Raphaëlle
Je regarde ma patiente presque ahuri, comme si elle venait de me sortir un truc totalement impossible. Je ne l'ai jamais vu me parler avec autant d'assurance qu'en ce moment même.
Je suis crevé et je n'attends qu'une chose c'est d'aller me coucher mais ce qu'elle vient de me lâcher est bien trop important pour la laisser en plan.
Je retourne près d'elle et je m'assieds à nouveau sur son lit.
Nous nous dévisageons quelques secondes sans rien dire puis elle m'explique comment cela lui est revenu. Le carnet qu'elle tenait toujours dans sa main a fait remonter à la surface un souvenir de son adolescence, le jour de son treizième anniversaire pour être plus précis.
- Ma mère m'avait remis un petit carnet, un peu semblable à celui-ci. C'est cela que je me rappelle. J'entends à nouveau sa voix qui me souhaite un bon anniversaire.
- Et bien c'est...c'est une bonne chose. Je vais pouvoir avancer au sujet de votre identité et essayer de pouvoir retrouver votre dossier médical complet. Je vais devoir informer la police également, vous comprenez ?
- Oui,...oui bien entendu.
Je vois le visage de Raphaëlle s'assombrir subitement.
- Et lui aussi me connait.
- Lui ?
- L'homme qui est venu dans ma chambre. Il a prononcé mon prénom. Je n'avais pas compris mais maintenant j'en suis certaine.
Je passe rapidement une main dans mes cheveux : là, ça fait beaucoup d'un seul coup et ma fatigue ne m'aide pas à rester concentré.
- D'accord...Je...je vais informer mon contact de la police. Reposez-vous à présent.
- Vous revenez dans trois jours n'est-ce pas Docteur Goriaux ? Et vous m'aiderez, vous me le promettez ?
- Je reviens dans trois jours en effet. Et je vous aiderai, vous avez ma parole.
Je quitte la chambre sans avoir réussi à prononcer son prénom. Je crois que ces trois jours de repos ne seront pas de trop pour remettre de l'ordre dans mes idées. Mais avant cela il faut que je prévienne l'autre crétin d'inspecteur et je sens que qu'il ne va pas lâcher Raphaëlle à présent.
Comme je le pressentais, il ne me cache pas sa satisfaction et il me félicite même pour mon travail.
Tu parles...
Il m'indique ensuite qu'il veut à nouveau interroger ma patiente mais je lui demande un délai d'une semaine, le temps que ses souvenirs reviennent peu à peu.
Je ne lui cache pas mon mécontentement lorsque j'apprends que la police n'a toujours aucune information au sujet du faux médecin puis je lui demande de me débloquer l'accès à une base de données qui regroupe les dossiers d'une bonne partie des hôpitaux de France.
Maintenant que je connais le prénom de ma patiente, je suis presque certain de pouvoir retrouver plus d'informations à son sujet. Par chance, elle n'a pas un prénom très courant.
Mais je ferais ces recherches à mon retour à l'hôpital. Dans l'immédiat, je vais aller retrouver mon lit, il faut vraiment que je me repose.
Je gagne rapidement mon appartement du Boulevard Saint-Michel. J'ai vraiment eu un coup de chance lorsque je l'ai acheté. Le couple qui en était propriétaire divorçait et ils avaient besoin d'argent très rapidement. Ils ont donc littéralement bradé le prix de vente et moi, étant le premier à faire une offre, j'ai bénéficié de leur empressement pour faire une excellente affaire.
Je balance mon manteau sur le canapé du salon, je jette négligemment mes chaussures dans un coin et je m'effondre sur mon lit, en ne gardant sur moi que mon boxer.
Je dors très mal : je ne cesse de songer à Raphaëlle, à ce gars qui s'est introduit dans sa chambre et je finis par tout mélanger dans ma tête, revoyant tantôt des scènes au service des Urgences du CHU de Bordeaux tantôt l'admission de ma patiente inconnue, superposant le visage de Vicky à celui de Raphaëlle et je finis par me réveiller en sursaut à 13h, dégoulinant de sueur.
