Recherches
- Elle ne se rappelle même pas qu'elle a donné naissance à un gosse ?
- Puisque je te le dis.
- Laisse-moi refaire le topo.
Dans mon bureau, Yann me fixe d'un air perplexe et il consulte le dossier de l'inconnue de la chambre 35. A défaut de nom, c'est ainsi que nous la surnommons entre nous.
- Donc, nous avons une jeune femme, d'environ 25 à 28 ans, groupe sanguin O+. Qui a accouché par césarienne il y a trois ans tout au plus, qui est incapable de nous apprendre quoi que ce soit à son sujet et dont personne ne semble se soucier non plus. C'est quoi ce bordel ?
- Et tu oublies que la police la soupçonne d'avoir mis volontairement le feu à l'immeuble où elle a été retrouvée.
- Elle a déjà été interrogée ?
- Non, elle vient seulement d'être transférée ici. On n'interroge pas des patients en soins intensifs Yann, fait un peu marcher ton cerveau !
- Ouais pardon. Qu'est-ce que tu vas faire ?
- La soigner voyons. C'est ton jour de poser des questions idiotes ?
- Hey, pas la peine de t'énerver comme ça Matthieu, j'y suis pour rien moi.
Et pour l'aspect financier ? Si personne ne paie ses soins...
- J'ai fait une demande auprès du fond spécial de l'hôpital. Elle est incapable de se débrouiller seule et elle n'a pas été en mesure de nous fournir l'adresse de son domicile. Tout le monde a beau dire que je suis froid, insensible et tout le reste, je ne peux pas laisser quelqu'un à la rue.
- Et pour sa mémoire, tu crois que ça va prendre du temps ?
- J'en ai bien peur. Je vais essayer de stimuler son cerveau, de la faire parler pour que cela lui ramène ses souvenirs. Nous avons deux pistes : l'immeuble et la naissance de son enfant.
Nous sommes interrompus par l'arrivée de deux inspecteurs de police, plus baraqués que nos propres agents de sécurité, qui s'introduisent dans mon bureau sans même m'en demander la permission. Ils commencent fort ces deux-là...
Ils se présentent rapidement et m'expliquent qu'ils sont là pour interroger la patiente de la chambre 35.
Sans blague...
Je refuse dans un premier temps d'accéder à leur requête. Je leur explique que ma patiente est fatiguée, qu'elle doit se remettre de plusieurs fractures et qu'émotionnellement elle doit faire face à une perte totale d'autonomie ainsi qu'à une amnésie post-traumatique.
- En clair Docteur Goriaux, vous voulez dire qu'elle ne pourra pas répondre à nos questions ?
- Tant qu'elle ne retrouve pas la mémoire, cela me semble assez compliqué en effet.
- Et vous avez une idée du temps que cela va prendre ?
- Non. Nous allons essayer de stimuler son cerveau, de lui faire retrouver petit à petit ses souvenirs en discutant avec elle. Cela peut prendre plusieurs semaines.
- Plusieurs semaines ? Docteur Goriaux, nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre aussi longtemps.
- Et je peux savoir pourquoi ?
- Une enquête a été ouverte suite à l'incendie de l'immeuble où a été retrouvée cette personne. Trois familles de victimes se sont déjà constituées parties civils et ils ont déposé une plainte pour assassinat. Pour le moment dirigée contre X mais notre principal suspect dans cette affaire c'est cette jeune femme.
Vous serez d'ailleurs prochainement invité à vous rendre dans nos bureaux, en tant qu'expert, pour répondre à quelques questions d'ordre technique. Nous reviendrons dans une dizaine de jours, le temps d'avoir les premiers comptes rendu de la police scientifique. Vous nous aideriez grandement si vous parveniez à faire parler cette personne.
Bon, il va falloir que je prenne sur moi parce que avec ces deux-là, je sens que nous n'allons pas vraiment nous entendre. D'accord, ils ont douze cadavres sur les bras et une enquête criminelle en cours mais moi, j'ai une patiente à soigner, une patiente qui a été victime d'un sacré traumatisme et qu'il va falloir accompagner pendant un bon bout de temps pour qu'elle puisse quitter l'hôpital sans trop de séquelles.
Après leur départ, je reprends ma discussion avec Yann. Grâce aux cartes d'identité électronique il a une idée : nous savons que notre inconnue a accouché par césarienne et le fait que l'immeuble où elle a été retrouvé se situe non loin d'ici nous pousse à commencer nos recherches dans la liste des naissances qui ont eu lieu à l'hôpital ces trois dernières années. Dans la vaste base de données auquel j'ai accès grâce à mon statut de chef de service, je pourrais effectuer une recherche rapide en y encodant sa tranche d'âge et son groupe sanguin.
Si par miracle la jeune femme a accouché chez nous, nous pourrions enfin obtenir des informations à son sujet grâce à son dossier médical.
Je prévois également de demander un entretien avec la direction afin que les inspecteurs n'outrepassent pas leurs droits. Si je ne veux pas me faire marcher sur les pieds et si je veux préserver la santé de ma patiente, j'ai comme l'impression que je devrais les recadrer les deux armoires à glace.
Lorsque Yann me quitte pour aller faire le tour de ses patients avant de rentrer chez lui, je m'enfonce dans mon fauteuil en grimaçant.
Mes cauchemars qui ne revenaient plus que de manière épisodique ont refait brutalement surface ces derniers jours. Pour la énième fois, je me demande si je ne fais pas une erreur. Vicky et cette inconnue se ressemblent tellement...
