Chapitre 16 : Tes stupides règles !
Lily s'éveilla en sursaut. Sa couette vola à ses pieds et un long frisson parcourut son corps nimbé de sueur. La moiteur qui l'enveloppait lui laissait l'horrible sensation d'être encore trempée de sang. Une faible lueur s'échappait par-dessous la fenêtre barricadée et la pénombre de la pièce lui parut insoutenable. Pour s'en extraire, elle se précipita sur l'interrupteur. La bile au bord des lèvres, elle contempla l'intérieur de sa petite chambre, essayant de reprendre pied dans la réalité. Et pour calmer ce froid qui la saisissait, elle enfila son jean troué et son tee-shirt trop large.
Son regard s'arrêta sur le bureau recouvert de ses feuillets, la rappelant à l'objet de sa présence en Chine et à l'importance cruciale de sa mission.
Si elle voulait remporter la partie d'échecs, elle devrait faire face à ses responsabilités. Pour la première fois, résoudre des énigmes n'engageait pas que son seul plaisir. Il y avait un enjeu, un couperet qui ne manquerait pas de tomber sur la tête des innocents si elle prenait sa quête par dessus la jambe. Elle aurait voulu pouvoir s'en moquer, mais son inconscient venait de lui rappeler qu'elle n'était pas aussi nihiliste et insouciante qu'elle l'aurait souhaité.
Sous le poids de la pression, encore marquée par le rêve qui l'avait confrontée à ses peurs les plus viscérales, son cœur se débattait dans sa poitrine, comme monté sur ressorts. Mais plutôt que de céder à la torpeur, elle s'arma de résolution et fonça vers son bureau, bien déterminée à se replonger dans la traduction des messages de Lan.
Sur la pile de feuilles gribouillées la veille, elle eut la surprise de découvrir un document dont elle n'était pas l'auteure.
Intriguée, elle se saisit du papier et entama la lecture des idéogrammes calligraphiés avec soin et minutie :
Règlement
Règle 1 : ne pas essayer de sortir ou de s'enfuir de l'appartement.
Règle 2 : ne pas chercher à entrer en contact avec quelqu'un de l'extérieur.
Règle 3 : ne pas utiliser de téléphone portable.
Règle 4 : ne pas utiliser un ordinateur sans surveillance.
Règle 5 : interdiction d'aller sur le balcon ou de traîner devant la baie vitrée du salon.
Règle 6 : interdiction de boire l'eau du robinet.
Règle 7 : manger à heures fixes sans discuter.
Règle 8 : se lever et se coucher à heures raisonnables.
Règle 9 : une heure d'exercice physique par jour.
Règle 10 : ne pas déambuler dans l'appartement à moitié nue.
Règle 11 : pas plus d'un paquet de cigarettes par jour.
Règle 12 : obéir à toute autre règle circonstancielle qui pourrait advenir.
« Règles »... S'il y avait bien un mot qu'elle abhorrait entre tous, c'était celui-ci. Et chaque occurrence, suivie d'injonctions toutes plus abusives les unes que les autres, fit surgir en elle un feu ardent d'insurrection.
Ses yeux exorbités fixaient avec colère les caractères soignés et symétriques. L'écriture était belle, nette et précise. Pas une faute ni une seule bavure de stylo. Et cet horripilant ton péremptoire... Cela ne pouvait qu'être l'œuvre du tyran !
Imaginer que Li-Bai s'était faufilé dans sa chambre pendant son sommeil pour déposer ce torchon sur son bureau, lui donna de soudaines envies de meurtre.
La lecture de ce document aberrant avait libéré ses humeurs les plus furibondes. Et comme si on venait de lui fouetter les artères, la jeune femme céda à l'afflux de ce coup de sang matinal.
À la trappe ses angoisses nocturnes. Oubliée sa résolution de se mettre au travail pour sauver le monde. Désormais, l'instinct de rébellion régnait en maître sur son esprit.
