De son côté, Lily était loin de se douter de la pagaille qu'elle avait semée dans la conscience du tyran. Certes, elle savait que son comportement l'énervait et lui pesait. En témoignaient les airs effarouchés qu'il arborait avant de s'enfermer dans une contenance mutique chaque fois qu'elle attirait son attention. Mais elle n'imaginait pas une seconde qu'il puisse éprouver pour elle du désir.

Elle se satisfaisait de lui témoigner une attirance unilatérale et de récolter son indignation. Car au-delà du plaisir de le consterner, elle ressentait bel et bien une évidente attraction pour Li-Bai. Ce qui avait le net avantage de rendre son petit jeu bien plus crédible et délectable. Aussi, elle estimait ne rien avoir à perdre :

Au pire, elle se distrayait en agaçant profondément son ennemi, au mieux, elle parvenait à l'avoir à l'usure et à le faire succomber. Et Dieu savait comme le sexe commençait à lui manquer. Ça, et Londres, et les sorties, la lueur du jour, et puis l'alcool aussi...

Elle se demandait parfois si ses élèves et ses collègues s'inquiétaient de sa disparition. Comment Sven avait réagi en s'imaginant qu'elle lui avait posé un lapin. Ou bien si sa photo faisait la une des faits divers sur les chaînes d'information...

Peut-être qu'ils l'avaient déjà tous oubliée. Et comment aurait-elle pu leur en vouloir ? Parce qu'elle était inapte à nouer de véritables relations, personne ne lui manquait réellement. Il était donc inévitable qu'elle ne manque à personne.

Au final, de sa vie d'avant, ce n'était ni ses petites habitudes, ni même les gens qu'elle regrettait le plus. C'était le lâcher-prise et la liberté. Et elle avait l'impression que ça faisait une éternité qu'on les lui avait arrachés.

Trop souvent, son confinement forcé et ses recherches infructueuses la désespéraient. Mais paradoxalement, quand elle était en présence de Li-Bai, il lui arrivait d'oublier le poids de ses aliénations.

Elle lui en voulait toujours de l'avoir enlevée et d'avoir érigé autour d'elle un monde de règles strictes. Par son attitude autoritaire et paternaliste, plus que Cheng et Guo, il symbolisait les entraves à toutes ses libertés. Il était devenu son Némésis, celui contre qui elle voulait se rebeller et exercer sa vengeance. Pourtant, il lui avait aussi sauvé la vie et à sa manière, somme toute professionnelle et excessive, il garantissait sa sécurité. Pour ces deux motifs, elle s'était autorisée à succomber à ses attraits physiques indiscutables.

Soumettre Li-Bai à un jeu de séduction était pour elle une sorte de compromis. Le moyen de lui faire payer son comportement tyrannique et l'occasion inespérée de retrouver un peu de cette oisiveté qui lui manquait tant. Car malgré sa surveillance et ses intolérables ingérences, parce qu'il lui plaisait, la simple présence du jeune officier avait le pouvoir de la rendre plus légère et frivole.

Puis, arriva le moment où à trop s'amuser, elle fit l'erreur de mal calculer son audace...

Le tyran venait de sortir de la douche. Quand elle l'aperçut dans le couloir, émergeant tout juste d'un nuage de vapeur chaude, elle ne résista pas à aller à sa rencontre. Ses cheveux noirs, humides et ébouriffés semblaient plus longs autour de son visage d'albâtre et la manière dont ils retombaient sur ses yeux sombres lui donnait un air sauvage des plus saisissant.

Faisant mine de passer derrière son large dos pour accéder à la salle de bain, elle se colla presque à lui. Puis, du plat de la main, négligemment, elle frôla la courbe de ses fesses rebondies.

Pour bien faire et pour que le geste paraisse accidentel, ça n'aurait dû durer qu'une seconde. Mais en sentant la chair ferme se contracter sous ses doigts, elle n'avait pas résisté à s'attarder et à appuyer son geste, juste le temps d'apprécier le délicieux sursaut de ses muscles surpris.

Trop tard, elle se rendit compte que ça avait été la limite à ne pas franchir.

D'une poigne de fer, Li-Bai enserra son bras et l'attira dans la salle de bain. Après avoir simultanément claqué la porte et tourné le verrou, il l'accula dans le coin de la pièce, et d'une brusque pression sur ses épaules, la fit s'asseoir sur le panier à linge.

Alors qu'il la surplombait, ses bras tendus contre le mur, Lily s'effraya de la fureur courroucée qu'il faisait planer au-dessus d'elle. Les maxillaires agités de tressautements, il la fixait avec trop de hargne et d'intensité pour qu'elle ose soutenir son regard.

L'espace d'un instant elle crut qu'il se retenait de la frapper, ou peut-être, dans le meilleur des mondes, de l'embrasser...

Craignant de découvrir pour laquelle des deux options il penchait, elle crispa les paupières, se ratatina contre le mur et attendit la punition. Mais rien ne vint, si ce n'est un souffle exaspéré.

Quand elle rouvrit les yeux, il se tenait bras croisés à un mètre d'elle, la toisant avec austérité :

- À quoi tu joues ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles... fit-elle penaude.

- De tes compliments. De tes clins d'œil. Et maintenant de tes attouchements, assena-t-il en accentuant le reproche à chaque mot. Il faut que ça cesse !

Intimement convaincue qu'il ne tolérerait pas plus longtemps son hypocrisie, Lily décida de jouer cartes sur table.

- D'accord, j'aurais pas dû te peloter. Mais j'ai quand même le droit de te séduire, nan ?

