Dérapage incontrôlé

Je suis très satisfait de l'avancement de la rééducation de Raphaëlle : si au début elle craignait de réaliser les mouvements pour son épaule et son poignet, elle commence à prendre de l'assurance et elle m'a même dit qu'elle avait hâte de pouvoir remarcher, même si dans un premier temps ce sera avec des béquilles. Il est vrai qu'elle est clouée dans son lit depuis presque deux mois et je comprends qu'elle trouve le temps long. Ses progrès sont vraiment très rapides, elle a déjà récupéré une belle amplitude de mouvement et je comprends qu'elle est vraiment déterminée à retrouver très vite son autonomie malgré la douleur qu'elle ressent encore à intervalles réguliers.

Au moins Stefano n'a plus essayé de revenir s'occuper d'elle à mon grand soulagement.

En plus de ses séances avec ma patiente, Nadia me voit une fois par semaine, à son cabinet privé à ma demande. Faire des consultations personnelles sur mon lieu de travail était le meilleur moyen de provoquer encore de nouvelles rumeurs et j'ai assez d'emmerdes comme ça.

Mes quelques discussions avec ma collègue m'ont fait comprendre que j'avais abandonné les séances chez le psy un peu trop vite après le décès de Vicky. Et, même si j'ai eu beaucoup de mal à l'admettre, je reconnais que je ne peux pas m'en sortir tout seul. J'aurais bien aimé mais je n'en suis pas capable. Non, en réalité je n'en suis plus capable depuis l'arrivée de Raphaëlle dans mon service.

J'ai fini par accepter d'évoquer ma patiente avec Nadia et j'ai peur du chaos qui s'est installé dans ma tête. Parce que oui, c'est vraiment le foutoir.

J'ai très vite compris qu'il ne servait à rien de mentir avec Nadia : elle me connait bien, trop bien même et j'ai enfin accepté l'idée qu'elle voulait m'aider, juste m'aider.

Donc, oui, je n'ai pas pu lui cacher que je trouvais Raphaëlle attirante, même clouée dans un lit d'hôpital et avec deux plâtres qui cachent ses jambes meurtries.

Évidemment, j'ai bien malgré moi fait une comparaison avec Vicky et je me suis alors rendu compte de ce que Nadia voulait dire lorsqu'elle insistait sur le fait qu'elles étaient différentes.

Déformation professionnelle sans doute, j'ai pris la peine de consulter quelques ouvrages avant de me confier réellement à Nadia. C'est ainsi que j'ai essayé de démonter ses arguments au sujet de mes prétendus sentiments pour Raphaëlle.

Avec Vicky, il y a eu très vite une attirance irrésistible, le moindre contact physique entre nous provoquait chez moi comme des décharges d'électricité. Je souriais, j'étais de bonne humeur, mon désir pour elle grandissait de jour en jour. Je me sentais insouciant, heureux, sur un petit nuage.

Il n'y a rien de tout cela avec Raphaëlle. Je sais reconnaître une jolie femme mais je sais également faire la part des choses entre attirance et attachement.

J'ai donc reconnu que moi aussi j'avais finis par succomber et que je n'avais pas été capable de prendre du recul face à sa situation compliquée.

Nadia m'a regardé d'un air sceptique. Pourquoi est-ce qu'elle ne me croit pas ?

Je suis à nouveau de garde ce weekend. Comme ces dernières semaines, sauf évènement majeur, mes trois nuits seront calmes.

Mine de rien, ça fait du bien de pouvoir souffler un peu, d'avoir des journées, ou des nuits, moins chargées, de faire des opérations de routine, sans stress. Mais cela me laisse également beaucoup plus de temps pour songer à la situation de Raphaëlle.

Je lis tous les jours les notes qu'elle indique maintenant régulièrement dans le carnet que je lui ai fourni et j'ai de plus en plus de mal à rester impassible face à ce qu'elle a vécu. J'en viens même à redouter à présent ce que je vais découvrir.

