Chapitre 55
La conversation tant espérée avec Ashley ne pu avoir lieu, et Lyly dû se résigner à la repousser au lendemain. Lorsqu'elle avait entendu la porte d'entrée se refermer après vingt-trois heures, elle avait entendu quelques gloussements de sa cousine. Ashley s'était visiblement débarrassée de ses chaussures à la hâte, les avait jeté dans le couloir de l'entrée, et Lyly avait discerné un bruit sourd, comme un corps cognant maladroitement l'un des murs de la maison.
Ashley avait pouffé, suivit par John, Lyly avait discerné des respirations irrégulières, puis la porte de leur chambre avait été claquée, et plus rien. Ne souhaitant pas en entendre davantage, Lyly s'était rapidement rendue dans sa chambre, avait placé des boules quies dans ses oreilles, et s'était étendue sur son lit.
La soirée au restaurant avait visiblement crevé l'abcès entre John et Ashley. C'était une bonne chose. Avant de s'endormir, Lyly avait navigué une bonne vingtaine de minutes sur son téléphone, à la recherche de nouvelles informations sur l'anxiété et la peur. Apparemment, ressentir de la peur pouvait être une bonne chose. Si l'on partait du principe que l'Homme ne ressentait aucune peur, celui-ci serait tenté d'agir sans se préoccuper des conséquences de ses actes, et pourrait lui-même se mener vers sa propre perte. Si l'Homme n'avait plus peur, il se mettrait davantage en danger, et pourrait donc réduire son espérance de vie.
Lyly était d'accord avec cela, mais ses peurs à elle, ou bien son anxiété, à quoi cela la menait-elle? En quoi redouter qu'on la remplace pouvait l'aider à rallonger son espérance de vie ? Elle ne voyait pas ce qu'il y avait de positif là-dedans.
Avoir peur du vide pouvait éviter aux Hommes de se rapprocher des précipices, de se rapprocher trop près de bords de toits d'immeubles, cela pouvait leur sauver la vie s'ils avaient glissé près d'impressionnantes hauteurs ou bien faisaient un malaise près du vide à cause de leur imprudence, mais ses peurs à elle ? Enfin, l'anxiété dont elle souffrait, en quoi cela la sauvait-elle ?
Les yeux scotchés sur son téléphone, elle n'avait pas senti la fatigue l'envahir. Son téléphone lui avait lentement glissé des mains, ses paupières s'étaient refermées, et son téléphone avait échoué sur son ventre.
A son réveil, après un rapide coup d'œil dans la chambre à la recherche de son téléphone, elle le retrouva sur le sol, l'écran orienté vers le plafond. Elle s'abaissa tout en se touchant le sommet du crâne, vérifia qu'il n'avait rien de cassé, et le déverrouilla. Lyly lâcha un juron à la vue des deux appels qu'elle avait manqué de Chris, et se racla la gorge en lançant l'appel.
A sa plus grande surprise, il répondit au bout du troisième coup.
— Merde, lâcha-t-il. Tu m'entends Lyly ?
— Oui, je t'entends, et toi ?
— Oui, c'est bon. Je croyais avoir raccroché, désolé ! J'ai vu que tu m'avais appelé hier. Tout va bien ? Tu avais l'air bizarre dans le message vocal que tu m'as laissé.
— Non, tout va bien... En fait, je voulais savoir si tu avais des disponibilités la semaine prochaine, je compte passer près de chez ma mère.
— C'est vrai ?
— Oui. Je n'ai pas encore pris de billets, mais je compte passer, oui.
— Oh putain, c'est génial ! s'écria-t-il, enjoué. Je vais me libérer, ouais, mais il faudra que tu me transmettes tes dates pour que j'en parle avec mon patron.
— Tu penses que ça devrait le faire ?
— Normalement oui, on s'arrange toujours entre nous au boulot. Mais il faut que je prévienne quelques jours avant. Tu penses venir quand ?
Lyly prit le temps de réflexion. Il était déjà samedi. Samedi prochain, elle devrait pouvoir y être. Peut-être même avant.
— Je ne sais pas encore, mais je devrais être là-bas en fin de semaine, maximum.
— Putain, je suis super content. Ta mère viendra te chercher ?
— A ce sujet...
Lyly hésita.
— Ce serait bien que tu gardes mon passage pour toi... S'il te plaît.
