Chapitre 20 : Tu dérailles bijoux !


« Briser la montre n'arrête pas le temps qui fuit »

Lily ne pouvait que souscrire à ce proverbe du pays des pendules à coucou.

Les barricades des fenêtres interdisaient au moindre rayon de soleil de pénétrer dans l'appartement. En l'absence de toute lumière diurne, la jeune professeure remarqua qu'effectivement, être privée de ce repère naturel qui rythme les journées n'avait pas suffi à amputer le temps. Cinq jours s'étaient déjà écoulés pour se fondre dans une boucle sans fin, où son quotidien était aussi bien réglé qu'une horloge suisse.

Réveillée aux aurores, elle ne dévissait généralement de son bureau que pour se laver ou pour manger. Par moments, afin de se dégourdir les jambes et de réactiver ses neurones en surchauffe, elle faisait les cent pas et vagabondait dans l'appartement. Cette prison dont elle connaissait désormais les moindres recoins et dont les murs commençaient déjà à lui paraître trop exigus. Puis, passé minuit, l'un des agents, le plus souvent Cheng ou Li-Bai, venait lui rappeler d'aller se coucher.

Parce que ces trois hommes garantissaient sa seule chance de conserver des interactions humaines et sociales, elle avait vite cessé de les considérer comme des geôliers. À ses yeux, ils étaient davantage devenus des sortes de colocataires et des objets de distraction.

Elle ne perdait généralement pas une occasion de les brimer ou de tester leur patience avec toutes sortes de vannes dont elle avait le secret.

Cheng se prenait le plus souvent au jeu, et elle devait admettre que discuter avec lui était d'un grand réconfort. Li-Bai en revanche, demeurait résolument insensible au venin de ses sarcasmes, faisant de son indifférence légendaire l'antidote le plus efficace. Quant à Guo, ce vieux loup de mer réagissait souvent au quart de tour. Et comme il était le seul à s'insurger de ses remarques, elle se montrait paradoxalement plus railleuse, mais aussi plus vigilante.

Pas plus tard que la veille, elle avait sauté sur l'occasion de malmener son égo. Une chose qui exaspérait outre mesure le fier patriote chinois.

Il venait de rentrer d'un jogging intensif qui avait transformé son tee-shirt en une véritable éponge imbibée de sueur. Posé, détendu sur le canapé aux côtés de Li-Bai, pieds sous la table basse, il attendait que l'adrénaline ne retombe en regardant la télé.

Débarquant comme une fleur dans le salon, Lily s'était alors pincé les narines, roulant des yeux et chassant l'air tout autour d'elle. Puis, elle s'était rapproché des deux hommes en faisant mine de flairer l'odeur nauséabonde qui rodait insidieusement dans la pièce. D'instinct, elle avait tout de suite écarté la possibilité que l'ignoble fumet puisse émaner du tyran, lui qui semblait toujours si parfait et propre sur lui. Elle s'était donc adressé à Guo, le visage grimaçant sous l'expression d'un profond dégoût :

- C'est quoi le délire ? T'héberges un cadavre de fennec dans ton tiroir à chaussettes ? Tu pourrais aller prendre une douche au lieu de nous imposer ça. C'est pestilentiel.

Le quarantenaire avait alors frémi de honte et de colère avant de se tourner vers Li-Bai :

- Fais-la taire ou je jure que je vais la bâillonner avec une de mes chaussettes. Une sale, avait-il ajouté en reportant un regard menaçant vers la jeune femme.

Si la remarque avait manqué d'arracher un micro-sourire à Li-Bai, Lily avait mis deux doigts dans sa bouche pour imiter le geste de quelqu'un qui se fait vomir et ne craignant que Jo' la balafre ne soit sérieux, elle avait aussitôt pris la poudre d'escampette.

Une de ses occupations favorite consistait également à leur inventer des surnoms. Dernièrement, elle se prenait pour Blanche Neige et les trois chinois en les nommant respectivement, « Joyeux » « Taiseux » et « Pu des pieds ».

Pour Li-Bai, elle avait légitimement hésité.

En vérité, s'il y avait quelqu'un qui méritait le titre de Blanche Neige, c'était plutôt lui. Pas seulement parce qu'il avait une belle peau ivoirine et de superbes cheveux d'ébène, mais surtout parce qu'il excellait dans les tâches ménagères, sa maniaquerie faisant de lui la parfaite fée du logis.

Combien de fois l'avait-elle surpris à traquer la moindre trace de poussière et à briquer les surfaces de la salle de bain. Sans compter qu'il cuisinait divinement bien. Il ne lui manquait plus qu'à être jovial et il était bon à marier !

Plus que les deux autres, Lily avait passé beaucoup de temps à l'épier. Premièrement, parce que même avec son air de six pieds de long, elle devait avouer qu'il était un vrai régal pour les yeux. Et deuxièmement, parce qu'elle ne désespérait pas d'apprendre à mieux le cerner pour trouver la faille, l'éventuel moyen de contrer son autorité et sa tyrannie. À ce sujet elle cherchait encore, mais à force d'observations, elle le percevait de moins en moins comme un psychopathe – son obsession de l'ordre et de la discipline mise à part.