- Non. C'est tout sauf de la séduction. C'est du harcèlement. Et toi et moi savons que ton seul but est de me faire perdre la face.

- Au départ, peut-être. En même temps qui pourrait me blâmer. Tu ne m'épargnes pas non plus avec tes règles aberrantes. Et puis tu verrais ta tête des fois, on dirait que t'as avalé dix compas, c'est juste trop marrant...

Elle rigola irrésistiblement, et voyant que l'hilarité était tout sauf partagée, elle se reprit et avoua dans un petit raclement de gorge :

- Mais bref. Le truc, c'est qu'à force, j'ai fini par me prendre au jeu. Dans le fond, tu me plais vraiment.

Elle avait lâché ça comme elle aurait dit « passe moi le sel » et malgré sa nonchalance, elle guetta avidement la réaction du tyran.

Si c'était encore possible, il se renfrogna davantage, plissant les yeux comme s'il la soupçonnait d'être la pire des intrigantes.

- Ridicule. Je n'en crois pas un mot.

- Pourquoi ? Tu doutes à ce point de tes charmes ? C'est vrai que t'es pas le plus viril ni le plus avenant des gars que j'ai connus, mais dans ton genre, t'es ultra sexy.

Cette fois, il la transperça de son regard glacial et le dirigea avec fureur sur ses lèvres, comme s'il nourrissait l'envie pressante de les châtier et d'en extirper le mensonge.

- Arrête. Ça ne prend pas. Je sais pertinemment que tu me détestes.

- Et alors ? Contrairement à toi j'ai pas une vision simpliste et romantique des relations. Je suis capable de dissocier désir et sentiments. Que je te déteste ne m'empêche pas de vouloir coucher avec toi. Je dirais même que cette haine que l'on se porte rend les choses d'autant plus excitantes...

Le petit sourire provocateur et désinvolte qu'elle affichait n'avait pas entaché sa franchise. Et Li-Bai comprit avec effarement qu'elle était on ne peut plus sérieuse.

- Tu es tordue ! s'exclama-t-il avec véhémence.

- Et encore. Tu n'as pas idée des fantasmes qui me passent par la tête quand je pense à toi...

- Je ne veux rien savoir ! Encore un mot et je te prive de cigarettes.

Vu son agitation et son énervement, Lily l'en savait tout à fait capable et ce fut d'un visage boudeur qu'elle se résigna.

- T'es vraiment pas joueur, tu le sais ça ?

- La situation n'a rien d'un jeu, la sermonna-t-il amèrement. Au lieu de me harceler, tu devrais te concentrer sur tes recherches. Je te rappelle que tu n'as encore aucun résultat...

- Oh la ferme ! Je sais très bien que j'assure pas. Pas la peine de remuer le couteau dans la plaie.

Ce rappel à son incompétence avait suffi à chasser de son visage toute trace d'amusement. Et comme si ce n'était pas suffisant, Li-Bai enfonça le clou en lui resservant de son horripilante intransigeance.

- Si tu veux conserver un minimum d'honneur professionnel, je te conseille d'arrêter toutes distractions. Je ne suis pas un jouet, et toi tu n'es plus une enfant. Il serait temps de prendre tes responsabilités et d'agir avec maturité.

Croisant les bras sur sa poitrine, Lily releva le menton et fixa un moment le plafond en se pinçant les lèvres. Elle ne savait pas pourquoi, mais le regard dédaigneux que le tyran braquait sur elle lui donnait envie de pleurer.

Elle dut puiser en elle assez de force et soulever assez de rancœur pour ne pas faiblir. Et au lieu des larmes et des sanglots, elle libéra les plus amers des reproches :

- Te séduire est un acte enfantin selon toi ? Je dirais au contraire que c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour me sentir à nouveau une femme. Ton gouvernement a décrété que j'étais qu'un outil et toi que j'étais pas capable de me gérer toute seule. Ce sont tes règles et ton paternalisme qui font de moi une enfant. J'essayai juste de trouver le moyen de supporter ta tyrannie... Mais t'as gagné, je vais te foutre la paix à partir de maintenant.

Sans un regard, elle le bouscula d'un trop faible mouvement d'épaule, et le planta au beau milieu de la salle de bain.

Même s'il avait fini par obtenir gain de cause, les paroles de la jeune femme empêchaient Li-Bai de se sentir pleinement satisfait.

Il avait préféré se la représenter comme une femme fourbe et diabolique, sans scrupules et sans état d'âme, pas plus socialement évoluée qu'une enfant capricieuse. Mais, acculée par ses accusations, elle venait de lui prouver que dans l'histoire, c'était elle la véritable victime.

Et maintenant qu'il avait écrasé sa coquille de malice pour en bousculer l'intérieur fragile et frustré, il craignait qu'elle ne s'enferme dans le repli. 

Alors, que pensez-vous du comportement de Lily et de ses justifications ? ^^

Même si j'en fait plus ou moins un élément comique, je précise que dans le vie, le harcèlement c'est pas marrant (oui je me prend momentanément pour le panda du harcèlement sexuel dans South Park, avis aux connaisseurs ;) )

 Bien sûr, étant séquestrée, Lily a de bonnes excuses, ça fait partie de sa vengeance. Mais pour attirer l'attention de quelqu'un, ne faites surtout pas comme elle ! ^^' 

Sinon, j'ai conscience que ça fait un moment que les énigmes sont à la traine, mais promis, dans deux chapitres ça va avancer cette histoire ^^

Encore merci de vos lectures et de vos commentaires.

Prenez bien soin de vous <3