Révélations
Je lui tiens toujours la main et je l'écoute me raconter son dernier cauchemar.
- Je me rappelle à présent. Le jour de mes treize ans, ma mère m'avait autorisée à aller en vélo jusqu'à la maison de ma meilleure amie. Je n'avais que 800 mètres à faire. J'ai pris un petit sac à dos et j'y ai mis un crayon et mon carnet. Une camionnette blanche a surgit devant moi à un carrefour et j'ai freiné pour ne pas lui foncer dedans. Après, tout est devenu noir et je me suis réveillé dans une pièce toute grise avec seulement une très longue chemise de nuit blanche sur moi et des pantoufles trop grandes à mes pieds. J'avais le droit de quitter la pièce uniquement pour marcher dans le couloir. Il faisait très chaud et les fenêtres étaient ouvertes. Je crois que je devais être dans une sorte d'école ou de pensionnat désaffecté.
Je m'appelle bien Raphaëlle. Mais Corenzi, c'est le nom qu'il m'a donné.
- Il ?
- L'homme qui m'a enlevée.
- Celui qui est venu ici ?
- Non. Je n'ai jamais vu son visage, il...il avait toujours un masque.
- Ok. D'accord.
- C'est lui qui a pris mon fils.
Voilà autre chose maintenant. J'ai comme l'impression que je vais devoir me renseigner sur le syndrome de Stockholm moi...
Mais pour l'heure il faut absolument que je rassure Raphaëlle qui est à deux doigts de s'évanouir.
- Doucement, respire doucement. On va s'arrêter là pour le moment. Et...tu vas oublier tout cela pour quelques temps. Aujourd'hui il faut que tu passes la première radio de contrôle pour ton poignet et je vais t'accompagner.
Je n'arrive plus à la vouvoyer. C'est plus fort que moi. Au moins Raphaëlle ne semble pas choquée.
Mais merde, si j'interprète correctement ses paroles, elle a été enlevée à l'âge de 13 ans et...n'aurait pas regagné sa famille depuis lors ?
Je n'ose imaginer la douleur de ses parents : cela fait donc 14 ans qu'ils sont sans nouvelles d'elle.
Après avoir amené ma patiente en radiologie, je m'isole pour passer un rapide coup de fil à l'inspecteur Aldeirweireld.
Je lui explique rapidement la situation et à ses exclamations je me demande s'il n'est pas en train de sautiller partout dans son bureau. Limite c'est presque comme si je venais de lui annoncer qu'il avait gagné à Euro Millions.
- Vous pourriez mesurer votre...enthousiasme ? On parle d'une jeune femme qui aurait été séquestrée pendant 14 ans inspecteur.
- Vous pensez que je peux envoyer mes deux enquêteurs pour l'interroger à nouveau ?
- Est-ce que vous réalisez dans quel état psychologique elle se trouve ?
- Oui, oui j'imagine bien mais...j'ai une enquête à faire avancer.
- A votre place, j'ouvrirais dans un premier temps un dossier pour enlèvement. Une gamine de 13 ans nommée Raphaëlle et qui a disparu depuis 14 ans il ne doit pas en avoir des centaines.
- Pour autant que ses parents aient signalé sa disparition Docteur Goriaux.
- Hein ?
- Je suis en train d'effectuer une recherche dans notre système informatique. Croyez-le ou non, aucune disparition pour une adolescente de 13 ans répondant à ce prénom, n'a été signalée en 2000. Et j'ai même étendu la recherche pour la période de 1995 à 2005.
- Ça veut dire quoi ça ?
- Que cette femme vous mène en bateau Docteur Goriaux.
- Non ! Non je n'y crois pas un seul instant. Il est impossible de feindre une telle souffrance. Je viens de discuter avec elle et je peux vous assurer qu'elle ne simule absolument pas, c'est impossible.
Je raccroche lorsque l'infirmier qui avait pris Raphaëlle en charge vient me trouver pour m'indiquer que les radios sont terminées.
Au moins, les nouvelles sont bonnes, dans trois semaines elle pourra débuter la rééducation de son poignet et de son épaule également. J'ai conscience, en l'expliquant à Raphaëlle, que c'est presque accessoire face à ce qu'elle doit endurer par rapport à son passé mais au moins elle prend les choses avec une certaine philosophie. Elle a en tout cas bien conscience qu'elle va passer, sauf apparition improbable d'un proche, les prochains mois dans mon service et qu'elle n'a finalement pas trop le choix.