Peu à peu, il lui avait paru plus normal et plus humain.

Malgré sa rigidité stoïque, quand on prenait la peine d'être attentif, il arrivait que de subtiles émotions parcourent ses traits, notamment lorsque Lily le surprenait à regarder des vidéos sur son téléphone. De même, sa manière de s'habiller contrebalançait son austérité. Son goût du raffinement s'exprimait par un style recherché, assez décontracté, mais toujours élégant, qui le faisait presque passer pour une gravure de mode.

La jeune femme avait aussi remarqué qu'il nourrissait un amour compulsif pour le sucre. Souvent, lorsqu'elle le croisait, elle constatait que l'une de ses joues s'arrondissait pour épouser la forme d'une sucette ou d'un morceau de barre chocolatée. Si bien qu'elle soupçonnait ses poches d'être plus fournies en bonbons et friandises que la chocolaterie de Willy Wonka. Et quand il déballait une sucrerie, elle lui trouvait un air presque doux et juvénile...

Mais en dépit de ces quelques détails, il lui courait toujours sur les nerfs. Elle tolérait encore difficilement son regard de surveillant de couloir, qu'il la réprimande lorsqu'elle traînait trop près de la baie vitrée ou qu'il l'arrache à ses recherches pour leurs exercices quotidiens de Tai-Chi.

La première séance avait d'ailleurs été mémorable.

« Qu'est-ce que le Tai-Chi-Chuan ? » lui avait-il demandé en préambule.

- Si j'en crois ce que disait Lan, c'est un sport pour les vieux qui se réunissent dans les parcs.

Il n'était en effet pas rare qu'en Chine, les gens se retrouvent pour pratiquer ce sport de santé, seul ou en groupe. Et comme cette activité avait la réputation d'assurer une meilleure longévité, elle séduisait bon nombre de senior. Pour autant, la réponse de Lily restait beaucoup trop réductrice et dépréciative pour que Li-Bai s'en contente. Et pour la première fois, il avait parlé longuement, lui expliquant tel un vieux maître ce qu'était véritablement le Tai-Chi :

- À l'origine, c'est avant tout un art martial qui découle de la spiritualité du Yin et du Yang. Vous les occidentaux, le traduiriez par « La boxe du faîte suprême », autrement dit : la quintessence du combat à mains nues. Il a pour objet le travail de l'énergie appelée le « chi ». Mais aujourd'hui, au même titre que la médecine traditionnelle chinoise, il est utilisé le plus souvent à des fins thérapeutiques. Sa pratique permet ainsi de renforcer le physique, l'équilibre, la concentration, et le contrôle du corps. Elle permet aussi de réduire le stress, car les mouvements lents et le contrôle de la respiration aident à la relaxation et à l'apaisement de l'esprit.

Lors de ses explications rigoureuses, par pur esprit de contrariété, Lily s'était montrée particulièrement rétive. Alors qu'il se déplaçait lentement autour d'elle, son poing fermé dans son dos avec l'allure stricte d'un maître d'arts martiaux, Lily demeura bras croisés, soufflant et roulant des yeux à qui mieux mieux. Et quand il acheva enfin son discours, elle le gratifia de son inimitable petit ton ironique :

- Eh ben. Je sens que ça va être l'éclate ton truc...

- Mets-y du tien. Tu verras que ça te fera beaucoup de bien.

- Mouais. Bon allez, c'est pas que je m'ennuie, mais c'est quand qu'on commence ?

Devant sa posture molle, courbée par le poids de sa mauvaise volonté, Li-Bai se dressa derrière elle et appuya deux doigts entre ses omoplates :

- Déjà, redresse-toi. Que ta colonne vertébrale retrouve un axe harmonieux avec le ciel et la terre.

Sursautant brusquement, elle se retourna pour lui opposer mépris et dérision :

- Tu veux dire un axe avec le plafond délabré et le tapis miteux ?

D'une patience à toute épreuve, Li-Bai prit place à côté d'elle :

- Le lieu où tu te trouves ne change rien à l'équilibre des forces qui t'entourent. Ferme les yeux. Imagine-toi dans un champ ou une forêt, en harmonie avec la nature.

Dans un soupir forcé, elle s'exécuta. Pendant quelques instants, au lieu de se figurer un cadre naturel, calme et luxuriant, elle préféra imaginer le tyran comme un punching-ball vivant sur lequel elle aurait pu se défouler à loisir.

- Bien. Maintenant rouvre-les yeux, concentre-toi et essaye de reproduire mes gestes.

Paumes ouvertes, il étira ses bras en des mouvements souples et lents qui semblaient s'emparer de l'air pour l'apprivoiser avec aisance. Lorsqu'un de ses membres se déplaçait gracieusement, tout le corps suivait, comme animé de force et paix.

