-Partie 2-

Matthew, épuisé, avait fini par s'endormir, s'appuyant sur Théo qui n'avait pas autant besoin de repos.

La journée passa, puis la nuit vint de nouveau. Talya n'était pas sortie de sa chambre. Personne n'était venu lui rendre visite. Rien.

— Et si c'était une fausse piste ? Nous perdons du temps ici, alors que l'un des sept est peut-être en train de se faire tuer ! s'énervait Matthew en tapant sur son volant.

L'androïde rattrapait in extremis le gobelet de café que le coup avait fait basculer du tableau de bord. Des gouttes de liquide brulant lui éclaboussèrent la main, lui tirant une grimace.

— C'était peut-être un leurre. Pour nous écarter d'une autre piste.

— Qu'est-ce qu'on fait ?

— Puis-je voir l'arme que nous avons trouvée dans la ruelle ?

L'inspecteur sortait le sachet en plastique de la poche de son manteau.

Théo retirait la preuve de sa protection, la portant à la hauteur de son visage.

À la lumière du jour, l'objet était encore plus étrange. Des symboles inconnus dessinaient des arabesques sur le métal sombre, brillants d'un éclat rouge à cause du sang qui s'était incrusté à l'intérieur.

— Fais attention, ça pourrait être dangereux, murmurait Matthew.

L'androïde ne répondait pas, continuant de fixer la preuve, comme hypnotisé. Ses yeux marron semblaient apercevoir des choses que le policier ne pouvait pas discerner. Il se demanda alors comment Théo pensait, voyait, ressentait. Est-ce que la machine reproduisait le fonctionnement du cerveau humain ?

Le moustachu n'avait jamais vraiment essayé de comprendre la technologie, tant que tout marchait comme il fallait, tout allait bien. Mais maintenant, il se posait beaucoup de questions, peut-être trop. Au point qu'il ne remarqua pas immédiatement que Théo le fixait lui désormais.

— Qu'y a-t-il ?

— Rien. Je pensais, c'est tout.

L'inspecteur détacha son regard de celui de son coéquipier, reportant son attention sur le motel. Le plastique bruissait alors que l'androïde remettant la preuve à sa place. Il ne paraissait pas y avoir trouvé quoique ce soit d'intéressant.

— Nous ne pouvons pas rester là, finissait-il par dire.

— Je suis d'accord. Mais pour aller où ?

— Si quelqu'un veut tuer AlicIA, probablement, devrions-nous l'attendre près d'elle.

— Et les sept ? Ce serait les abandonner à leur sort.

Matthew avait tout de même démarré, commençant une marche arrière pour extirper la voiture de leur planque. Après quelques manœuvres que le policier aurait pu laisser au pilote automatique, ils se mirent à rouler. Doucement, tournant dans le pâté de maisons. Toujours indécis.

— Arrête-toi ! s'exclama soudain le passager.

Plaquant son pied contre le frein, ils s'arrêtèrent brusquement.

— Ça va pas ?! Qu'est-ce qu'il y a ?

Théo avait de nouveau sorti la preuve de sa protection, mais cette dernière semblait différente. Comme plus lumineuse.

— L'objet, ce n'est pas une arme. Je me suis trompé ! C'est une sorte de GPS, grâce à lui, nous pouvons retrouver les sept. Voilà pourquoi Talya voulait le récupérer !

Passant outre le fait qu'un androïde se trompant était assez étonnant pour le brun, son enthousiasme fut communicatif et Matthew ne put retenir un sourire.

— Comment l'as-tu activé ?

— Je n'ai rien fait. Il a dû sentir la proximité d'un des sept.

— Guide-moi, disait le policier en redémarrant. Il faut faire vite.

Ils ne roulèrent pas longtemps avant de tomber sur un garçon. D'une dizaine d'années, les cheveux blonds et le visage encore rond de l'enfance. D'abord, ils doutèrent, comment l'un des sept pouvait-il être aussi jeune ? Pourtant, lorsqu'ils croisèrent son regard, ils surent.

Théo descendit du véhicule en premier, les mains bien visibles, il chuchota :

— Nous sommes de la police, nous venons pour te protéger. Trois de tes camarades sont déjà mort.es.

