Chapitre 23 : Où est passée ma garde ?


Le temps que Cheng et Guo débarquent avec des renforts par les escaliers, Lily avait finit par piquer du nez. À ses côtés, son fier et stoïque garde du corps affichait grise mine et peinait à tenir sur ses deux jambes.

- Li-Bai, tout vas bien ?! s'exclama le Puppy Boy, essoufflé d'avoir couru à son chevet.

Avec son beau visage encore recouvert d'une fine pellicule de sueur, le jeune officier acquiesça. Mais à en juger par sa posture courbée et la lenteur inhabituelle de son hochement de tête, le Tiger Guy était loin d'être au pic de sa forme.

- Vous avez dû inhaler pas mal de gaz. On va vous conduire dans la salle de soins.

Alors qu'une escouade d'agents sécurisait bien inutilement le périmètre, Guo ramassa Lily et Cheng s'improvisa béquille attitrée de Li-Bai.

- Lâche-moi. Je peux encore marcher tout seul... maugréa le jeune officier.

- Pas de ça entre nous, hu zi. C'est pas le moment de faire jouer ta fierté mal placée. Tous les ascenseurs sont bloqués. Tu vas encore devoir monter quelques escaliers, alors fais-moi plaisir et appuis-toi sur moi.

Un brin effarouché, Li-Bai lui lança un regard noir.

- D'accord, tu veux voir ce que ça donne si je te lâche ? proposa le Puppy Boy en le privant soudain du bras qui le stabilisait.

Le Tiger Guy fut contraint d'arrêter sa marche. Il lutta pour rester droit, et essaya de réprimer un violent vertige.

- Ok. C'est bon. Aide-moi... concéda-t-il à mi-voix.

- Je peux aussi te porter sur mon dos si tu veux. En mode, il faut sauver le soldat Li-Bai... répliqua son ami d'un sourire complice.

Li-Bai souffla, exaspéré, mais finit par s'appuyer sur l'épaule de son frère d'armes.

- Bah voilà. C'était quand même pas si compliqué d'admettre...

Sans animosité, le Tiguer Guy lui frappa mollement l'arrière du crâne :

- Cheng, ferme là et avance.

- À vos ordres. En avant soldat !

***

À midi, le soleil au zénith perçait rageusement les rideaux aseptisés de la salle de soins. Peut-être parce que ça faisait quelques jours qu'elle n'avait pas contemplé une lumière naturelle aussi éclatante, Lily s'éveilla dès que les rayons caressèrent ses paupières.

Les joues toutes vermeilles, elle s'étira et se découvrit dans un petit lit au beau milieu d'une pièce immaculée.

Si elle ne doutait pas d'être seule dans une sorte d'infirmerie, elle se demanda aussitôt où se trouvaient les membres de sa garde rapprochée. Elle ne réclamait pas qu'ils soient à son chevet à lui tenir la main. Mais après ce qui s'était passé, elle aurait apprécié trouver un visage familier en se réveillant.

- Li-Bai ! héla-t-elle à plein poumons.

Elle attendit. Ne reçut pas de réponse.

« S'il avait été dans les parages, il aurait rappliqué en dix secondes chrono... »

- Cheeeng... essaya-t-elle d'une voix plus plaintive.

Toujours rien.

- Guo ? appela-t-elle par dépit.

La porte s'ouvrit doucement, mais à la place du vieux loup de mer, ce fut le visage aimable et ridé d'un sexagénaire qui se profila par l'entrebâillement.

- Vos agents sont partis s'entretenir avec le directeur du MSS, lui dit -elle d'une voix douce et affable.

- Où ça se trouve le bureau du Big Boss ? demanda Lily en faisant voler sa couverture d'un tour de jambe.

- Vous semblait bien portante, mais laissez-moi vous examiner. Ensuite je vous y conduirai moi-même, répondit posément la vieille dame en ajustant le stéthoscope qui pendait à son cou.

Étonnamment complaisante, Lily fit mine de se rasseoir sur le bord du lit.

- Dites, Yīshēng*, vous auriez l'amabilité de me faire une tasse de thé avant de m'ausculter ?

- Mais très certainement. Ne bougez pas, je reviens.

