Chapitre 26 : Yin wei (1)
Au fond du cendrier, un reste de cigarette se consumait. Trop vite ou trop lentement. Tout dépendait de la perspective. On dit que le temps est relatif, pas vrai ?
Pour Lily, il s'écoulait par deux jarres. L'une nommée Lassitude et l'autre Urgence. Et nager entre ses deux eaux, sans jamais atteindre la rive, l'épuisait.
Affalée mollement sur le bureau, la joue collée à ses pages noircies d'encre, elle observait fixement l'alchimie tabagique opérer. Le visage offert à la fumée, l'œil morne et hypnotisé, elle attendait que s'achève la transmutation de son sablier de braise et de cendre.
« Allez... Dès qu'elle s'éteint, je m'y remets... Ou alors j'en allume une autre ? Non ! C'est pas sérieux... Mais en même temps, avec le peu d'indices que j'ai, c'est pas comme si j'allais trouver aujourd'hui... »
Le temps qu'elle se décide, la clope s'était éteinte dans une dernière étincelle rougeoyante.
Prise d'un élan de courage, elle passa ses notes en revue...
« C'est surtout toutes ces conneries que je devrais brûler ! » songea-t-elle au comble de la frustration.
Se laissant retomber contre le bureau, elle brassa ses papiers à l'aveugle et s'enterra la tête dessous. La légèreté des feuilles éparses et chiffonnées pesait sur elle le poids d'une montagne.
Une montagne de travail et de mystère, où la moindre prise se soldait par sa chute intellectuelle.
« Idiote ! Bête, bête, bête à manger du foin ! Pas foutue de comprendre ta propre invention ! Regarde-toi, ma vieille : Lily Frankenstein, pitoyable et tremblante, dépossédée de tout contrôle sur sa créature... »
Au dixième jour de sa captivité, elle n'avait toujours pas résolu l'énigme du Petit Prince. Si encore il en allait de sa simple fierté, ça n'aurait pas été trop grave. D'ordinaire, dans ses recherches, elle faisait preuve de patience et s'autorisait parfois à mettre les mystères en jachère pendant plusieurs jours avant que la solution ne germe dans son esprit. Mais cette fois était différente.
Elle n'avait qu'une seule tâche, qu'une unique distraction et on attendait d'elle des résultats. Lesquels, aux yeux du monde, dépassaient de loin la futilité de ses précédents travaux. Qu'importait qu'elle soit déjà parvenue à éclairer le contenu d'obscurs manuscrits du Moyen-Age ou à déchiffrer la nature incantatoire d'une série de symboles préhistoriques. Quand il s'agissait de vraiment rendre service à l'humanité, elle pataugeait dans la semoule.
La pression qu'elle s'infligeait ne jouait pas en sa faveur et avait même tendance à la plonger dans un marasme d'autodépréciation.
Le prétendu génie que tous ses confrères lui reconnaissaient ne valait au final pas un clou !
Émergeant finalement de son monticule de traductions stériles, elle se massa les tempes et s'affala mollement dans son fauteuil. Il fallait qu'elle décroche, rien qu'un instant.
Afin de s'isoler de la réalité, elle porta son casque sur ses oreilles et se laissa porter par le rythme endiablé et lancinant d'un de ses morceaux préférés. Sa main glissa machinalement le long de son ventre. Elle se défroqua à moitié et appliqua une délicieuse pression sur la vallée de son antre.
En quelques frictions, la quête intellectuelle suppléa à la quête d'un plaisir éphémère.
Elle avait conscience de ne pas le mériter, mais elle avait plus que besoin de se détendre en s'injectant du bout des doigts une petite dose d'abandon.
Pour plus d'aisance, elle rapatria ses jambes sur les accoudoirs et contracta son bassin pour accompagner les mouvements saccadés de son poignet. Son souffle s'accéléra. Son esprit se vida. Et de petits halètements d'effort et de contentement s'échappèrent de ses lèvres résolument serrées.
Le goût du risque et l'obligation de taire son plaisir affleuraient à sa conscience embrumée par l'approche de la jouissance. Et l'urgence de se presser, comme l'éventualité que l'on puisse la surprendre, rajoutaient à son excitation...
Du moins en théorie. Car lorsqu'elle se sentit tournoyer sur son siège pour faire face à un Li-Bai complètement déconfit, son orgasme se ratatina dans son ventre et ce fut davantage un cri étranglé qui s'évada de sa gorge.