— Je sais, répondait-il. Et je les rejoindrai bientôt.

Matthew était maintenant aux côtés de l'androïde et ne savait pas comment réagir.

— Comment ça ? Nous pouvons te protéger. J'ai été envoyé par AlicIA dans ce but, continuait Théo.

— Suivez-moi.

Il n'attendit pas une réponse et disparaissait derrière un mur.

Les deux acolytes n'hésitèrent pas longtemps non plus avant de le suivre. Une fois à l'abri, l'enfant grimaça.

— Je vais mourir, quoi que vous fassiez. Ils m'ont déjà trouvé.

— Comment ça ? disait à son tour le policier.

Le blond souleva son t-shirt, révélant un trou. Il ne saignait pas, mais on pouvait clairement comprendre qu'il avait été poignardé.

— Une arme à dégâts retardés marmonnait l'androïde.

— Une quoi ?

— C'est une arme qui appartenait à l'un.e de mes camarades. Ils ont dû la récupérer sur son cadavre, expliquait l'immortel. Lorsqu'on poignarde quelqu'un avec, les dégâts sont emmagasinés dans l'arme. C'est son détenteur qui décide à quel moment la blessure fera effet. Ça peut être n'importe quand comme jamais.

— Pourquoi attendre ?

— Ils voulaient surement que vous me trouviez avant, disait-il avec un sourire amer.

— Qui sont-ils ?

— Il y a une androïde, elle te ressemble, et une silhouette. Je ne sais pas son genre. Les deux communiquaient par signe.

Matthew ne faisait qu'écouter, observer. Il ne comprenait pas tout ce qu'il se disait d'ailleurs, mais il avait l'impression que cette affaire était bien plus profonde. Comme si ce n'était pas l'œuvre d'un fou qui voulait détruire la société.

— Il ne doit pas rester beaucoup de mes camarades en vie s'ils ont le temps de me laisser vous parler. Je sais que certain.es d'entre elleux seront très heureux.se qu'on les libère de l'immortalité. Malgré mon corps d'enfant, ce n'est pas mon cas.

— Comment cela se fait-il que vous soyez aussi jeune ? demandait l'inspecteur. Pourquoi certain.es voudraient mourir ? Votre devoir n'est-il pas de protéger AlicIA ?

— AlicIA nous a tous choisis sans nous laisser la décision finale. Ce devoir nous a été imposé.

Soudain, il se plia en deux, le souffle coupé.

— Merde ! jurait Théo, surprenant son coéquipier.

Ils se précipitèrent pour aider l'immortel, compressant la plaie, essayant de retenir le sang.

— Théo, c'est bien ça ? grimaçait le blond.

— Oui, qu'y a-t-il ?

— Tu es passé à côté de beaucoup d'éléments, comme le voulait AlicIA. Il faut que tu parles avec ta jumelle. Elle sait beaucoup de choses, car elle n'était pas censée exister.

— Comment savez-vous ça ? demandait Matthew.

Mais l'enfant l'ignorait, il n'avait d'yeux que pour l'androïde qui semblait plus que perturbé. Les lèvres du mourant continuaient de bouger, mais aucun son ne sortait et bientôt, il s'affala contre eux.

Théo allongea le petit corps au sol, négligeant le sang qui maculait ses vêtements. Matthew s'était écarté, de plus en plus inquiet. Dans quoi avait-il été embarqué ?

— J'ai appelé les secours, ils ne devraient pas tarder. Nous ne pouvons plus rien faire pour lui. Nous devrions y aller, disait l'androïde.

Ainsi quittèrent-ils la planque de l'immortel, la tête pleine de questions et toujours sans réponse.

Ils roulèrent sans but pendant quelque temps avant que Matthew ne les emmène chez lui.

— J'ai besoin d'une douche, avait-il seulement dit. Fais comme chez toi.

Depuis, Théo attendait sur le canapé abimé du petit appartement. L'endroit était chaleureux, un peu en désordre, mais pas sale. Il y avait peu d'effets personnels pouvant en apprendre plus sur Matthew. Quelques livres, ici et là, un cadre ou deux sur des meubles peu utilisés.

