Chapitre 8
Le lendemain, dans le couloir, vers dix heures, Antoine et Lyly croisèrent Théo. Même si celui-ci ne leur accorda aucun regard, bien trop concentré sur son téléphone, Antoine s'arrêta en face de lui et monsieur Pavinkis ne pu que relever le regard vers son jeune élève qui lui barrait la route.
— Antoine, il y a un problème ?
Lyly ne savait pas où se mettre. A quoi jouait-il ? Gênée, elle se rangea sur le côté du couloir, laissant les deux jeunes hommes, face à face, au milieu de l'allée.
— Je sais pas c'était qui la femme d'hier, mais faut sérieusement qu'elle aille se faire soigner. C'est quoi son problème ? Pourquoi elle a tapé dans notre table exprès ? On la connaît même pas !
— De quoi parles-tu ? Qui ça ?
— La femme avec qui vous étiez dans le bar, hier ! C'est une sacré conne !
Lyly vit Théo froncer ses sourcils. Ce n'était pas bon signe, pas du tout. Elle tourna le regard.
— Surveille ton langage, Antoine, je ne le répéterai pas.
— Mais monsieur, continua-t-il énervé, en quoi c'est normal de nous faire chier comme ça ? On était tranquilles à notre table et Lyly a dû rentrer chez elle plus tôt à cause d'elle ! Putain, elle a pas à taper dans notre table comme ça, tout s'est renversé sur Lyly !
Théo tourna lentement son regard vers la jeune étudiante qui observait les étudiants passer près d'eux, et reporta son attention sur son élève. Visiblement elle ne souhaitait pas s'en mêler.
— Je ne sais pas ce qui s'est passé, je n'y étais pas, je ne peux donc pas t'en dire plus. Ce n'était sûrement pas intentionnel, alors je te suggère de te calmer, Antoine. Je dois y aller, bonne journée à vous.
Monsieur Pavinkis contourna habilement Antoine les sourcils toujours froncés, rasa Lyly qui sentit très nettement le parfum de son jeune professeur s'engouffrer dans ses narines, et son camarade la rejoignit. Tous deux le regardèrent s'éloigner un instant, en silence.
— Connard, va.
Ashley fut mise au courant de la situation le lendemain après-midi. Lorsqu'elle rejoignit Lyly dans le salon le soir tombé, elle s'indigna de la réaction de la psychologue et prit place sur le canapé aux côtés de sa cousine, excédée.
— Pourquoi tu m'en as pas parlé ? Je lui aurais cassé la figure avant à cette abrutie!
— Pour éviter que tu lui casses la figure, justement.
— Et toi tubtrouves ça normal ? s'exclama Ashley. Et toi t'as rien fait ? Mais moi je l'aurais poursuivi dans le bar et je me serais jetée sur elle ! Elle a toujours eu une grosse dose de culot mais il va bien falloir que quelqu'un la remette en place un jour !
Lyly lâcha un petit rire.
— Et en plus tu rigoles, s'indigna Ashley en s'adossant au canapé. Je sais pas c'est quoi ton problème. Moi j'aurais pas laissé passer ça.
— Je ne la connais pas, je ne vais pas lui briser le bras juste parce qu'elle a voulu faire la pimbêche. Le karma lui retombera dessus un jour ou l'autre.
— J'espère bien voir ça de mes propres yeux ! s'exclama Ashley.
Lyly se réveilla en sursaut à deux heures du matin, prise de panique. Sentant son corps trembler, son cœur battre à vive allure et une envie de vomir imminente, la jeune fille se rua sur sa porte, l'ouvrit à la volée et se précipita dans les toilettes avant de déglutir son repas de la veille. Le visage plongé dans la cuvette, Lyly déglutit une seconde fois, à deux doigts de s'étrangler, et se laissa tomber le long du mur, prise de vertiges.
Elle referma ses paupières, un filet de vomi glissant de ses lèvres, et sentit son cœur accélérer ses battements. Son corps encore tremblant, elle tenta de se remettre sur ses genoux et ouvrit sa bouche dans la cuvette afin de laisser partir le liquide visqueux. La jeune fille sentit son abdomen se compresser. Elle avait besoin d'air, et vite.