Les deux crétins de la police ont décidé qu'ils allaient encore attendre un peu avant de faire un nouvel interrogatoire car Raphaëlle n'a toujours pas évoqué sa présence dans l'immeuble qui a brûlé.

Lorsque je pousse la porte de sa chambre, je ressens une petite appréhension car je crains de nouvelles révélations de sa part.

- Bonjour Raphaëlle. Tu as déjà mangé ?

- Bonjour Docteur Goriaux. Oui, Caroline m'apporte mon plateau un peu plus tôt pour me laisser le temps de manger à mon aise. Je suis capable de me débrouiller seule maintenant mais cela prend du temps.

J'ai...hum...j'ai noté quelques phrases au sujet de...de l'immeuble.

- Oh. Alors, tu commences à te rappeler ?

- Oui. Et je...le père de mon fils, je suis certaine que ce n'est pas son vrai nom mais lorsque je voulais lui parler je devais l'appeler Sam. Et quand il s'adressait à celui qui m'a enlevé il lui disait tout le temps « chef ».

- Et...pour l'immeuble ?

- Je crois me rappeler que Sam avait parlé d'un héritage qu'il n'avait pas reçu ou quelque chose comme ça. Je...

Raphaëlle pâlit subitement et, bien malgré moi, je me retrouve assis à ses côtés, à tenir ses mains dans les miennes et à la dévisager avec anxiété, redoutant ce qu'elle va m'apprendre.

Lentement, très lentement, elle me parle d'une conversation qu'elle avait surpris entre le chef et ce dénommé Sam qui est, elle en est à présent certaine, responsable de l'incendie.

- Maintenant je sais. Je...

- Attends. Ne te précipite pas. Écris d'abord tout ce dont tu te rappelles. Et ensuite, si tu le souhaites, nous en discuterons.

- Non, je...Restez je vous en prie.

Raphaëlle ne prend pas son carnet, elle entrelace plus fermement nos mains puis elle plonge son regard dans le mien et elle commence son récit :

- Sam attendait de recevoir un héritage de sa grand-mère. Puis, un jour il a appris qu'elle l'avait déshérité au profit de l'une de ses cousines éloignées. Il...il était très énervé et il...m'a frappé à plusieurs reprises parce que je ne me levais pas assez vite quand il venait me voir. Le chef est venu ensuite lui parler pendant que je faisais la vaisselle dans la petite cuisine qu'ils avaient aménagée. Je n'avais jamais pu sortir de la pièce où je dormais jusqu'à la naissance de mon fils. Mais après, lorsque je suis revenu, ils ont dit que je devais travailler pour eux, faire la vaisselle et leur préparer à manger tous les jours.

Un soir, Sam a dit au chef qu'il allait régler le problème définitivement puis il s'est tourné vers moi et il m'a dit « si tu t'en sors vivante, tu seras libre »

Je n'ai pas compris mais j'ai fait un signe de tête, comme à chaque fois qu'il me parlait pour ne pas qu'il me punisse une nouvelle fois.

Il connaissait le code de la porte d'entrée et il...

Elle s'arrête un instant et elle lâche subitement mes mains pour cacher son visage et les larmes qui commencent à couler le long de ses joues.

J'avais promis à Nadia de ne plus encourager Raphaëlle, de ne plus avoir de gestes qui pourraient être sujet à une mauvaise interprétation de sa part mais...je ne peux pas faire comme si j'étais insensible à sa détresse.

Alors je la prends dans mes bras et je la serre tout contre moi en essayant de la rassurer comme je peux.

C'est la première fois, à l'exception de cette brève accolade lorsqu'elle avait compris qu'elle était la petite fille de ses cauchemars, que je suis aussi proche d'une femme depuis la mort de Vicky et curieusement, je n'éprouve aucun dégoût.

Lorsqu'elle cesse de pleurer et qu'elle s'écarte lentement de moi, je lui caresse doucement le visage et j'écarte délicatement une mèche de ses cheveux :

- Je crois que nous allons arrêter là pour aujourd'hui et...

