Sixième partie - Chapitre 34

Claire écouta les pas se rapprocher, comme un long martellement qui annonçait un basculement, les coups de bâtons précédant le lever de rideau sur un nouvel acte, la rappelant à la réalité, la forçant à ramener son esprit de la langueur dans laquelle il s'était enfoncé.

Elle ne cessait de fixer Mathieu, s'accrochant à son regard, cherchant à retrouver quelque chose de solide, et non de flou, mais son esprit était empli de brume.

– Ne bouge pas, dit-il d'une voix ferme, mais douce.

C'était un ordre.

Elle l'accepta. Elle était venue là pour ça. Si elle avait été perdue, auparavant, ce n'avait été qu'une pâle répétition de ce qu'elle vivait désormais, mais ça aussi, elle l'acceptait.

Elle l'avait voulue, après tout : cette perte dans les profondeurs de la soumission...

Lentement, le claquement se répercuta sur les murs de la pièce, approchant.

Quand elle fit rouler son crâne sur le côté, elle vit le pantalon blanc enfoncé dans les bottes, les seins arrogants sous le chemisier transparent et le regard ourlé de noir, inquisiteur, bordé par le chapeau melon. Tout dans l'attitude d'Isabelle marquait sa conscience d'entrer dans une situation où elle n'était pas invitée, de franchir un interdit, et de le faire non seulement consciemment mais avec une provocation volontaire.

Elle s'arrêta à côté d'eux.

Claire n'avait eu aucune idée de qui venait les rejoindre avant d'apercevoir Isabelle. S'il s'était agi d'Olivier, probablement lui aurait-elle ouvert la bouche ; il aurait certainement voulu s'y enfoncer. Si ça avait été la maîtresse... elle n'aurait su.

De réflexe, elle bougea les bras, ses menottes se rappelant à son esprit quand elles l'empêchèrent de les ramener à elle. Elle ne pouvait pas être plus consciente de sa position de vulnérabilité, avec ses poignets attachés et les mains de Mathieu resserrées sur sa chair... son sexe profondément fiché en elle, y pulsant, la faisant languir qu'il se déhanche de nouveau. Impudique autant qu'objet. Elle adressa un regard de détresse à Mathieu. Il réagit en poussant sur ses cuisses, les écartant plus encore, la défiant de se montrer embarrassée. Il la fixa profondément du début à la fin de ce geste. C'était une leçon comme une provocation. Elle essaya de l'encaisser. Ce ne devait pas être la première fois qu'Isabelle voyait Mathieu ainsi. Du moins, leur attitude à tous deux le laissait deviner.

Claire ferma brièvement les paupières, tâchant d'accepter.

Tâchant, toujours.

– Qu'est-ce que tu veux ? lâcha Mathieu d'un ton sec à l'intention d'Isabelle.

Isabelle eut un fin sourire en coin.

– Là tout de suite, je dirais : regarder.

Elle était provocante dans chacun de ses gestes, dans le moindre de ses regard, jusqu'à ses mots.

Mathieu eut un léger rire, entre l'incrédulité et l'amusement. Son expression se mua cependant en quelque chose de brulant alors qu'il reportait son attention sur Claire.

– Alors, tu vas regarder, dit-il.

Mais il ne bougea pas, comme pour lui laisser la possibilité de s'opposer si elle le voulait, comme pour l'inciter à le faire... Elle ne le fit pas. C'était comme l'enfoncement dans un processus qu'elle ne maîtrisait pas : ces règles, qui la désorientaient à chaque fois, ce besoin de lui, cette rupture permanente entre l'envie de se perdre, irrépressible, que Mathieu lui faisait éprouver et les épreuves auxquelles il la confrontait... Ce don, à lui, dans son paroxysme. Et cette soumission dont les contours différaient à chaque fois des esquisses qu'elle avait pu s'en faire, pas tout à fait différents mais pas tout à fait similaires, non plus : le passage à la réalité les rendant « autres »...

Ce n'était pas la première fois qu'elle était ainsi offerte en spectacle. Elle avait été prise par Mathieu et Olivier, en même temps. Elle avait sucé Mathieu devant Isabelle, et par deux fois déjà, ainsi que devant les autres dominants du club. Tous avaient regardé Mathieu bloquer sa tête contre le mur avant de baiser profondément sa bouche. Avant ça, elle avait même été à une soirée qui avait viré à l'orgie, la laissant observer, curieuse, ces corps qui s'ébattaient autour d'elle tandis qu'elle offrait le sien à leur vue.

Mais Isabelle n'était pas juste un « corps », elle n'était plus non plus l'inconnue devant laquelle Claire s'était livrée sans rien savoir la première fois. Elle était froide, dure et, Claire le savait parfaitement, désormais : elle ne l'aimait pas.

– Dis tes safewords, exigea Isabelle, cette fois en s'adressant directement à elle.

Claire ne put répondre... Tremblante, elle chercha l'aide de Mathieu mais celui-ci avait fermé les paupières, en proie à une concentration intense. Son sexe pulsait en elle et elle put voir tout ce qu'il faisait pour se retenir de s'y déhancher, à quel point il prenait sur lui. Lorsque ses yeux se rouvrirent, l'ampleur de son désir la frappa de plein fouet et, durant un instant, ce fut comme s'ils n'étaient encore que deux : lui, elle, et ce qui se jouait entre eux, seulement. Il ne la quitta pas des yeux, semblant réfléchir.

Puis il souffla :

– Dis-les.

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