— Comment ça ? demanda-t-il d'un ton curieux. Ta mère ne sait pas que tu vas passer ?
— Pas encore. Je compte passer par surprise. Mais s'il te plaît, promet-moi que tu vas garder ça pour toi.
Il y eut un silence. Un long silence qui fit soudainement regretter Lyly. Peut-être en avait-elle trop dit... Théo avait-il eu raison ? N'aurait-elle pas dû l'impliquer là-dedans ?
— Chris.
— Je ne dirai rien.
— Je compte sur toi. J'ai quelque chose à régler avec elle, et pour ça il faut que tu gardes tout ça pour toi. C'est vraiment important.
— Oui, je vois... Je ne dirai rien, ok ?
Lyly soupira de soulagement. Son regard s'arrêta soudainement sur son réveil. Neuf heures. Merde. Il était encore assez tôt.
— Je n'avais pas vu l'heure, s'excusa-t-elle. Tu dormais ?
— Oui, mais ce n'est pas grave, je me serais levé dans quelques minutes. Et ça me fait plaisir d'avoir de tes nouvelles.
— Moi aussi. Je suis contente de savoir qu'on se verra la semaine prochaine. Au fait...
Elle se passa la main dans les cheveux.
— Tu sais où je vais pouvoir dormir quand je vais arriver là-bas ? Je ne pense pas dormir chez ma mère.
— Heu...
Lyly comprit qu'il réfléchissait. Elle se leva et se planta devant son miroir, le parquet frais sous la plante de ses pieds. Elle avait l'air en meilleure forme que les jours précédents.
— Je t'aurais bien proposé de dormir chez moi, mais si tu veux rester près de chez ta mère, ce ne serait pas pratique. C'est trop loin.
Elle l'entendit tousser.
— Je crois qu'il y a un hôtel à une dizaine de minutes de chez ta mère, je peux essayer de me renseigner. Près de la gare. Je connais un mec qui y travaille, je l'appellerai.
— Ce serait génial, merci beaucoup Chris.
— Pas de souci, je te redis quand j'aurai contacté le mec. Il s'arrêta. Par contre je vais partir au travail dans pas très longtemps, donc je te redirai ça un peu plus tard.
— Aucun problème,c'est déjà très gentil.
Elle l'entendit déboucher une bouteille d'eau et en boire deux gorgées.
— Je crois que je vais te laisser, je ne veux pas te retarder.
— Ouais, je dois passer à la douche. Merci de ton appel Lyly, et je te redis !
— Merci, Chris.
— À plus, Lyly.
Lorsqu'il raccrocha, Lyly reposa son téléphone sur la table de chevet et rassembla ses affaires pour passer elle aussi à la salle de bains. Elle avait envie de se dépenser, de dévaler des pentes, de courir à en perdre haleine. Cette envie lui arrivait si peu qu'elle ne pouvait pas l'ignorer. Son corps avait besoin de bouger.
Elle ressortit de la pièce dix minutes plus tard, vêtue de sa tenue de sport et ses cheveux attachés en une queue de cheval. Elle enfila sa veste de sport dans sa chambre, ouvrit ses volets et descendit au rez-de-chaussée, affamée, ses baskets dans les mains.
Il était vrai que son repas de la veille n'avait pas été fameux. Certes, elle avait mis la dose de sauce tomate, mais elle n'avait pas tout mangé. Elle n'avait même pas pensé à prendre sa glace, trop pressée à reprendre sa feuille gribouillée qui n'avait pas quitté son bureau depuis quelques jours. Des flèches avaient été rajoutées, et elle avait barré certains lieux.
Lyly ouvrit l'un des plus gros placards de la cuisine, et observa ce qui s'y trouvait. Deux paquets de brioches. Une au beurre et une aux pépites de chocolat. A côté se trouvait un pot de pâte à tartiner, du pain, un paquet quasiment vide de petites biscottes aux céréales, et des petits paquets de céréales. Elle sortit l'une des brioches de son emballage, en coupa un bout à l'aide d'un couteau, et était en train de remettre le tout dans son paquet lorsque John apparut dans le salon, les cheveux dans tous les sens.
Elle s'adossa au meuble, amusée, et répondit au salut de John d'un signe de tête, la bouche pleine de brioche.
