Je veux essayer
Cela fait trois semaines que je suis chez moi à me morfondre. Philippe a reporté notre entrevue prévue lundi dernier car il doit travailler sur certains aspects très importants et qui nécessitent, selon lui, d'importants travaux de recherche. Je me demande bien de quoi il s'agit. Il m'a seulement dit qu'il ne pouvait utiliser que les moyens légaux mis à sa disposition et notamment la recherche via Google. Je n'ai pas compris mais il sait ce qu'il fait donc je le laisse faire.
Je suis paumé à cause de mon nouveau rythme de vie. Je n'ai pas l'habitude de rester 24 heures sur 24 chez moi sans rien faire. Avant tout ce cirque, je passais mon temps à étudier ou à compléter mes connaissances en faisant des recherches à la bibliothèque interuniversitaire de médecine de Paris.
Avec Vicky nous sortions régulièrement : cinéma, resto, visites culturelles, randos sportives mais depuis son décès j'ai tout laissé tomber.
Ma mise en examen m'a incité à renoncer à la demande d'Éric de le rejoindre à son club de tennis car je veux éviter de croiser des collègues et surtout je tiens à éviter les questions indiscrètes.
La première semaine, j'ai fait du rangement. C'est fou la tonne de paperasse inutile que j'ai pu accumuler.
J'ai fait également le tri dans ma garde-robe et j'ai fait tout un colis avec mes vêtements encore en bon état pour les donner à une friperie solidaire. Autant faire un geste qui serve à quelque chose.
Mais maintenant, à part regarder les séries US qui tournent en boucle à la télé ou quelques films en streaming, je m'ennuie à mourir.
Nadia et Yann m'ont envoyé un bref message en me disant que la direction leur avait demandé de prendre leurs distances avec moi. Par sécurité ils ne me contactent donc même plus avec leur gsm ou leur mail privé. Et bien entendu, je n'ai plus droit à effectuer mes consultations privées avec ma collègue.
Philippe cautionne cela car il préfère prendre le plus de précautions possibles et il veut que ma conduite d'ici au procès soit irréprochable.
Mon avocat n'a fait aucune remarque au sujet de l'instruction et il n'a pas demandé d'actes complémentaires. La famille Tarranne n'a également pas fait de remarques. Mais cela, nous nous y attendions. L'ordonnance de renvoi à mon égard devant le Tribunal correctionnel a été rendue et le procès est prévu dans deux semaines.
Cette rapidité d'exécution me laisse perplexe et je suis de plus en plus convaincu qu'il y a derrière tout cela des enjeux bien plus importants que ma prétendue culpabilité.
Philippe en tout cas, ne semble pas perturbé. Il en a vu d'autres comme il ne cesse de me répéter.
Je suis crevé. Je dors mal et l'imminence de ce fichu procès me pompe toute mon énergie.
Pour ne pas changer, je prends, comme tous les matins, une douche bien froide, histoire de remettre mes idées en place.
Je frissonne encore lorsque, une fois habillé, je vais ouvrir à Philippe qui m'a envoyé un message assez succinct ce matin pour me prévenir de sa venue.
- Bonjour Matthieu. L'hôpital m'a contacté. Madame Defouy a besoin de toi aujourd'hui.
- Oh !
- Tu as besoin de quelque chose en particulier ?
- Euh, non. Les dossiers sont dans mon bureau sur place.
- Bien. Dans ce cas, nous pouvons y aller.
Dans la voiture de mon avocat, j'essaie de respirer calmement alors que mon cœur bat la chamade.
Depuis que j'ai été suspendu de mes fonctions, Raphaëlle occupe toutes mes pensées.
J'ai fini par admettre que j'étais tombé amoureux d'elle. Je me demande toujours comment.
Je ne l'assimile plus du tout à Vicky. Dans mon esprit elles sont deux personnes bien distinctes avec un passé différent.
Lorsque Philippe gare sa voiture sur le parking réservé aux visiteurs je suis nerveux. Je ne sais pas si je redoute plus le regard de mes collègues ou celui de Raphaëlle.
Puisque Nadia ne peut plus me contacter je ne sais même pas si elles ont discuté de moi. Sans doute. Enfin,...je l'espère et c'est bien une première cela.
Un agent de sécurité vérifie notre identité à l'entrée de l'hôpital puis nous prenons l'ascenseur jusqu'à mon service.
Lorsque je me retrouve non loin du bureau d'accueil, j'ai l'impression d'avoir du mal à respirer. C'est l'arrivée impromptue d'Isabelle qui réussit à me détendre un peu. Ma collègue est manifestement très émue de me revoir et elle est très vite rejointe par Maryse, Yann et nos aides-soignantes.
Je ne m'attendais pas à un tel accueil et j'ai du mal à dissimuler mon émotion.
Je repense aux paroles de Nadia et je décide de prendre une bonne résolution, même si nous ne sommes pas le premier janvier. Je me rends compte que j'ai vraiment une équipe formidable autour de moi et si on me donne l'opportunité de revenir dans ce service, je me jure que je ferai tout pour me montrer plus ouvert, moins froid, moins agressif surtout. Sans eux, le service ne fonctionnerait pas aussi bien et nos patients ne bénéficieraient pas d'un excellent suivi.
La porte de l'ascenseur ouvre à nouveau sur Ingrid et Simon.
Mon chef direct discute rapidement avec Philippe pour s'assurer que tout va bien se passer et que ma visite a été autorisée par le juge d'instruction puis la kiné m'invite à la suivre dans la chambre 35.
Je déglutis lentement lorsque je pénètre dans la pièce derrière Ingrid.
Raphaëlle ne semble pas étonnée de me voir. Bon, au moins on l'a prévenue de mon passage. Je l'observe à la dérobée pendant qu'Ingrid l'aide à s'assoir sur le bord de son lit.
