Chapitre 54

Hello, je crois qu'il y a eu des petits problèmes ces dernières semaines et que tout le monde n'a pas reçu de notification indiquant la sortie d'un nouveau chapitre. N'hésitez pas à vérifier si vous avez bien lu le 53ème et le 52ème chapitre, car peut-être avez-vous loupé des éléments importants (et ce sont des chapitres récents).

Bonne lectuuure. :)

-G

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Le mois de mai approchait à grands pas. Les arbres resplendissaient de couleurs, les fleurs s'étalaient sur les pelouses, et les enfants jouaient désormais sans leur veste dans les aires de jeux. Théo rangea sa voiture le long du trottoir et stoppa le moteur devant chez Ashley, à vingt-deux heures pile. La rue était vide. Lyly déboucla sa ceinture, et s'assura de la présence de son téléphone dans ses poches.

— Merci de m'en avoir parlé, avoua Théo. Merci de ne pas avoir gardé ça pour toi alors que ton père le souhaitait.

Lyly regarda le jeune homme, et lui sourit.

— Et, reprit-il, on trouvera un plan. Je vais réfléchir à tout ça.

— Tu sais...

Elle jeta unœil vers la porte d'entrée d'Ashley encore fermée. Celle-ci lui avait indiqué par message qu'elle viendrait les voir dès l'apparition de la voiture de Théo, mais elle n'était toujours pas sortie. Peut-être se préparait-elle...

— J'ai aussi peur, continua-t-elle en retrouvant le regard de Théo. Je ne sais pas du tout comment ça va se passer là-bas, et je ne sais pas si Chris pourra passer plusieurs journées avec moi, mais je ferai attention.

Théo acquiesça, le visage sérieux.

— Je recontacterai mon père d'ici quelques jours. Je ne veux pas foncer aveuglément là-bas, j'ai besoin de réfléchir, de voir comment je peux approcher ma mère sans lui donner de faux espoirs.

— Tu trouveras. Et moi je vais y réfléchir de mon côté pour voir comment t'aider.

Le regard de Théo se décrocha du sien pour se décaler vers la maison d'Ashley. Lyly se tourna vers sa fenêtre et vit sa cousine arriver vers eux. Des chaussons aux pieds, elle resserra son peignoir autour de sa taille et s'abaissa au niveau de la vitre de Lyly qui était en train de la descendre.

— Hey.

— Ça va, Ashley ? demanda Théo.

— Disons que ça va mieux... Désolée de vous interrompre, mais je voulais vous voir tous les deux pour vous remercier.

— A propos de quoi ? l'interrogea Lyly.

— Pour l'autre fois...

Elle expira profondément pour se donner du courage et fixa Théo.

— Je sais que c'est pas facile de conseiller quelqu'un, et encore moins quand il s'agit d'avortement.

— Ce n'est rien, indiqua Théo en lui adressant un sourire rassurant. Ça s'est arrangé finalement ? Tu as parlé avec John ?

— Oui, et il m'en a beaucoup voulu de pas lui avoir dit plus tôt. Il comprenait pas pourquoi j'avais eu peur de lui dire que j'étais enceinte...

Théo hocha la tête de compréhension.

— Et maintenant ?

— Et maintenant ça va un peu mieux. Je sais qu'il m'en veut encore, je sais qu'il est pas totalement comme avant, mais je me dis qu'avec le temps ça se calmera peut-être...

— Ça se calmera, assura Théo. Laisse-lui juste du temps.

Ashley acquiesça.

— Et pour ton rendez-vous, comment ça s'est passé ?

— J'ai pris un premier médicament, dit-elle en regardant Lyly, John était avec moi. Je dois y retourner demain pour en prendre un deuxième.

— John sera là ? demanda Théo.

— Oui, il a pris un jour de congé. Et dans deux semaines je vais devoir me rendre une dernière fois à l'hôpital.

— Encore ?

Ashley regarda Théo et hocha la tête que oui.

— C'est pour vérifier que tout s'est bien passé, et que je ne suis plus enceinte.

Elle parut soudainement triste et soupira longuement.

— Si mes parents savaient tout ça...

Lyly posa sa main sur l'une des épaules de sa cousine et la lui pressa.

— Ils ne le sauront pas. On ne leur dira pas.

