Chapitre 12 : L'énigme du Petit Prince
Lily se réveilla dans le noir. Un instant, elle se crut à Londres, dans le lit de sa chambre adorée. Encore transie par le sommeil, elle voulut atteindre sa lampe de chevet. À la recherche de l'objet, étirant toujours plus le bras, elle finit par rouler sur le sol. Étalée de tout son long, elle souffla contre la moquette qui lui chatouillait les narines.
Ce fut le petit détail qui la ramena à la triste vérité. Elle n'avait jamais fait poser de moquette dans sa chambre et elle n'était pas chez elle, mais à des milliers de kilomètres.
Éclatée au sol parmi les ténèbres, quelle putain d'ironie. Ça résumait parfaitement sa situation et son état d'esprit. Pendant une minute, elle fut tentée de rester affalée sur le ventre pour voir si elle pouvait s'enterrer dans le sol et disparaître. Mais cette tentation familière de s'abandonner aux ténèbres ne dura pas. Encore et toujours, l'instinct de survie et la rébellion repoussaient le désespoir.
Roulant sur le dos, elle se ressaisit. Se laisser aller à l'apathie ne lui apporterait rien. Si elle voulait se sortir de là, elle devait rester alerte.
Dans un grognement vigoureux, elle se releva.
Perdue au milieu de la pièce, elle tendit les bras pour avancer à tâtons et trouver soit un interrupteur, soit la sortie. Après s'être cognée pour la troisième fois contre un meuble en embuscade, elle chuta, emportant avec elle une lampe de bureau. Tenant sa victoire contre l'obscurité, elle appuya, pleine d'espoir, sur le bouton qui ressortait du socle. Une fois, deux fois, trois fois, et rien. Pas l'ombre d'une étincelle. Elle réalisa finalement que son pied s'était empêtré dans le fil et que fatalement, elle l'avait débranché en tombant. Et ce fut la goutte d'eau...
« Bordel ! Qu'est-ce que je t'ai fait, espèce de salope inutile !? » explosa-t-elle en secouant le pauvre objet au-dessus de sa tête.
La porte s'ouvrit aussitôt. Li-Bai se profila dans l'encadrure et la lumière fut.
Alerté par les cris de Lily, il avait craint que quelqu'un ne se soit introduit dans sa chambre. Mais quand il la vit, résolument seule, à genoux sur la moquette blanche, en train d'étrangler de ses deux mains une lampe inanimée, il se détendit.
Il doutait que cette femme soit capable de ressentir de la gêne ou de la honte, mais par respect, il fit comme s'il n'avait rien vu de cette scène ridicule. Et sans une parole, il s'éclipsa en refermant la porte.
Un instant, Lily se sentit comme une taupe qui émerge de son terrier.
Remise de ses griefs contre la lampe, elle l'abandonna sur le coin du bureau qui l'avait agressée. À la lumière éclatante du plafonnier, elle pouvait enfin observer scrupuleusement la pièce où elle se trouvait : petite, chaleureuse sans être douillette, dans les tons vert amande et étonnamment propre et bien rangée.
Elle devinait que Lan n'y avait pas passé beaucoup de temps. À moins que les trois agents se soient chargés de nettoyer et d'ordonner le lieu.
Un regard à la fenêtre au-dessus du bureau lui confirma cette hypothèse. Obstruée par une planche de carton et une tonne de gros scotch, il était impossible de voir au travers. Probablement par soucis de sécurité, au cas où un sniper attendrait patiemment qu'elle ne montre sa frimousse. Par contre, l'absence de poignée, visiblement démontée récemment, la fit tiquer. Ça, c'était clairement pour l'empêcher elle de s'échapper.
Ils la prenaient soit pour une ninja, soit pour une suicidaire. Franchement, si elle devait songer à un plan d'évasion, sauter du huitième étage figurait en bas de la liste.
Consternée par ce détail qui lui rappelait sa captivité, elle poursuivit son inspection.
Dans le prolongement de la porte, s'enfonçait un large dressing qu'elle ne tarderait pas à investiguer. Si jamais elle voulait trouver un peu de lecture, une grande bibliothèque offrait une large collection de livres et occupait presque un pan de mur entier. Contre celui d'en face, reposaient la tête d'un petit lit simple bordé d'une couette violette, et juste à côté, une table de chevet en bois nu, seulement surmontée d'un cadre photo. À l'intérieur des bords noirs, Lily reconnut aussitôt les deux protagonistes : elle, âgée de 10 ans, la bouche édentée et étirée d'une banane exagérée, un skate à la main et le nez barré d'un pansement ; et derrière elle, Lan, haut et un peu voûté, infoutu de sourire à l'objectif, une main rassurante posée sur sa petite épaule.
Elle ne savait ce qui la remuait le plus, revoir cet éclat de bonheur enfantin dans son propre regard ou que Lan ait été assez sentimental pour garder cette image à côté de son lit.
« Crétin... Tu m'as jamais oubliée au final » se dit-elle en caressant les bords de la photo.
Sentant que larmes et morve lui pendaient au nez, elle se ressaisit et replaça hâtivement le cadre à sa place.
