Chapitre 14 : L'heure d'aller au lit
Une fois rassasiée de nouilles et de nicotine, Lily partit explorer le reste de l'appartement. Cheng et Guo s'étaient établis dans la chambre d'amis et tandis que le Puppy Boy pianotait sur son ordinateur comme un virtuose du clavier, le vieux loup de mer, assis sur le lit, essayait d'ignorer l'intruse qui farfouillait dans la pièce.
En passant près de lui, elle remarqua qu'entre ses mains calleuses il tenait un écran de contrôle.
- Eh, mais ce serait pas le parking et l'entrée de l'immeuble ?
Guo ne prit même pas la peine de lui confirmer l'évidence et Cheng répondit à sa place :
- J'ai piraté les caméras de surveillance. S'il se passe quelque chose de suspect, on le verra aussitôt.
- De vrais agents secrets ! Par contre ça se passe comment, vous allez dormir dans le même lit tous les deux ?
Comme s'il avait senti arriver la vanne foireuse, Guo contre-attaqua d'une voix brusque et impatiente :
- T'as pas autre chose à faire que de nous traîner dans les pattes ? Faudrait peut-être que tu songes à aller te laver. Tu fais peur à voir.
- T'es vraiment pas aimable l'ancêtre. Mais t'as raison. Je vais aller me décrasser...
Armée de sa nouvelle trousse de toilette, elle pénétra dans la petite salle de bain grise et fonctionnelle. Quand elle retira ses fringues, une légère odeur de sudation, un peu âcre, lui indiqua qu'il était en effet grand temps de retrouver un minimum d'hygiène. C'était presque un miracle que l'autre psychopathe soit parvenu à sentir sur elle de la vanille...
Sous les rets d'eau chaude, elle se lustra proprement, profitant délicieusement de cet instant d'intimité et de relaxation. En ressortant, elle se résolut finalement à enfiler le pyjama de satin rose. Elle le trouvait peut-être hideux, mais au moins il était propre...
La douche lui avait fait un bien fou. Finalement délassée, elle sortit de la salle de bain, forte d'un apaisement nouveau qu'elle comptait bien bousculer en replongeant dans la frénésie de ses recherches.
Mais en arrivant sur le seuil de sa chambre, elle se figea.
Avec les gestes secs et millimétrés d'un maniaque, Li-Bai était en train de ramasser le fruit de son labeur, rassemblant les feuilles volantes sur le bureau.
Comment osait-il toucher à son travail ?
Plus contrariée que s'il s'était permis de renifler ses petites culottes, elle se précipita vers lui et abattit le plat de la main dans son large dos pour le bousculer. Plus solidement ancré dans le sol qu'un chêne centenaire, il l'ignora en beauté.
- T'es sérieux ? Tu fais quoi là ? lui cracha-t-elle d'une voix outrée.
Seulement après avoir ordonné ses papiers en une pile bien droite, il daigna se retourner pour lui exposer l'évidence :
- Un peu d'ordre s'imposait, fit-il de son horripilante voix grave et atone.
Devant lui, la jeune femme fulminait, bras croisés, foulant la moquette du pied comme un taureau prêt à charger.
- Mais de quoi je me mêle ! De un, c'est mon bordel, tu touches pas. Et de deux, c'est malin, je vais devoir tout remettre par terre pour m'y retrouver.
- Non. Tu vas dormir. Il est tard.
À ces mots, patience et tempérance désertèrent définitivement Lily. D'un rire mauvais, sans aucune trace d'humour, elle se planta sous son torse. Envahissant son espace personnel, elle leva le cou avec défiance et le fusilla d'un regard vert poison.
- On va avoir un problème. J'ai aucune envie de pioncer !
Entre son petit corps menu, affublé d'un adorable pyjama rose bonbon, et sa posture de racaille en pleine intimidation, le contraste était saisissant. Presque comique si Li-Bai faisait abstraction de l'aura agressive qu'elle déployait sur lui. Pour autant, il resta de marbre. Avisant sur elle un regard où se mêlaient patience et fermeté, il énonça d'un ton catégorique :
- Force-toi. Mets-toi au lit. J'éteindrai la lumière en sortant.
Comme il pensait avoir clos la conversation, il voulut se détourner, mais elle fit front devant lui et agrippa son tee-shirt.
- Parce que tu crois que je peux trouver le sommeil en claquant des doigts ?
- Tu ne le sauras qu'en essayant. Va te coucher.
- Je rêve. T'es encore plus paternaliste que ton pays... De quel droit tu te permets de me dicter ma conduite ? Rien à foutre, si tu éteins la lumière je la rallumerais.
Un pli imperceptible se dessina entre les sourcils du jeune officier et ses yeux perçants s'étrécirent comme à titre d'avertissement :
- Je te le déconseille.
