Chapitre 13

En la voyant dégager ses cheveux de son épaule d'un geste ample, puis avancer, Claire songea qu'elle ne pourrait jamais aborder ainsi le monde en conquérante. Elle lui emboita le pas, longeant les grands voilages sombres qui voletaient depuis les murs, intruse dans cet univers fantasque mais aux couleurs desquelles elle s'apprêtait pourtant à se grimer. Dans quelle « Claire » renaîtrait-elle après cette soirée ? Se glisserait-elle dans une peau inconnue, étrange et qui ne lui ressemblerait pas, ou se déferait-elle de celle, cornée, derrière laquelle elle se retranchait si aisément ? Finirait-elle à vif, psychologiquement, comme lors de cette séance de « marquage », avec Mathieu ?

Elle observa Véronique, si assurée, devant elle.

Autant qu'elle se souvienne, Véronique l'avait vouvoyée, lors de leur première rencontre, mais tout en la considérant de haut. Cette fois-ci, elle se comportait différemment. Son abord tranchant restait toutefois loin de la nonchalance d'Olivier ou de l'amusement marqué de Mathieu.

Elle soupira.

A chaque instant, la conscience de l'état de ses cuisses restait vibrante, dans sa tête, la perturbant.

La musique résonnait dans la salle, son rythme lent emportant les sens et donnant à Claire la sensation de s'écarter à chaque fois plus de la réalité : à chaque élévation du chant, à chaque envolée des voilures, à chaque regard sur les créatures stupéfiantes qui envahissaient les lieux...

Elles passèrent à côté d'un immense mur d'écrans. Des corps en gros plans s'y succédaient, occupant toute la surface, en une seule vision, ou répartis en une mosaïque d'images : courbe d'un cou dénudé, bouche silencieuse sur un cri d'extase, musculature d'une épaule masculine, geste d'une main remontant sur une cuisse, arrondi d'un bras sur lequel résidait des traces de corde... Sur l'un des écrans, on voyait une image tranchant avec les autres, issue d'une pochette d'album de musique, probablement celle qu'elle écoutait. Elle pouvait y lire : « Paper Dollhouse - Swans ». Elle reporta son attention sur les autres photos. Toutes semblaient avoir été faites non pas auprès de modèles professionnels mais dans l'intimité des lieux, probablement lors d'autres soirées. Inconsciemment, elle y rechercha Mathieu. Elle ne le vit pas. Un peu plus loin, Véronique poussa un rideau anthracite et Claire reconnut sans difficulté la porte qu'il masquait. C'était celle de l'escalier de service qu'ils avaient emprunté, avec Mathieu, lorsqu'ils étaient redescendus de leur première session. Le souvenir de cette expérience résonnait en elle, comme si elle venait à peine de se finir, charriant son lot de troubles et de sens en émoi. Quand Véronique tourna le visage pour se figer brusquement, au lieu de la regarder, obnubilée par quelque chose se trouvant dans son dos, Claire sentit sa poitrine s'agiter vivement.

Elle pivota à son tour.

Là, au loin, le long du mur longeant la piscine extérieure au fond de la cour, elle l'aperçut. La manière dont il passait la main dans sa crinière blonde et indisciplinée, sa tenue simple, au jean délavé, et son aspect fauve... tout le montrait en rupture avec le monde ambiant. Tout marquait sa singularité.

Mathieu.

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