Chapitre 72
Mathieu se redressa pour s'écarter d'elle.
– Tu t'habilles comme ça ? lui lança Olivier.
– Oui.
Elle avait passé une robe sage qu'elle avait achetée quelques jours auparavant et dont le col en V plongeant était la concession faite à l'univers sexuel dans lequel elle s'apprêtait à se rendre. Elle baissa les yeux pour la regarder.
Ça avait été évident, quand elle l'avait vue dans la vitrine du magasin ; ça l'avait été moins quand elle avait vraiment dû faire son choix plus tôt dans la journée. Jusque-là, elle s'était présentée au club en novice, non connaisseuse du dress code la première fois qu'elle y était venue, et exposée en objet sexuel la suivante, quasiment nue, avec son corps comme terrain de jeux aux envies de Mathieu. Puisqu'elle devait désormais jouer à l'inversion des rôles, observatrice aux côtés de la maîtresse, choisir une robe claire lui avait semblé de circonstances. Le beige pâle de celle-ci tranchait avec le noir qu'elle avait porté jusque-là, lui donnant la sensation de revenir à une forme de virginité.
Elle demanda :
– Ça ne va pas ?
– Si.
– Ça te donne des airs de Belle de jour, commenta Mathieu.
Claire lui adressa un regard interrogateur.
– Tu n'as pas vu le film ?
– Non.
Il enchaîna :
– Tu connais l'histoire ?
Elle fit un signe négatif de la tête.
Elle en savait juste l'univers sulfureux.
– C'est celle d'une femme qui n'arrive à trouver la libération que dans une sexualité non conventionnelle, poursuivit Mathieu.
Ces propos lui semblaient adressés de manière plus profonde. Elle devina :
– Le S.M.
– Non. La prostitution.
Elle observa Mathieu, toujours adossée au mur. Elle buvait ses paroles, elle s'en rendait compte. Elle buvait le trouble qu'il y avait entre eux. Elle savourait chacun de ses regards, chacun de ses souffles, chacune de ses intonations.
– J'imagine que ça se finit mal.
– Bien sûr.
Ça se finissait toujours mal, ce genre d'histoire. Toujours dans le drame.
Olivier intervint :
– C'est normal.
– Il faut forcément que ça se finisse mal ? dit-elle.
– Oui.
Elle eut envie de demander « pourquoi ? » mais elle se retint de le faire. Elle le savait, en réalité. C'était une question de morale. Derrière des abords provocants, ces histoires retournaient toutes vers une certaine forme de morale, à l'arrivée : les personnages transgressaient mais ils ne pouvaient pas trouver le bonheur ainsi. Il se devait d'y avoir une sanction, ou un retour en arrière, mais la sanction était souvent le point final. Point de salut, mais la mort, la souffrance ou la folie. Souvent la folie, d'ailleurs. On ne pouvait être libre sans être fou. Ou plutôt : une femme ne pouvait l'être. C'était la morale perverse qui revenait à chaque fois.
Claire reporta son attention sur Mathieu. Elle remarqua l'attitude de retrait qu'il avait prise, comme si une distance était en train de se créer entre eux. Pourquoi ?
Mathieu ne l'avait pas embrassée, mais ça, elle y était habituée. C'était souvent ainsi, quand ils entraient dans un rapport de domination et de soumission, mais les limites étaient devenues trop floues, avec cette histoire de punition à venir, pour qu'elle sache à quoi elle devait s'attendre. Qui seulement avait le dessus sur l'autre, désormais ? Et qui l'aurait ? Qui prendrait, qui se donnerait ? Quel serait le dénouement de leur histoire, à eux ?
Lorsque Mathieu reprit la parole, elle eut le sentiment d'avoir un début de réponse :
– Si tu ne veux pas venir, ne viens pas, souffla-t-il.
Il lui dit ça avec douceur, comme s'il cherchait à la protéger ou bien à savoir, lui aussi. Comme une façon de lui dire qu'il ne la forçait pas : qu'elle n'était pas obligée d'assister à ce qui allait suivre, qu'elle pouvait même s'enfuir tout de suite, si elle le voulait.
Claire en fut interloquée.
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