Chapitre 38
Claire pouvait réentendre les mots de Mathieu dans ceux d'Isabelle : ce désir de possession de l'autre, si perceptible dans ses paroles.
Mathieu pencha la tête vers Isabelle avec une expression de reproche.
– Tu n'utiliseras pas Claire pour..., commença-t-il, mais Isabelle l'interrompit aussitôt :
– Je la veux, c'est tout.
– Pour te venger de n'avoir jamais pu m'avoir ?
Isabelle leva les yeux au ciel comme s'il disait la dernière des âneries.
– Non.
– Pour avoir ce qui m'appartient, alors.
– Non plus...
Elle tourna vers le visage vers Claire.
– Tu appartiens à quelqu'un ?
– Non.
Isabelle fixa Mathieu.
– Elle t'appartient ?
Il eut un sourire légèrement amusé, comme s'il ne pouvait que convenir de l'approximation qu'Isabelle avait pointé dans ses paroles.
– Non...
Il plongea dans les yeux de Claire.
– Mais moi, je suis à elle, souffla-t-il.
Et il le fit avec tant de don à son intention, que ce fut comme s'il se déchirait la poitrine pour lui en exposer les plaies. Claire en fut stupéfaite.
Perdue, elle papillonna des paupières et eut à faire face au regard d'Isabelle qui l'observait comme si elle relevait d'un mystère qui devait être percé. Elle ne sut comment réagir.
Isabelle demanda à Mathieu :
– Tu as fait quoi, avant que j'entre ?
– Et toi ? lui renvoya-t-il.
– J'ai parlé avec Olivier...
– De moi ?
– Bien sûr que non.
Durant quelques secondes, des mots muets semblèrent passer entre eux : une compréhension réciproque dont Claire était exclue, mais elle l'avait été depuis le début, de toute façon.
Mathieu finit par sourire largement, tranchant dans le poids de l'ambiance.
– J'ai pris mon plaisir dans sa bouche...
Le coin des lèvres d'Isabelle se releva.
– Ça ne m'étonne pas.
– Tu aurais voulu voir ça, remarqua-t-il.
– Bien sûr...
Mathieu rit.
Il y avait de la connivence, entre eux. Malgré l'affrontement, Claire pouvait voir l'affection qui les liait, juste enfouie sous l'opposition permanente. Leur relation était curieuse. Si Claire l'avait toujours pensé, elle n'avait ignoré à aucun moment leur amitié, malgré les paroles dures qu'ils pouvaient avoir l'un envers l'autre.
Nerveusement, elle passa la main sur son front. Cette discussion, du début à la fin, l'oppressait. Les mots de Mathieu, aussi : ce don qu'il lui faisait, mais que les jeux de pouvoir entre eux l'empêchait de saisir, le rendant insaisissable... irréel. Elle devait sortir de cette tension.
Mathieu avait perçu sa gêne ; il lui expliqua :
– Isabelle est intriguée par toi. Comme nous tous.
– Je l'ai compris.
Elle enchaîna :
– Pourquoi ?
Cette fois, ce fut à Isabelle de répondre :
– Comme on peut être intrigué par la personne qui nous vole quelqu'un d'important.
L'idée la dérangea. Elle n'avait volé personne. Elle ne savait même pas ce qu'il adviendrait après...
– Je n'ai pas..., commença-t-elle à répondre, mais Isabelle lui coupa la parole :
– Mathieu ne s'est jamais attaché à personne, jusque-là.
Claire ravala la suite de sa phrase, sur la défensive.
– Mathieu joue, d'habitude. Mathieu ne prend jamais rien réellement au sérieux, ne respecte aucune autorité, si ce n'est celle de la maîtresse, et encore, il lui désobéit sans cesse. Mathieu est inconstant, volage et superficiel.
Elle appuya chacun de ces derniers mots, et marqua une pause en adressant un regard à Mathieu, avant de poursuivre :
– Mais, avec toi, c'est différent.