Ne cherchant pas à se raisonner, dans tous ses états, Lyly se redressa sur ses jambes flageolantes, s'essuya la bouche, enfila une paire de baskets et dévala les escaliers maladroitement. Elle ouvrit la porte d'entrée à la volée, la claqua derrière elle sans se soucier du bruit qu'elle pouvait faire, obnubilée par la pensée que sa respiration se coupait, et marcha dans la rue en petite tenue.
Vêtue d'un simple short de nuit et d'un ancien t-shirt, elle continua sa marche sous la lumière des réverbères, le corps raide et tremblant. Lyly ouvrit la bouche en grand, tentant d'ingurgiter un maximum d'air dans ses poumons, et sentit davantage de poids sur sa poitrine, ce poids qui lui coupait la respiration par intervalles irréguliers.
La jeune femme se mit à courir, tentant de réveiller son organisme, mais ses jambes flageolantes ne lui permirent pas d'avancer aussi vite qu'elle le voulu. Les bras crispés, elle tenta de traverser la route mais elle s'écrasa au beau milieu des deux routes désertes. Pourquoi tout cela durait aussi longtemps, pourquoi n'arrivait-elle pas à se calmer ? Allait-elle... mourir ?
Sentant la panique s'accroître en elle, elle ne vit pas la voiture arriver derrière elle. Elle se fit klaxonner à plusieurs reprises et la voiture s'éloigna, comme si de rien n'était, pendant que Lyly déglutissait un filet d'acide gastrique mélangé à de la bile sur le goudron. Totalement anéantie, ne parvenant plus à contrôler ni les tremblements, ni la pression constante sur son torse, la jeune femme se laissa tomber sur son flanc gauche. Étendue sur le sol, sentant le bitume frais sous son corps, Lyly ignora les nouveaux klaxons que lui adressa une voiture en la contournant.
— Lyly !
La concernée vit Théo apparaître, se pencher sur elle, et celui-ci la releva, inquiet, avant de la porter dans ses bras afin de s'écarter de la route.
— Hey, mais qu'est-ce qui t'arrive ma petite Lyly, reprit-il, reste avec moi, d'accord ? Ça va aller. Respire doucement en même temps que moi, entendu ?
Il s'arrêta près d'un banc, y déposa soigneusement la jeune fille et prit place à ses côtés.
— Regarde-moi.
Totalement sonnée par l'intensité de sa crise de panique, Lyly ne parvint à le regarder que lorsqu'il se releva et se plaça face à elle.
— Regarde-moi. Fais exactement ce que je fais, d'accord ? Inspire très lentement.
Le jeune homme inspira avec lenteur et vit la jeune étudiante l'imiter.
— Voilà, c'est ça, reprit-il doucement, maintenant tu vas expirer aussi lentement que tu viens de le faire, ça marche ? Fais-le en même temps que moi, inspire.
Avec autant de douceur que l'inspiration, Théo expira avec lenteur, ce que fit à son tour Lyly sans le quitter des yeux. Pourtant, elle ne ressentait pas de différence, tout semblait durer longtemps, bien trop longtemps. C'était anormal. Elle laissa ses paupières se refermer, fatiguée de se battre, fatiguée de tenter de contrôler ses foutues crises de panique nuit après nuit.
— Hep hep hep, Lyly, ouvre les yeux, regarde-moi !
Avec difficulté, la jeune femme rouvrit ses yeux et vit en face d'elle Théo. Il semblait si sérieux, si... inquiet.
— Recommence avec moi les inspirations et expirations. Tu suis exactement ce que je fais, d'accord ? Reproduis exactement mes mouvements respiratoires. Sois mon miroir.
Et comme auparavant, Lyly suivit avec minutie ce que faisait son jeune professeur en face d'elle et reproduisit avec lenteur les mêmes mouvements que lui. Sentant légèrement son état s'améliorer, Théo lui demanda de fermer les yeux et attrapa avec douceur ses mains dans les siennes.
— Imagine-toi maintenant dans un endroit calme, isolé où tu te sens bien. Focalise-toi sur le silence apaisant que te procure cet endroit et inspire lentement. Voilà, c'est bien Lyly. Et maintenant, essaye de ressentir avec précision tes mains dans les miennes.
Toujours avec douceur, Théo lui caressa le dos des mains.
