Chapitre 67


Lorsqu'Hugo lui tendit une bière, Claire le remercia. Elle saisit la canette, muette sur ses pensées – muette sur les interrogations qui persistaient en elle – et l'ouvrit. Elle observa Hugo s'asseoir à la table. Ils étaient vraiment adorables, tous les deux, avec Béné. Savoir qu'ils allaient vivre ensemble lui mettait du baume au cœur. C'était la belle aventure de ceux qu'elle aimait.

– Alors, où en sont les amours ? lança Hugo avant de porter sa bière à ses lèvres.

La question qu'il ne fallait pas poser. Béné s'était assise au bord de la piscine, les jambes trempant dans l'eau tandis qu'elle bavardait avec Camille.

Elles en sont qu'elles sont prêtes à se noyer dans les remous obscurs d'une punition aux conséquences inconnues, songea-t-elle. Mais elle préféra objecter :

– Pourquoi mes « amours » ? On ne parle plus de mes histoires de fesses, maintenant ?

Elle le taquinait en disant ça, mais c'était normal, avec Hugo, et plein d'affection. Il aurait été plus facile de se contenter de parler de sexe, comme avant. Elle n'aurait pas eu à s'impliquer émotionnellement. Elle n'aurait pas eu à s'impliquer du tout. Mais elle ne fonctionnait plus comme ça, maintenant. Elle avait changé... C'était bizarre, d'y songer, mais c'était le cas. Et, d'une certaine manière, c'était bien. Oui, c'était bien.

– Tu oublies que Béné me raconte tout.

Claire sourit, touchée.

– Je n'en doute pas...

Hugo but une gorgée.

Claire essaya de répondre à la question. Quelques semaines auparavant, elle aurait maintenu le silence, mais elle ne se refermait plus ainsi, désormais. Elle ne le voulait plus.

– J'en suis que je ne sais pas où j'en suis, avoua-t-elle.

– Il faudra bien le savoir, pourtant.

– C'est sûr.

Mais il lui manquait des clefs, pour ça.

– Peut-être que...

Elle se demanda de quoi elle était capable maintenant. Ce qu'elle aurait fait, avant : avant que Mathieu l'aide à changer, ainsi, elle le savait parfaitement bien.

Les mots qui vinrent, elle les laissa sortir, même s'ils lui écorchèrent les lèvres :

– Le « moi » d'avant aurait simplement tourné la page.

– Comment ?

Elle haussa une épaule. Des paroles amères s'échappèrent :

– « Merci pour le sexe, c'était cool ». « Merci pour m'avoir permis de m'ouvrir », « merci pour la libération ! ».

Elle soupira.

– Il faut que j'avance, reprit-elle. C'est ça le truc.

Qu'elle ferme cette parenthèse, maintenant. Qu'elle aille de l'avant.

– Quitte à en souffrir ?

– Oui.

Le désarroi qui monta alors en elle la surprit : trop violent, trop inattendu. Elle ne le réprima pas. Elle accepta tout : les émotions comme la conscience du fait qu'elles s'affichaient sur son visage. Elle leva les yeux sur Hugo.

– Je souffre déjà.

– Pourquoi ?

– Parce que j'ai échoué.

Parce qu'elle était tombée amoureuse.

Ça pouvait paraître ridicule et pourtant, c'était bien ce qu'il s'était passé.

– Echoué à te préserver ?

Elle sourit. Hugo connaissait ses réserves. Tous ses amis savaient à quel point son histoire avec Thomas l'avait laissée fragile.

– A ne plus dépendre des sentiments éprouvés pour quelqu'un, confirma-t-elle.

Elle ajouta :

– A ne plus aimer.

Elle s'était plantée en beauté.

– Et avancer, c'est avancer seule, pour toi, commenta Hugo.

– Oui.

Du moins, ça l'avait été jusque-là. Désormais, elle ne savait plus.

– C'est extrême.

– Oui.

– Tu as toujours été comme ça, remarque.

– Comment ?

– Extrême.

Le petit sourire avec lequel il avait dit ça l'attendrit.

– Peut-être...

Peut-être qu'Hugo disait vrai, oui. Elle avait tendance à être ainsi. Extrême déjà quand elle s'était persuadée, adolescente, que son premier amour serait l'unique de sa vie. Extrême dans sa décision de ne plus jamais tomber amoureuse, ensuite, bien que tout le monde ait tenté de la convaincre de la démesure de cette résolution. Extrême dans son besoin de tourner la page, soudain.

Elle était consciente de ses excès.

– Je m'étais promis de ne plus jamais redevenir vulnérable.

– Et le « toi » de maintenant ? l'interrogea Hugo.

– Le « moi » de maintenant ne sait pas.

Son « moi » de maintenant naviguait dans le brouillard, entre rêves, espoirs confus et résolutions difficiles.

– Et j'en crève, ajouta-t-elle.

C'était ça qu'il fallait dire. Elle en souffrait à en crever.

– Tu as peur ?

Elle hocha la tête.

– J'ai peur, je ne sais plus rien... Et je crève.

Tout la faisait crever, de toute façon. Tout l'accablait. Cette chute vers l'inconnu, ces doutes persistants, et Mathieu qui lui avait dit « je t'aime »... Ces mots dont elle ne savait que faire. Tout tournait et retournait dans son esprit. Elle était si différente de Mathieu, tellement dans le besoin de se projeter dans un futur qu'elle aurait voulu maitrisable et qui lui échappait.

Ce soir, elle serait confrontée à la facette la plus mystérieuse de Mathieu. Celle qui lui restait si obscure... Que se passerait-il ? Ce soir-là comme après ?

Elle n'en avait pas la moindre idée. Son esprit était si plein de chaos que rien ne semblait pouvoir en sortir, de toute façon, sinon que Mathieu ne lui demanderait justement rien. C'était la seule certitude qu'elle avait. Il prendrait ce qu'elle lui donnerait, ou il crèverait à son tour de ce qu'elle lui refuserait.

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