Mise en examen
L'inspecteur Perrigeaud était sans doute déjà en route pour Paris lorsqu'il m'a téléphoné ce matin car lorsque je me présente vers 15h au commissariat du 13ème arrondissement, il semble être déjà là depuis un bon moment.
Je suis conduit dans une pièce aux murs gris et dont la peinture s'écaille un peu partout. L'agent qui m'y amène est aussi aimable qu'une porte de prison et j'ai la désagréable impression d'être considéré comme un meurtrier.
En tout et pour tout, il y a dans cette pièce deux chaises disposées de part et d'autre d'une grande table. L'inspecteur Perrigeaud me demande de m'assoir face à lui et j'ai le sentiment qu'il m'a déjà collé l'étiquette de coupable.
Il est froid, il ne cesse de faire des remarques assez douteuses tandis qu'il fait mine de parcourir la petite farde qu'il a lui-même déposé sur la table
Puis, il m'indique que si je le souhaite je peux faire appel à un avocat et que suite aux nouveaux renseignements apportés au cours de l'information judiciaire qui a été ouverte par un juge d'instruction de Bordeaux je pourrais, si mes réponses ne sont pas satisfaisantes, être mis en examen à la suite de mon interrogatoire.
Lorsqu'il m'informe ensuite qu'il s'agit d'une audition libre et que je peux quitter les lieux quand je le souhaite, je le regarde avec méfiance et dans ma tête je sais déjà que si les questions posées ne me plaisent pas je partirai puisque j'en ai le droit, et que je contacterai rapidement un avocat.
Il me tend ensuite le document qui m'avait été envoyé par mail, la convocation écrite qui mentionne mes droits dont il vient d'en mentionner quelques-uns.
Il me rappelle la date et les circonstances dans lesquelles Victoria est décédée, il me dit que si je ne comprends pas bien le français je peux faire appel à un interprète, que je peux me taire pendant l'audition et que si je prends un avocat il pourra consulter les procès-verbaux d'audition dans les mêmes conditions que lors d'une garde à vue.
Je reste bien droit sur ma chaise et je fixe l'inspecteur Perrigeaud le regard neutre. Je ne veux pas lui montrer qu'à l'intérieur de moi cela bouillonne et je ne veux surtout pas lui donner la satisfaction de me montrer déstabilisé par ses gestes et ses paroles.
- Bien Docteur Goriaux, que faisiez-vous le 28 septembre 2008 à 9h30 du matin ?
Je dévisage un instant l'inspecteur puis je me lève lentement.
- Vous avez bien dit que j'avais le droit de quitter l'audition quand je le souhaitais ? Alors je le fais. Je demanderai à mon avocat de reprendre contact avec vous.
A mon avis il ne s'attendait pas à cela, que je parte dès le début. Mais j'en ai le droit il me l'a dit.
A cause du timing, je n'ai pas eu le temps de prendre contact avec un avocat spécialiste des questions de santé et c'est ce que je vais faire dès que je serai rentré chez moi. Pas question de répondre à cet abruti sans avoir quelqu'un à mes côtés. Il suffit que je dise un truc qui puisse être mal interprété et je me coulerai tout seul.
Si j'avais pu cacher à l'inspecteur mes angoisses et mon stress, j'ai à peine passé la porte de mon appart que mes mains se mettent à trembler.
Je prends difficilement mon smartphone et je cherche pendant plus d'une heure des informations au sujet d'un bon avocat. Je finis par en découvrir un, installé dans le 7ème arrondissement, qui est titulaire du DESS de Droit de la Santé, qui est également Docteur en Médecine, médecin spécialiste et ancien attaché des Hôpitaux de Paris.
Je le contacte immédiatement et je suis presque soulagé en le voyant devant moi moins d'une heure plus tard.
Nous discutons jusqu'à une heure avancée de la soirée et je me sens légèrement apaisé en l'écoutant me dire qu'il ne comprend pas non plus l'acharnement dont je suis victime.
Il me met très vite à l'aise et exige que nous nous appelions par nos prénoms.
- Philippe, qu'est-ce qu'ils peuvent avoir trouvé de plus ? Je ne comprends pas.
- Je ne vais pas te cacher que le fait que tu sois médecin, et peu importe la spécialité, ne joue pas en ta faveur. Cependant, je suis d'accord avec le jugement des premiers experts : tout cela est bien détaillé et je ne vois vraiment pas comment ils pourraient te rendre responsable. Il y a des femmes pour qui les menstruations sont un véritable cauchemar.
- C'était le cas pour Victoria. C'est pour cela que je n'ai pas pensé à autre chose. Les tests étaient négatifs, je...
- Ça ne sert à rien de remuer le couteau dans la plaie Matthieu. L'inspecteur Perrigeaud est toujours à Paris ?
- Il m'a dit qu'il comptait y faire un séjour prolongé donc je suppose que oui.
- Je vais le contacter pour l'informer qu'il va pouvoir procéder à ton audition en ma présence.
- Et ensuite ?
- Vu ce que tu m'as rapporté il faudra sans doute préparer ta défense pour le procès.
- Le procès...
- Écoute, tu as été mis hors de cause la première fois, je ne vois pas pourquoi ce serait différent cette fois-ci. Tu sais, je ne serais pas étonné si les parents de cette fille cherchaient simplement à obtenir quelques indemnités de ta part.