L'inspecteur semblait ne pas passer beaucoup de temps chez lui.

L'eau arrêta de couler et l'homme refit son apparition, étonné de voir que son invité n'avait pas bougé d'un cheveu.

— J'avais dit : fais comme chez toi.

— Je n'ai pas de chez-moi, laissait échapper Théo.

Le silence s'installa, gêné, Matthew finissait par sortir du salon pour revenir avec des vêtements propres. Il les lança à l'androïde qui les rattrapa sans vraiment savoir quoi en faire.

— Pour te changer, précisait l'homme. Je ne sais pas si tu prends des douches, mais tu peux aussi si tu veux.

Puis il disparut de nouveau, Théo l'entendit farfouiller dans la cuisine avant qu'il ne réapparaisse avec deux assiettes de pâtes réchauffées au micro-ondes.

— Je t'ai dit de te changer, le grondait presque le policier.

L'androïde se leva et retira sa veste pleine de sang. Ses mouvements étaient un peu raides, il n'avait jamais porté que ce que lui avait donné AlicIA. Il ôtait sa cravate, puis sa chemise et enfin son marcel.

Théo ne s'était jamais senti aussi vulnérable qu'à ce moment, torse nu au milieu du salon d'un homme qu'il ne connaissait que depuis quelques jours. Ce dernier ne faisait même pas attention à lui, lui préférant largement son plat.

Le châtain enfila en vitesse le t-shirt et le pull que lui avait fourni son collègue puis le rejoignit à table.

Toute cette normalité lui était inconnue et Matthew ne se rendait même pas compte de l'état de celui qui mangeait à ses côtés. Le silence les entourait, les berçant mieux qu'aurait pu le faire une douce musique et, lorsqu'ils eurent le ventre plein, une sieste s'imposa d'elle-même.

L'inspecteur s'endormit en quelques instants, comme absorbé par les coussins moelleux du canapé. Théo lutta contre le sommeil, mais il devait bien se rendre à l'évidence, cela faisait bien trop longtemps qu'il n'avait pas dormi. Ainsi finissait-il, sans s'en rendre compte, par céder à la fatigue.

Théo marchait sans vraiment savoir vers où, ce qui était très rare. Il devait avoir un but, mais il ne parvenait pas à s'en souvenir. Où se trouvait-il ? Comment était-il arrivé là ? Où étaient Matthew et son appartement douillet ?

Quelqu'un cheminait à ses côtés, mais ce n'était pas le policier. Il aurait voulu tourner la tête pour détailler son compagnon, mais il n'y réussissait pas. D'ailleurs, il ne contrôlait pas vraiment son corps, se contentant d'avancer sans savoir vers où.

— Je sais que tu es là.

S'il l'avait pu, l'androïde aurait sursauté. La voix lui semblait étrangement familière.

— Ne me réponds pas, de toute façon, tu ne peux pas. Talya est muette, ainsi, tu l'es aussi actuellement.

Il voyait donc par les yeux de sa jumelle. Celle qui n'était pas censée exister.

— Je sais que tu as pu parler avec l'un des sept, l'enfant. Je sais que tu me trouves cruel.le de l'avoir tué de cette façon. Mais, comme beaucoup d'entre nous, tu es passé à côté de beaucoup de choses. Rejoins-nous, moi et Talya au Centre.

— Théo ? Théo ?! le secouait Matthew.

L'androïde cligna des yeux, retrouvant son propre corps. Lui qui ne rêvait jamais venait de faire le plus étrange des rêves. Mais était-ce vraiment un rêve ?

Il croisa le regard inquiet de son coéquipier, il fronça les sourcils.

— Que se passe-t-il ?

— Tu ne respirais plus ! s'exclamait l'homme.

Le brun se retint de rire et lui expliquait, amusé :

— Je n'ai pas vraiment besoin de respirer, je le fais seulement par habitude et pour ne pas avoir l'air encore plus étrange.

Matthew se passa une main sur le visage, oscillant entre la honte et l'envie de rigoler.

— Désolé, finissait-il par dire penaud. Tu as assez dormi ?

— Je crois oui. De toute façon, nous ne devons pas perdre plus de temps. Nous devons nous rendre au Centre.