« Alors là, ma bonne dame, je peux t'assurer que quand tu reviendras je serais déjà loin... »

Ni une ni deux, Lily bondit de son lit et fila en douce.

En chaussettes, elle arpenta les couloirs jusqu'à tomber sur la cage d'escalier. Pour ce qu'elle en savait, le bureau du grand patron se trouvait au dernier étage. La montée lui sembla interminable, mais animée par une sorte d'inquiétude trépidante, elle ne s'arrêta qu'au dernier palier.

Une fois au plus haut sommet du MSS, elle ne croisa pas âme qui vive.

« Et après on s'étonne qu'il y ait des attaques armées... Franchement, ça la fout mal, Ministère de la sécurité, mon œil oui ! »

Arrivée devant une imposante porte à doubles battants, l'écriture dorée d'une belle plaque lustrée lui indiqua qu'elle se trouvait devant le bureau du directeur.

Avant d'entrer, la jeune femme ne put s'empêcher d'entrouvrir très discrètement la porte et de tendre l'oreille.

Une voix d'homme, aigrie par un âge avancé et emportée par la colère, manqua de la faire sursauter :

- ... Nous ne savons pas qui ils sont, ni comment ils ont fait pour pirater l'intégralité de notre système de sécurité ! C'est une honte. Pour tous les agents du MSS ! Et vous, officier Wang Li-Bai, je ne vous félicite pas ! Vous, les jeunes, avez la gâchette trop facile. Vous devez pourtant avoir assez de bon sens pour comprendre qu'on ne peut pas interroger les morts. C'était si dur que ça de penser à en épargner au moins un !

Révoltée, Lily poussa les portes avec le charisme d'un cow-boy qui débarque dans un saloon. Armée non pas d'un revolver, mais de son petit ton acerbe, elle dégaina sa verve assassine :

- Toi, le papy, je te conseille de te calmer avant de nous faire un infarctus !

Trop occupée à fusiller le directeur d'un regard chargé de défiance, la jeune femme ne remarqua même pas qu'à son entrée fracassante, ses propres agents avaient porté leurs mains à leurs armes de service. Et quand ils l'eurent reconnue, ils restèrent en suspens, abasourdis.

- Franchement, c'est comme ça que vous récompensez vos meilleurs agents au MSS ? À coup de lance pierre ? Et puis on en parle de vos deux branles nouilles qui ont divisé ma garde rapprochée et qui doivent encore pioncer à l'heure qu'il est. Si vous n'aviez pas envoyé ces deux incapables, peut-être que les choses se seraient passés autrement. Faudrait voir à assumer mon ptit père !

Scotché sur son siège, le visage du directeur passa de l'étonnement à la consternation, pour enfin devenir rouge de honte et de colère. Avant que sa face n'explose comme le couvercle d'une cocotte-minute, Li-Bai traversa la pièce et attrapa Lily par la peau du cou.

- Inconsciente ! lui glissa-t-il à l'oreille avant de la traîner à sa suite hors du bureau.

Plus loin dans le couloir, il la relâcha et la coinça contre le mur. Son teint blanc comme un cachet d'aspirine faisait ressortir le noir abyssal de son regard. Sa voix s'abattit sur Lily, si rauque et rugueuse que la jeune femme aurait voulu pouvoir lui proposer une pastille de miel.

- Tu as conscience que tu viens de me faire honte devant le membre le plus éminent du MSS ? vociféra-t-il avant de détourner le visage pour tousser dans son poing.

- Honte ? Excuse-moi d'avoir pris ta défense !

- Je n'ai pas besoin qu'une femme, une étrangère de surcroît, vienne à mon secours, assena froidement le jeune officier.

Lily accusa le coup :

- Ah, le petit singe sort enfin de la boîte ! Je comprends mieux pourquoi tu me mènes la vie dure. C'est quoi qui t'indispose le plus, mon sexe ou mes origines ?

Elle n'y était pas du tout. Li-Bai regretta soudain que la fatigue ne lui ait pas permis de mesurer ses propos. Il se pinça l'arrête du nez et essaya de s'expliquer avec calme :

- Aucun des deux. Que tu sois une femme occidentale ne me dérange pas, mais sache que ce sont des caractéristiques qui, entre ses murs, ne te donnent pas voix au chapitre. Peu importe ce que tu diras, ça ne pourra que te porter préjudice. Je ne veux pas que tes insubordinations nous retombent dessus.

