Le procès (1ère partie)


Je me suis rasé convenablement, j'ai été chez le coiffeur pour qu'il élague un peu ma tignasse pour ne pas avoir l'air trop débraillé et j'ai revêtu un costume bleu foncé, le genre de trucs que je mets rarement mais je ne peux pas me présenter en jeans et en baskets non plus.

Je n'ai aucune idée des témoins que Philippe compte appeler pour témoigner, il ne m'a rien dit. Pas plus qu'il ne m'a donné d'informations au sujet de la défense qu'il a soigneusement préparée. Ça me stresse tout ça, je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. Mon avocat m'a juste indiqué que j'allais sûrement m'en prendre plein la gueule.

Il a le chic pour rassurer les gens lui...

L'audience est publique : franchement j'aurais aimé que cela se passe à huis-clos mais rien ne le justifiait selon Philippe.

Au moins, étant donné que cela se passe à Bordeaux, je suis certain qu'aucun membre de l'hôpital n'a fait le déplacement. Sauf bien entendu s'ils sont été désignés pour témoigner mais cela je ne le découvrirai que durant les débats.

En pénétrant dans la salle d'audience, je songe à Raphaëlle et à sa lettre.

Oui je vais me battre pour prouver mon innocence, pour moi bien entendu mais pour elle aussi. Pour que nous puissions ensuite entamer une relation sur des bases saines.

Autant il y a quelques semaines, je niais complètement la chose, autant à présent je n'ai aucune honte à dire à Philippe que je la veux dans ma vie.

Je m'assieds sur le banc qui m'est attribué et je triture nerveusement mes mains. Je respire et expire plusieurs fois assez bruyamment pour essayer de me calmer.

A côté de moi, Philippe relit tranquillement ses notes. Ouais je sais qu'il a l'habitude mais quand même, je ne comprends toujours pas comment il fait pour afficher une telle décontraction.

Lorsque j'entends la voix du père de Vicky derrière moi, je me retiens de toutes mes forces pour ne pas me lever et aller lui dire ma façon de penser. Je me concentre sur un point imaginaire face à moi pour éviter de tourner la tête.

J'entends que les deux avocats se saluent puis au bruit qui résonne derrière moi je suppose que le public prend place à son tour.
Merde alors, j'ai l'impression qu'il y a un monde de dingue derrière moi. Je ne suis pas agoraphobe ou ochlophobe mais je ne me sens pas rassuré du tout.

Qui sont ces gens qui viennent assister au procès ? Des amis de Vicky ? Des curieux ? Des étudiants en droit ? Des futurs avocats ?

Je finis par jeter un bref coup d'œil derrière moi : peu importe qui ils sont, ils sont nombreux. Trop nombreux à mon goût.

Le président du tribunal demande alors le silence et je me raidis sur mon banc.

- Je constate que le prévenu, Monsieur Matthieu Goriaux, chirurgien à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière de Paris est bien présent ainsi que son avocat Maître Philippe DeBoiséon .

Mon avocat fait un petit signe de tête pour approuver les paroles du président.

- Le docteur Goriaux a été mis en examen pour homicide involontaire sur la personne de Mademoiselle Victoria Tarranne, interne au CHU de Bordeaux à l'époque des faits.

L'accusation demande la condamnation du docteur Goriaux pour ces faits et réclame des dommages et intérêts pour un montant de 245 000 €.

Je sursaute en entendant le montant qui est réclamé par la famille de Vicky. 245 000 € ?

Pourquoi cette somme aussi importante ? J'ai de l'argent de côté, ça oui, j'ai un très bon salaire, depuis six ans mes dépenses sont quasiment inexistantes mais quand même. Je n'ai pas ce montant.

Je regarde Philippe abasourdi mais il me fait un geste de la main, comme un signe d'apaisement.

Le président constate ensuite que la famille Tarranne, qui s'est constituée partie civile est présente avec deux avocats. Puis il énumère la liste des témoins qui seront interrogés au cours des débats.

J'écoute distraitement d'une oreille puis je sursaute en reconnaissant trois noms.

- Docteur Yann Larsimont, Docteur Nadia Abringer, Monsieur Alain Tarranne.

Quoi ? Comment Alain a-t-il pu être cité comme témoin ? Et par qui ?

Je regarde à nouveau mon avocat qui semble très satisfait et tout à coup je prends peur. Je commence à comprendre ce que Philippe m'avait dit à demi-mot : il y avait bien plus derrière ce procès que le souhait de voir quelqu'un condamné pour le décès de Vicky.

Et mon avocat l'avait compris.

Le président cite également les experts présents : je ne les connais pas, leurs noms me sont totalement inconnus. Tout ce que je retiens c'est que deux d'entre eux travaillent à Bordeaux, le troisième à Toulouse et le quatrième à Marseille.

Là encore, Philippe affiche un petit air satisfait en entendant leurs noms.

Je n'ai pas le temps de réfléchir plus à la question car le président me demande de me lever afin de m'interroger.

J'évite de regarder autour de moi et je me concentre sur l'homme qui me fait face.

- Docteur Goriaux, pouvez-vous m'indiquer quelle est votre spécialité médicale ?

- Je suis chirurgien au service de chirurgie orthopédique et traumatologique de l'hôpital de la Pitié Salpetrière de Paris

- Depuis combien de temps y travailler-vous ?

- Depuis le 15 décembre 2008.

- Est-il exact qu'au moment des faits qui vous sont reprochés vous étiez interne au CHU de Bordeaux ?

- C'est exact.

- Pouvez-vous m'indiquer quelle était la nature de vos relations avec la victime ?

