7 ° La mer °


La vérité est que je ne me suis jamais remise de l'échec de l'autre soir. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Encore une fois, mes espoirs étaient brisés. Je devais accepter le monde tel qu'il était, aussi cruel et moche soit-il.

Mais je ne le voulais pas ! J'en étais incapable. Surtout après ces quelques semaines passé ici, où mes journées étaient rythmés seulement par des choses qui avaient du sens et qui ne générait aucune souffrance.

Comme si tout ce que j'enfonçais dans les recoins de ma conscience surgissait dans une même mouvement, nette, précis, claire... Implacable. Oui ! Toutes ces réalités qui m'ont toujours torturées et que j'ai refoulé pour ne pas devenir folle, pour tenter de me fondre dans la masse, de grandir. J'avais cru que cette rage était passée, doucement tarit, doucement maîtrisée. Mais non.

J'eu l'impression qu'on m'avait bercé d'illusion, que tout cela n'était qu'un affreux mensonges seulement destinée à me faire souffrir. Une frustration écœurante me tordit les boyaux.

Frustration.

Elle m'étouffe et je ne sais pas quoi en faire. Je ne sais pas comment la guérir. Car ca fait trop mal. Et je n'arrive plus à la remettre dans ses profondeurs. Je n'arrive plus à la contenir.

Alors dans un excès de colère, un matin, sans signe avant coureur, je dis à Charlotte que j'ai besoin de sortir. Tout sauf restez ici une seconde de plus. J'ai besoin de crier ma rage quelques part. J'étouffe. Charlotte me suit sans un mot jusqu'à la voiture. Je prends le volant et je roule sans savoir où je vais jusqu'à ce que je vois un panneau indiquant la mer. Je suis l'indication comme on obéirait bêtement au destin. J'arrête de penser.

Je nous gare sur un parking désert. En sortant de l'habitacle, nous sommes assaillit par l'odeur iodé de la mer. Il fait frais, le vent fouette nos visages, emmêle nos cheveux. L'odeur de sel et d'algue est omniprésente. La mer grise gronde. Nous descendons sur la plage. Il n'y a personne à la ronde. Seulement nous, la mer et le ciel.

Je n'ai pas vraiment décidé de venir ici. Je l'ai fait. C'est tout.

Je me déshabille, ne gardant que mes sous-vêtements. Je suis au bord du chaos, comme lorsque nous nous tenons au bord d'une falaise et qu'il nous suffirait d'un pas pour basculer. Vous sentez cette tension qui vous caresse, cette proximité grisante avec le vide. Mais vous tenez bon.

Mais aujourd'hui, je lâche prise.

Je traverse la petite crique de sable en courant et me jette avec fureur dans l'eau rugissante. Mon cerveau me hurle de reprendre mes esprits, de redevenir raisonnable. Je plonge sous l'eau et laisse le froid me griffer la peau. Un anneau m'enserre la tête. Je ressors pour reprendre une inspiration. Mon corps vibre. Je me prends un rouleau dans le visage. Je crachote. Je replonge plus profondément.

Cette fois, le silence se fait et même si le froid est trop difficile à tenir, je relâche la tension dans ces quelques secondes de calme absolu. Je ressors de nouveau. Le vent siffle dans mes oreilles, le rugissement des rouleaux m'assourdit. Le sel agresse ma bouche. Dissonance brutale. Je plonge, laisse le froid mordre à pleine dent ma peau et l'eau me ballotter mollement sous la surface. Silence. Roulement glacé.

Je ne sais pas pendant combien temps je fais ce manège étrange. Sans doute pas très longtemps. Trop pour mon corps malmené. Je frôle l'hypothermie. Mais je m'en fiche. J'ai besoin de sentir mon corps, de le sentir vivant. J'ai besoin de cracher la haine envers ce monde absurde. J'ai besoin d'exploser.

La mer finit par me rejeter sur le sable. Je suis frigorifiée et j'ai mal partout. Je dois avoir les lèvres bleues. Je suis épuisée. Pourtant je me sens mieux. Mon corps et mon esprit sont comme lavés. Tout semble plus claire.