Quand elle déboula dans la cuisine, le cheveu hirsute et la face rongée par le fiel, la brochette de kidnappeurs était réunie autour de la table. Guo lisait le journal d'un air concentré. Cheng s'empiffrait de galette aux œufs. Et Li-Bai, ce monstre qu'on avait dû extraire d'un bloc de glace en Antarctique, sirotait une tasse de thé avec le raffinement et la dignité d'un grand maître zen.
Tout content qu'elle vienne se joindre à eux, le Puppy Boy l'accueillit avec sa bonhomie habituelle :
- Oh, Lily, ní hǎo ma ? Je te sers une tasse de thé vert ?
- Toi ta gueule le chapelier fou !
Tous se figèrent en entendant résonner son ton massacrant et la jeune femme profita de leur silence consterné pour se planter devant le tyran. Frappant du poing sur la table, elle lui colla son foutu règlement sous le nez :
- C'est quoi cette merde ! Je sais bien que le respect des libertés individuelles c'est pas votre truc à vous les communistes, mais je pensais pas être au goulag !
Si Li-Bai eut la patience et l'intelligence de ne pas réagir à ses paroles venimeuses, Guo ne supporta pas l'insulte. Qu'elle s'en prenne à Cheng était une chose, qu'elle se permette des remarques désobligeantes et polémiques sur l'unique parti du pays était autrement plus dérangeant.
S'exprimant au nom du patriotisme qui animait les trois héros de la nation, le quarantenaire assena d'une voix acerbe :
- As-tu seulement idée de ce qu'est vraiment un laogai ? Tu mériterais d'aller y faire un tour pour voir à quoi ressemblent les travaux forcés...
- Oh, toi, la vieille chenille, je t'ai pas sonné, alors ferme-là !
Hurlant plus fort que lui, elle n'avait même pas pris la peine de regarder son interlocuteur.
Ses yeux étaient beaucoup trop occupés à fusiller Li-Bai d'œillades assassines. Et devant son absence totale de réaction, comme si elle avait voulu l'embrocher, elle piqua son torse d'un doigt accusateur :
- La moitié de tes règles n'ont pas de sens ! Ok, je reste cloîtrée. Ok, je fais gaffe à ma sécurité. Mais pour ce qui est de gérer ma vie et mon corps, t'as rien à dire espèce de maniaque !
Ignorant son ongle qui essayait de déchirer son tee-shirt et de percer sa peau chaque fois qu'elle ponctuait ses mots, Li-Bai finit par se confronter à Lily la harpie. Son beau visage demeura inexpressif mais sa voix se fit lourde et catégorique :
- Toutes les règles sont non négociables. Tu devras t'y plier.
Aussitôt, les yeux de jade de la jeune femme s'agrandirent de hargne et s'assombrirent dans une teinte vert crapaud.
- Ah ouais ? Compte là-dessus ! Regarde ce que j'en fais de ton stupide règlement !
Ses petites mains s'acharnèrent à déchiqueter la feuille en de menus confettis qu'elle relâcha par poignées au-dessus de la tasse du tyran pour saupoudrer son thé. Et comme une tornade, elle s'en retourna dans sa chambre, claquant sa porte à en faire trembler les murs.
Dans un calme admirable, le jeune officier se contenta d'aller vider l'amalgame de papier trempé et de thé aromatisé à l'encre noire dans l'évier.
- On va vraiment se laisser insulter sans rien faire ? Cette femme est folle à lier. Elle mériterait une bonne correction, gronda Guo en se levant de sa chaise.
Lavant consciencieusement sa tasse, Li-Bai lui répondit avec autant de flegme que d'assurance :
- Laisse. Je m'en occupe.
Notes :
ní hǎo ma : comment ça va ?
laogai : camp de travail forcé, des sortes de goulags à la chinoise. Officiellement ça n'existe plus mais semblerait-il qu'officieusement il y en a qui sont toujours en activité ^^'
Alors alors, que pensez-vous de ce réglement ? ^^
C'est un chapitre très court car je l'ai coupé en deux. J'espère ainsi que vous attendrez avec impatience de voir comment Li-Bai va gérer la situation ;p !
Sur ce à bientôt et prenez bien soin de vous <3
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