Chapitre 42


Lorsqu'elle posa le regard sur lui, il remarqua à quel point le sommeil emplissait encore ses pupilles. Elle leva la main pour en appuyer le revers sur son front et resta immobile, à l'observer. Il chercha la peur dans ses yeux, la prise de distance, le rejet...

Mais elle se contenta de chuchoter :

– Merci.

Il ne sut comment le prendre.

– De quoi ?

Elle se frotta les paupières, semblant chercher à se libérer du sommeil, mais son regard resta embrumé. La réponse ne vint pas.

Il n'en fut pas étonné. Claire avait toujours besoin de se poser pour analyser les choses et elle se réveillait à peine. C'était ce qui l'inquiétait, d'ailleurs : ce que pourraient être ses pensées une fois qu'elle aurait repris ses esprits.

Quand elle se leva, il la regarda approcher, nue, et il posa la main sur son corps lorsqu'elle se colla à sa peau. De nouveau, il sonda ses pupilles sans parvenir à y trouver d'indice sur ce qu'elle pensait. Leurs bouches se frôlèrent, mais il se garda de l'embrasser. Il se nourrit, juste, de la sensation électrique qu'il éprouvait à sa proximité.

Elle enroula ses bras autour de son cou et elle réduisit elle-même la distance entre leurs lèvres. Il se retrouva même plaqué contre le chambranle de la porte tandis qu'elle s'appuyait brusquement contre lui. Il rit.

– Ne joue pas, dit-elle sur un ton de léger sermon, le défiant de continuer à lui refuser ce baiser.

Et elle posa la bouche sur la sienne. Leurs salives se mêlèrent, leurs langues et leurs émois avec.

Quand elle se détacha de lui, il passa la main sur sa joue et caressa du plat de son pouce sa lèvre inférieure. Le besoin qu'il éprouvait de la posséder restait constant, même collés l'un à l'autre, ainsi, même offerts aussi entièrement. Il doutait qu'il faiblisse un jour.

Comme elle ne disait plus rien, il lança :

– Tu as faim ?

– Un café, ça ira.

Il sourit.

Elle lui ébouriffa doucement les cheveux. Ils étaient encore humides.

– Une douche, aussi. Ça me fera du bien.

– Je te prépare une tasse en attendant.

Et il se détacha d'elle pour aller à la cuisine.

Tandis que la cafetière chuintait, il repensa à la manière dont Claire avait craqué, la veille.

Il avait parfaitement su ce que signifiaient toutes ces larmes qu'elle avait laissées échapper. Ce n'était pas forcément rare dans leur milieu : une séance comme celle qu'ils avaient vécue avait de quoi le susciter, à cause de sa charge émotionnelle. Le corps pouvait avoir besoin de s'en purger une fois terminée. Mais, chez Claire, ça avait signifié autre chose. Que tout ce qu'elle avait gardé en elle, que ces sentiments qu'elle avait cumulés, coincés, écrasés, avaient été relâchés. Que sortir ses safewords le lui avait permis. Mais il ne pouvait pas savoir s'il s'était agi de quelque chose de temporaire ou si Claire avait vraiment passé un cap, cette fois-ci. A chaque fois qu'elle s'était ouverte, auparavant, elle avait fini par se refermer, derrière.

Après un soupir, il se retourna pour regarder le café en train de finir de couler.

La fatigue l'accabla d'un coup, l'absence de sommeil agissant comme une lame acérée qui dénudait ses nerfs, les mettait à vif. Il ferma les paupières.

Ce ne lui suffit pas à récupérer.

Il servit deux tasses et retourna se poser dans le canapé.

Lorsque Claire revint, il était assis, la tête renversée sur le dossier, et son corps tout entier tanguait de l'intérieur, comme si une boule de métal roulait au centre de son être, le soumettant à des forces trop puissantes pour qu'il puisse tenir droit.

Il la suivit du regard. Elle flâna quelques secondes devant la bibliothèque, observant rêveusement ses livres, puis se saisit de son exemplaire du Petit prince, qui traînait devant les rangées. Il était vraiment vieux, et corné, et usé.

– C'est toi qui l'as mis dans cet état ? demanda-t-elle en le tournant dans ses doigts.

– Oui...

Il ne dit rien de plus. Elle le remit là où elle l'avait pris. Puis elle vint se lover contre son corps, enroulée dans une serviette qui dissimulait la naissance de ses seins mais laissait apparent le galbe de ses jambes. Elle posa la tête à côté de son épaule. Il l'observa.

– Merci pour... tout, souffla-t-elle enfin sans le regarder.

Il l'écouta. Il pouvait voir ce quelque chose de fragile qu'elle possédait toujours dans l'aveu : cette façon de se dénuder psychologiquement qu'elle lui concédait, parfois.

– Pour cette soirée, poursuivit-elle. Pour cette nuit. Pour avoir été là, tout le temps. Pour...

Elle leva les yeux sur lui avant de prononcer les mots suivants :

– ... m'aider à me libérer de mes chaînes.

Il ne répondit rien. Son cœur battait plus fortement que d'ordinaire.

– Pour être toi, murmura-t-elle enfin.

C'était une drôle de confession.

Il comprenait ce qu'elle disait : ces chaînes, dont elle parlait. Il l'avait vécu aussi, mais l'histoire de Claire était différente de la sienne. Claire souffrait avant tout d'un manque de considération pour elle-même. Elle se dépréciait, elle ne pensait jamais mériter l'intérêt qu'elle suscitait, ou en tout cas pas de façon durable, et elle se fermait comme une coquille dès lors qu'elle se retrouvait face à quelque chose risquant de la blesser. Et ça ne datait pas forcément de son ancienne relation, toute abusive qu'elle ait pu être. C'était plus profond que ça, en elle, une construction interne qu'elle avait eue depuis longtemps. Quelque chose contre lequel elle luttait.

– Mathieu, l'interpela-t-elle.

- Oui...

Il attendit.

Claire se pencha pour attraper sa tasse et en boire quelques gorgées. Elle la reposa.

- Raconte-moi...

Elle prit un temps.

- Raconte-moi la maîtresse. Et toi.

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