Pendant quoi, peut-être deux minutes, Lily essaya de se mouvoir comme lui. Mais très vite, elle perdit patience et se mit à s'agiter et à gesticuler maladroitement.

- Trop rapide, trop raide. Si tu forces tes mouvements, tu ne parviendras pas à libérer la bonne énergie, la corrigea Li-Bai en s'approchant d'elle. Ne gonfle pas la poitrine. La respiration doit venir de là...

Et pour appuyer son conseil, il avait fermement posé sa main à plat sur le bas-ventre de la jeune femme. L'intense chaleur que diffusait sa large paume traversa la barrière de son tee-shirt, se logea dans ses tripes et redescendit plus bas, comme une délicieuse coulée de lave.

Le souffle coupé, Lily eut l'impression que ce simple geste avait allumé un ardent feu de forêt dans sa culotte. Et elle dut se faire violence pour ne pas trahir toute l'excitation qui avait enflammé ses sens.

Apprivoisant son envie d'attraper cette main virile pour la lover contre son sexe en réclame, elle recula d'un pas. Puis, d'une voix duelle, à la fois revêche et alanguie, elle grommela :

- C'est bon, je crois avoir saisi...

Le reste de la séance, elle s'évertua à se concentrer pour oublier ce malheureux incident. Autant que faire se peut, pour éviter qu'il n'en vienne à la guider et à la toucher de nouveau, elle suivait scrupuleusement ses instructions. Au passage, elle devait aussi empêcher son regard avide de s'extasier sur la souplesse des muscles longs et saillants de son instructeur. Des muscles pour le moins fascinants et qui, au même titre que sa maîtrise et sa forme physique, avaient de quoi nourrir les meilleurs fantasmes...

Par miracle, elle parvint à se contrôler et à ne pas lui montrer qu'il la faisait baver d'envie. Mais Lily était ainsi faite, qu'une fois échaudée, le sang et la sève ne redescendaient pas facilement. C'était valable pour ses emportements colériques et d'autant plus pour ses émois libidineux.

Au terme de ses exercices, elle se sentit épuisée, non par l'effort physique, mais bien par la rétention du désir qui l'avait cueillie sans prévenir. Et en filant dans sa chambre, elle fut convaincue que la moiteur tiède qui affluait entre ses cuisses, n'était pas l'effet de la sueur.

Frustrée, elle s'affala sur son lit et posa sa petite main par-dessus la couture de son jean, juste à l'endroit de sa fente traîtresse.

« Non mais t'es sérieuse, bijoux ? Je sais bien qu'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent dernièrement, mais là il s'agit du putain de tyran. Tu te rends compte un peu du malaise ? C'est pas parce que je t'ai un peu négligé qu'il faut réagir à tout ce qui bouge et qu'a l'air baisable. Tu vas nous attirer des ennuis si ça continue. »

Alors que la pratique du Tai-Chi aurait dû l'apaiser, elle ne pouvait que fustiger bijoux, son petit écrin de rubis, pour l'avoir si cruellement trahie. Au final, la seule énergie que ce crétin de Li-Bai avait libérée, c'était celle de sa frustration sexuelle.

Après une semaine d'abstinence forcée, il était grand temps de « reprendre les choses en main ». Et elle espérait bien que renouer avec les joies solitaires suffirait à évincer la nouvelle proie que bijoux venait d'épingler à son tableau de chasse.

Ce fut donc mécaniquement qu'elle ouvrit ses jambes, défit sa braguette et plongea ses doigts aguerris à l'orée de sa petite culotte, plus tout à fait immaculée...

À ce souvenir elle ne ressentait aucune honte. La masturbation avait toujours été pour elle un rituel intime, naturel et apaisant. Un moment où elle ne pensait à rien et renouait avec son corps dans le seul but de se faire du bien. À ses yeux, c'était aussi commun que n'importe quelle autre activité qui visait le plaisir et la détente. Bien sûr, ça n'avait rien de comparable avec l'acte sexuel qui impliquait un ou plusieurs partenaires, mais c'était désormais sa seule réjouissance.

Lustrer quotidiennement bijoux avait eu des effets salutaires. Ainsi, lors des séances de Tai-Chi, elle cessa naturellement de fantasmer sur le corps parfait et le toucher brûlant du tyran. 

Le soir en revanche, quand elle frétillait sous sa couette, libérée de conscience ou de tabous, il arrivait que ses orgasmes appellent son beau visage pour gagner en puissance... 



J'espère que ce chapitre vous aura fait un peu marrer et dans le prochain vous n'avez pas fini d'entendre parler de "bijoux" ^^

J'espère aussi que j'ai bien réussi à introduire le Tai-Chi. Si c'est pas assez clair, dites le moi et je ferais une petite note ;)

Prenez bien soin de vous <3

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