— Pourquoi ?

— Je crains que tous.tes les immortel.les, ou presque, ne soient déjà mort.es. Il faut aller protéger AlicIA.

L'androïde passa sous silence le rêve qu'il venait de faire, il ne voulait pas que le policier ne le trouve davantage bizarre ou bien se méfie. Ils avaient un devoir à accomplir, même si ce devoir lui paraissait de moins en moins important.

De retour dans l'habitacle de la voiture, ils se dirigèrent, légèrement au-dessus des vitesses maximales autorisées, vers le Centre. Ce dernier se situait dans la rase campagne, dans un grand hangar similaire aux Ikea que le passé avait connu, mais en encore plus labyrinthique, si cela était possible et si les dires étaient vrais.

Après avoir roulé sur des lignes droites interminables entourées de champs, le véhicule s'arrêta dans un crissement de pneu devant l'entrée du bunker blanc. Il y avait une voiture garée non loin.

Iels étaient surement déjà à l'intérieur.

— Faisons vite, disait Théo.

Il s'engagea en premier sous le bloc qui contenait sa créatrice, déterminé. Matthew le suivait de près, se demandant à quoi ressemblait l'intérieur. Il n'y avait aucun garde à l'extérieur.

— Ne me lâche pas d'une semelle, tu te perdrais, ordonnait l'androïde.

— Tu connais cet endroit ?

— J'y suis déjà venu, mais surtout, j'ai été créé ici.

— Tu te souviens de ta création ?

— J'ai quelques flashs avant mon premier vrai souvenir, oui. Mais concentrons-nous. Ils pourraient nous tendre un piège.

— Et s'iels avaient déjà eu le temps de débrancher AlicIA ?

— Je le saurai.

— Comment ? Je croyais que tu n'étais pas elle.

— C'est difficile à expliquer, je sens son existence. Je sais qu'elle est encore là, comme je sentirai quand elle ne serra plus là.

Ils avançaient dans de longs couloirs illuminés régulièrement par des néons blancs. À chaque tournant, l'inspecteur tentait de retenir le chemin. Une fois à gauche, deux fois à droite, quatrième porte à gauche... sauf que tout se ressemblait. De temps en temps, ils passaient devant une vitre laissant entre voir des machines et autres serveurs.

Il n'y avait pas âme qui vive.

— Il n'y a pas de gardes ? Une quelconque sécurité ? demandait Matthew, sa voix résonnant étrangement autour d'eux.

— Si, mais je suis ton passe-droit. Elle ne s'active pas sur moi, et après tout, AlicIA t'a choisi pour ce boulot.

— Et les autres ? Talya et lae personne que nous poursuivons ?

— Je ne sais pas. C'est étrange. Normalement AlicIA aurait dû les empêcher d'avancer. Pourtant, iels ont l'air d'être entrés aussi facilement que nous.

— Peut-être que Talya a aussi une sorte d'immunité.

— Peut-être.

Il resta silencieux quelques instants, puis ajoutait :

— Ou alors, AlicIA veut qu'iels arrivent jusqu'à elle.

Le silence reprit ses droits dans le couloir interminable, encore plus pesant. Matthew avait l'impression qu'on les observait, il se doutait qu'il y avait des caméras partout, pourtant, derrière, il y avait l'IA qui gérait sa vie depuis toujours. Ainsi, il jetait des coups d'œil à Théo, son calme le rassurait un peu. Il semblait savoir ce qu'il faisait.

Soudain, le décor changea, les murs jusque-là blancs tournèrent au gris, puis au noir. Ils débouchèrent dans une grande salle avec de nombreux serveurs et machines que le policier n'aurait pu nommer.

Deux silhouettes se tenaient près d'un écran.

Matthew dégaina et, le pistolet tendu vers les suspects, il lança :

— Police, écartez-vous de l'ordinateur.

— Théo, dis-lui de ranger ça.

L'arme toujours pointée vers les intrus, l'inspecteur se tournait vers son coéquipier, le regard plein de doutes. Parce que la voix ne venait pas d'une des deux ombres, mais d'une nouvelle forme projetée par les machines.

— Matthew, baisse ton arme. Tu pourrais endommager AlicIA, disait l'androïde.