- Quoi ? Tu penses sérieusement qu'ils feraient ça pour le fric ?
- Crois-moi, j'en ai déjà vu beaucoup. Et puis ce serait une manière de se venger de toi en te saignant à blanc. J'ai déjà plaidé dans des dossiers similaires. Il suffit que les plaignants soient eux-mêmes en difficulté financière pour les décider à entreprendre une telle action.
- Et...si c'est le cas, tu aurais une idée du montant qu'ils pourraient me réclamer ?
- Et bien comme ils vont sans doute réclamer le remboursement des frais funéraires et ajouter le préjudice moral suite au décès de leur fille, il faut au moins envisager un montant oscillant entre 50 000 et 100 000 euros.
Certains hôpitaux ont même déjà été condamnés à verser plus de 300 000 euros à des patients victimes d'erreur médicale.
- Je n'ai pas une somme aussi importante de côté.
- C'est pour cela qu'il faut préparer minutieusement ta défense Matthieu. Et il faut que tu saches que je devrais te poser des questions qui risquent de ne pas te plaire.
- Je n'ai pas le choix de toute façon.
Le lendemain matin, c'est avec une certaine appréhension que je me rends au commissariat. Philippe semble détendu, c'est déjà ça. Il m'a dit qu'il avait confiance en l'issue du procès, si nous devions aller jusque-là.
L'inspecteur Perrigeaud m'accueille froidement. Tu m'étonnes, il n'a sans doute pas apprécié mon attitude de la veille.
Il m'indique à nouveau mes droits puis il commence son audition. Après chaque question et avant de répondre, je regarde Philippe pour chercher son approbation. Il m'a indiqué hier ce à quoi je pouvais répondre mais je suis tellement stressé que j'ai l'impression d'avoir oublié toutes ces recommandations. Parfois je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche car il intervient pour moi en indiquant que je ne répondrais pas à telle ou telle question. Contrairement à ce que j'avais vécu il y a six ans, l'inspecteur Perrigeaud insiste sur le contenu de mes études et je comprends alors ce qu'il cherche : au départ la formation est commune pour toutes les spécialités médicales, j'ai donc eu des cours de gynécologie et obstétrique et c'est sur cela que se base l'accusation.
Au bout de trois longues heures de questionnement, la sentence tombe comme un couperet : je suis, comme je m'y attendais, mis en examen dans le cadre de l'information judiciaire ouverte au sujet du décès de Vicky. Et pour couronner le tout, ce connard d'inspecteur m'indique qu'il va demander à ce que je sois placé sous contrôle judiciaire et il m'en précise le contenu : il veut que je ne puisse pas me déplacer à l'extérieur de l'Ile de France, que j'informe le juge de tous mes déplacements, que je remette mon passeport et bien entendu que je cesse d'exercer à l'hôpital jusqu'à la fin de l'instruction judiciaire.
Philippe demande alors combien de temps l'enquête va durer et l'inspecteur nous informe qu'elle est pratiquement terminée car les nouveaux éléments apportés au dossier étaient facilement et rapidement vérifiables.
De retour chez moi, je suis KO debout.
Philippe nous a acheté deux sandwichs et pendant que nous mangeons, il prend le temps de m'expliquer la suite de la procédure. Lorsque le juge d'instruction estimera qu'il a terminé son enquête, il écrira à toutes les parties. A ce moment-là les parents de Vicky et moi nous aurons trois mois pour faire des observations sur d'éventuels manquements de l'instruction et donc, comme me le précise Philippe, de demander des actes supplémentaires.
- Tu penses qu'ils pourraient faire ça ? Et faire durer les choses ?
- Ce n'est pas dans leur intérêt.
- Et ensuite ?
- Monsieur et Madame Tarranne peuvent contester la qualification juridique donnée par le juge d'instruction à ce qui t'es reproché.
- Hum...c'est-à-dire ?
- Et bien si le juge ne retient que la non-assistance à personne en danger et pas l'homicide involontaire, les peines sont différentes. Et bien entendu, si tu es condamné à leur verser des dommages et intérêts la somme sera également différente. Pendant ce délais de trois mois le procureur rend ses réquisitions, soit de mise en accusation, soit de non-lieu. Tu aurais ensuite un mois, tout comme la famille Tarranne pour répondre aux réquisitions du procureur.
Une fois que toutes les demandes d'actes, réquisitions et observations sont traitées et terminées, le juge d'instruction rend une ordonnance de règlement. Il s'agira soit d'une ordonnance de mise en accusation devant la Cour d'assises mais dans ton cas c'est impossible, tu n'as pas commis un meurtre, soit, et c'est ce qui me semble le plus probable, une ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel. Il peut aussi rendre une ordonnance de non-lieu mais malheureusement j'en doute.
Philippe me quitte vers 16 heures et lorsque je jette un regard sur mon salon, je me demande ce que je vais bien pouvoir faire pour occuper mes journées maintenant que je ne peux plus bosser.
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Chapitre un peu plus "technique" sur certains points. Je me suis renseignée sur le déroulement d'un procès et d'une enquête judiciaire en France. Comme je ne suis pas une spécialiste j'espère que je ne me suis pas trop emmêlée les pinceaux ;-)
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