Je décide, comme mon collègue, d'aller faire un tour dans le service, histoire de me changer les idées. Je croise l'une des deux nouvelles aides-soignantes et à son air un peu perdu, je comprends immédiatement qu'il y a un souci. Ni une ni deux, je m'avance à grandes enjambées vers elle et je la fais sursauter lorsque je lui arrache le dossier médical qu'elle tient en mains.
- Un problème avec Monsieur Hornin ?
- Non,...non pas vraiment.
- C'est oui ou c'est non Mademoiselle Stembert.
Il a bien reçu ses injections ?
- Oui, oui. C'est juste que je...je dois remplacer Agnès pour effectuer la toilette de Monsieur Hornin et je...
- N'en dites pas plus, j'ai compris. Ecoutez Mademoiselle Stembert, si vous avez été engagée dans ce service c'est pour, entre autre, vous occupez des patients qui y séjournent. Pendant vos études, on vous a décrit en long et en large les tâches et les responsabilités de votre fonction. Vous serez amenée à vous occuper d'hommes de tous âges et si vous n'êtes pas capable d'en faire abstraction, vous n'avez rien à faire ici.
La réaction de l'aide-soignante ne fait que me confirmer qu'elle n'a définitivement pas sa place dans un hôpital, peu importe le service. J'en suis même à me demander comment elle a pu réussir ses stages et obtenir son diplôme.
- Mais Docteur,...Agnès m'a raconté que...
- Monsieur Hornin est un homme : il est donc tout à fait normal, si vous avez bien étudié votre cours de biologie, qu'à un moment ou un autre, il ait une érection lorsque vous réalisez sa toilette intime.
- Je ne vais jamais y arriver...
- Est-ce parce que, comme toutes les femmes de ce service, vous êtes également tombé sous le charme de ce jeune homme ?
- Non, non pas du tout Docteur, je vous assure.
- Vous aggravez votre cas, je sais que vous mentez.
Ecoutez, je n'ai pas de temps à perdre avec des états d'âme aussi ridicules. Si vous n'êtes pas capable de vous occuper de ce patient et de tous les autres hommes hospitalisés dans ce service, je n'ai plus besoin de vous.
L'aide-soignante fond en larmes au beau milieu du couloir. Et incapable d'encaisser une remarque en plus. Je me demande comment ils effectuent leurs recrutements au service RH, c'est de pire en pire.
Je l'avais dit à Yann, je ne la sentais pas cette fille. Elle venait d'avoir 20 ans, c'était son premier job et on lui demande de s'occuper d'un homme de 24 ans, vachement bien foutu selon les infirmières. Je ne suis pas porté sur les mecs mais le gars, même cloué sur un lit d'hôpital, il dégageait un truc c'était certain. Mais bon, moi les ados attardées avec leurs fantasmes à la con je n'en ai pas besoin.
J'entraîne Pauline Stembert dans mon bureau et je prends rapidement son dossier sous les yeux. Agnès, malgré sa répugnance à donner des notes négatives à nos stagiaires ou à nos nouveaux arrivants, avait déjà mis en doute la capacité de Pauline à assumer toutes les tâches qui lui seraient confiées. Elle s'était déjà esquivée deux fois lorsqu'il avait fallu faire une prise de sang à l'un de nos malades et elle s'arrangeait toujours pour se trouver ailleurs lorsqu'il était l'heure de passer dans les chambres pour les toilettes.
En fait, son premier mois était catastrophique : il s'en était fallu de peu pour qu'elle se trompe dans les médicaments à administrer à certains des malades, elle avait réussi à se couper en changeant un simple pansement,...la liste de ses erreurs était assez effrayante.
Je les passe oralement en revue puis, j'indique à Pauline qu'elle peut se rendre au service RH avec une note que j'ai rédigée à leur intention leur indiquant que je ne souhaite pas la conserver dans mon service. Elle n'a même pas l'air étonnée cette gamine.
Après ce désagréable intermède et une visite rapide dans les couloirs et dans certaines chambres, je retourne à mon bureau et je me connecte à la vaste base de données de l'hôpital, celle qui n'est accessible que pour les chefs de service.
Dans l'outil de recherche, j'indique que je souhaite les dossiers des femmes âgées de 24 à 30 ans, du groupe sanguin O+, ayant accouché par césarienne au cours de ces trois dernières années.
A mon grand étonnement, la liste n'est pas très longue. Sur un peu plus de 2000 naissances par an, envions 500 accouchements se font par césarienne et je n'obtiens qu'une liste de 750 femmes qui correspondent aux critères.
Pendant deux heures, je détaille lentement chaque photo jointe au dossier des différentes patientes mais aucune d'entre elle ne ressemble à Vicky.
Merde, qu'est-ce que je fous bordel ! Elle est morte putain ! Elle est morte et elle ne reviendra pas !
De rage je tape du poing sur mon bureau.
Je prends quelques minutes pour me calmer puis je réfléchis à la suite, à ce que je vais bien pouvoir faire pour tenter de retrouver l'identité de l'inconnue de la chambre 35. Aucune femme ne lui ressemblait, même pas un peu. Elle n'a donc pas été admise ici pour accoucher. Alors quoi ?
J'ai l'impression de me trouver dans une impasse. Une double impasse en fait.
Sans le vouloir, je suis déjà embarqué émotionnellement et je sais que c'est trop tard, je ne serais plus capable de faire marche arrière.
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