— Tu ressens ce toucher ? Tu ressens mes doigts caressant tes mains ? C'est un geste apaisant, n'est-ce pas ? C'est un geste doux, chaud, agréable... Tu te vois encore dans cet endroit calme, tes mains dans les miennes ?
Lyly acquiesça.
La sentant légèrement plus calme, plus apaisée, il reprit.
— Très bien. Maintenant imagine Ashley qui arrive derrière toi et qui t'enlace. Elle t'enlace doucement, sans t'oppresser, et tu ressens petit à petit tout l'amour qu'elle ressent pour toi, tu ressens mes mains qui te procurent une sensation de bien-être qui caressent encore les tiennes, et tu as l'impression d'être entourée d'amour. Tu flottes, tu planes sur un énorme nuage. Continue de visualiser cette image Lyly, continue.
Les tremblements avaient cessé et la sensation d'oppression diminua d'intensité. La jeune fille ouvrit lentement les yeux et vit Théo accroupit devant elle, éclairés par un réverbère placé à quelques mètres du banc, lui caressant toujours le dos des mains.
— Tu te sens mieux ?
Lyly tenta de canaliser et de stabiliser sa respiration pendant que Théo relâcha lentement ses mains et se redressa. Jamais elle n'avait été autant envahi par ses émotions, c'était la première fois que la crise de panique durait aussi longtemps avec une telle intensité et qu'elle se retrouvait dans cet accoutrement à l'extérieur.
Peu à peu Lyly parvint à reprendre ses esprits, l'esprit fatigué.
— Je vais te ramener chez moi. De là-bas je vais appeler Ashley pour la prévenir que je t'ai retrouvé.
N'ayant pas la force de répondre, Lyly se laissa porter par Théo et perdit connaissance dans ses bras.
Elle ne rouvrit les yeux que dans l'après-midi. Totalement sonnée par ce qui s'était passé plus tôt dans la nuit, la jeune femme porta sa main sur sa tête, sentit ses cheveux entre ses doigts, et se compressa le visage entre ses mains. Elle allait tourner folle si cela continuait, elle n'allait pas pouvoir endurer cela aussi longtemps, cela faisait trop longtemps que cela lui épuisait l'esprit et le corps, cela faisait trop longtemps qu'elle se sentait s'écrouler sous le poids de son passé.
Cette crise de panique avait été l'une des plus terribles qu'elle avait vécu, et cela devant Théo. Bordel, quelle honte. Tentant de canaliser ses pensées, ne serait-ce qu'un instant, Lyly sortit sa tête d'entre ses mains, prit place sur le rebord du lit et haussa le visage afin d'observer les alentours. Une énorme bibliothèque se trouvait en face du lit et une immense baie vitrée à sa droite donnait sur la terrasse du jeune professeur.
Alors qu'elle était en train d'analyser les lieux des yeux, Théo pénétra dans la salle et fut surpris de voir la jeune femme réveillée.
— Comment tu te sens ?
Le jeune homme s'arrêta en face d'elle et posa sa main sur le front de Lyly. Aucune fièvre.
— Mal.
C'était la première fois qu'elle répondait aussi sincèrement. Théo s'en rendait parfaitement compte. Il s'accroupit alors lentement face à la jeune femme et lui adressa un doux regard, plein d'empathie et de sincérité.
— Je vais te préparer un petit truc à manger, question que tu n'aies pas l'estomac vide.
— Je n'ai pas vraiment envie d'avaler quoi que ce soit, avoua-t-elle en sentant le goût de la bile remonter. Vraiment, je ne peux rien avaler...
Théo acquiesça.
— Ça fait longtemps que tu as ce genre de crises de panique ?
Sentant Lyly se recroqueviller sur elle-même, il lui attrapa gentiment les mains et les caressa avec douceur.
— Hey, Lyly, je ne suis pas là pour te juger, tu ne dois pas avoir une once de honte avec moi. Je suis de ton côté.
Des frissons lui parcourent le corps, pourtant, Lyly n'y prêta pas attention. Ses mains étaient chaudes, douces.
— Quelques semaines.
— Lyly, quelques semaines ça peut aussi bien vouloir dire deux semaines, quatre semaines...
— Théo...
Il relâcha avec lenteur sa main droite et la dirigea vers le visage de la jeune femme. Il posa délicatement sa main du côté droit du visage de Lyly et lui caressa avec douceur la joue à l'aide de son pouce. Elle ferma peu à peu ses paupières, sous le toucher agréable du jeune homme.