Charlotte me tend une énorme serviette. Je m'enroule dedans, l'esprit toujours ailleurs. J'ai terriblement froid mais cela m'apaise. Mon corps et mon esprit se retrouvent. Je sens l'odeur marine emplir mes poumons, le sable piquant sous mes pieds, le sel collant à ma peau... Mon cœur battre à tout rompre pour me réchauffer, les gouttes froide dégouliner de mes cheveux jusque dans mon dos, mes muscles frissonnant.

Je soupire. Vivante.

Nous sommes retournées à la voiture. Charlotte prend le volant, je tremble trop de toutes façons. Alors que nous faisons marche arrière, je lui montre un panneau. Il indique un port à quelques kilomètres. Un autre message du destin ? Charlotte prend la route et nous fait longer les immenses falaises. C'est vertigineux. Epoustouflant.

Le port apparaît rapidement. C'est son petit phare qu'on devine en premier. Modeste mais toujours debout. Le port n'est pas très grand mais nous retrouvons un peu de civilisation. J'ai enlevé mes sous-vêtements avant de ma rhabiller pour ne pas tremper mes vêtements et attraper froid. Nous déambulons dans la ville jusqu'à trouver le port et les étalages de poissons. Le contact avec d'autres humains nous ragaillardit un peu. Charlotte retrouve de son entrain et se lance dans une grande conversation avec des pêcheurs de la région. Elle repart avec beaucoup trop de poissons pour nous deux.

Nous nous arrêtons dans un café pour prendre un chocolat chaud. J'ai beau faire bonne figure, je suis congelée et je suis déjà sûre d'être malade demain. Nous nous installons derrière une baie vitrée qui donne sur la mer grise. Le ciel est couvert. Les chocolats chauds sont une vraie bénédiction.

Pendant un court instant, je me sens flotter.

Je regarde les gens s'affairer, certains pianoter avidement sur leur téléphone... Nous sommes tellement en décalage avec le reste du monde. Cela me déstabilise. Comme si d'un seul coup, nous n'étions plus des leurs. Charlotte fait la remarque à haute voix. Je hoche la tête. Nous les observons discrètement, bien en sécurité dans notre bulle. Comme tout cela est étrange.

- Dans un de ses carnets, c'est exactement cela qu'il décrit, murmure-t-elle. Le décalage.

Charlotte est songeuse. Je vois une lueur inquiète dans son regard.

- Tu crois qu'il nous arrive quelque chose ? ose-t-elle enfin demander.

Je reste silencieuse. J'en suis intimant persuadée. Mais que dire? Que nous arrive-t-il exactement? Mais surtout, où est-ce que cela va nous mener? C'est ce qui me terrifie le plus. Charlotte a le même raisonnement que moi.

- Tu crois que nous sommes en train de devenir folles ?.

Je soupire.

- Où est-ce simplement qu'on se fait du mal toutes seules, je corrige avec amertume. Que nous nous égarons dans un cauchemar créer par nous-même.

Je sens ma frustration gronder doucement. Ne me quittera-t-elle jamais?

- Je pense que nous sommes simplement lucides, je continue, le regard tourné vers la mer agitée. Nous vivons dans un monde malade qui est dans le déni. Comment ne pas devenir fou quand tout le monde te fait croire que tu es dans l'erreur, t'oblige à vivre absurdement? Alors même que tu as raison. Tu peux fermer les yeux, tenter de les croire. Pendant un temps ce sera plus simple et moins douloureux. Mais tu ne pourras étouffer éternellement ton instinct. Le mal reviendra, toujours plus fort. Et la folie te guettera de nouveau.

Le regard de Charlotte est sombre.

- Ils ont peur et c'est normal. Qui n'aurait pas peur de l'inconnu et de l'incontrôlable. Mais le contrôle peut devenir nocif. C'est l'équilibre l'important. Le juste milieu. Nous nous fuyons. Et nous en mourrons.

Je murmure à peine ces mots. Cela fait si longtemps que je le sais. Mais nous somme si seules. Si faible. Nous rêvons de liberté et de révolutions. Mais rien de tout cela ne nous sera jamais donné. Le changement devra venir d'ailleurs. Et une part de moi sait déjà comment le trouver. Mais j'ai grandis dans un monde de rationalité et qu'il est difficile de chasser les mauvaises habitudes. 

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