- Nous étions fiancés depuis le mois de juin 2008.

- Bien. Docteur Goriaux, avez-vous suivi des cours en gynécologie – obstétrique durant vos études ?

- Oui. Durant le tronc commun aux différentes spécialités, dans la première partie de mes études.

- Pourriez-vous me décrire ce qui s'est passé exactement le 28 septembre 2008 ? Je vous demanderai cependant de ne pas vous étendre inutilement. Nous avons la transcription complète de votre audition.

- Hum...oui. Victoria ne se sentait pas bien depuis deux jours. Elle disait qu'elle avait mal au ventre. Comme elle avait eu quelques nausées quelques jours auparavant elle avait acheté des tests de grossesse afin de voir si elle était enceinte ou pas. Elle avait arrêté sa pilule deux mois auparavant. Nous voulions un enfant. Tous les deux.

Je regarde le président mais comme il ne dit rien, je continue mon récit.

- Victoria avait lu sur internet que parfois les tests n'étaient pas fiables elle en avait acheté trois de trois marques différentes. Elle a fait le premier test le 26 au matin, le second le 27 et le dernier le 28, toujours au matin.

- Et ces tests étaient-ils positifs ou négatifs ?

- Tous négatifs. Elle avait un cycle très long, de 35 jours, je savais qu'elle devait avoir ses menstruations et je n'ai pas été étonné de ses symptômes. Chaque mois était identique. Elle souffrait beaucoup.

- Pourriez-vous nous décrire les problèmes que mademoiselle Tarranne rencontrait ?

- Ses pertes étaient très importantes, d'une couleur rouge foncé. Elle était toujours très fatiguée, elle avait de nombreuses crampes abdominales qui l'obligeaient souvent à se recroqueviller sur une chaise ou dans un fauteuil pendant des heures. Elle souffrait également de douleurs musculaires dans le bas du dos.

- Que s'est-il passé ensuite ?

- Je...je l'ai vu se diriger vers les toilettes. Par précaution, j'ai regardé l'écoulement de sang dans la cuvette mais il ne m'a pas semblé différent des autres mois. Victoria ne se plaignait pas de souffrir à un endroit particulier au niveau de son ventre c'est pourquoi je n'ai pas pensé à la GEU ni à une métrorragie inhabituelle. Mais quand elle a dû se rendre aux toilettes pour la troisième fois en moins de vingt minutes, j'ai compris qu'il y avait un problème et je l'ai emmenée aux Urgences.

- Bien, je vous remercie Docteur Goriaux.

Le président appelle ensuite le premier expert à rendre son verdict.

Je perds ma concentration petit à petit, au fur et à mesure que l'homme décortique le programme de mes études et plus particulièrement les cours consacrés à la gynécologie. Les trois autres experts font de même, décrivant les symptômes d'une GEU, les signes d'alerte que tout médecin doit connaître, les enseignements que nous recevons à l'unif et qui doivent nous permettre de rester en alerte tout le temps.

Tous, ils insistent sur le fait qu'un médecin, à la sorte de ses études et peu importe sa spécialité, est capable de reconnaître les signes d'un dysfonctionnement du corps féminin.

Le pire c'est qu'à les écouter, à leur manière de présenter les choses, ma culpabilité en devient presque évidente. Surtout pour des personnes qui ne sont pas du métier.

Lorsque les quatre experts ont présenté leurs conclusions et répondu aux questions du président. Les témoins sont appelés un par un dans la salle.

Mon cœur se serre lorsque je vois le père de Vicky s'avancer pour répondre aux questions ; Je réalise très vite qu'il a été cité par l'accusation afin de faire un portrait totalement faux de moi afin de justifier la demande de condamnation pour homicide involontaire.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi du jour au lendemain, lui qui m'avait indiqué au moment de mes fiançailles avec Vicky qu'il m'appréciait énormément, puisse à présent me décrire presque comme un monstre.

Je suis littéralement anéanti par ses paroles où je ne ressens plus que haine et rancœur.

Yann est ensuite appelé pour répondre à son tour aux questions du président. Nos regards se croisent un bref instant. Au moins je sais que lui, il dira la vérité.

Je suis à deux doigts de chialer pendant son témoignage. Limite je me demande presque si je mérite cela.

Tandis que Yann parle de ma manière de travailler, de ma manière de gérer une opération en urgence, je m'affaisse sur mon banc en réalisant que je me comporte vraiment comme le plus grand connard du monde. Je finis par me demander si je mérite de travailler avec des personnes aussi formidables.

Le mec, ça fait quoi, cinq mois qu'il bosse avec moi tous les jours et bordel quoi, mais qu'est-ce que je lui en ai fait voir depuis. A part une engueulade, une seule et unique engueulade, lorsque j'avais réduit mon nombre de clopes par jour, il a toujours encaissé ma mauvaise humeur, mes piques journalières, mon air froid, mon sarcasme, sans rien dire, sans jamais se plaindre. Il mériterait une statue. Et moi, je crois que je lui serai redevable à vie.



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Note d'info : en psychologie, l'ochlophobie désigne une peur irraisonnée de la foule. Ce terme ne doit pas être confondu avec l' agoraphobie qui correspond à la peur des espaces publics et, par conséquent, de la foule en tant qu'entité.

la métrorragie correspond à une perte de sang  d'origine utérine plus ou moins importante survenant en dehors de la période des règles chez la femme


Bien,bien, nous voilà donc au procès. Quelles sont vos hypothèses sur son issue (ou sur son déroulement ) ?

Pourquoi à votre avis l'avocat de Matt semble confiant ?

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