« Chialer comme une madeleine ne le fera pas revenir. Ressaisis-toi, nom de Dieu ! »
En quête de distraction, elle alla effeuiller les ouvrages de la bibliothèque. Presque tous écrits en mandarin, langue qu'elle savait parfaitement lire, c'était davantage leur contenu qui lui restait hermétique. Lan était un homme de science, elle une femme de lettres. Leur seul point commun avait toujours été l'obsédante folie qu'ils déployaient dans leurs domaines de recherches.
Parmi des titres aussi affriolants que « Biochimie et biologie moléculaire » ou encore « Pratique en microbiologie de laboratoire », une tranche mince et colorée se cachait timidement.
L'ayant déjà reconnu, Lily se saisit du livre épais comme son petit doigt, et admira avec émotion l'illustration emblématique du "Petit Prince" de Saint-Exupéry. Enfant, ça avait été un des premiers livres que Lan lui avait lu. Grâce à ce conte philosophique, il lui avait fait comprendre la nature profonde des liens émotionnels et durables qui se tissaient entre les êtres qui au départ n'étaient que de simples inconnus.
Ses doigts tournèrent les pages avec hâte pour parvenir à son chapitre préféré : celui où le petit prince rencontre le renard qui lui demande de l'apprivoiser.
À son grand étonnement, elle découvrit que l'ensemble du passage était surchargé d'annotations inscrites dans les marges et entre les lignes. Devant l'amalgame de flèches, de lettres et d'obscurs symboles, ses méninges dansèrent la gigue tout autour du feu de joie ravivé de son érudition.
S'il y avait un point positif dans toute cette histoire, c'était bien la promesse de tromper son ennui mortel. Elle allait avoir du pain sur la planche et elle sentait déjà que cette énigme que lui avait concoctée Lan allait être longue et laborieuse à déchiffrer.
« Mon vieux de la vieille, je te décevrais pas ! »
Dès l'instant où son esprit se mit en branle pour ordonner le message et en dévoiler le sens caché, elle perdit toute notion du temps. Même si la fenêtre de la chambre n'avait pas été barricadée, elle n'aurait sans doute pas remarqué que depuis plusieurs heures, le soleil avait tiré sa révérence.
Quand Li-Bai revint dans la chambre, il la trouva assise au milieu de la pièce. Des feuilles éparses et brouillonnes jonchaient la moquette tout autour d'elle. Entre ses lèvres, la mine d'un stylo était devenue la proie de ses petites dents blanches et sur son front, il pouvait lire toute l'ébullition qui l'animait.
- Viens manger, lui demanda-t-il platement.
Sans grande surprise, elle ne daigna même pas lui adresser un regard. Et comme profondément ennuyée par le son de sa voix, elle initia un geste de la main, époussetant l'air pour lui dire de déguerpir.
- Pas envie, marmonna-t-elle sans cesser de gribouiller sur son papier.
Dans un soupir, le jeune officier l'approcha à pas résolus, bien déterminé à la tirer de sa transe intellectuelle.
Même plongée dans ses réflexions, quand Lily aperçut du coin de l'œil l'aura féline et menaçante, elle comprit son erreur et se reprit aussitôt. Changeant d'attitude avec plus d'aisance qu'une schizophrène, elle tourna vers lui une mine faussement embarrassée et lui adressa un petit sourire, beaucoup trop doux pour être sincère :
- Non, attends, c'est pas ce que voulais dire. Je suis sur un gros truc et je préférerais manger ici. Je peux ?
Soulagé qu'elle se montre finalement conciliante et aille même jusqu'à demander la permission, Li-Bai concéda d'un simple mouvement de tête. Trente secondes plus tard, il lui rapportait un bol débordant de nouilles sautées.
- Merci, ça a l'air délicieux, lui dit-elle en attrapant maladroitement un morceau de poulet entre ses baguettes pour le porter à ses lèvres.
Loin d'être dupe, il pouvait sentir que sa politesse et son amabilité étaient plus factices qu'une contrefaçon chinoise. Elle n'attendait qu'une chose, qu'il s'en aille et la laisse poursuivre ses recherches, mais tant qu'elle se nourrissait, peu lui importait.
« Màn màn chī » lui glissa-t-il de sa voix égale et monocorde avant de sortir.
- Je sens que je vais me régaler, se réjouit-elle sans se préoccuper d'en faire trop.
Dès qu'il eut refermé la porte, le sourire de Lily s'évanouit pour céder la place à une affreuse grimace de gremlins.
Sur un coin de la moquette, elle abandonna sa plâtrée, beaucoup trop épicée à son goût, et la laissa refroidir pour mieux se replonger dans son obsédant tourbillon de symboles.
Voilà pour ce chapitre plutôt tranquillou. Comme il est à la base très long et j'ai du le scinder en trois. J'espère que le découpage n'est pas trop abrupte. ^^
En dehors de l'énigme qui n'aura rien à voir, je pense exploiter un peu la référence du Petit Prince plus tard dans l'histoire. C'est un conte que j'adore et qui se prête bien pour parler de sentiments et de prise de conscience concernement l'attachement :)
En ce qui concerne la publication je pense désormais poster un seul chapitre mais deux fois par semaine plutôt que deux d'un coup. J'espère que ce rythme vous conviendra ^^
Prenez bien sois de vous <3
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