J'entends la porte de la chambre qui s'ouvre et je m'écarte sensiblement de Raphaëlle. Maryse, qui est de garde comme moi ce weekend, vient apporter les médicaments que ma patiente doit prendre et j'en profite pour me sauver.

Je fais ensuite le point avec Sylvie au sujet de nos autres patients : une dame âgée de 87 ans est arrivée il y a deux jours, je crois que c'est son troisième ou quatrième séjour chez nous. Après le poignet, le coude, voilà qu'elle nous fait une rupture de la coiffe des rotateurs maintenant. Normalement elle ne reste que quatre jours dans le service mais vu que la dernière fois elle a piqué une crise parce qu'elle ne voulait pas retourner au home où elle réside je sens que son hospitalisation va être folklorique et qu'elle va se prolonger de deux ou trois jours au moins.

Si encore il n'y avait que ça. Elle refuse de rester dans sa chambre et mes collègues l'ont déjà retrouvé plusieurs fois se promenant dans les couloirs. Manquerait plus qu'elle tombe et se casse le col du fémur.

- Ses enfants ont demandé à ce qu'elle soit hospitalisée au moins pour la durée des soins pour la cicatrice.

- Et quoi, personne ne peut s'en charger au home ?

- Ils n'ont pas confiance. Ils sont actuellement en train de lui chercher une place ailleurs.

- Et donc ?

- Ils veulent que nous la gardions deux semaines au moins. Le temps qu'ils trouvent une nouvelle résidence.

- Quelqu'un leur a expliqué que ce n'est pas un hôtel ici ?

- Oui mais...ils ont aussi porté plainte pour non-assistance en danger.

- Ah. Magnifique. C'est bon j'ai compris.

- Yann l'a refilé à Isabelle. Il a dit qu'il allait finir par lui coller des baffes.

- Et je le comprends.

Lorsque ma collègue quitte le service pour rentrer chez elle, je décide d'aller revoir Raphaëlle.

Elle regarde distraitement la télévision et je vois qu'elle a encore pleuré pendant mon absence.

En soupirant, je m'assieds à nouveau près d'elle et je l'observe en silence. Ses cheveux châtains, pour une fois, ne sont pas noués : ils flottent librement sur ses épaules et cela lui va très bien.

Elle tend la main pour saisir son carnet mais je l'en empêche.

- Ça suffira pour aujourd'hui. Je sais que tu fais des efforts et je sais à quel point c'est pénible pour toi.

Mon geste m'a fait me rapprocher d'elle et sans trop réaliser ce que je fais, je m'assieds à ses côtés, je mets une main sous son menton pour ensuite poser lentement mes lèvres sur les siennes.

Je ne contrôle plus ce que je fais : mon autre bras entoure fermement la taille de Raphaëlle et je l'amène au plus près de moi. Le souffle rauque j'approfondis notre baiser et je sens que ses mains se mettent à caresser mon dos. Après une si longue abstinence, je ne peux résister au goût enivrant des lèvres si douces de ma patiente.

Raphaëlle me donne accès à sa bouche sans aucune restriction, le ballet de nos langues augmente la puissance de mon désir et la chaleur qui m'envahit peu à peu me fait perdre toute capacité de réflexion. Je profite de chaque seconde, de chacun de ses soupirs que je distingue à peine mais que je devine malgré tout.

C'est le bruit d'un chariot que l'on fait rouler bruyamment dans le couloir qui me fait revenir à la réalité.

Je me redresse brusquement et je fixe Raphaëlle totalement horrifié.

Oh putain qu'est-ce que j'ai fait ?



----------------------------

Matt a fini par craquer. Mais...que va t-il faire à présent ?

Toute relation entre un médecin et une patiente est interdite : va t-il passer outre ?  Va t-il choisir de ne plus s'occuper de Raphaëlle ?

Et puis Matt va t-il enfin reconnaître qu'il  a des sentiments pour Raphaëlle ou pas du tout ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top