aux yeux des passants. Une femme agitait son magazine devant son visage, masquant à peine l'excitation qui se lisait dans son sourire.
Seth arriva à sa hauteur et Caleb resta de marbre, immobile.
- Je suppose que ce yacht t'appartient ? Demanda Seth d'une voix qu'il était le seul à pouvoir entendre.
- En effet, répondit-il laconiquement.
- Et je suppose que tu comptes partir à bord ?
- Oui, soupira Caleb en faisant rouler ses épaules raides.
- Seul ? S'enquit Seth en feignant l'innocence de sa question.
- Non, je ne serais pas seul, répondit Caleb en tournant la tête vers lui pour scruter sa réaction.
Seth se mit à hocher de la tête avec un faible sourire aux bord des lèvres puis croisa les bras en sifflant un air musique.
- Et je suppose que la personne qui est censé t'accompagner n'est pas au courant ?
- Non, elle ne l'est pas, et non je ne vais pas lui faire du mal, je ne fais pas de mal aux femmes Seth.
- Je ne pensais pas à ça mon ami, dit-il doucement.
Lisant dans les profondeurs de ses pensées, Caleb répondit ;
- Si jamais elle veut partir alors je la laisserai partir, articula Caleb avec fermeté ; Je suis désolé Seth j'ai pourtant essayé une approche naturelle mais tous ces bruits m'insupportent, il y a trop d'obstacles sur ma route et je n'y parviens pas.
- Je sais, murmura Seth d'une voix triste ; je t'ai observé lutter, je suis désolé de ne pas pouvoir t'aider.
Sensible à son désespoir, Caleb serra les dents mais eut l'impression d'être une cause perdue.
- Comment comptes-tu t'y prendre ?
- J'ai observé, j'ai appris tout ce qu'il fallait savoir pour que tout se passe bien.
- Je n'en doute pas, dit Seth en riant doucement alors qu'il observait les hommes qui chargeaient le yacht avec empressement.
- Soyez prudent avec ça, c'est fragile, lança Caleb en guise d'avertissement quand ce fut au tour de ces malles noirs qui renfermaient toutes ses armes.
- Où comptes-tu l'emmener ? Le questionna Seth en décroisant les bras.
- Je l'ignore encore, je ne veux pas penser à ça pour l'instant, dit-il un peu sèchement ; Je veux que le soleil se couche et ce n'est pas pour tout de suite.
Caleb sentait déjà l'impatience le gagner. Cette décision avait été mûrement réfléchie. Il était resté des heures à contempler l'océan silencieux depuis sa voiture en cherchant un moyen de contourner cette ultime option.
- Et ton pays ? Comment comptes-tu faire ?
Caleb tourna sa tête vers lui, l'observant derrière ses lunettes de soleil.
- J'ai donné sept ans de ma vie pour mon pays, je l'ai arraché des griffes de Tahar alors qu'ils me pensaient mort.
Seth approuva en hochant de la tête.
- Je ne retournerais pas là-bas sans avoir pensé à moi d'abord et j'ai mis Naïl au commande, je gère à distance.
- Alors si tout est en ordre je n'ai plus qu'à jouir que mon séjour se prolonge pour un temps indéterminé, dit Seth sur un ton badin en lui décrochant un regard presque heureux.
Caleb surplomba l'horizon d'un air sombre car lui aussi ignorait combien de temps Malia lui accorderait. Pour le savoir il attendrait que le soleil entame sa descente sur l'océan. Attendre...il n'en pouvait plus d'attendre.
- Caleb ? Je peux te poser officiellement la question ?
Ses mâchoires se contractèrent instinctivement.
- As-tu vraiment l'intention de la laisser partir si jamais elle le désire ?
Caleb ferma brièvement les yeux, les mains fermées en poings.
- Tu l'ignores n'est-ce pas ? Insista Seth.
Impassible, refusant de répondre à cette question qui pour lui n'avait pas encore de sens, Caleb emprunta la passerelle et disparut sur le yacht en jetant un coup d'œil à sa montre.
Il lui restait quelques heures avant de le savoir...
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