2 ° Dans la forêt °

« Si les monstres existaient, ils nous auraient déjà dévoré. »


Ce matin quand je me réveille je ne peux m'empêcher de frissonner malgré l'énorme édredon qui me recouvre. Apres un grognement je m'extirpe de la chaleur de mon cocon et file sous la douche. J'hésite cinq longues minutes en voyant que l'eau est à peine tiède. Finalement je craque et prends la douche la plus rapide de ma vie. Cela aura eu le mérite de chasser les dernières brumes de sommeil.

Je descends dans la cuisine. Sans surprise, Charlotte est déjà debout et en train de nous concocter de bons petits plats. L'odeur sucrée des crêpes me fait saliver. Je vois qu'elle a même déjà rempli la théière. Je me sors un bol et m'assoie en tailleur sur la chaise. Je m'enroule avec bonheur dans l'atmosphère chaleureuse qu'à créer Charlotte.

On finit par glisser sur un de nos débats spontanés. Nous pourrions rester ainsi des heures à essayer de comprendre le monde tout en le remettant en question, cherchant d'autres chemins inexplorés. Mais la vie nous appelle.

Je suis aller chercher quelques bûches pour le feu à l'arrière de la maison. Alors que je suis en train de trier la cagettes de bûches, le bruissement de la forêt m'arrête. Mon regard se perd longuement et l'envie me prend de m'enfoncer sous le couvert végétal, pour voir si je peux percer les mystères de cette sombre forêt. Alors je m'enfonce, dévorée par la curiosité. Je sais que je dois faire attention. Ici, rien n'est fait pour l'homme. Je ne compte pas aller bien loin, juste goûter un peu de l'état sauvage.

Je lève le nez vers la cime des arbres et j'aperçois tout juste le ciel gris clair entre les branches des pins. Une goutte de pluie froide s'écrase sur ma joue. L'humidité semble remonter vers le ciel. A chaque pas, je sens le froid s'insinuer sous le tissu de mon pantalon, glacée. Ca me pique les joues, m'enserre la tête. Je n'ose sortir les mains de mes poches, bulles chaudes inespérées. Je sens mon corps qui travaille, qui tente de repousser cette chape froide. Ce froid à l'odeur si particulière. Cette odeur d'hiver.

Sous mes pieds, les feuilles se froissent, les branches et les cosses craquent. C'est bruyant. Je marche de plus en plus doucement, de plus en plus lentement, cherchant à faire taire ce bruit.


Et puis je m'immobilise. Je guette. Seul le silence me répond. Mon cœur est assourdissant. Je perçois cette aura qui m'entoure, cette vibration qui est mienne. Je suis en décalage. Je vais beaucoup trop vite. Je suis là, au milieu de ses grands pins, de cette vie qui coule à un rythme bien différent du mien. Et je veux les rejoindre, m'accorder avec eux. Je me tais. J'essaye de calmer mon agitation. J'essaye de me rassurer. Doucement.

Mais alors que je commence à réduire cette tension, une idée fuse, comme une mauvaise graine, une flèche se plante dans mon esprit, impossible à contourner.

La peur. Infantile et brute.

Alors que je suis parfaitement seule, je sens une tension exploser autour de moi. Je jette des regards à droit et à gauche. Il n'y a personne. Et pourtant. Je ne peux me défaire de cette impression, de cette chose dans mon dos. Ombre. Monstre. Sans forme. Sans visage. Un méli-mélo complexe de toutes les horreurs que j'ai croisées dans ma vie. Souvent involontairement. Je fixe le vide devant moi, pétrifiée.

Dans ma tête j'ai ce film qui tourne inlassablement. Où je me vois me redresser, me retourner et me retrouver face à cette entité monstrueuse. Et à chaque fois que la boucle fuse dans ma tête, elle me poignarde le cœur sans scrupule. Un arrêt cardiaque à répétition.

Un vieux souvenir d'enfance ressurgit. Quand, la nuit, la peur de voir un monstre surgir dans l'encadrement de la porte était si forte que je me réfugiais sous la couette, espérant disparaître. Avec un peu de chance il ne me verrait pas. Je retenais même mon souffle. Et la tension frémissait dans mon dos, me chatouillait sans jamais s'être révélé.


Je me tiens dans le silence. Je veux dépasser tout cela. Je veux me redresser, expirer et balayer cette tension qui raidit mon dos. Ce fut l'inverse.

D'un seul coup, la paranoïa explose. Je me recroqueville. Je tremble. Je m'enfuis.

Il me faut à peine quelques minutes pour rejoindre la chaleur et la lumière rassurante du foyer, me défaire de mon manteau et de mes chaussures, me glisser sous un plaide dans le salon au coin du feu. Je suis rentrée. J'ai été chassé.

Charlotte est là. Elle a préparé deux tisanes brûlantes. Un peu de thym bon contre le froid mais acre sur la langue, de la sauge et des violettes, plus une grosse cuillère de miel pour moi car elle sait que j'en raffole. Je me perds dans la contemplation des volutes de fumée qui sortent de ma tasse, un balaie imprévisible et éphémère. Je me laisse bercer par le crépitement du feu, son odeur de bois brulée discret et ses jeux de chaleur qui rendent ma joue gauche bien plus chaude que ma joue droite.

Soudain, je prends conscience que Charlotte a un étrange carnet entre les mains. Je lui demande ce que c'est. Reprenant conscience du livre, le regard de Charlotte s'illumine. Elle a soudain l'air surexcitée.

- Je l'ai trouvé dans la bibliothèque. J'étais en train d'en faire le tour quand je suis tombée sur ce carnet écrit à la main.

Cela pique ma curiosité. Elle me le tend pour que je regarde. Au vu de la qualité du papier, cela doit tout de même faire un certains temps. Je commence à lire les premières lignes sous le regard attentif de Charlotte. Je relève la tête, ahurie.

- Ce sont des mémoires ?

Elle hoche vivement la tête, surexcitée.

- J'allais t'en parler quand tu es rentrée mais tu étais toute chamboulée.

Je le feuillète avidement. Charlotte me fait signe de la suivre. Nous nous enfonçons dans la bibliothèque jusqu'à atteindre une petite étagère sale et poussiéreuse. Mes yeux s'illuminent. L'étagère est pleine de petits carnets et je prends conscience que nous sommes peut-être face à une mine d'or. Que renferment donc ses écrits? Charlotte se baisse et attrape du mieux qu'elle peut ceux du premier étage.

- Tu prends les autres ? me dit-elle.

Il n'en faut pas plus pour nous faire courir dans tous les sens. Nous prenons tous les carnets et allons les déposer dans le salon avec soin. Nous nous étalons à même le tapis, les yeux brillant d'émerveillement, devant une quarantaine de carnets plus ou moins volumineux. Nous prenons le temps d'examiner les intitulés de chacun et nous les classons en deux catégories.

La première, la moins intéressante, regroupe une vingtaine de carnets traitant de l'écosystème de la région. Au vu de la qualité de rédaction et du soin apporté aux notes, nous en avons déduit que la personne devait être un scientifique spécialisé dans l'étude des espèces forestières. C'était sans doute très intéressant pour qui souhaiterait avoir des relevés de la région mais peu palpitant pour les deux jeunes filles que nous étions.

La deuxième fut bien plus à même de répondre à notre curiosité. Une quinzaine d'ouvrage semblaient avoir fait office de journal de bord dans lequel l'auteur prenait des notes régulières sur sa vie. Le début entre directement dans le vif du sujet, lorsque l'homme avait déjà acquis la maison et s'interrogeait sur ses prédécesseurs. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top