Je tente d'oublier tout cela en prenant une douche bien froide mais je me retrouve très vite avachi dans mon canapé à ressasser mes souvenirs.
N'ayant pas très faim, je me contente de me confectionner un rapide sandwich que je grignote toujours perdu dans mes pensées.
Je m'installe ensuite à mon bureau pour vérifier le planning de ma surspécialisation. J'ai bénéficié d'un aménagement dans la durée de ma formation et il ne me reste à faire mon semestre dans l'unité de soins intensifs médicaux-chirurgicaux du service de Chirurgie thoracique et Cardio-Vasculaire de mon hôpital. Heureusement, nous sommes en mars et je ne dois débuter là-bas qu'au 1er juillet. D'ici là, Raphaëlle aura quitté l'hôpital sur ses deux pieds et sa rééducation sera pratiquement terminée.
Cette jeune femme m'intrigue. Qu'est-ce qui a bien pu se passer dans sa vie pour qu'elle se retrouve dans cet immeuble où manifestement elle n'habitait pas et où personne ne la connaissait et qu'ensuite ce mec inconnu arrive à s'introduire dans mon propre service, pour venir la narguer et la terroriser ?
Je me rends compte que j'ai hâte de retourner à l'hôpital, pour faire ces recherches à son sujet, savoir qui elle est, d'où elle vient et surtout découvrir où se trouve son enfant.
Je suis interrompu dans mes réflexions par la sonnerie de mon smartphone.
Pitié, pas de nouvelle urgence !
Ah non, c 'est juste l'inspecteur au nom imprononçable. Quelle idée d'avoir un père nordiste et une mère belge flamande je vous jure !
Je décroche en soupirant :
- Bonjour Inspecteur Aldeirweireld.
Ouf, j'ai fini par prononcer son nom de manière plus ou moins correcte.
- Docteur Goriaux, j'espère que je ne vous réveille pas ? Votre collègue m'a dit que vous étiez chez vous après vos gardes de ce weekend.
- En effet. J'étais réveillé, rassurez-vous.
- Bien. Nous avons peut-être une piste pour l'homme qui s'est fait passer pour un médecin. Et...je vais avoir une nouvelle fois besoin de vos compétences médicales.
- Je vous écoute.
- Pensez-vous que vous pourriez repérer sur un visage les traces de chirurgie esthétique ?
- Pardon ?
- Si je vous montre deux photos, une sorte d'avant après, pourriez-vous identifier une même personne ?
- Je travaille en chirurgie traumatologique, pas en chirurgie esthétique moi !
- Je le sais bien mais...nous n'avons pas vraiment le temps et les chirurgiens qui travaillent dans des cabinets privés sont assez réticents à nous aider.
- Tu m'étonnes...
Je ronchonne dans mes dents afin que mon interlocuteur ne comprenne pas mes paroles et bien entendu cela a le don de l'énerver.
- Vous dites Docteur ?
- Rien. Bon et pourquoi vous me demandez cela ?
- L'un de nos experts en informatique a fait une recherche dans notre base de données en modifier légèrement l'apparence de l'homme qui s'est introduit dans la chambre de votre patiente inconnue.
- Raphaëlle.
- Vous dites ?
- Elle s'appelle Raphaëlle. Vous pourriez utiliser son prénom à présent non ?
- Oui...évidemment. Mais nous ne savons toujours rien de plus à son sujet.
- Je sais. Je ferais les recherches à mon retour à l'hôpital. Bon, et cet homme alors ?
- Si nous modifions la forme de ses sourcils, de son nez, de sa bouche, enfin bref, si nous modifions un peu ses traits et que nous lui ajoutons des cheveux, il pourrait correspondre à un homme qui a été accusé il y a environ une dizaine d'années d'enlèvements d'enfants.