Tout en poussant son lit dans l'ascenseur pour regagner notre étage, je me demande comment aborder avec elle la problématique de l'enquête au sujet de l'incendie de l'immeuble. Les deux abrutis vont bientôt se repointer pour l'interroger et je sens que cela ne va pas être une partie de plaisir. Surtout s'ils restent convaincus que Raphaëlle ment au sujet de son passé.
Lorsque nous regagnons sa chambre, elle me fixe un instant avant de me poser une question qui a le don de me faire tressaillir :
- Pourquoi personne ne semble vous apprécier ici ? Je veux dire...je vois bien que vous faites votre boulot correctement, vous...vous faites énormément de choses pour moi et je...je ne comprends pas. Je vous ai reproché de ne pas vous soucier du bien-être de vos patients et je sais que j'ai eu tort. Alors, pourquoi tout le monde vous déteste ?
Raphaëlle remarque sans doute que j'ai blêmis et elle a une petite moue gênée :
- Excusez-moi. Je suis impolie, je...ça ne me regarde pas.
- Peut-être parce que je ne vais pas vers les gens et que je reste froid et distant en toutes circonstances. J'ai toujours pris comme ligne de conduite de garder une certaine distance pour ne pas me laisser submerger par l'émotion. Dans mon métier il faut pouvoir garder la tête froide à tout moment.
Je repense alors au blocage que Raphaëlle semble faire par rapport à son gamin et je lui propose de demander à une psychologue de venir deux ou trois fois par semaine pour qu'elle puisse discuter avec une autre femme. Je lui garantis ensuite que tout ce qu'elle dira restera confidentiel et que moi-même je n'aurais pas connaissance du contenu de ces conversations.
- Vous avez raison. Ce n'est peut-être pas une...mauvaise idée.
Elle me regarde comme si elle était résignée et je soupire profondément.
- Raphaëlle...Je veux que tu guérisses et que, lorsque tu sortiras d'ici, que tu ailles mieux. Je pense comprendre ce qui t'es arrivé mais...si tu ne m'aide pas, si tu ne nous aides pas...tu risques d'avoir de gros ennuis avec la police. Ils sont persuadé que tu mens. Ils pourraient très bien te mettre en garde à vue, lorsque tu seras déplâtrée, s'ils estiment qu'ils ont assez d'éléments pour ça.
- Quoi ? Mais...mais... Non ! Ils ne peuvent pas !
C'est alors que ce que je redoutais se produit : à force de tenter de lutter contre ses émotions et d'essayer de me dissimuler son passé, tout, absolument tout lui éclate à la figure et c'est bien ce que j'avais imaginé. Je bipe Yann et je lui demande d'aller me chercher la psy immédiatement parce que là on est clairement en dehors de mes compétences.
Je vois mon interne froncer les sourcils quand il remarque que je tiens les mains de Raphaëlle mais il ne dit rien et il revient cinq minutes plus tard avec Nadia, celle que je considère comme la meilleure psy de l'hôpital.
Je me relève doucement et j'indique à ma patiente que je vais la laisser avec Nadia pour qu'elles puissent discuter.
- Vous...vous allez revenir Docteur Goriaux, n'est-ce pas ?
Son désarroi me fait mal, terriblement mal et d'un signe de la tête je la rassure avant de me précipiter littéralement dans mon bureau, Yann sur mes talons.
- Matt ?
Affalé dans mon fauteuil, je ne réponds pas. Je rumine les paroles de Raphaëlle presque en regrettant finalement de ne pas bosser dans la police.
- Matt ?
- QUOI ?
- Ok. Je sens qu'on n'est pas au bout de nos emmerdes...Elle a parlé n'est-ce pas ? Elle a retrouvé ses souvenirs ?
- Ça t'étonne si je te dis que là, tout de suite j'ai des envies de meurtre ?
- Pas vraiment. Ça se voit sur ton visage. Tu vas sans doute très mal le prendre mais...ce n'est pas toi qui me disais à mon arrivée qu'il ne faut jamais s'attacher à un patient ?
- Comment veux-tu que je fasse semblant de ne pas être touché par son histoire ? Je ne suis pas de glace Yann et...merde quoi !
- Tu vas finir par m'expliquer au lieu d'essayer de bousiller ton fauteuil ?
- Raphaëlle a été enlevée le jour de ses 13 ans alors qu'elle se rendait chez une amie à vélo. Jusqu'à ce qu'on nous l'amène ici, elle...n'était sortie de sa prison que pour donner naissance à son fils. Je suppose qu'il est inutile que je précise qu'elle ne l'avait pas... désiré son gamin...
- Ok...je vois...
- Non tu ne vois pas ! Imagine que pendant 14 ans elle a vécu dans une pièce semblable à une cellule de prison avec juste l'autorisation de marcher de temps en temps dans un couloir du bâtiment où elle était enfermée. Elle n'a pas eu d'adolescence et elle est devenue mère parce que qu'un salopard a...a...