— Je sais, mais il nous arrive tellement de choses que j'ai peur que ça fuite quelque part, ou même que je fasse une bourde, sans m'en rendre compte. Ils me le pardonneront jamais.

— Hey, Ashley, intervint Théo, je sais que c'est facile de dire ça, mais n'oublie pas que c'est ton corps. Tes parents ne peuvent pas t'obliger à garder un bébé si tu ne le souhaites pas. Si tu ne voulais pas d'enfant, tu as fait le bon choix.

— Tu penses ?

— Ça reste mon opinion. Dans tous les cas, tu ne voulais pas d'enfant, et John non plus. Il n'y avait pas des tonnes de solutions.

— Tu as raison, avoua-t-elle. Je sais pas pourquoi je commence à douter de moi... Dans tous les cas, merci à vous deux.

Elle se redressa, resserra son peignoir, autour de son bassin, et se baissa de nouveau.

— Je t'attends à la maison, Lyly. Théo, tu veux entrer ?

— Non, merci, il faut que j'y aille.

Ashley hocha la tête.

— On se voit plus tard ?

— Pas de souci, assura-t-il en souriant.

Ashley leur fit un signe de la main, et tourna les talons avant de disparaître dans la maison, quelques secondes plus tard.

Lyly remonta la vitre, et se tourna vers Théo.

— Je vais y aller, je crois qu'elle a besoin de moi.

— Je crois aussi.

Il approcha son visage de celui de la jeune femme, et l'embrassa rapidement.

— On reparlera de tout ça plus tard, indiqua-t-il.

— Oui. Elle ouvrit la portière. Fais attention en rentrant.

Théo la rassura d'un signe de tête. Elle claqua la portière, le salua d'un signe de la main lorsqu'elle se retourna près de l'entrée, et il remit le contact lorsqu'elle disparut derrière la porte.



Les deux journées suivantes, Lyly réfléchit à la manière dont les choses pourraient et devraient se passer. En premier lieu, il était question de savoir si Chris allait pouvoir la rejoindre dans la ville de sa mère, et si tel était le cas, le nombre de jours où il pourrait être disponible. Ensuite, il s'agissait de savoir où elle pourrait dormir, voire passer du temps seule afin de réfléchir, si les choses venaient à se corser.

Quant à savoir si sa mère allait être chez elle le jour où elle passerait, Lyly n'en avait aucune idée. Ce qui serait déstabilisant serait de se retrouver nez à nez avec Ludovic lorsqu'elle frapperait à la porte de sa mère. Si cela arrivait, que ferait-elle ? Parviendrait-elle à lui faire face ?Fuirait-elle ? Appellerait-elle sa mère pour lui exiger des explications au pas de la porte ?

Lyly posa son stylo sur son bureau, et observa la feuille devant elle. Elle avait dessiné des tas de flèches, croix, et annoté des prénoms dans tous les sens. Pourtant, c'était bien connu, rien ne se passait jamais comme prévu. Alors, pourquoi essayait-elle de tout envisager s'il y avait peu de chances que cela se déroule ? Pour se rassurer, sans doute. Et surtout pour rassurer Théo.

Elle jeta un œil à son téléphone, s'assura qu'il était encore en charge, et se leva. Son père lui avait demandé de rencontrer sa mère, mais pourquoi ne l'observait-elle pas de loin ? Pourquoi ne l'espionnait-elle pas ? Sa mère la connaissait, elle allait ressentir que Lyly ne souhaitait pas être là. Elle allait ressentir que Lyly se forçait, et n'allait rien lui révéler.

Toute cette histoire prenait une tournure étrange. Tout était parti de leur fuite après que sa mère ait découvert les activités illicites et relations qu'entretenait Ludovic avec d'autres personnes. Tout était parti de ce dingue. Mais elle n'en avait jamais su plus que cela...

Lyly repensa à ce qu'avait dit Théo tout en fermant les volets de sa chambre, et alluma la lumière. « Peut-être que le but était de vous effrayer, pas de vous tuer. » Lorsqu'elles avaient fui, il n'avait pas été question de le poursuivre en justice ou bien de lui nuire, il avait seulement été question de s'éloigner d'un potentiel danger. Avait-il deviné qu'elles en savaient trop ? Avait-il lui-même pris peur pour essayer d'aller jusqu'à les tuer ? Ou bien, comme disait Théo, pour essayer de les effrayer ?

