Oliv' n'avait pas tort quand il disait que sa relation avec la maîtresse était malsaine. Elle l'avait toujours été. Catherine – et c'était bizarre qu'il pense désormais à elle avec son prénom, mais il l'acceptait – se comportait avec lui autant comme une figure d'autorité que comme une amante. Elle l'avait poussé à prendre conscience de la pente glissante sur laquelle il se trouvait, elle l'avait incité à regarder sa vie en face, elle avait examiné les études dans lesquelles il pourrait se lancer, en avait lancé le mouvement, lui avait suggéré plusieurs voies, régulièrement... Puis elle lui avait cité le droit comme un pied de nez aux conneries qu'il faisait. Et ça lui avait paru juste. Passer de l'autre côté du miroir lui plaisait. Se reprendre en main. S'investir dans quelque chose, autre que ses lubies ou envies quotidiennes... quelque chose qui portait – loin mais ça le touchait – l'idée de tendre la main aux gamins paumés comme celui qu'il avait été... de la tendre au gamin qui était encore en lui, et de voir, pour une fois, l'avenir. Elle l'avait encadré dans chacune de ses démarches. Elle lui avait consacré l'attention et le soutien qu'aucun de ses parents ne lui avaient jamais donné, et que ceux d'Oliv' auraient pu lui offrir à une époque mais qu'il avait refusé. Avec Catherine, il s'était retrouvé soudain dans une voie, un projet.
Depuis quatre ans, il suait pour atteindre l'objectif qu'il s'était fixé. Et il arriverait au bout, il était inenvisageable que ça se passe autrement. Cette montagne-là, il la franchirait.
Et parfois quand il voulait payer son loyer, il apprenait que le chèque avait déjà été fait. Les premières fois, il avait cru avec sidération que ça venait de ses parents, ou de ceux d'Olivier. Puis il avait compris que c'était Catherine, sauf qu'elle n'avait jamais voulu le reconnaître. Seul son mari, un jour, avait bien voulu confirmer ses soupçons d'un sourire entendu. L'omerta était restée sur le sujet. On n'en parlait pas, on faisait comme si ça n'existait pas et Mathieu et Catherine continuaient à jouer au jeu dangereux des provocations et des punitions, des dons et des exigences, et des besoins, impérieux, qu'il éprouvait parfois de décompresser dans la brûlure de sa chair, d'y purger ses pétages de plombs, de prendre surement les claques que la vie ne lui donnait pas assez, de se remettre les idées en place. Une bonne flagellation contre une remise à zéro. Tordu, mais c'était sa vie.
Pourtant, ce temps-là était désormais révolu, aussi curieux que ce soit à admettre. Les choses changeaient... Et cette phase-là de sa vie était en train de connaître son terme. Il ne restait que cette ultime punition. Pas une fois, malgré tout, il n'envisageait l'idée de se défiler, bien qu'il soit trop dans le flou quant à ce que la maîtresse voulait exactement, mais ce n'était pas neuf, avec elle. Elle avait toujours été ainsi : mystérieuse, manipulatrice, joueuse mais d'une manière plus tendue que la sienne. Elle ne jouait pas seulement pour s'amuser. Elle jouait pour gagner. Et puis c'était comme un contrat entre eux, aussi : ce qu'elle lui avait donné, il tenait à le lui rendre, avec cette punition comme un juste retour, comme un don de sa part. Il profitait du club, mais il en respectait les règles, et s'il ne les respectait pas, il en assumait le coût. C'était normal. Les ambitions de la maîtresse vis-à-vis de Claire, juste, ne lui plaisaient pas. Les ambitions de Catherine... La situation, qu'il aurait voulu contrôler, lui échappait. Elle lui coulait des doigts comme de l'eau entre leurs interstices, quelle que soit sa volonté.
Il soupira profondément.
Dans un geste impulsif, il se leva.
Il posa sa tasse sur sa table basse, puis il alla se poster à l'entrée de la chambre.
Claire dormait toujours.
Il ne savait pas quand elle se réveillerait, mais elle représentait une fenêtre suffisamment improbable dans son monde pour qu'il n'ait aucune raison de risquer de la voir se refermer.
Il l'observa. Son souffle, si calme.
Au moment où il pivota pour repasser la porte de sa chambre, il entendit crisser suffisamment nettement les draps de son lit pour se retourner.
Claire venait d'ouvrir les yeux.
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