Neuvième partie - chapitre 50


Note d'autrice : Petite musique d'ambiance pour ce chapitre. Elle est citée à l'intérieur. A lancer dès le début si vous le voulez.

***


Elle aurait dû se lasser.

C'était ce qu'elle se disait parfois, alors qu'elle traversait les paysages de sa région, mais ce n'était pas le cas. Elle s'éblouissait à chaque instant. Elle longeait les champs de lavande en s'émouvant de l'éclat de leur couleur, elle savourait chaque vue sur le Mont Ventoux qui les couvait, plus haut, elle contemplait la roche, elle suivait des yeux les nuages dans le bleu du ciel et la manière dont les clochers des villages s'y détachaient. Les dégradés de vert des collines la touchaient, et les vues retombantes sur les petits champs qui étendaient leurs lignes au pied de montagnes bleues semblaient l'appeler à une contemplation sans fin.

Et à chaque seconde, à chaque sensation de l'air battant ses cheveux à travers la fenêtre ouverte, elle songeait à Mathieu. Et à ce qu'elle peinait à laisser sortir d'elle, ce qui réclamait de s'échapper mais qu'elle s'acharnait à contenir, de peur de le voir déborder.

Qu'est-ce que tu fous, Claire ?

C'était la question qui était sortie brutalement de la bouche de Béné, à l'époque du lycée, quand elle avait vu Thomas pour la première fois, soit celui qui allait devenir son compagnon pour les années à venir... C'était aussi le jour où Claire avait perdu sa virginité et cette question lui était restée à chaque instant en mémoire, à chacun de ses vêtements ôtés, à chacun des contacts de la bouche de Thomas sur son corps, à chaque sensation de sa main sur sa peau. C'était leur différence d'âge qui avait rendu la situation choquante, elle l'avait su : ces 10 ans de plus qui avaient fait de Thomas un homme face à la jeune fille qu'elle était alors, mais pas seulement. Le dessus qu'avait Thomas sur elle était déjà flagrant. Et, alors qu'il la touchait, elle n'avait pu ôter de sa tête cette sensation de faire n'importe quoi.

Aujourd'hui, cette question lui revenait, mais pas dans le même sens. C'était curieux, d'ailleurs. Elle ne se demandait plus pourquoi elle le « faisait » mais pourquoi elle résistait. Pourquoi elle avait autant de mal à voir les sentiments qu'elle éprouvait comme autre chose que du danger...

Parce que la pente était trop glissante, le sol trop meuble et le précipice trop grand, derrière... Et que, si elle s'y engageait, elle ne savait pas jusqu'où elle se ferait emporter.

C'était ce qui se répétait en elle, tout le temps. Et pourtant, une question s'y était ajoutée :

Dis-moi, Claire : qu'est-ce que tu fous ?

Elle bifurqua depuis la nationale pour s'engager sur le petit chemin de campagne menant à la ferme de l'oncle d'Olivier. Jay Jay Johanson chantait Suffering dans les hauts parleurs de la voiture, Béné rêvait assise à côté d'elle, Camille restait silencieuse à l'arrière, et les herbes sèches défilaient à leurs côtés.

Le battement dans sa poitrine ne se calmait pas, fruit du contraste entre son besoin de voir Mathieu, qui mettait de l'impatience dans ses jambes, et la peur qui l'engluait.

En parvenant en vue de la ferme où il travaillait, elle ralentit. Olivier lui en avait donné l'adresse. Mathieu ne répondait pas, alors elle l'avait appelé, lui. Des platanes bordaient le chemin et la bâtisse se dessinait peu à peu, au loin. Le ciel n'aurait pas pu être plus radieux.

– Alors, on récapitule, dit Béné. Grand ? Blond ?... Grosse queue, mais ça, ça ne va peut-être pas être la première chose qui va se voir, hein ?

Claire rit.

– Allez, ça va...

– Je te rappelle que c'est à peu près la première chose que tu nous as dit sur lui !

– Oui, je sais !

– Et que tu ne nous as pas dit grand-chose de plus !

– C'est déjà pas mal, lui fit remarquer Claire.

– Mouais.

Claire sourit. Elle méritait bien que son amie se moque d'elle. Longtemps, elle avait refusé de voir en Mathieu plus que l'attraction personnifiée, quand bien même leurs affinités avaient tout de suite été flagrantes, quand bien même elle avait senti en lui ce « quelque chose » qui les liait, et qui était tout sauf ce qu'elle s'était attendue à trouver dans ce donjon. Mais c'était plus facile, ainsi. Parler de lui comme une aventure sexuelle, se laisser guider par ses mains... Elle avait tout voulu savoir de lui, immédiatement. Elle n'en était pas moins restée distante, inquiète, incapable de se projeter dans un avenir improbable entre ses bras.

– Tu ne pourras pas le louper, dit-elle.

– Comment tu le sais ?

Elle haussa une épaule. Elle ne voyait pas comment on pourrait ne pas remarquer Mathieu, en fait, mais Béné verrait par elle-même. Derrière elles, Camille restait silencieuse.

L'air embauma plus vivement la terre quand elles se garèrent dans la grande cour devant le bâtiment. Elles sortirent de la voiture. De nombreux autres véhicules étaient déjà stationnés. De l'espace où elles se trouvaient, elles avaient une jolie vue sur la plaine et les montagnes, au loin.

Nerveusement, elle fouilla dans la poche de son veston en jean pour en extirper son paquet de clopes froissé.

– Qu'est-ce que tu as ? demanda Béné alors qu'elle glissait entre ses lèvres une cigarette tordue.

– Je stresse.

Elle n'en sourit pas moins, en disant ça. Pudeur idiote, peut-être. Ou simplement l'amitié qu'elle éprouvait.

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