Chapitre 14
Ce fut comme si l'espace l'aspirait pour les faire se rapprocher l'un de l'autre. En elle, le besoin d'annihiler cette distance se fit criant, associé à un sentiment bizarre : d'intimité, de lien avec lui qu'elle ne parvenait pas encore à intégrer totalement tant elle avait œuvré auparavant à se protéger de ce type d'émotion, justement. Ce qui se dégageait le plus fortement de Mathieu sur l'instant était toutefois tout sauf de la légèreté. De chacun de ses gestes suait une rébellion qu'elle ne lui avait jamais vue, comme une colère rentrée... Troublée, elle l'observa discuter avec une femme dont, malgré la distance, elle n'avait aucun doute sur l'identité. L'autorité froide qu'elle dégageait en témoignait. La puissance de sa présence. Plantée sur une paire de talons hauts, dans une mise impeccable et une tenue qui n'aurait pas dépareillé dans une grande réception parisienne, elle se tenait aussi impassible que Mathieu se montrait nerveux, mur de pierre auquel il semblait se heurter.
La maîtresse.
Et tous deux ne parlaient pas, en fait ; ils s'affrontaient. Du moins, ce fut l'impression que Claire en eut. Elle adressa un regard à Véronique, mais celle-ci fixait la scène, silencieuse et ne lui offrant pas le moindre accès à ses pensées. Claire n'aurait même pas su distinguer s'il s'agissait d'un spectacle inédit, pour elle, ou si elle avait déjà assisté à une scène comparable entre Mathieu et la maîtresse. Véronique finit par l'attraper par l'épaule et la pousser vers l'escalier.
– Monte, dit-elle avec une intonation différente de précédemment : celle de l'ordre.
– Qu'est-ce qu'il se passe ? protesta Claire.
– Je ne sais pas.
Véronique répéta :
– Monte.
Claire ne bougea pas.
– Laisse faire, insista Véronique. Mathieu nous rejoindra.
Elle tira la porte derrière elle.
– Il t'a confiée à moi, lui rappela-t-elle, et son ton était aussi calme et assuré que son regard perçant.
Claire chercha à deviner ce qui se trouvait derrière les silences...
Véronique la doubla. Elle répéta :
– Ne t'en occupe pas.
Claire dut prendre sur elle de toutes ses forces. Elle ignorait jusqu'à ce qui pouvait bien faire se heurter ainsi Mathieu avec la maitresse, mais elle n'avait jamais été aveugle sur le fait qu'il avait ses propres ombres à combattre, avec lesquelles frayer, bien qu'il soit peu enclin à en parler. Et Olivier l'avait prévenue : la maîtresse en représentait certainement l'une des plus importantes. Elle ne pouvait néanmoins intervenir dans leur échange...
Elle tâcha de se remémorer ce qu'elle avait décidé en venant ici. Ce « oui » qu'elle avait offert à Mathieu. Ce choix de se plier à ses volontés et, par extension, à celles des personnes qu'il avait chargées de le représenter. Cette confiance qu'elle avait accepté de lui donner, sans réserves.
Après un discret soupir, elle monta à la suite de Véronique. Elle ne put cesser de penser à Mathieu et la maitresse pour autant.
A peine arrivèrent-elles au petit vestibule qui servait de salle de réunion entre dominateurs, que Véronique ôta son blouson pour le jeter sur la première tablette à proximité. Un casque de moto l'y attendait. La musique leur parvenait toujours, en sourdine. Claire se demanda si Véronique était venue dans la tenue qu'elle portait ou si elle s'était changée en arrivant. Les différents sacs qui occupaient le centre de la pièce, dont certains ouverts, lui semblèrent offrir une réponse à cette question.
En voyant Véronique tapoter de ses ongles longs sur le bois de la tablette puis se retourner en rejetant ses cheveux colorés en arrière, Claire songea qu'elle avait un aspect conquérant dans sa façon d'agir qui collait impeccablement à l'image de la motarde dévalant les routes de campagne à pleine vitesse.
– Mathieu t'a expliqué ce qui allait se passer ? lança Véronique.
– Non.
– Ça ne m'étonne pas de lui.
Claire n'avait rien à redire là-dessus. Elle observa les lieux, cherchant à raviver les souvenirs qu'elle en avait.
De façon incongrue – ou peut-être n'était-ce pas le cas –, ce fut l'image de la soumise qu'elle y avait vue agenouillée au sol qui lui apparut d'abord. La première fois, la vision de ses fesses striées de rouge l'avait choquée. Aujourd'hui, c'était elle qui en offrirait une identique, pourtant.
Elle songea à la seconde fois où elle avait croisé cette fille, chez Olivier. Sa soumise. Vanessa. Sa docilité à s'agenouiller et ouvrir la bouche pour son maître l'avait stupéfiée. Claire ne pensait pas pouvoir être ainsi.
En ramenant le regard sur Véronique, elle put remarquer que Véronique l'observait avec une curiosité manifeste.
Cette dernière lança :
– Montre-moi ce qu'a fait Mathieu.
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