— On t'a pas trop réveillé hier soir ?
Lyly termina de mâcher et hocha la tête que non.
— Je vous ai entendu rentrer, mais je ne dormais pas encore.
Les yeux de John s'écarquillèrent et il ne parvint pas à cacher sa surprise.
— Je pensais que tu dormais, dit-il, gêné.
— Non, j'écoutais dela musique, mentit-elle. Quand j'ai entendu la porte d'entrée, j'ai enlevé rapidement un écouteur, et quand j'ai entendu la voix d'Ashley, j'ai remis mon écouteur à l'oreille.
John parut soudainement soulagé. Il lui adressa un sourire, et lui tourna le dos afin de sortir une bouteille de lait du réfrigérateur.
Lyly avala son dernier bout de brioche, se servit un verre d'eau, l'avala rapidement, et se passa les mains sous l'eau.
— Je vais faire un footing, je vais passer voir si Théo veut courir avec moi. Tu pourras le dire à Ashley ? Question qu'elle ne s'inquiète pas.
John lui refit face, son verre de lait en main.
— Je vais lui dire quand elle sera levée.
— Merci !
Elle tourna les talons, s'essuya les mains sur sa veste, et sortit de la maison après avoir enfilé ses baskets.
Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas couru. Combien de temps allait-elle réussir à tenir ? Dix minutes ? Quinze ? Elle rigola et se mit à trottiner sur le trottoir. En réalité, il était possible qu'elle ne tienne pas cinq minutes.
Elle traversa rapidement la route pour rejoindre l'autre trottoir, et fit bien attention à courir le long des haies plutôt qu'au bord de la route.
Il n'était pas encore dix heures, et elle avait déjà croisé quelques coureurs. Elle ralentit sa course, sentant un point de côté se loger à droite de son nombril, et prit une grande inspiration avant d'expirer tout l'air qu'elle avait dans les poumons. Elle renouvela l'opération à trois reprises, et accéléra légèrement. Elle avait commencé trop brutalement.
Les voitures étaient bien moins nombreuses sur la route et le soleil resplendissait déjà. Elle leva les yeux, admira le ciel presque sans nuages, suivit des yeux quelques pigeons voler à quelques mètres au dessus de sa tête et tourna à droite pour prendre un petit chemin.
Lyly arriva devant chez Théo une quinzaine de minutes plus tard, les joues rougies et le souffle déjà coupé. Elle se pencha un instant vers ses jambes, hors d'haleine, et se passa les mains sur le sommet du crâne pour aplatir les quelques cheveux qui s'élevaient comme de petites antennes vers le ciel.
Elle sonna, pria pour qu'il soit déjà levé, et jeta un œil en direction de ses volets. Ils étaient ouverts. Elle allait frapper, lorsqu'elle vit la poignée se baisser et la porte s'ouvrir sur Théo, fraîchement rasée, une serviette blanche entre les mains.
— Coucou, lança-t-elle en souriant.
Il lui sourit, et s'écarta de l'entrée afin de la laisser pénétrer chez lui. Lorsqu'il referma la porte, il se sécha le bas du visage à l'aide de sa serviette, et détailla la tenue de la jeune femme en face de lui.
— Tu te remets au footing ?
— Oui, tu viens courir avec moi ?
Théo sembla hésiter, puis regarda sa propre tenue.
Il portait un t-shirt noir et un short de football avec lequel il avait l'habitude de dormir.
— Je préfère courir le soir, Lyly...
— Si tu mets une casquette sur la tête ça devrait aller, personne ne te reconnaîtra !
Il parut réfléchir.
— Allez, viens avec moi ! J'ai déjà craché la moitié de mes poumons pour pouvoir arriver jusque chez toi, ne me dis pas que j'ai fait ça pour rien.
Théo rigola et la contourna afin de se rendre dans sa salle de bains dans laquelle il reposa sa serviette blanche humide.
— Si j'enfile une tenue, tu vas devoir te dépasser. Tu ne gagneras pas deux fois.
Lyly tenta de cacher son amusement en se rendant compte à quel jeu il faisait allusion et auquel il avait perdu.
— Ce n'est pas que tes poumons que tu vas recracher, crois-moi, lança-t-il d'un ton moqueur.
— Si tu me fais souffrir je te ferai un croche-pied pour que tu tombes.
Théo secoua la tête, amusé.