– Qu'est-ce que tu en sais ? lâcha Mathieu.
Isabelle étrécit les yeux sur lui.
– Je le vois, c'est tout. Tout le monde le voit. Il faudrait être aveugle, pour ne pas le voir. Je te connais depuis assez longtemps.
Elle pencha la tête vers Claire. Un sourire amusé joua sur ses lèvres tandis qu'elle se laissait aller à la confidence :
– La première fois qu'il est venu au club, avec la maîtresse, il était encore plus insolent que toi.
Claire éprouva du trouble à ces paroles.
Isabelle poursuivit :
– Tu sais ce que tu fais avec lui ?
– Je...
Les mots moururent dans sa bouche, la poussant au désarroi.
Isabelle laissa passer un temps. Puis elle lui asséna :
– Le problème qu'il y a, c'est celui-là. Tu devrais le savoir. Parce que lui sait ce qu'il veut de toi.
C'était une « claque », de la part d'Isabelle. Claire n'osa pas regarder Mathieu. Pas un instant, il n'avait cessé de caresser son cou de ses lèvres et son nez, ne rompant pas la lente danse en laquelle il stimulait ses sens tout en écoutant d'une oreille la conversation.
Il finit par pencher la tête pour plonger dans son regard.
– Au cas où ce n'ait pas été assez compréhensible, dit-il. Tu décides.
Et il appuya bien sur ces derniers mots.
Puis il s'écarta. Confuse, elle le regarda s'éloigner tandis qu'Isabelle s'approchait d'elle. La dominatrice tenait toujours sa cravache à la main.
– Claire ! l'interpella Mathieu.
Il ne lui dit rien de plus mais il la fixa avec insistance, comme pour lui rappeler son ultime consigne. Il s'était adossé contre le mur, en retrait, mais il ne la lâchait pas des yeux.
Elle ne savait que penser. Mathieu ne lui avait jamais laissé les rênes, auparavant, ainsi. C'était lui qui guidait, elle qui suivait. Et, elle devait l'avouer, ça avait été tellement facile de se laisser mener ainsi...
– Je ne t'attacherai pas, dit Isabelle.
La dominatrice parlait lentement, sur un ton bien autant explicatif que celui de Mathieu. Elle poursuivit :
– Je te veux pliée sur ce cheval d'arçon, les fesses vers moi.
Claire déglutit. Elle était confuse au dernier degré. Elle remarqua alors, avec un choc, qu'Isabelle avait aussi tombé le « masque ». La froideur de ses traits s'était diluée dans autre chose : une expression dont l'autorité était voilée par une attention sincère. Elles n'étaient plus seulement dans un rapport de dominante et de dominée ; elles étaient au-delà.
Isabelle recula d'un pas.
– Tourne-toi, dit-elle.
Claire ne savait plus. Sa main se perdit dans ses cheveux, passant sur son crâne sans lui permettre de mettre en ordre ses pensées. Mais, comme elle n'y parvint pas, lentement elle obéit.
– Penche-toi.
La main douce d'Isabelle la fit se plier en avant. Son ventre se posa en travers du cheval d'arçon. Isabelle poussa même sur sa tête, pour qu'elle la laisse bien en bas. Claire se rendit compte qu'elle tremblait.
La voix de Mathieu s'éleva, grave :
– Claire...
Elle écouta.
– Ton choix, dit-il. Tu sais que tu as des safewords...
Et ce fut comme une claque. Une autre.
Mathieu lui rappelait qu'elle n'était en aucune manière forcée d'accepter ce qui se préparait. Qu'elle était maîtresse de ce qu'il passait. Qu'elle le serait toujours. Et il lui demandait, pour une fois, de faire son choix. De décider, elle...
Elle relâcha sa lèvre. Ses dents s'étaient pressées si fortement dessus qu'elle aurait pu se l'entailler. Elle l'aspira même un peu pour en soulager la brûlure et elle ferma les paupières tandis que les mots tournaient dans sa tête.
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