Chapitre 17 : Un jour, je me vengerai
De retour dans sa chambre, Lily ne parvenait pas à se calmer. Quand elle repensait au visage indolent, foutrement parfait et inexpressif du tyran, elle ne pouvait ignorer l'échec cuisant de sa récente confrontation. Elle-même ne savait pas ce qu'elle avait espéré avec son coup d'éclat, mais certainement pas cette indifférence froide et condescendante.
« Espèce de bloc de pierre ! Foutu psychopathe ! Crétin sans âme ! »
Encore sous le rush d'adrénaline, elle balança son pied contre l'armoire, avant de se rendre compte que ses orteils n'étaient clairement pas aussi insensibles que le bois.
« Aïe, fais chier ! » beugla-t-elle en sautillant comme une éclopée jusqu'à son lit.
Sur la couette, son paquet de cigarettes lui tendait les bras. D'un geste mécanique elle s'en empara, ouvrit le fourreau et attrapa une clope du bout des lèvres. L'odeur familière du tabac frais et sec la rassura. Voilà qui pouvait éventuellement apaiser ses nerfs, du moins si elle mettait la main sur son foutu briquet.
À quatre pattes, en pleine exploration des dessous du sommier, elle ne remarqua pas l'ombre furtive qui s'était profilé derrière elle.
Sans crier gare, un bras s'enroula sous son ventre et la fit décoller du sol comme on cueille une pâquerette. Trop vite pour qu'elle ne puisse réagir, elle fut emportée à l'angle du bureau, et jetée sur le fauteuil à roulettes.
Tout avait été si soudain, c'était à peine si elle avait senti les mains de Li-Bai se poser sur elle. Et quand elle voulut se relever pour riposter, elle remarqua que son poignet gauche était menotté au radiateur sous la fenêtre.
De consternation, sa clope lui tomba du bec. Sous son regard hébété, en des gestes lents et mesurés, le tyran déposa une feuille vierge et un stylo sur le coin du bureau.
- T'es malade ? C'est quoi ce bordel ? Libère-moi immédiatement, lui cria-t-elle en tirant désespéramment sur son bracelet métallique.
- Pas avant que tu aies assimilé et recopié les règles.
- Alors là plutôt crever ! cracha-t-elle presque à bout de souffle.
- Bien. On verra combien de temps tu tiens sans fumer.
Trop atterrée, Lily ne trouva rien d'assez violent à lui hurler avant que sa démarche d'automate prenne la tangente et qu'il referme la porte derrière lui. S'il n'y avait pas eu ces foutues menottes, elle l'aurait poursuivi et lui aurait sauté à la gorge pour lacérer son insupportable belle gueule de tortionnaire.
« L'enfant de Satan. L'immonde salaud ! » voilà ce qu'elle aurait dû lui balancer avant qu'il ne l'abandonne dans cette position humiliante. Même si en tout état de cause ça n'aurait probablement rien arrangé à la situation...
Alors quoi, fallait-il qu'elle fasse la mignonne et essaye de l'amadouer en feignant d'être docile et obéissante ? Il devait forcément y avoir un moyen de l'obliger à la libérer sans se soumettre... Ou peut-être pas.
Au fond d'elle, Lily se doutait que faire plier un homme aussi rigide que Li-Bai revenait à vouloir inverser le sens de rotation de la terre. Et il était désormais trop tard pour engager une discussion ou des négociations.
Après d'innombrables minutes à le maudire intérieurement et à ronger son frein, la jeune femme se laissa vaincre par le manque de nicotine et l'urgence grandissante de se vider la vessie.
Prenant sur elle comme jamais elle ne s'en serait cru capable, elle l'appela, s'astreignant à rendre sa voix la moins haineuse possible.
Presque aussitôt il reparut dans la chambre. Il fit peser sur elle l'ombre de sa haute silhouette stoïque et la toisa avec une épatante neutralité. Aucune trace de supériorité ou de triomphe ne transparaissait sur ses traits lisses et marmoréens. Et pour une fois, Lily apprécia qu'il conserve son masque d'indifférence.
- C'est bon, je me rends. Dicte-moi tes stupides règles qu'on en finisse, soupira-t-elle en essayant de prendre la pose d'un scribe attentif.
- Elles ne sont pas stupides. Les recopier ne suffira pas. Tu dois t'engager à les respecter, expliqua-t-il avec la ferme patience d'un pédagogue.
- Ouais si tu veux...
Se penchant sur le bureau, Li-Bai posa sa grande main à plat, tout près de la sienne, et de son regard inquisiteur chercha celui de sa protégée.
- Lily, je suis sérieux.
Ignorant la tonalité grave avec laquelle il avait prononcé son prénom, la jeune femme refusa de rencontrer ses yeux.
- D'accord, je m'engage à les respecter ! Content ? concéda-t-elle en tapotant nerveusement la mine de son stylo sur le papier.
- Mmn... Alors recopie : « Règle numéro 1 : Ne pas essayer de sortir ou de s'enfuir de l'appartement. »
- Hep hep, moins vite, tu veux. Ça fait un bail que j'ai pas écrit en chinois.
- Je t'autorise à écrire dans ta langue si tu préfères.