— C'est ce qu'on verra... Je reviens, je vais enfiler un truc.
Lyly acquiesça la tête et patienta dans le salon.
Elle tenta de reprendre au mieux sa respiration, consciente que Théo allait lui en faire baver, et fut surprise de le voir réapparaître trente secondes plus tard, déjà prêt. Il enfila une paire de baskets près de l'entrée, cala sa casquette sur la tête, et se tourna vers Lyly, un sourire mesquin sur le visage.
Il avait opté pour un débardeur noir, un short de la même couleur contenant des poches, et une paire de tennis grise de marque, visiblement déjà bien usée.
— Prête à te faire pulvériser ?
— Ce n'est pas une course, c'est...
— Je prends ça pour un oui, la coupa-t-il en souriant. Tu as soif ?
Elle hocha la tête que non.
Il ouvrit la porte, et Lyly sortit à l'extérieur, le cœur commençant déjà à bombarder dans sa poitrine. Théo n'allait pas lui en faire tant baver que ça, si ? Elle le regarda fermer la porte d'entrée à double tours, et il glissa les clés dans l'une de ses poches.
— C'est parti, lança-t-il.
Il accéléra d'un coup, prenant Lyly au dépourvu, et prit rapidement une longueur d'avance sur la jeune femme. Elle se mit elle aussi à courir, tenta d'allonger ses enjambées, mais Théo avait de bien plus grandes jambes qu'elle. Il ne semblait même pas forcer pour garder sa longueur d'avance.
Il jeta un coup d'œil derrière lui, vit les mètres qui le séparaient de Lyly et à quel point Lyly semblait galérer à le suivre. Il éclata de rire, et ralentit légèrement son allure pour permettre à la jeune femme de le rattraper. Lorsqu'elle parvint enfin à ses côtés, il se prit un coup dans l'épaule, ce qui le fit encore plus rire.
— T'es vraiment un mauvais joueur, lâcha-t-elle, déjà essoufflée. Je te jure que je vais te pousser dans un buisson si ça continue.
— Encore faut-il que tu puisses me rattraper.
Il accéléra de nouveau son allure et se fit traiter par Lyly, qui tenta, à son tour d'accélérer sa vitesse. Il traversa la route, s'assura que sa petite amie allait pouvoir elle aussi traverser, et s'enfonça dans un petit chemin qui menait vers un des plus grands quartiers de la ville.
Théo descendit sans difficulté le petit chemin en pente, suivit par Lyly quelques mètres plus loin, le visage désormais tout rouge.
Arrivé près d'un grand terrain d'herbe, Théo ralentit nettement sa vitesse, et jeta un œil derrière lui. Lyly parvint enfin à le rattraper, les cuisses désormais en feu, et tenta de le pousser sur l'étendue d'herbe, mais Théo pouffa et parvient à l'esquiver. Il se plaça de l'autre côté de Lyly.
— Je vais te tuer, lâcha-t-elle, hors d'haleine. Je vais te tuer Pavinkis.
Il lâcha un petit rire et ralentit encore son allure afin de permettre à Lyly de reprendre son souffle.
— C'est bon, j'arrête, lui promit-il. C'était pour voir si tu allais réussir à suivre.
Les inspirations et expirations de Lyly étaient bruyantes.
— Ce sont tous mes organes que je vais recracher, lui prévint-elle en toussant. T'es vraiment nul comme coach.
— Inspire profondément par le nez, et expire tout aussi profondément, mais cette fois par la bouche. Relâche tes bras.
Lyly suivit ses indications à la lettre, et tous deux s'engagèrent dans une des rues du quartier.
— Recommence. Expulse vraiment tout l'air que tu as dans les poumons.
Ils trottinaient désormais, l'un à côté de l'autre, le vent dos à eux. Lyly aurait aimé faire demi-tour afin de sentir l'air lui caresser le visage pour se rafraîchir, mais elle se contenta de suivre les indications de Théo.
Son cœur tambourinait contre sa cage thoracique. Les jambes lui brûlaient, et ses mollets semblaient désormais peser bien plus lourds que lorsqu'elle avait quitté la maison d'Ashley.
Cela devait faire dix minutes qu'ils couraient, comment allait-elle pouvoir suivre le rythme ? Elle s'essuya le front du dos de sa main, et croisa le regard de Théo lorsqu'elle tourna son visage vers lui.