— Cinq semaines, peut-être six...
Les yeux écarquillés de surprise, Théo tenta de se reprendre rapidement et observa avec minutie le visage de la jeune fille. Elle avait de longs cils, les sourcils parfaitement dessinés et de grandes lèvres légèrement pulpeuses. Quant à son petit nez, il s'harmonisait avec le reste de son visage. Ses cheveux mi-châtains, mi blonds, étaient d'une extrême finesse, et semblaient à la fois doux et brillants.
— Toutes les nuits ?
Lyly acquiesça lentement le visage, sous les doigts de Théo.
— Sais-tu de quoi ça vient ? Il y a une raison, n'est-ce pas ?
La jeune étudiante rouvrit ses yeux, laissant apparaître de beaux yeux mi verts mi marrons qui plongèrent aussitôt dans ceux du jeune professeur.
— J-je veux me lever.
Théo se releva aussitôt, sa main quittant le visage de la jeune femme, et recula. Lyly se redressa sur ses jambes, quelque peu apeurée de voir comment elle allait pouvoir tenir, et retrouva rapidement sa stabilité habituelle. Elle fit quelques pas dans la chambre sous les yeux inquiets de Théo.
— Tu n'avais pas cours aujourd'hui ?
— Si, mais je n'ai pas été.
Lyly se retourna et fit face à son jeune professeur. Le visage inquiet, elle le dévisagea, attendant qu'il continue.
— J'ai appelé et j'ai dit que je ne pourrais pas venir faire cours aujourd'hui.
— Tu n'aurais pas dû, répondit-elle, je ne veux pas te causer d'ennuis.
Théo se rapprocha de Lyly, un léger sourire aux lèvres.
— Hey, ne fais pas cette tête. Je n'allais pas te laisser seule chez moi, ça n'aurait pas été responsable de ma part. Et puis je ne suis jamais absent, ça ne me causera aucun ennui.
— Ashley va me tuer...
— Elle ne va rien faire du tout, répondit-il aussitôt, calmement. Elle sait ce que tu traverses et préfère te savoir chez moi avec moi plutôt que seule chez elle.
— Et ton écerveléede copine, elle va me faire quoi cette fois-ci ?
Théo lâcha un petit rire et attrapa avec douceur le visage de la jeune fille entre ses mains.
— Ce n'est pas ma copine. Et elle ne te fera rien du tout, du moins elle n'a pas intérêt. Personne n'en saura rien. Tu n'as rien à craindre.
Lyly acquiesça lentement la tête, souhaitant au plus profond d'elle que ce soit vrai, et baissa la tête face au profond regard de Théo. Celui-ci aurait aimé faire référence à Antoine, au baiser qu'ils avaient échangé dans le bar, mais se rendant bel et bien compte que ce n'était ni le lieu ni l'heure à ce genre de discussion, Théo garda cela pour lui.
— Je ne veux plus que ça se reproduise, je n'en peux plus...
Instinctivement, sans réfléchir, le jeune homme ouvrit ses bras et Lyly s'y logea aussitôt avant que celui-ci ne referme l'étreinte autour de la jeune fille. Elle cala son visage contre le torse musclé du jeune homme, inspirant son parfum tandis que celui-ci lui caressait avec douceur le dos, inquiet. Il déposa un baiser sur le front de la jeune femme et resserra davantage son étreinte autour de Lyly. Elle était à la fois forte et frêle.
Cela faisait donc cinq semaines voire plus qu'elle vivait chaque nuit une crise de panique. Il n'avait jamais vu ça, c'était la toute première fois qu'il avait fait face à ce genre de crise, et cela l'avait déstabilisé, même s'il ne l'avait pas laissé paraître une seule seconde. Bordel, même s'il souhaitait s'éloigner de Lyly de par sa fonction à l'université, il ne le pouvait pas, c'était impensable. Il n'allait pas la laisser tomber parce que c'était son étudiante, qu'est-ce qu'il en avait à faire de ça ! Qui allait dire quelque chose, hein ? Qui ? Il n'en avait rien à faire. Lyly avait inconsciemment besoin d'aide, et personne n'avait le droit de la laisser tomber, pas en ce moment. Pas lui.
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