Vous m'aviez bien dit que votre... enfin que...Raphaëlle avait accouché il y a deux ou trois ans ?
- En effet.
- Le lien entre ce faux médecin et votre patiente pourrait être celui-là.
- Genre le mec serait le père ?
- Plutôt celui qui aurait pu enlever l'enfant.
- Oh !
- Vous comprenez que nous avons absolument besoin que cette jeune femme retrouve la mémoire.
Ou peut-être que ce ne serait pas une mauvaise chose si elle oubliait certaines parties de son passé...
Après cet appel, je décide de relire un peu mon syllabus des techniques utilisées en médecine d'urgence. Rien de tel pour oublier mes soucis actuels. Je choisis de relire le chapitre consacré au monitorage de la ventilation mécanique et pendant deux bonnes heures, je prends de nombreuses notes sur un petit carnet.
A la tombée de la nuit, je me sens épuisé. Il n'est même pas 21 heures lorsque je me glisse sous la couette et je sombre presque instantanément.
Le lendemain et le troisième jour de ma période de repos, je passe mon temps à relire encore et encore mes différents syllabus. Des caractéristiques du patient instable typique des urgences à l'intubation en séquence rapide, je n'oublie aucune matière et la veille de reprendre le travail, j'al l'impression d'avoir le cerveau en compote.
Après réflexion, une fois cette surspécialisation terminée, je me demande si je ne me lancerais pas dans la chirurgie infantile. J'ai passé un semestre dans une unité d'urgences pédiatriques et bizarrement je m'étais senti vraiment à l'aise là-bas. Même le responsable du service l'avait souligné. Il avait lui-aussi eu des échos au sujet de mon caractère et il n'avait pu s'empêcher d'indiquer dans son rapport final plusieurs phrases qui m'avaient fait sourire :
Le Docteur Goriaux a démontré de très grandes qualités d'écoute et il a su s'adapter parfaitement au jeune âge des patients. Il a très vite établi une grande relation de confiance avec les parents des enfants et avec les enfants eux-mêmes. Sa disponibilité et son extrême gentillesse lui ont permis d'être très vite adopté par nos petits malades et de devenir leur médecin préféré.
Les enfants sont différents des adultes. Ils ont une spontanéité que je n'ai jamais retrouvé ailleurs. Je crois que ça ne serait pas une mauvaise chose d'envisager une certaine réorientation professionnelle. Et puis le docteur Halbardy avait très envie que je vienne renforcer le service de Chirurgie Viscérale et Néonatale de l'hôpital Trousseau.
Je fais une rapide recherche sur le net : la chirurgie infantile c'est un DESC de niveau 2 qui comprend 200 heures d'enseignement et six semestres de formation pratique. Ouais...ça me tente bien.
Au plus je peux occuper mon esprit, au plus je peux me focaliser sur des patients inconnus, sur des situations qui ne risquent pas de faire resurgir mes vieux démons et au mieux je pourrais sauvegarder ma propre santé mentale.
Je me couche avec cette bonne résolution mais dès que j'ai fermé les yeux, je songe à Vicky et à Raphaëlle. Surtout à Raphaëlle. Au plus j'y réfléchis, au plus je suis convaincu que le refoulement de ses souvenirs est dû à des évènements qu'elle aurait vécus durant son enfance. Le choc qu'elle a subi lors de l'incendie était certes violent mais de là à provoquer une telle amnésie...On dirait que son corps n'attendit que cela, qu'il avait besoin d'une sorte d'excuse pour faire table rase du passé.
J'ai fait très attention à observer les expressions de son visage, à sa façon de se comporter avec moi et de nombreuses choses m'interpellent. Mais pour le moment c'est le foutoir dans mon esprit : j'ai le sentiment d'être face à un puzzle dont je n'arrive pas à assembler les pièces.
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