— Ça va ?
— Je vais mourir, lui assura-t-elle entre deux grandes inspirations.
— Tu veux qu'on s'arrête ?
Lyly hocha la tête que non.
— On va où ?
Il lui fit un clin d'œil, et reporta son regard devant lui.
— On ne va pas tarder à arriver.
Et comme l'avait si bien dit Théo, le jeune couple arriva près d'un lac, enfoncé dans une petite forêt à quelques minutes du quartier qu'ils avaient quitté en remontant un petit sentier poussiéreux.
Lyly s'arrêta aux côtés de Théo, sur la pelouse, et se laissa tomber sur les genoux, puis sur le ventre, avant de se retourner sur le dos, le souffle totalement coupé. Elle plaça ses deux mains sur son ventre, et referma ses paupières.
Elle avait tenu. Malgré la blague de Théo, elle était parvenue à arriver jusqu'ici. Certes, elle ne sentait plus ses jambes, mais elle avait réussi.
Théo s'assit à ses côtés, et tourna son regard vers elle, impressionné.
— Tu as géré, bravo, Lyly.
Elle ne répondit pas, et se contenta de se concentrer sur sa respiration, qu'elle trouvait très irrégulière. Si elle avait mis une routine en place et avait dédié une heure par semaine à courir, elle ne serait pas autant hors d'haleine. Elle n'avait que vingt-quatre ans. Bordel, à vingt-quatre ans elle n'avait quasiment aucun cardio, aucun souffle.
— Lyly, ça va ?
Elle leva son bras et pointa son pouce vers le ciel afin de lui indiquer que tout allait bien.
Le lac n'était pas très grand, mais assez pour que quelques canoës ou barques puissent s'y balader en été. Quelques canards semblaient d'ailleurs se promener sur la surface de l'eau.
Quand elle rouvrit les yeux, elle regarda au premier abord le ciel, puis se redressa lentement afin de faire face au lac. C'était le calme absolu.
— Tu viens souvent ici ?
Elle se pencha légèrement en arrière et s'appuya sur ses coudes.
— Non, c'est seulement la deuxième fois que je viens, lui indiqua-t-il. Je voulais que tu voies ça.
Lyly acquiesça. Même si le lac se trouvait en pleine ville, l'endroit semblait coupé du monde. La forêt y était sûrement pour beaucoup.
— C'est apaisant comme endroit, avoua-t-elle.
— C'est vrai.
Elle observa les alentours, et se releva difficilement sur ses jambes après avoir pris le temps de réfléchir. Théo la suivit un instant des yeux, puis se releva à son tour lorsqu'il la vit s'approcher maladroitement du bord du lac, les jambes légèrement tremblantes de fatigue.
— Tu crois que je peux boire l'eau ?
— Je ne le ferais pas à ta place.
Elle se pencha légèrement. Théo se rapprocha, prêt à la rattraper si elle tombait, et plongea ses mains dans l'eau.
Dans un second temps, elle les trempa afin de les rafraîchir, se frotta les mains, les doigts, puis remplit ses paumes d'eau. Elle jeta un discret coup d'œil vers Théo, qui l'observait sérieusement, aux aguets, et se releva brusquement pour lui jeter l'eau sur le torse.
Comme elle l'avait prémédité, Théo la fixa, la bouche entrouverte de surprise, et baissa les yeux vers son débardeur désormais trempé. Elle se mit à courir afin de lui échapper, mais Théo la poursuivit aussitôt. Il la rattrapa en un rien de temps, lui fit un croche-pied, et la rattrapa de justesse afin de l'accompagner dans sa chute.
Lyly explosa de rire, et tenta de pousser Théo, qui prit place sur elle afin de l'immobiliser, courbé. Il plaqua les deux bras de la jeune femme sur la pelouse, au-dessus de sa tête, et la fixa, amusé.
Elle tenta de dégager ses bras, mais Théo les maintint fermement sur le sol.
— Tu fais ça pour que je retire mon haut, une seconde fois ? Il suffit de demander, tu sais.
Lyly hocha la tête que non, en plein fou rire.
Il ne pu quitter son visage des yeux, attendri par la bonne humeur de Lyly, et se mit lui aussi à pouffer de rire. La situation était insensée. Tout ce qui venait de se passer depuis qu'ils avaient quitté sa maison était insensé.