Totalement insensible aux subtiles expressions faciales qui indiquaient la position de supériorité de son interlocuteur, Lily le défia une énième fois. Bousculant son torse de son sternum, elle lui demanda avec rancœur :
- Ah ouais, sinon tu vas faire quoi ? Tu vas encore me sédater espèce de taré ?
Li-Bai s'obligea à ignorer le souffle mentholé qui exhalait de ses petites lèvres hargneuses pour lui opposer le sien, étrangement sucré et acidulé, en faisant tomber sur elle un lourd soupir.
- Non. Mais puisqu'il te faut absolument obéir sous la menace : si je vois de la lumière sous cette porte, je t'attache pour la nuit, concéda-t-il d'une inflexion monocorde et pourtant abrupte.
Médusée, Lily le relâcha, se souvenant soudain qu'elle était loin de posséder les mêmes armes physiques que lui.
Sans voix, elle inspecta ses yeux sombres pour y décerner la moindre trace de bluff. Il soutint son regard avec suffisamment de sévérité et de détermination pour qu'elle ait sa réponse : ce malade n'hésiterait pas à mettre sa menace à exécution et ce sans remords ni hésitation.
Habitée par la rage des vaincus, Lily se fit violence pour ne pas aggraver son cas et dans un grognement outré, elle alla se jeter à plat ventre sur son lit. L'instant suivant, elle entendait s'éloigner le pas leste de Li-Bai. Le noir se fit autour d'elle et la porte se referma.
De frustration, elle craqua sa chemise de satin et jeta son pantalon sur le sol à la suite des petits boutons sauvagement arrachés. Allongée en sous-vêtement sur son lit, elle agrippa son oreiller, et s'imaginant qu'elle tenait le cou de son garde du corps, elle le serra entre ses bras comme pour l'étouffer.
Se calmer lui prit au moins une bonne heure. Et oser se lever pour étancher une soif de tous les diables, au moins une de plus.
Finalement résolue à affronter le tyran s'il ne dormait pas encore, elle alluma la lumière et ouvrit discrètement la porte de sa chambre. Avec la furtivité d'un suricate, sa tête passa d'abord l'entrebâillement, puis comme l'appartement semblait silencieux et vide de toute activité, elle se faufila dans la pénombre.
Seulement guidée par l'éclairage derrière elle, qui s'amenuisait à mesure de son avancé, elle chemina sans bruit en tâtonnant les murs et les meubles alentour. L'excursion nocturne se déroulait sans accrocs, elle touchait presque au but lorsque, arrivée à l'intersection du couloir de l'entrée et de la cuisine ouverte, elle se prit les pieds dans un poids mort qui se confondait avec le sol. Ses genoux amortirent sa chute, mais avant qu'elle ne se relève, une masse bondit sur elle pour l'épingler contre le revêtement en rotin.
Elle reconnut immédiatement la silhouette élancée et l'agilité sans pareil de l'homme qui la surplombait. Alors qu'il remontait son avant-bras sur sa gorge, comme si elle était un dangereux assaillant qu'il lui fallait maîtriser, elle lui hurla dans les tympans :
- Li-Bai, c'est moi, espèce de crétin !
- Lily ?
Bien qu'alerte, le timbre rauque de sa voix indiquait qu'elle venait tout juste de le tirer du sommeil.
- Non, le pape. Dégage de là, tu m'écrases !
La seconde suivante, il la libérait de son poids et allumait la lumière pour la découvrir étalée par terre, seulement vêtue d'une brassière noire et d'une petite culotte blanche.
« Bordel, tu pourrais prévenir » geignit Lily en grimaçant sous les néons comme un vampire saisi par l'aube.
Sans la ménager ni la regarder frontalement, Li-Bai lui attrapa les poignets et la fit se relever d'un bond. Prestement, il se saisit de la couverture qui recouvrait son duvet et la passa autour des épaules de la jeune femme.
- Qu'est-ce que tu fais là ? Tu essayais de t'enfuir ? s'empressa-t-il de lui demander en refermant les pans autour d'elle pour cacher son intolérable quasi-nudité.
- Oui bien sûr, je comptais arpenter la ville à moitié à poil... La vraie question c'est : toi qu'est-ce que tu fous là ? On n'a pas idée de dormir à même le sol avec les jambes en plein dans le passage. C'est quoi le souci, espèce de maso, le confort d'un lit c'est pas assez spartiate pour toi ?
En dépit de son naturel stoïque, Li-Bai dut se faire violence pour conserver son calme. Supporter son impudeur et ses vannes belliqueuses dès le réveil lui sembla soudain bien plus brutal que n'importe lequel de ses levés aux forces spéciales. Il en venait presque à regretter les seaux d'eau glacée et le bruit strident de l'alarme de la caserne.