Lily haussa les épaules et poursuivit sur sa lancée. En vérité elle y voyait l'occasion de se faire la main. Remobiliser sa connaissance des caractères han ne pourrait que l'aider à déchiffrer les « semi-sinogrammes » des documents de Lan.
D'ailleurs, elle avait hâte d'en finir au plus vite avec cette histoire de règlement pour mieux retourner à ses traductions. Car pour l'instant, la sauveuse de toute l'humanité en était réduite à copier sa punition comme un cancre de CP...
Concentrée à sa tâche, les automatismes revinrent très vite. Autant que possible, elle s'appliquait à mettre à profit les enseignements de Lan pour retracer soigneusement les sinogrammes.
Li-Bai, qui observait sa prise de notes par-dessus son épaule, ne manquait pas de lui faire remarquer avec prévenance lorsqu'elle se trompait. Étrangement, si elle faisait abstraction d'être sous la contrainte, l'exercice avait quelque chose de presque apaisant, dans la mesure où il faisait sourdre les réminiscences d'une époque bénie. Elle se rappelait ainsi les innombrables séances de calligraphie durant lesquelles son tuteur l'avait guidé avec force de patience et de bienveillance dans son apprentissage de la langue chinoise.
Cependant, cette fois il ne s'agissait pas de recopier de sages proverbes confucéens. Aussi, elle ne pouvait réprimer un criant sentiment d'injustice devant la sévérité des règles qui devraient dicter sa conduite.
Arrivée presque à la fin, elle ne put s'empêcher de demander :
- On peut savoir ce que c'est cette histoire de sport une heure par jour ? Tu crois pas que je vais avoir assez de pain sur la planche ?
Li-Bai croisa les bras sur son torse et lui répondit d'un ton où perçait le reproche :
- Ton flux d'énergie est chaotique. Ça te rend agressive et ça t'empêche de dormir. En restant cloîtrée ici, ça ne fera qu'empirer. Tu risques de devenir infernale...
Avant même de le laisser finir, Lily se retourna sur sa chaise à roulette. Elle aurait voulu avoir l'air glaçant et impressionnant des grands méchants dans les films, mais être menottée au radiateur avait plombé tout son effet dramatique. En plus de lui tordre le poignet...
« Aïe, bordel ... » puis sans s'appesantir sur la douleur, elle répliqua avec aigreur : «Je rêve ou t'insinues que je suis une hystérique insomniaque ? »
« Fais attention à ta main » fit-il d'un ton las en reculant le siège pour épargner son bras.
Puis, il l'instruisit :
- Je compte t'enseigner le tai-chi. Une heure par jour. C'est le strict minimum pour éviter les débordements d'humeur et les insomnies.
« V'la pas qu'il se prend pour Lao Tseu avec sa soupe de vieux maître Taoïste. Franchement c'est bien son genre de vouloir m'initier à de la discipline corporelle. Ce mec est le pire de tous ! »
- C'est pas mon truc le tai-chi. C'est lent, ennuyeux et je suis pas du tout sensible à ces conneries de « Qi » et d'énergie.
Si le jeune homme avait été heurté qu'elle déprécie ouvertement l'un de ses enseignements favoris, il n'en laissa rien paraître. Cependant, sa réponse fut encore plus sévère et tranchante que de coutume :
- Que tu le veuilles ou non, tu le pratiqueras.
Piquée par cette affirmation aux accents de sentence irrévocable, Lily ouvrit la bouche et eut la présence d'esprit de la refermer aussitôt. Consciente qu'il ne l'avait pas encore libérée, elle se mordit férocement l'intérieur de la joue pour réprimer le flot d'objections qui aurait menacé d'ébranler la patience du tyran.
Sans piper mot, elle se retourna. Et alors que la voix ridiculement grave et taciturne de Li-Bai achevait de lui énoncer les dernières règles, elle se cramponna à son stylo comme à une dague mortelle.
Elle ne savait pas encore quand, ni comment, mais elle allait bien finir par percer une faille dans la carapace de ce maniaque. Et ce jour-là, elle se ferait un malin plaisir de lui faire payer son ingérence.
Notes :
Proverbes confucéens : Il s'agit des proverbes du philosophe Confucius. Sa doctrine a profondément marqué la Chine (et même le monde asiatique) car considéré pendant longtemps comme religion d'Etat.
Lao Tseu : Grand sage, père du Taoïsme. Il a notamment écrit "Le livre de la voie et de la vertu". Personnage emblématique qui a aussi façonné la culture chinoise par ses enseignements.
Taoïsme : "L'enseignement de la voie" (pensez à la série Mandalorian "This is the way" ^^). Avec le confucianisme et le bouddhisme, le taoïsme est un des piliers de la pensée chinoise.
Concernant l'art du tai-chi je compte l'expliquer dans l'histoire au moment opportun ;)
Sinon, que pensez-vous de l'attitude de Li-Bai ? Est-ce que selon vous il va trop loin dans son besoin de "discipliner Lily" ? ^^'
J'espère que ce chapitre vous a plu. Pour l'instant Lily se fait un peu victimiser, mais ne vous inquiétez pas, la tendance finira bien par s'inverser ;) !
Sur ce, merci à vous pour vos lectures et prenez bien soin de vous <3
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