Il relâcha les bras de Lyly, qui se cacha aussitôt le visage de ses mains. Il les retira gentiment, et rencontra enfin son regard.
— Tu es complètement folle, dit-il, un grand sourire sur le visage.
Lyly leva le bras et lui retira sa casquette qu'elle observa un moment en souriant, avant de la poser sur la pelouse, près d'eux.
Elle lui aplatit les cheveux, désormais plein de sueur, mais il secoua la tête afin qu'elle laisse sa chevelure en paix. Lyly laissa alors ses bras retomber le long de son corps, épuisée.
Les yeux de Théo brillaient d'émotions. Il semblait à la fois amusé et sérieux. Mais il semblait surtout heureux. Heureux d'être là, avec elle. Heureux d'avoir cette complicité qui, au final, s'était créée relativement vite entre eux.
Ils se regardèrent un instant en silence, détaillant le visage de l'autre, la respiration irrégulière. Théo la désirait. Elle le ressentait. Mais il ne bougeait pas. Il restait là, immobile au-dessus d'elle, ses jambes de chaque côté de son corps, penché sur elle.
Elle leva lentement son bras droit et cala sa main contre la nuque collante de Théo. Elle lui caressa en premier lieu la peau. Puis elle le tira lentement vers elle, ses yeux désormais rivés sur les lèvres du jeune homme, et sentit rapidement sa bouche rencontrer la sienne. Il répondit à son baiser, le cœur prêt à bondir de sa poitrine. Leurs lèvres s'emmêlèrent et leur souffle chaud se rencontra.
Lyly sentit la main droite de Théo glisser sur le côté de son visage. Son corps se couvrit instantanément de frissons, et elle laissa échapper un gémissement lorsqu'il lui mordilla la lèvre inférieure, que Théo étouffa aussitôt de sa bouche.
Théo laissa ses lèvres suivre les mouvements de celles de Lyly, et sentit le ventre de Lyly rencontrer le sien, la respiration haletante. La jeune femme semblait bien plus sûre d'elle que lors de leurs premiers baisers. Cette fois-ci, elle menait la danse. Elle la menait d'ailleurs divinement bien. Théo aimait cela.
Sentant son corps envahi de désir, il ôta sa main, recula ses lèvres, la respiration saccadée, et croisa les yeux enfiévrés de Lyly. Le désir qu'elle ressentait pour lui était palpable et amplement visible. C'était la première fois qu'il le ressentait aussi fortement d'ailleurs, mais ils étaient au mauvais endroit. Il ne pouvait pas aller plus loin.
Il déposa un dernier baiser sur les lèvres de la jeune femme, lui sourit, et se redressa. Il attrapa les mains qu'elle lui tendit, et Lyly se retrouva aussitôt sur ses jambes, le visage légèrement moins rouge, mais tout aussi essoufflée.
Elle tenta de reprendre sa respiration, et se passa un coup sur les fesses pour s'assurer que rien ne s'y soit logé.
— Tu préfères qu'on marche pour rentrer, ou qu'on trottine ?
Lyly observa le lac, et parut réfléchir en même temps. Tout ce qui venait de se passer la frustrait. Elle s'était sentie à l'aise, là, étendue sur l'herbe. Pourquoi ce moment avait-il dû s'arrêter ?Pourquoi Théo n'avait-il pas continuer de l'embrasser ?
— On va trottiner, proposa-t-elle. Ça nous fera rentrer plus vite.
Théo acquiesça, se pencha pour récupérer sa casquette, la secoua, et la reposa sur ses cheveux.
— Tu es prête ? On y va.
Lyly et Théo prirent un chemin différent pour rentrer, passèrent entre diverses petites rues où le passage était beaucoup moins abondant à cette heure-ci, et arrivèrent chez Théo peu après onze heures.
Elle avala d'une traite son verre d'eau, se le remplit une seconde fois, puis une troisième, avant de se laisser tomber sur la chaise de la cuisine. Elle n'en pouvait plus. Même s'ils avaient trottiné bien plus lentement que l'aller, Lyly avait senti son âme s'envoler, et avait trébuché contre une petite butée avant de s'écrouler sur le sol. Théo s'était aussitôt arrêté, inquiet, mais Lyly avait éclaté de rire, et comptait bien rester étendue là, sur le sol, si Théo ne l'avait pas remise sur pied. Ils s'étaient arrêtés près d'un banc, et Lyly avait relevé le bas de son pantalon jusqu'au-dessus de son genou gauche afin de voir si tout allait bien.
