Chapitre 70
Après un temps de silence, Béné lança :
– Et pour ta soirée, alors, tu es prête ?
Claire leva les yeux sur elle. Cette question-là l'embarrassait mais quelles questions pouvaient être abordées, sur sa vie, sans toucher à des sujets sensibles, de toute façon ?
– Oui, répondit-elle.
Enfin, « matériellement », oui : elle avait une robe. « Psychologiquement » était un autre sujet, mais elle s'évertuait à l'être.
– Vu que cette fois, il n'y aura pas de thème, ça rend moins difficile le fait de trouver comment s'habiller.
– Pas de fétichisme ? lança Hugo.
– Pas même de Nuit noire, dit-elle.
Ce serait la première fois qu'elle irait au club en dehors de ces soirées codifiées, finalement. Pas de thématique de soumission, pas de dominateurs et dominatrices participant à des « représentations », rien de prévu... Si ce n'était cette punition, bien sûr. Mathieu sur l'autel des supplices et elle en spectatrice... Plus elle y pensait, plus son esprit formait des scénarios extrêmes. Elle aurait aimé purger son cerveau de telles idées.
Ou pas.
Ça restait trouble, en elle.
L'image de Mathieu, à sa merci, lors de leur dernier rapport sexuel, ne cessait de lui revenir. Cette façon dont il s'était laissé faire, dont il s'était donné, avec ces airs de bête à apprivoiser, de griffes rentrées prêtes à ressortir, à tout instant. La sensation de pouvoir qu'elle en avait éprouvée, en particulier, ne cessait de la perturber.
– Tu as changé, lâcha Camille.
Et elle dit ça comme ça, avec cette absence de jugement qu'elle avait toujours : simple observation de sa part.
– Oui.
– Tu es plus libérée, précisa-t-elle.
Claire hocha la tête.
– Plus en accord avec moi-même, oui.
C'était curieux, cette évolution qu'elle sentait en elle : ce « cap » qu'elle avait passé, comme l'avait nommé Mathieu. C'était comme si elle se retrouvait, soudain. Elle, telle qu'elle avait été dans son adolescence, mais grandie. La même, en plus âgée. La version adulte de l'enfant qu'elle avait été. Elle, après des années à avoir eu la tête sous l'eau, sortie à l'air libre, enfin.
Lorsque son téléphone sonna, elle l'attrapa d'une main rapide et y jeta un œil.
Le nom de Mathieu s'affichait. Elle prit une longue inspiration.
Ce qu'elle éprouvait était confus. Du besoin, massif. De l'exaltation à l'idée de l'entendre. Du trouble. Tous à égale intensité.
– Mathieu, souffla-t-elle en décrochant.
– Claire.
Et la manière dont il prononça son nom fut comme un baiser. Un instant, elle fut l'adolescente qu'elle avait été : celle qui n'avait pas peur, celle qui s'émerveillait d'aimer. Ce ne dura pas. Les ombres de la soirée à venir étaient sur eux. Celle de la maîtresse en premier. Les non-dits, aussi. Elle ne pouvait les ignorer.
Elle se leva pour s'éloigner de quelques pas.
– Tu es prête ? lui demanda-t-il.
Mathieu, qui allait toujours si rapidement au but...
– J'ai fait un saut à la maison de famille d'Hugo. Je suis avec Béné et Camille. Mais... oui. Je peux être rentrée chez moi dans un quart d'heure.
– Sois-y, alors. On passe te chercher, avec Oliv'.
– D'accord.
Et, alors qu'elle aurait dû raccrocher, elle ne le fit pas. Et Mathieu ne le fit pas non plus. Ils restèrent tous deux silencieux, avec le temps en suspens et, un instant, elle songea à lui lâcher ces mots qui ne voulaient pas sortir. Et tout déballer, tout relâcher, et ce fut comme si un dialogue muet se tenait. Tous deux écoutaient le silence de l'autre. Tout ce qui n'était pas dit. Tout ce qui aurait pu être exprimé. Mais tout bloquait. Tout coinçait. Les valves ne s'ouvraient pas, serrées à leurs plus haut niveaux.
Puis Mathieu raccrocha.
Les mots non prononcés planèrent encore dans l'air, avant de se faire emporter par le vent.
Alors, comme ça, elle se prépara à mettre le pied dans le dernier manège qui s'apprêtait à tourner : celui qui l'emporterait dans une nouvelle ronde dont elle ne parvenait ni à anticiper le déroulement, ni à imaginer l'issue.
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