Son visage est nettement moins creusé qu'il y a trois semaines et je suis certain qu'elle a repris du poids. Ses cheveux descendent jusque dans le milieu de son dos et elle porte à présent des vêtements classiques, ce qui lui donne bien meilleure mine qu'avec l'horrible blouse de l'hôpital.
Elle est belle. Vraiment très belle.
J'ai du mal à détacher mon regard d'elle lorsqu'Ingrid me demande d'examiner ses notes dans le dossier de Raphaëlle.
Je suis très heureux en constatant que ses progrès sont vraiment très encourageants. Ses plâtres ont été retirés la semaine dernière et il va lui falloir encore au moins deux bons mois avant de pouvoir marcher plus ou moins correctement sans béquilles.
Naturellement, s'il n'y avait pas eu sa clavicule et son poignet cassé, elle aurait pu débuter plus vite sa rééducation mais j'avais préféré faire les choses petit à petit pour ne pas l'épuiser inutilement.
Je m'apprête à faire quelques remarques quand Yann entre dans la chambre. Je me retiens de réagir lorsqu'il demande à Ingrid de venir jeter un coup d'œil à un dossier très urgent. Le petit clin d'œil de mon collègue est sans équivoque : il m'offre quelques minutes de tranquillité avec Raphaëlle. D'un très bref signe de tête je lui fais comprendre que je le remercie pour son geste.
Je me tourne ensuite vers Raphaëlle et je me sens terriblement gêné. Je sais que c'est à moi à parler le premier et pendant quelques secondes, je cherche mes mots.
- Je suis désolé. Je...je me suis mal conduit avec toi et je...
Je passe une main nerveusement dans mes cheveux. J'ai envie de m'assoir à côté d'elle mais j'hésite.
Puis je décide de prendre mon courage à deux mains et déjà, de faire en sorte qu'elle arrête de croire qu'elle a fait quelque chose de mal.
- Tu n'as rien fait de mal et je...je n'ai pas joué avec toi. Jamais. Seulement je...j'étais perdu et...
- Maintenant je comprends mieux.
- Je ne sais pas si Nadia te l'a expliqué mais tant que le procès ne sera pas terminé, il vaut mieux que nous n'ayons plus aucun contact. Je ne devrais pas être là et c'est...c'est vraiment exceptionnel. Pendant mon absence, n'aie pas peur de parler avec Yann et Nadia. J'ai confiance en eux.
Ses yeux bleu-gris qui me fixent intensément finissent par avoir raison de moi. Je m'assieds lentement à côté d'elle et je prends nerveusement ses mains dans les miennes.
- Je veux essayer Raphaëlle. Nous deux. Je...
Cette fois c'est elle qui prend l'initiative. Elle caresse délicatement mon visage et s'attarde un instant sur ma barbe de quelques jours puis elle m'offre un timide baiser. Je réagis immédiatement en l'attirant contre moi et je l'embrasse fiévreusement, sans aucune retenue, tout en caressant avidement sa langue de la mienne. Mon corps n'est plus qu'un brasier ardent et j'étouffe un grognement lorsque je me rends compte que je bande comme un animal en rut.
Putain, si elle s'en rend compte, si elle le sent, Raphaëlle va sûrement penser que je suis un détraqué.
Je dois presque m'arracher à ses lèvres décidément trop tentantes. C'est vraiment pas le moment de perdre les pédales.
Notre baiser, sauvage et terriblement sensuel en même temps, me laisse hors d'haleine. Je suis véritablement choqué par la violence de mon désir. Merde, Raphaëlle me rend dingue !
Front contre front, nous reprenons petit à petit nos esprits et notre souffle.
Délicatement, j'effleure le visage de Raphaëlle de mes doigts et je la sens frissonner contre moi.
Je m'oblige ensuite à m'écarter lentement d'elle et je tente de reprendre le dessus sur mes émotions.
Raphaëlle me dévisage avec un petit sourire timide. Mon Dieu elle me fait totalement craquer !
- Nadia m'a proposé de venir habiter chez elle quelques temps.
- C'est une bonne idée. Je préfère te savoir chez elle que...que dans ce centre...
- Et dans trois mois je pourrais commencer ma formation au Centre d'action sociale. Ils ont accepté mon dossier.
Tu...tu as une date pour le...le procès ?
- Deux semaines. C'est...c'est prévu dans deux semaines.
- Je suis certaine que cela va bien se passer.
J'entends la porte de la chambre s'ouvrir lentement : je me lève à regret et je reprends en mains le dossier de Raphaëlle. Nous n'avons pas vraiment eu le temps d'échanger mais maintenant elle sait. Elle sait que je ne joue pas avec elle.
Ingrid revient avec Simon et ils sont suivis de près par mon avocat. J'espère avoir pu me recomposer un visage impassible, je n'ai pas envie de me trahir, de nous trahir Raphaëlle et moi.
- Ton avis Matthieu ?
- Ingrid a fait du bon boulot. Maintenant...le planning des deux prochaines semaines me semble un peu chargé, je l'étalerais sur trois semaines. Il faudrait peut-être aussi insister sur le déroulement du pied gauche et voir pour ce blocage à la cheville droite.
Je sors ensuite de la chambre et je fais un discret signe de tête à Raphaëlle. Je suis vraiment soulagé de voir que tout se passe bien avec sa rééducation. Et je me sens beaucoup mieux maintenant que je suis vraiment décidé à nous donner une chance.
En sortant de l'hôpital, je soupire. Dans deux semaines je serai fixé. Mais putain qu'est-ce que c'est long deux semaines. Et Raphaëlle va me manquer. Oh oui, elle va me manquer
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