- Je dors près de l'entrée en cas d'intrusion. Maintenant dis-moi ce que tu fais là.
- J'ai soif. Tes nouilles étaient foutrement trop salées.
Alors qu'elle se détournait de lui pour aller boire au lavabo, il la rattrapa par les épaules.
- Pas l'eau du robinet.
- Pourquoi pas ?
- Elle pourrait être empoisonnée.
- Pff, tu serais pas un peu parano quand même ?
Son regard, encore plus grave et sérieux qu'au naturel, se planta dans les yeux de Lily pour bien lui faire prendre la mesure de cette interdiction.
- Non. Je connais mon métier. C'est plus courant que tu ne le crois.
Pour une fois, elle n'argumenta pas et attendit qu'il lui ramène une bouteille d'eau minérale. Avec empressement, elle s'en saisit et fit disparaître le goulot entre petites ses lèvres roses. Sans aucune retenue, elle bascula la tête en arrière, se moqua que la couverture quitte ses épaules et bût à grandes rasades, ignorant l'eau qui débordait de sa bouche pour ruisseler le long de son menton et de son cou.
Atterré par son indécence, Li-Bai détourna les yeux et lui commanda d'une voix sèche :
- Va te recoucher maintenant.
Il l'entendit souffler d'exaspération, et quand elle regagna sa chambre, lui, souffla de soulagement.
En vérité, la contenance froide et mutique de sa façade extérieure n'avait d'égale que son agitation intérieure. Même après le départ de Lily, enfoncé dans son duvet, il ne parvenait pas à trouver le sommeil.
Chaque fois qu'il se trouvait dans la même pièce qu'elle, ses sens étaient aussi alertes que s'il se tenait près d'une bombe à retardement. Et malgré sa vigilance et son sang-froid, il ne pouvait jamais prédire quand ou de quelle manière elle allait lui exploser à la figure.
Il convenait que la situation dans laquelle elle se trouvait puisse être perturbante, mais jamais il n'avait connu quelqu'un d'aussi versatile, lunatique et imprévisible. En à peine 48 heures, elle avait d'abord perdu tout sens commun en apprenant la mort de Lan, se débattant comme une démente et allant jusqu'à essayer de sauter de la voiture en marche. Puis, dans les bureaux du MSS, elle s'était faite plus fébrile et misérable qu'un chaton qui se noie en se laissant submerger par une angoisse indicible. Et en dépit de tout ça, elle pouvait aussi se montrer plus rebelle et défiante qu'une insurgée kamikaze, n'ayant aucun sens des convenances et de la mesure, se moquant bien des conséquences ou de toute forme d'autorité.
Elle était agressive, grossière, impertinente, libérant ses émotions brutes et ses remarques acerbes comme un électron libre. Mais ce qui le dérangeait le plus en cet instant, c'était son cruel manque de pudeur, sa propension à exposer son corps de manière insouciante et détachée devant un homme avec qui elle ne partageait aucune intimité.
Même s'il avait essayé de les cacher et de ne pas les contempler, ses courbes blanches et graciles s'étaient imprimées dans son esprit. Il aurait voulu pouvoir les oublier, mais sa mémoire photographique s'en était emparée contre son gré. Si bien qu'il se souvenait à la perfection de chaque détail sensuel ou intriguant, comme le petit grain de beauté qui surplombait son sein gauche ou encore le mystérieux tatouage qui s'épanouissait juste en dessous de son nombril : une tombe, noire comme la nuit, entourée de roses rouges, épineuses et sanguinolentes. Et il se demandait déjà quelles étaient les raisons qui l'avaient poussée à souiller sa peau de nacre d'un motif si sombre et lugubre.
Dès les premiers instants, cette femme infernale avait été une source d'inquiétudes. Et il détestait qu'elle accapare ses pensées et s'érige dans son esprit comme une énigme. Mais par-dessus tout, il haïssait qu'elle se présente à lui comme un objet de désir.
S'il voulait préserver son intégrité et sa paix intérieure, il allait devoir prendre des dispositions draconiennes. Dès demain, il commencerait par canaliser les débordements de Lily, et peut-être qu'ainsi, il pourrait apprendre à mieux canaliser les intolérables sentiments qu'elle éveillait en lui.
Bon voilà, la dynamique entre les deux est lancée !
J'espère que leurs interractions vous ont plu, de mon côté ça m'a éclaté d'écrire et d'imaginer ces scènes. J'espère aussi que ça reste crédible et cohérent avec la nature des deux personnages ^^
Je vous remercie encore de me lire et de me donner vos avis. :)
Prenez bien soin de vous <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top