Acharnement
J'ai à peine entrouvert la porte que le bruit d'une conversation me parvient aux oreilles. Je m'apprête à ressortir discrètement de la chambre lorsque la voix claire de Raphaëlle me fait sursauter.
- Pourquoi est-ce qu'il me rejette ainsi Nadia ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?
- Tu n'as rien fait Raphaëlle. C'est...ce n'est pas à moi à te parler de sa situation. S'il n'évoque pas ses problèmes avec toi, je ne peux rien faire.
- Mais il m'a embrassée ! C'est lui,...c'est lui qui en a pris l'initiative. Je n'ai pas essayé de le piéger, je...
- Il t'a embrassée ? Mais quand ?
Et merde ! Nadia ne va vraiment plus me lâcher maintenant.
- Vendredi soir. Juste avant qu'il ne soit appelé à cause de ce grave accident au Quai d'Austerlitz.
- Il...il a dit quelque chose ensuite ? Il...
- Non. Non rien du tout. Il m'a regardé comme si...
- Raphaëlle ?
Lorsque j'entends que ma patiente fond en larmes, je ressens une terrible douleur au plus profond de moi-même. Je ne suis qu'un gros connard. Je ne voulais pas lui faire de mal, je voulais la ménager, et finalement, je n'ai fait qu'empirer la situation.
Les phrases qu'elle prononce ensuite m'anéantissent totalement :
- J'ai bien vu que je le dégoûtais. Je ne sais pas pourquoi il m'a fait ça si cela le répugnait autant. Et depuis, il fait comme si je n'existais plus à ses yeux. Je croyais qu'il était quelqu'un de bien. Pourquoi s'est-il occupé de moi comme il l'a fait si c'est pour ensuite me...me traiter de la sorte ?
Il sait tout ce que j'ai vécu, pourquoi a-t-il joué avec moi ainsi ? Je ne l'ai pas repoussé, je voulais qu'il comprenne que j'en avais envie.
- Je ne pense pas qu'il voulait jouer avec toi. Ce n'est pas son genre. Seulement...Matthieu a...un passé douloureux qui affecte sa vie de tous les jours. Il se cache derrière le sarcasme et la froideur pour cacher ses soucis. Je le vois d'ailleurs une fois par semaine pour essayer de l'aider.
- Nadia, il va avoir des problèmes à cause de moi ?
- Non, il ne t'a pas forcée à avoir une relation physique avec lui, il n'a pas usé de la force contre toi.
Maintenant il faut que tu saches qu'un médecin ne peut pas avoir de relation amoureuse avec l'une de ses patientes. Si c'est le cas il doit arrêter de la soigner et transmettre son dossier à quelqu'un d'autre.
- Il ne va pas le faire n'est-ce pas ? Je ne suis rien pour lui, je le sais.
- Je ne dirais pas cela. Matthieu...Matthieu est très perturbé en ce moment. Il n'arrive plus à gérer ses ennuis d'ordre privés et sa vie professionnelle. Il faut que tu saches que ton arrivée chez nous l'a...changé.
Raphaëlle m'achève complétement lorsque j'entends ses derniers mots :
- J'aimerais l'aider Nadia. Je sais que c'est complètement dingue mais je...je crois que je l'aime. S'il n'est pas prêt, s'il a besoin de temps, je...je pourrais attendre mais j'aimerais tant qu'il me regarde autrement.
- Je sais...
Je ne veux pas en entendre plus. Je sors rapidement de la chambre sans faire le moindre bruit et je me retrouve à nouveau affalé dans le fauteuil de mon bureau.
Je vais peut-être recontacter Sylvain finalement. Comment est-ce que je pourrais continuer à bosser sereinement en sachant que Raphaëlle a avoué à ma collègue que je l'ai embrassée et qu'elle est amoureuse de moi ?
Une chose est sûre, il va falloir que je mette les choses au clair avec ma patiente rapidement. Et une nouvelle fois, je passerai pour le méchant de service.
Nadia va me tuer c'est une certitude. Je n'avais pas compris qu'elle était devenue très proche de Raphaëlle.
En même temps, ma patiente est appréciée de tout le personnel du service : elle est volontaire, combative, elle fait tout ce qu'elle peut pour nous aider. C'est vraiment moche ce que je dois faire avec elle mais je ne suis pas un gars qui fait semblant.
Je pourrais, et ce serait vraiment me comporter comme un gros salopard, passer outre et me lancer dans un truc qui ne serait franchement pas sérieux avec Raphaëlle mais je sais, en tout cas j'ai bien compris, que ce n'est pas ce qu'elle attend de moi.
Et moi, je ne fais pas cela. Je ne veux pas profiter d'elle et de sa naïveté.
La sonnerie de mon téléphone me tire de mes pensées et je fronce les sourcils lorsque mon interlocuteur se présente :
- Docteur Goriaux, bonjour. Je suis l'inspecteur Perrigeaud du Commissariat central de Police de Bordeaux.
Bordeaux...oh putain c'est pas vrai...
Je déglutis lentement et je m'étrangle à moitié en tentant de répondre poliment à ce monsieur.
- Hum...Bonjour Inspecteur. Que...en quoi puis-je vous être utile ?