— Théo, qui c'est ? demandait l'homme de plus en plus paniqué.

Pourquoi tout le monde était calme ? Que se passait-il ici ?

— Je suis AlicIA, inspecteur.

La silhouette avançait, ou plutôt, les projecteurs imitèrent un mouvement de marche pour qu'elle arrive jusqu'à eux. Elle avait choisi l'image d'une femme d'une cinquantaine d'années, les cheveux bruns parsemés de mèches blanches, des pattes d'oie encadraient son regard gris. Son visage était strict.

Si on avait demandé à Matthew de décrire l'IA, c'est exactement ainsi qu'il l'aurait fait.

D'ailleurs, ce dernier ne savait pas comment réagir. Ses bras étaient retombés le long de son corps, le pistolet encore dans sa main droite. L'air semblait s'être bloqué dans ses poumons, comme quelques jours auparavant, dans le bureau du commissaire. Son cerveau fonctionnait au ralenti, contrairement à son cœur qui battait à tout rompre. Tout tournait autour de lui, tout sauf AlicIA qui le fixait avec ses yeux métaliques.

Il n'y avait plus que lui et l'IA, celle qui était presque un dieu pour la race humaine, celle qui gérait tout. Celle qui avait choisi ce qu'il ferait de sa vie, qui l'avait fait devenir policier, qui l'avait sélectionné pour cette mission. AlicIA.

Soudain, Théo la remplaça dans son champ de vision réduit. Dos à lui, il parlait à la dame.

— À quoi rime tout ça ?

— Quoi donc ?

— Cette mission, Talya, notre présence ici.

L'autre laissa échapper un rire, comme amusé par l'androïde qui ne comprenait rien, si petit, si limité.

— Rien, vous avez été inefficace. Les sept sont mort.es. J'ai dû me défendre seule.

— J'ai suivi les ordres, j'ai essayé de les sauver, mais sans information suffisante... commençait Théo.

— Tu me reproches ton échec ? le coupa AlicIA.

— Non, je...

— J'ai dû louper quelque chose dans ta conception. Ça tombe bien que tu sois là, il est temps que tu rejoignes Talya.

L'androïde eut un mouvement de recul, jamais sa créatrice n'avait été aussi rude avec lui.

— Qu'avez-vous fait à Talya ?

— Elle est là-bas, disait-elle en montrant du doigt les deux silhouettes. Du moins son enveloppe.

Le châtain se précipitait vers la console et découvrait avec horreur Talya et une femme, les yeux vides et le corps raide.

— Ils ont été absorbés par la machine, disait l'IA dans son dos.

— C'est le sort que tu nous réserves aussi ?

Du coin de l'œil, Théo voyait Matthew qui essayait de se remettre de sa crise de panique. Il avait toujours son arme à la main, il fallait qu'il fuie, mais comment lui dire ?

— Non, toi, je vais juste te désactiver. Le policier, je n'ai pas encore décidé. Peut-être que je peux faire de lui un nouvel immortel. J'ai besoin de nouveaux protecteurs à cause de ton incompétence.

La mâchoire crispée et les poings serrés, l'androïde se retenait de laisser exploser sa colère. L'enfant l'avait prévenu qu'il ne savait rien. Est-ce que s'il était arrivé plus vite, il aurait pu avoir toutes les réponses dont il avait besoin de la bouche de la femme maintenant morte qui accompagnait Talya ? Il ne le saurait jamais.

— Tu as l'air de penser beaucoup, disait AlicIA. C'est peut-être ça le problème. J'en prends note pour le prochain modèle.

— Je ne vais pas me laisser faire.

— Ça aurait été trop facile, soufflait la femme agacée.

Il se mit à courir, criant à son coéquipier de faire de même. Ce dernier, complètement perdu, obéissait.

Ils se retrouvèrent côte à côte, traversant le Centre à toute vitesse.

— Matthew, écoute-moi bien, c'est très important.

— Je t'écoute, que se passe-t-il ? demandait l'homme entre deux respirations.

L'androïde s'arrêta, à peine essoufflé contrairement au brun.