Je tape violemment du poing sur mon bureau. Franchement, ce mec ne mérite même pas de rester en vie.
- Il y a un truc que je ne pige pas Matt. Si elle a pu se rendre à l'hôpital pour accoucher il y a deux ans, pourquoi est-ce qu'elle n'en a pas profité ensuite pour se rendre à la police, pour expliquer son histoire ?
- Le lavage de cerveau ça te parle ? Imagine, pendant 14 ans, des menaces à n'en plus finir et un mec qui te pointe un revolver sur la tempe dès que tu bouges le petit orteil...Elle était à peine ado Yann. Ça n'a pas été très compliqué de la manipuler.
Elle est allée retrouver d'elle-même son kidnappeur après qu'il l'ait lâchée en ville, seule, affamée, épuisée et au terme de sa grossesse.
- Syndrome de Stockholm.
- Oui...et non. Elle n'a aucune empathie pour lui mais elle le craint si fort qu'elle n'a pas été capable de demander de l'aide.
- C'est lui qui a réussi à se pointer dans le service ?
- Non. Celui qui est venu ici, c'est une sorte de...je sais pas moi, de garde du corps ou d'assistant au cinglé qui a enlevé Raphaëlle.
- Tu vas dire quoi à la police ?
- Aucune idée.
Mais une chose est sûre : maintenant que je sais, je ne les laisserai pas la démolir. Coupable ou non.
- Tu penses qu'elle peut être responsable de l'incendie ?
- Et si l'autre connard lui avait demandé de le faire ? Elle n'aurait sans doute pas osé refuser.
- C'est monstrueux si c'est ça !
- Ça veut dire autre chose Yann. S'il voulait se débarrasser d'elle, il sait maintenant qu'elle est vivante.
- Et toi tu es autant dans la merde qu'elle. Témoin gênant. Tu ferais bien de demander aussi une assistance de la police.
- Hein ? Je sais me défendre Yann. Et puis non c'est ridicule.
- Qu'est-ce que tu vas faire avec elle maintenant ?
- Ce qui était prévu. Et je vais demander à Nadia de passer la voir au moins trois fois par semaine.
Nous discutons pendant trois heures jusqu'à ce que Nadia frappe à la porte de mon bureau.
- Matt ? Je peux te parler en privé ?
Yann se lève pour nous laisser seuls et je regarde Nadia avec une certaine appréhension. Je l'écoute me faire un compte-rendu de son entretien avec Raphaëlle. Curieusement ma patiente tient à ce que je sache ce qui lui est arrivé. Même si j'avais déjà saisi l'essentiel, son enlèvement, sa séquestration, son viol par l'homme de main de son ravisseur et la naissance de son fils, je frissonne en entendant ma collègue énoncer ces faits odieux.
J'en ai déjà vu des trucs mais là, ça dépasse de loin tout ce que j'avais déjà pu rencontrer depuis le début de ma carrière.
- Tu es un homme, ce qui explique qu'elle a essayé de minimiser les faits et qu'elle n'a pas voulu te parler de son fils au début.
- Je comprends. Et où est-il ?
- Elle n'en sait rien. C'est son ravisseur qui le lui a arraché de ses bras quand elle est revenue vers lui à sa sortie de la maternité et elle ne l'a plus jamais revu.
- Putain...il a quel âge le gamin maintenant ?
- 2 ans. S'il est toujours en vie.
- S'il...Quoi ?
- Tu m'as bien compris Matt. Le gosse n'était pas prévu au programme. Ce qui explique les bleus dont le CH d'Aix a fait mention dans son dossier.
- Nadia...toi qui es psy...Pourquoi Raphaëlle dit-elle qu'elle a confiance en moi ? Je veux dire...vu ce qui lui est arrivé...
- Au début elle avait très peur. Bon, je dirais que ça ne change rien, tous tes patients ont peur de toi quand ils arrivent ici. Mais ensuite...elle m'a dit que tu...tu l'avais défendu face aux flics et qu'elle avait compris que tu n'allais pas chercher à profiter d'elle.
- Hein ? Jamais je n'aurais fait cela !
- Oui mais...tu es un homme. Et tu as autorité sur elle ici.
- Hum...
- Et pour répondre à ta question, je dirais qu'elle te considère un peu comme une sorte de père de substitution ou de grand frère protecteur. Enfin...pour l'instant.
- Quoi ?
- Les seuls modèles qu'elle a depuis 14 ans ce sont deux hommes violents. Alors forcément...
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