— Merde, avait lâché Théo en voyant la moitié de son genou en sang. Tu as mal ?
Lyly avait tenté de le rassurer, s'était relevée, mais sa plaie rencontrant le tissu de son pantalon l'avait faite grimacer, et Théo s'était encore plus inquiété.
— Ça va ? Tu penses pouvoir marcher correctement ?
— Je gère, lui avait-elle assuré en souriant.
Mais chacun de ses pas lui avaient fait terriblement mal, et elle n'avait jamais été aussi heureuse lorsque leurs pieds avaient foulé le bitume de la rue de Théo, une douzaine de minutes plus tard.
Théo réapparut dans la cuisine, torse nu, les cheveux totalement aplatis par la casquette qu'il avait aussitôt ôté en pénétrant chez lui. Il s'abaissa, s'appuya sur son genou, et releva le bas du pantalon de Lyly afin de voir l'énorme pansement blanc qui recouvrait désormais la plaie. Il avait fait du bon travail.
— Ça devrait aller, assura-t-il. Tu as toujours mal ?
Il releva les yeux vers Lyly, qui le regardait. Elle paraissait fatiguée.
— Ça me pique, mais c'est normal, c'est le désinfectant qui doit faire cet effet.
— J'espère que ça ne t'a pas dégoutté du sport, dit-il en plaisantant.
Lyly hocha la tête que non.
— Non, ça va. Je pense juste m'y remettre dans un an, ou deux.
Théo pouffa et replaça le bas de son pantalon correctement.
— A cette allure, tu ne risques pas de progresser.
— Je me fiche de progresser, tu sais.
Il la regarda.
— Je sais que tu aimes bien courir, et ça me fait plaisir de faire une activité avec toi.
Elle réfléchit, et un sourire naïf apparut sur son visage.
— C'est après avoir couru ensemble qu'on s'est pas mal rapprochés, toi et moi, reprit-elle. Et c'est après un footing que je t'ai embrassé pour la première fois.
Théo acquiesça aussitôt la tête en souriant.
Lyly l'avait embrassé pour la première fois après l'une de leurs premières plus grosses disputes. Théo avait souhaité l'ignorer, elle lui avait attrapé le bras, et lui avait dit ce qu'elle ressentait. Sa peur de ne pas être assez bien. Sa peur de ne pas avoir assez à lui offrir.
Pourtant, depuis qu'il la connaissait, Théo ne s'était jamais autant senti aussi bien entouré, en paix, et aimé. Elle lui apportait tout ce dont il avait besoin. Absolument tout. Ils se soutenaient, s'écoutaient, avaient développé une énorme complicité, se relevaient toujours vers le haut, et par dessus tout, elle le comblait. Amplement.
— Je me souviens, répondit-il.
Il lui sourit, se redressa légèrement afin d'être à sa hauteur, et colla ses lèvres sur son front avant de se redresser complètement.
— Il faut que je passe à la douche. Tu as quelque chose de prévu après ?
— Je dois parler avec Ashley. Je n'ai pas pu tout lui expliquer, à propos de mon père, et de mon prochain voyage.
— Tu veux que je te ramène ?
Lyly hocha la tête que non.
— Par contre, j'ai oublié mon téléphone chez moi, est-ce que je peux appeler Ashley du tien ? Je vais lui demander si elle peut venir me chercher.
Théo acquiesça la tête et sortit de la cuisine un instant. Lorsqu'il revint, quinze secondes plus tard, il lui tendit son téléphone déverrouillé, qu'elle prit.
— Tu ne devrais pas te tromper, je ne connais qu'une Ashley. Pendant que tu l'appelles, je vais passer à la douche.
— Ça marche.
Théo sortit de la cuisine pendant que Lyly se rendait dans ses contacts. Elle ressentit une pointe d'amertume en remarquant que Laure faisait partie de ses contacts fréquents, mais elle tenta de passer outre, et fit légèrement glisser son doigt sur l'écran. Quand elle tomba sur le prénom de sa cousine, elle lança l'appel.
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