Chapitre 1 : Le Yang
Beijing. Quartiers du ministère de la sécurité de l'État chinois. 7h03
Trois hommes, sobrement vêtus de noir, attendaient en rang serré, fièrement campés devant la porte du 10e bureau du ministère. Ces trois héros de la nation avaient le port altier et des regards si droits qu'ils redresseraient la Tour de Pise d'une simple œillade assassine. Ils ignoraient encore la raison de leur présence dans la section des renseignements scientifiques et technologiques du MSS, mais ils se connaissaient déjà.
Le plus petit d'entre eux, proche de la trentaine, la mine affable, finit par briser le silence protocolaire. S'adressant au plus vieux de ses camarades, entre quarante et cinquante ans, il chuchota d'un air de conspirateur :
— Ils t'ont dit quelque chose, Guo sifu* ? Une idée sur la raison de notre présence ? Ou de pourquoi on a reçu l'ordre de s'habiller en civil ?
— J'en sais pas plus que toi, Cheng. Ils m'ont tiré de ma mission sans me donner le choix. J'ai dû abandonner une filature de plusieurs mois qui aurait pu faire tomber un membre de la triade. Alors une chose est sûre, cette merde doit être urgente et elle pue à des kilomètres, lui répondit l'homme d'une voix rude qui ne parvenait pas à dissimuler son impatience.
— Et toi, Li-Bai ? Tu étais sur un gros coup ? demanda finalement Cheng au troisième homme dont le jeune visage semblait marqué par un sérieux et une impassibilité sans bornes.
— Non.
Sa voix était basse, son ton grave et laconique. Bras croisés sur sa chemise noire et sans plis, il ne daigna même pas adresser un regard à son interlocuteur.
— Toujours aussi loquace en tous cas, ça fait plaisir. Tu veux vraiment pas me dire ce que tu faisais quand ils t'ont appelé ? À croire que t'as oublié tous ces instants partagés dans notre chambrée aux forces spéciales. Tu me brises le cœur, Li-Bai.
Devant le surjeu dramatique de son acolyte, l'homme demeura stoïque, laissant seulement un faible soupir s'échapper de ses lèvres à la pulpe épaisse et délicate.
S'il n'avait pas été un soldat surentraîné, sa beauté froide aurait sans doute pu lui permettre de se lancer dans le mannequinat. Les sponsors se seraient jalousement disputés son visage éthéré, sa haute stature, et sa minceur cousue de muscles nerveux. Et cet intense regard d'obsidienne, qui semblait percevoir êtres et choses en transparence, se serait retrouvé placardé sur tous les autobus de Chine. Mais au lieu d'engraisser l'économie de la patrie en devenant son égérie, il avait choisi de s'en faire l'honorable défenseur.
— Ma mission était déjà terminée. Avant que tu demandes : protection de témoin.
Malgré son effort de communication et d'anticipation, Li-Bai sentit que Cheng s'apprêtait à le bombarder de questions. Il remercia intérieurement le fonctionnaire qui ouvrit soudain la porte et lui épargna les babillages de son ancien frère d'armes.
Lorsque les trois agents pénétrèrent dans le bureau impersonnel et rangé au carré, l'ambiance était plus lourde qu'un char d'assaut et plus étouffante que du zyklon B.
De manière totalement synchrone, Guo, Cheng et Li-Bai, portèrent leurs mains à leurs tempes pour saluer l'éminent directeur du ministère et le chargé du 10e bureau.
« Repos. Messieurs, l'heure est grave... » commença le petit homme austère et grisonnant qui dirigeait le ministère. Enfonçant ses immenses lunettes rectangulaires sur son front, il se contenta d'ajouter : « Je laisse le chargé du 10ème bureau vous exposer la situation. » .
L'autre homme, lui aussi vieillissant, mais fort d'une haute carrure et d'un embonpoint qui le rapprochait des phoques de l'océan Pacifique, entama d'un ton grave :
— Cette nuit, le professeur Lan, l'un de nos plus brillants biologistes spécialisé en virologie, a été assassiné. Il laisse derrière lui des recherches qui pourraient conduire à une catastrophe biologique mondiale. Il est impératif de retrouver au plus vite ses formules et ses échantillons. Certains documents sont en notre possession, mais cryptés dans un étrange langage que personne ne semble être en mesure de traduire. Personne, sauf l'objet de votre mission. La voici :
Il actionna une télécommande et l'écran derrière lui laissa apparaître la photo d'une petite jeune femme à la peau blafarde, aux yeux cernés de noir et aux longs cheveux blonds, d'une couleur entre le miel et l'avoine.
— Lily McLoughlin. Trente ans. Londonienne. Femme célibataire. Chercheuse en linguistique. Spécialisation : langues anciennes et archaïques. Elle est la fille adoptive du professeur Lan. Tout indique qu'elle serait en mesure de nous aider dans nos recherches. Vous avez ordre de la protéger et de la ramener saine et sauve en république de Chine. À partir de là, vous assurerez sa garde rapprochée pendant toute la durée de sa collaboration. Nos sources anglo-saxonnes nous ont informés que sa vie est déjà en danger.
Plus discret qu'un ventriloque, Cheng murmura entre ses dents à l'attention de Li-Bai :
— Elle est pas mal pour une occidentale.
Bien qu'exaspéré par le manque de rigueur de son camarade, Li-Bai reconnaissait qu'outre son style d'ado en pleine révolte, cette femme ne manquait certainement pas de charme. Et encore moins de malice, à en juger par son sourire provocateur qui éclipsait presque l'éclat de ses yeux aussi verts et aussi pâles que le céladon des antiques porcelaines de Chine.
Une fois le strict essentiel exposé aux agents, le directeur reprit la parole pour mettre fin à l'entretien :
— Le temps presse. Un avion à destination de Londres vous attend d'ores et déjà. Vous y trouverez l'armement et le matériel nécessaire à votre mission. Nous vous transmettrons le reste des informations en chemin. Le ministère et la Chine comptent sur votre efficacité et votre discrétion. Fermeté et dignité !
— Fermeté et dignité ! répétèrent en chœur les voix fortes et résolues des agents.
Et d'un pas militaire, les trois héros de la nation quittèrent la pièce, prêts à s'envoler de leur pays pour le salut de la paix, non seulement chinoise, mais universelle.
Notes :
*Sifu : titre honorifique pouvant se référer à un maître en martiaux ou à un instructeur.
Fermeté et dignité : apparemment la devise exacte de la Chine serait « Fermeté dans la dignité et dynamisme dans l'indépendance ». Pour que ça soit plus simple et percutant, je me suis permise de l'écourter un peu ^^'
Sinon voilà, un court premier chapitre qui va vraiment à l'essentiel. J'aurais aimé en faire des tonnes pour vous présenter le perso masculin, mais je préfère le faire au fur et à mesure pour pas précipiter les choses. Et puis c'est assez galère de mettre en valeur un type aussi stoïque et taiseux. ^^'
Je me suis un peu plus investie dans le chapitre suivant qui présente le perso féminin. ^^
Sur ce merci de débuter cette nouvelle histoire et prenez bien soin de vous <3
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