- Je suis mandaté pour vous auditionner au sujet du décès, le 28 septembre 2008, de Mademoiselle Victoria Tarranne.
- Je ne comprends pas, je...j'ai déjà répond aux questions des enquêteurs il y a six ans et je...j'avais été disculpé.
- Je le sais bien Docteur Goriaux, j'ai parcouru le dossier attentivement avant de vous contacter.
- Alors,...pourquoi... ?
- Les parents de Mademoiselle Tarranne ont fait appel à quatre nouveaux experts indépendants et leurs conclusions sont différentes des médecins qui sont intervenus dans ce dossier lors de l'enquête effectuée il y a six ans.
Je vous conseille de prendre un avocat Docteur Goriaux car en l'état actuel des choses, je suis en mesure de vous inculper pour homicide involontaire et de non-assistance à personne ne danger. Les charges retenues contre vous seront définies après votre audition.
- Mais...
Je suis effondré. Pourquoi Alain me fait-il cela ? Je sais qu'il me tient pour responsable de la mort de sa fille mais merde, l'enquête a démontré que je n'y étais pour rien. Pourquoi tout recommencer six ans après ?
C'est de l'acharnement.
Que peut-il obtenir ? Que je sois reconnu coupable ou non, cela ne ramènera pas Victoria.
Je sais également ce que cela signifie pour moi : si je suis inculpé, s'il y a un procès, je vais être suspendu de mes fonctions et je n'aurais plus le droit de revenir à l'hôpital tant que le verdict n'aura pas été prononcé. Si je m'en sors naturellement.
Bouleversé, je tape du poing sur mon bureau et c'est dans un état second que je vois Nadia avancer devant moi.
- Matt ?
- Il a recommencé. Le père de Victoria. Il a déposé une nouvelle plainte contre moi.
- QUOI ? Mais...mais l'enquête t'a disculpé non ?
- Apparemment il a trouvé d'autres experts. Je viens d'avoir un appel de la police de Bordeaux. Des inspecteurs vont se pointer à Paris en fin d'après-midi. Je dois me rendre au Commissariat qui est ici tout près pour être interrogé et d'après ce que j'ai compris, je ne risque pas d'en sortir sans une mise en examen.
- Non...non c'est pas possible !
- Je dois me chercher un avocat ça veut tout dire...
Je lève presque machinalement de mon bureau et en jetant un regard à ma collègue je lui dis :
- Je vais faire un dernier tour dans le service et je vais briefer Yann. Il va avoir du boulot pendant les prochains mois.
- Matt ! Attends. Tu parles comme si tu avais déjà été condamné. Rassure-moi tu as quand même l'intention de te battre ?
- C'est de l'acharnement Nadia. La famille de Victoria veut un coupable. Ils vont me le faire payer un jour ou l'autre.
Je passe de chambre en chambre en ayant le sentiment de me trouver dans une sorte de brouillard épais. Mon corps est présent dans le service mais mon esprit est ailleurs.
Mon bras tremble lorsque j'entre dans la chambre 35, la dernière de ma tournée.
Nadia se trouve une nouvelle fois aux côtés de Raphaëlle et en dévisageant ma patiente, je comprends que je dois impérativement m'éloigner d'elle.
Sans un mot j'examine son carnet où elle n'a plus rien noté depuis quelques jours déjà puis, la gorge serrée et le visage grave je redeviens celui que j'étais avant que Raphaëlle n'arrive dans mon service : un homme froid, distant, avec un regard dénué de toute chaleur.
- Je vais sans doute être absent pendant une longue période. Yann connaît votre dossier, il pourra assurer un excellent suivi j'en suis convaincu. Estelle et Ingrid ont le planning de votre rééducation et Nadia vous assistera pendant les interrogatoires que la police souhaite encore mener à votre sujet.
Je lui tourne ensuite le dos et je m'apprête à quitter la pièce sans adresser un seul regard ni à Nadia ni à ma patiente quand cette dernière m'interpelle alors de manière déchirante :
- Matthieu, attends ! Qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que je t'ai fait ?
Elle n'imagine même pas la douleur qu'elle provoque chez moi.
Cette façon de prononcer mon prénom...Elle ne l'avait jamais fait auparavant.
Elle doit sans doute se trouver dans la même détresse émotionnelle que moi mais pour des raisons bien différentes.
A l'évocation aussi bouleversante de mon prénom, je me retourne brusquement pour la regarder mais je détourne la tête aussitôt et je quitte la chambre.
Non seulement je ne suis pas en mesure de lui apporter ce qu'elle désire mais maintenant, avec ce procès qui me pend vraisemblablement au nez, il vaut mieux qu'elle n'ait plus aucun contact avec moi.
Tandis que je fais le tri dans mes affaires, que j'informe tous les membres de mon service au sujet de nos patients, que je donne mes dernières instructions, je repense à l'une de mes premières conversations avec Nadia, lorsqu'elle m'avait fait part de l'attirance que Raphaëlle ressentait pour moi et où elle avait parlé du premier amour. Je donnerais n'importe quoi pour éviter d'infliger une telle souffrance à Raphaëlle mais là, sans le vouloir, si j'en crois tout ce que Nadia m'avait expliqué au sujet des ados et de leurs premiers émois amoureux, elle va souffrir. Par ma faute.
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