- C'est justement parce que je ne dois ni dévotion ni obéissance à ton gouvernement que je me suis permise de dire tout haut ce que tout le monde devait penser tout bas ! Vous m'avez peut-être enlevé ma liberté, mais pas mon droit de m'exprimer !

Dans le fond, elle n'avait pas tort. Personne n'avait encore trouvé le moyen de la censurer. Et étrangement, il n'en ressentait pas le besoin. Sur le principe, sa franchise, bien qu'extrême, lui plaisait. Ce qu'il déplorait, c'était son manque de tact et son sans gêne. Et au final, malgré son irrévérence, il n'avait pas détesté qu'elle le défende toutes griffes dehors. Il aurait seulement voulu qu'elle comprenne que ce n'était pas son rôle...

Passant une main sur son front, il l'observa attentivement, de son visage boudeur et effronté jusqu'à la pointe de ses orteils qui gigotaient sous le coton de ses chaussettes rayées...

Dans un énième soupir, il lui demanda :

- Telle que tu es là, j'imagine que tu t'es enfuie de la salle de soins ?

- Enfuie est un bien grand mot, on peut pas dire que la vieille chouette m'ait courue après...

- Tu es infernale. Tu ne pouvais pas rester sagement là-ba à te reposer ?

- Fallait pas m'abandonner !

Son ton de reproche étonna Li-Bai.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je me suis inquiétée ! Qu'est-ce que tu crois ? On manque de se faire buter. Trou noir. Puis je me réveille seule, dans une pièce inconnue. Pas de vieille chenille. Aucune trace du Puppy Boy, et même toi qu'est plus collant qu'un sparadrap, t'étais pas là !

Le jeune officier écarquilla légèrement les yeux :

- Ça t'aurait rassurée de nous trouver à ton réveil ?

- Un peu... fit-elle en haussant les épaules.

Ce « un peu » qui refusait de s'avouer comme un « beaucoup » lui révéla l'unique pudeur de la jeune femme. Et il ne pouvait s'empêcher de la trouver adorable.

- D'accord. À partir de maintenant je te lâcherai plus. Viens, je te ramène à la salle de soins.

Alors qu'ils marchaient côte à côte, Lily se força à ralentir le pas pour s'adapter à celui de son garde du corps.

- Tu sais quoi ? fit-elle d'un air détaché.

- Mn ?

- Vu comment tu traînes la patte, c'est toi qui devrais te reposer sagement à l'infirmerie...

La remarque sonnait comme une vanne sournoise, mais Li-Bai comprit que c'était sa manière à elle de lui montrer une once de considération. Une considération qui initia en lui un florilège d'émotions paradoxales :

D'abord de la honte, celle de paraître si faible devant elle, lui qui devait au quotidien incarner un modèle de force et d'endurance pour la protéger. Ensuite, de la joie, simplement parce qu'elle s'inquiétait pour lui. Puis de la crainte, précisément parce qu'il était heureux. Heureux de dévorer les quelques miettes de bienveillance qu'elle lui avait négligemment lancées. Et enfin de la honte, à nouveau, parce qu'une simple phrase de cette femme le faisait totalement dérailler.

Trop sollicité par des raisonnements qui se mordaient la queue, son crâne se mit à bourdonner comme envahi par un essaim d'abeilles.

Au final, la seule chose importante qu'il devait retenir des paroles de Lily, c'était qu'elle avait raison : il avait grand besoin de se reposer. 




Note :

Yīshēng* :  titre honorifique le plus couramment utilisé pour s'adresser à un docteur, aussi bien en médecine chinoise traditionnelle qu'en médecine occidentale.

Allez, va faire dodo Li-Bai, tu l'as bien mérité ;p ! 

J'espère que les frasques de Lily vous auront divertis et sachez que ce n'est fini :)

Au prochain chapitre, attendez-vous à quelques révélations sur fond de musique de propagande ;) !

Prenez bien soin de vous <3

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