Trop surprise pour éprouver de la honte, elle se figea et ancra son regard au visage du tyran qui affichait bien assez de gêne pour deux. Il avait l'air si hébété et si proprement choqué, qu'il n'eut même pas le réflexe de détourner ses yeux noirs et presque débridés par la stupeur.
Le rouge jusqu'au oreilles et la main en travers de ses joues écarlates, il s'exclama d'un souffle outré : « Lily... putain... Qu'est-ce que... »
- Li-Bai ! Attends c'est pas... En fait je.. je... balbutia-t-elle en retirant son casque.
« Je faisais juste de la réanimation cardiaque à bijoux » ne suffirait sûrement pas à la disculper.
Puis, réalisant qu'aucune explication ne parviendrait à justifier sa posture compromettante, elle ôta ses doigts de sa culotte, et dans un réflexe d'une classe inégalée, elle s'essuya sur son tee-shirt.
« Oh puis merde ! » concéda-t-elle au lieu de trouver une excuse plus bidon que la situation :
- En fait c'est exactement ce que tu crois. Et si ça te choque, et ben ça t'apprendra à frapper avant d'entrer.
Quitte à être prise la main dans le sac - ou plutôt dans le slibard - autant assumer jusqu'au bout. Après tout, elle n'avait rien fait de mal. C'était lui qui venait de franchir la barrière de son intimité.
- J'ai frappé ! Je m'inquiétais que tu ne répondes pas... s'insurgea le jeune homme, encore plus scandalisé.
- Oh... fit-elle sans se départir d'une indolence absolument déplacée. Et on peut savoir ce que tu me voulais au juste ?
Si Lily parvenait à conserver un ton badin, Li-Bai semblait ne pas tout à fait avoir retrouvé ses capacités psychomotrices. Puis, comme s'il venait seulement de se souvenir de la raison de sa présence, il secoua la tête et lui répondit d'une voix rauque et égarée :
- Séance de Tai Chi...
- Oh non, par pitié... Et si on disait que pendant une heure je continue gentiment ce que je faisais, ça compte comme un sport relaxant, non ?
Cette requête éhontée plongea soudain le tyran dans une colère noire :
- Non ! Tu arrêtes tout de suite. Tu te rhabilles correctement et tu viens !
« Mais qu'est-ce qu'il me fait à s'énerver comme ça. C'est pourtant pas lui qui vient d'être surpris à se frotter le velours. »
Pour la première fois, les rôles s'inversèrent, et devant son emportement excessif, Lily conserva tout son calme pour lui exposer la situation :
- Je te signale que je suis pas en état. À cause de toi, j'ai même pas réussi à jouir correctement. Alors que ça te plaise ou non, je compte bien me terminer. Et si tu veux pas voir ça, je te conseille de t'en aller fissa ...
Pour bien lui faire comprendre à quel point elle était sérieuse et résolue, elle se détendit dans son fauteuil, agita malicieusement la main et la fit plonger lentement en direction de sa braguette largement ouverte, le tout sans cesser de le fixer.
À cet instant, elle crut que les yeux de Li-Bai allaient lui sortir de la tête et juste à temps, il se détourna en poussant un monstrueux :
- Yin wei !
- Comment ça « obscène » ? argumenta Lily. Tu sais, c'est naturel de...
Avant qu'elle ne finisse sa phrase, la porte claqua violemment, annonçant la retraire ferme et définitive du tyran.
Un gigantesque et irrépressible sourire retroussa les lèvres de la jeune femme : pour la première fois, elle venait de le mettre en échec.
« Intéressant... ça tressaille devant rien ni personne. Ça tutoie la mort et le danger, mais c'est pas capable de regarder une foufoune dans les yeux... »
Elle avait enfin trouvé la faille, de quoi lui faire perdre ses moyens. Et cette savoureuse victoire valait bien plus que n'importe quel orgasme.
Commen vous l'avez surement compris, "Yin wei" veut dire "obscène, indécent"... Habituez vous bien à ce mot car il deviendra assez récurrent :)
Les rapports de force vont enfin pouvoir commencer à s'inverser entre nos deux héros ! ^^
Ce week-end, je vous livrerai la deuxième partie du chapitre avec la réaction de Li-Bai.
En attendant, merci de vos lectures et prenez bien soin de vous <3
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