Chapitre 86
Elle essaya de se recentrer pour réfléchir à la demande de Catherine.
Ce qu'elle voulait...
Libérer Mathieu sur le champ. C'était ce qui occupait le plus fortement son esprit ou, plutôt, la partie raisonnée de ce dernier. Il y en avait une autre, plus infime, qui voulait explorer la brulure qui se faisait dans son bas-ventre à voir Mathieu s'offrir ainsi. C'était pervers, et perturbant, et « anormal », comme le disait Mathieu à propos de lui, dans sa définition la plus pure : en dehors de la normalité. Mais c'était là. Et c'était entre lui et elle. C'était ce qui faisait qu'ils se ressemblaient tellement. Et qu'ils étaient deux, qu'ils avaient été deux, dès le début, qu'il y avait eu cette flamme, improbable et inattendue, qui était née, qui s'était manifestée dès leur première rencontre et qui était toujours là... Qui restait là. Qui ne faisait que gonfler, en permanence.
Le souffle de Mathieu s'éleva, court mais ferme :
– Elle veut.
Claire fut sidérée par cette déclaration, mais la maitresse ne lui offrit pas le loisir de remonter des profondeurs où elle s'était enfoncée. Elle alla reposer le fouet pour saisir elle-même la cravache, avant de revenir vers Claire.
Et puis elle répéta, en montrant les zones concernées :
– Pas de force. Ici ou là. Seule la surface souple du bout doit toucher le dos. Un coup.
Le regard qui plongea dans ses yeux n'était plus froid ou provocant, comme auparavant. La maitresse l'observait comme si elle était son égale : comme on le fait avec quelqu'un à qui on offre soudainement sa confiance.
Claire ne lâcha pas la maitresse des yeux. Elle était aux limites du vertige, mais elle ne faillait pas. Et elle tiendrait droit, elle le savait, maintenant.
– Vas-y, dit enfin la maitresse.
Claire ouvrit la main, ses doigts se desserrant d'eux-mêmes. Comme dans un songe, elle saisit la cravache qui lui était donnée. Puis elle observa le dos de Mathieu mais pas seulement. Elle observa tout ce qu'il était, et tout ce qu'il donnait, et tout ce qui faisait que chacun attendait ce geste d'elle. Ce dernier coup, pour mettre un point à ce qu'il se produisait. Elle dit :
– Je veux rester seule avec Mathieu.
– Un coup, d'abord, exigea la maitresse.
Claire se mordit les lèvres. Elle fut sur le point de rétorquer mais la maitresse précisa :
– Un coup, devant mes yeux. C'est moi qui porte la responsabilité de la sécurité de Mathieu, encore. Pour l'instant, en tout cas.
Après, elle cèderait la place. C'était sous-entendu dans ses mots.
Claire hocha la tête. Son esprit bourdonnait avec force, mais elle comprenait. Elle parvenait quand même à ça : à saisir la justesse de cette remarque.
Elle examina l'objet entre ses mains.
Il ne paraissait plus si effrayant, maintenant que c'était elle qui le tenait, finalement.
Il ne paraissait plus si incroyable que ça.
Mathieu enfouit son visage dans son bras et soupira d'une voix douce, comme un « don » :
– Vas-y.
Claire en fut encore plus perturbée.
– Tu es sûr ? demanda-t-elle.
– Oui.
Elle soupira profondément.
Il y avait la cravache dans ses mains et la maitresse qui avait reculé, se mettant en retrait par rapport à elle, à eux. Et le dos de Mathieu, étendu, fascinant dans sa nudité. Le fouet y avait laissé des marques distinctes, mais le nombre de coups n'avait pas été suffisant pour couvrir toute sa peau. Il restait des espaces non touchés. Là, sur la droite de son corps, en particulier. Elle fixa avec attention ce point.
Elle élargit de nouveau sa vision pour examiner Mathieu dans son entièreté. Mathieu avec sa respiration calme. Dans l'attente. Mathieu qui s'offrait à la fascination qu'elle avait pour cet acte, dans l'immensité de ce qui était lui, dans sa force, dans sa puissance... Il avait montré, déjà, autant de par l'annonce de ses safewords que par la manière dont il s'était battu juste avant contre ses chaînes, qu'il ne se donnait que parce qu'il le voulait. Il pourrait rompre la séance d'un mot. Et il lui demandait d'aller jusqu'au bout.
Dans une pulsion inattendue mais apaisée... curieusement apaisée, elle leva la main et elle se focalisa sur la zone de chair non atteinte qu'elle avait remarquée, elle se concentra dessus...
Lorsque sa main partit, ce fut finalement simple. Ce fut comme si elle n'avait qu'à user de la liberté de mouvement qu'elle possédait soudain, comme si tout autour d'elle le lui concédait. La cravache fusa et son extrémité vint frapper la chair de Mathieu, claquant dans un son plus fort que ne s'y était attendue Claire, mais sexuel – elle n'en eut aucun doute en voyant le dos de Mathieu rouler sous l'impact – et aussi dans une vibration curieuse qui remonta du manche de l'objet jusqu'à sa main, puis le long de son propre bras, puis jusqu'à son épaule et... redescendit jusqu'à se ficher juste dans son entrejambe. Tout juste là. Ses chairs se contractèrent en faisant remonter la douce brulure de l'excitation. Alors, avec une fascination assumée, elle contempla la manière dont Mathieu encaissa le coup, et dont ses muscles s'étirèrent, et dont sa respiration en fut affectée... et dont il se donna. A chaque instant.
Elle lâcha enfin la cravache au sol.
– Sortez, maintenant, souffla-t-elle à l'intention de la maitresse.
Elle ne pouvait détacher son regard du corps de Mathieu.
La vague de puissance qui était en train de l'envahir dans cette prise de pouvoir, elle la laissa déferler. Elle n'en fut pas moins perturbée. Et elle le fut tout autant quand elle contourna le corps de Mathieu pour se trouver enfin en face de lui, et voir son regard, et plonger dans ses yeux, parce que ceux-ci étaient emplis de besoin, d'offrande, d'épuisement... mais pas seulement. D'amour, aussi. D'abandon à quelque chose de plus qu'elle, de plus gros qu'eux.
Quand la maitresse s'arrêta auprès d'elle, Claire sentit sa présence mais ne tourna pas son visage.
– C'était donc la dernière, murmura la maitresse à Mathieu.
– Oui.
Il y avait de l'affection dans leur ton à tous deux, une forme de tristesse réciproque dans cette rupture.
Durant un temps, ils ne dirent plus rien, restant dans ce silence immobile, puis la maitresse se retourna et elle quitta lentement la pièce. Le claquement de la porte résonna derrière elle.
Claire resta à contempler Mathieu, à ne voir plus que lui. Tout se mélangeait en elle : le besoin, le désir, la soif de toucher sa peau, ses lèvres... et par-dessus tout, le trouble. Le trouble, mêlé à une curieuse sensation d'apaisement.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top