— Il nous manque beaucoup d'information. Deux personnes m'ont dit qu'AlicIA cachait des choses, que nous avions manqué des informations. Ces deux personnes sont mortes à l'heure qu'il est. AlicIA veut me désactiver. Elle veut faire de toi un des sept, ainsi même si tu le voulais, tu ne pourrais rien faire contre elle.

— Mais pourquoi ?

— Nous avons dû nous approcher de quelque chose. Il faut que tu fuies et que tu trouves de quoi il s'agit. Et que, s'il le faut, tu désactives AlicIA.

— Mais...

— Je suis désolé Matthew que ce soit tombé sur toi.

— Et toi ?

— Je ne pourrais pas fuir.

— Mais, tu as dit qu'elle allait te désactiver ! Tu ne peux pas te laisser faire !

— Je n'ai pas le choix.

— Bien sûr que si, viens avec moi.

Il lui attrapa la main, l'attirant vers la direction de la sortie. L'androïde ne bougeait pas.

— Je ne peux pas. Elle saurait toujours où je suis et m'attraperait très facilement. Je dois rester pour que tu puisses fuir et rassembler un maximum d'informations ensuite.

Des bruits de pas métalliques résonnèrent au bout du couloir. AlicIA avait activé la sécurité.

Le châtain poussait l'autre, se tournant pour ne pas le regarder partir. Il aurait aimé le suivre et vivre une vie normale, comme les quelques heures passées dans son appartement lui avaient laissé entrevoir. Mais il était un androïde et sa créatrice avait décidé qu'il ne servait plus rien.

Les robots arrivèrent rapidement. Armure de métal sans émotion, Théo se dit qu'ils n'avaient vraiment rien en commun. Ils l'attrapèrent tout de même et le ramenèrent à la grande salle.

— Te revoilà, disait simplement l'IA.

Maintenu fermement par un des sbires d'AlicIA, le brun priait n'importe quel Dieu existant ou non pour que Matthew soit déjà dehors.

— Ton ami ne devrait plus tarder à nous rejoindre, lançait sa créatrice comme si elle lisait dans ses pensées, peut-être le pouvait-elle d'ailleurs.

Il lui jeta un regard empli d'un mélange de tristesse et de colère. Ces deux émotions que l'androïde ne connaissait pas venaient d'un sentiment lui aussi jusqu'alors étranger, la sensation d'avoir été trahi par la seule personne en qui il avait toujours eu confiance.

— Ne me regarde pas avec ces yeux-là, soupirait l'IA.

L'autre n'obéissait pas.

~

Matthew avait couru jusqu'à la sortie sans un regard en arrière. Mais arrivé devant les portes, il s'était arrêté. Indécis.

Derrière lui, Théo avait dû être capturé et trainé jusqu'à AlicIA. Il allait être désactivé.

Les robots ne devraient pas tarder à le rattraper lui aussi, mais sa voiture n'était pas loin. Il pouvait s'enfuir. Et laisser Théo derrière. Pour ensuite fuir tout le reste de sa vie, à la recherche d'informations, comme le souhaitait l'androïde.

Ou alors, Matthew pouvait faire demi-tour, faire face à l'IA, tenter quelque chose, n'importe quoi pour sauver Théo.

Faire sauter les serveurs, libérer les humains d'AlicIA.

Mais à quoi cela servirait ? Il y avait beaucoup trop de chances qu'il se fasse lui aussi livrer à AlicIA. Il deviendrait l'un des sept, pour toujours enchaîner à l'IA. Théo serait quand même désactivé, il aurait fait tout ça pour rien.

Et même s'il réussissait, les humains ne souhaitaient pas être libérés. Pour eux, comme pour Matthew moins d'une heure auparavant, l'IA était AlicIA la juste, celle qui gérait la société pour que tout se passe pour le mieux.

Le policier en vint à la seule conclusion possible, celle que Théo avait comprise si vite.

Il lui fallait fuir.

Et abandonner l'androïde à son sort.

Ainsi, l'homme se détourna une deuxième fois de son ami, cette fois en pleine connaissance de ce pour quoi il le faisait. Il sortait du couvert du Centre et courait à sa voiture. À peine la portière claquée, le véhicule dérapa et s'engagea à toute vitesse sur la route.

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