Lyly avait quelques économies de côté pour pouvoir se rendre sur place et y passer quelques jours. L'argent n'était pas le véritable problème, du moins si elle ne traînait pas trop là-bas et faisait attention à ses dépenses.

Elle appuya sur l'un des boutons de son téléphone et vit son écran s'allumer. Son téléphone était enfin chargé. Elle le débrancha rapidement, répondit au message de Théo, et appela Chris dans la foulée. Il était presque dix-neuf heures, était-il rentré du travail ?

Le téléphone sonna à plusieurs reprises avant de terminer sur le répondeur. Lyly raccrocha et tenta une seconde fois, mais sans succès. Elle soupira, s'assit au milieu de son lit, croisa ses jambes en tailleur, et attendit quelques minutes avant de retenter sa chance, mais rien. Chris ne semblait pas disponible.

Lorsqu'elle tenta une quatrième fois, elle baissa les bras et attendit que son répondeur émette un "bip" afin de laisser un message vocal. Une fois raccrochée, elle se demanda si elle n'avait pas paru trop anxieuse au téléphone, et verrouilla l'écran de son cellulaire, dubitative. Peut-être aurait-elle dû s'entraîner avant de l'appeler. Peut-être n'aurait-elle pas dû laisser de message vocal, d'ailleurs... Elle soupira et s'étendit sur son lit. Elle avait seulement dit qu'elle souhaitait qu'il la rappelle quand il aurait écouté ce message, peu importe l'heure, cela allait, non ?

Maintenant qu'elle y repensait, la manière dont elle l'avait dit allait peut-être faire paniquer Chris.

La voix de John lui parvint du salon. Lui aussi semblait vouloir joindre quelqu'un au téléphone tout en mettant la table. Quant à Ashley, Lyly ne l'entendait pas. La jeune cousine se releva, sortit de sa chambre et rejoignit John dans le salon, qui venait de raccrocher. Il rangea son téléphone dans la poche de son jean, dos à elle, et disparut dans le bureau de sa fiancée. Visiblement, il n'avait mis la table que pour une personne.

Interloquée par le calme dans lequel était plongée la maison et par la présence d'une seule assiette sur la table, Lyly chercha sa cousine et la retrouva dans la cuisine, le nez dans le réfrigérateur.

— Ah tu es là ! s'étonna Ashley en se redressant.

Elle referma la porte blanche et fit face à sa cousine.

— Je regardais justement ce qu'il y avait dans le frigo pour toi.

— Pour moi ?

— J'ai invité John au restaurant, lui expliqua-t-elle. Tu sais, pour qu'on parle, et qu'on passe du temps ensemble, reprit-elle plus bas.

— Oh.

Ce n'est qu'à cet instant que Lyly remarqua la tenue de sa cousine. Elle avait enfilé un tailleur beige près du corps, avait lissé ses cheveux qui lui tombaient désormais dans le dos, avait ses ongles de nouveau manucurés, et ne portait pas encore de chaussures. Elle avait mis le paquet.

— Vous partez quand ?

— Dans un peu moins de dix minutes, je comptais monter te voir pour te le dire. Tu veux peut-être que je propose à Théo de venir te voir ? J'avais pas du tout prévu d'aller au restaurant, j'ai fait ça au dernier moment...

— Ne t'en fais pas, je vais me débrouiller. D'ailleurs, vu qu'on parle d'idées de dernière minute, il fallait que je te parle de quelque chose aussi...

Ashley regarda rapidement la pendule de la cuisine et retrouva le regard de Lyly.

— Tu penses que ça peut attendre quelques heures ?

— Heu, oui, si tu veux. Mais ce n'était pas très long, je n'ai pas encore tout prévu, je voulais juste te parler de l'idée générale.

Ashley acquiesça, la contourna et lui intima d'un geste de la tête de la suivre.

Lyly la suivit dans le couloir où sa cousine attrapa des chaussures à talon préparées pour la sortie, et elle s'arrêta près de la table du salon, où Ashley s'installa sur une chaise afin d'enfiler ses chaussures.

— C'est quoi ton idée générale ?

Ashley était désormais penchée vers ses pieds et ses cheveux retombaient légèrement en avant, par dessus ses épaules.

— J'ai vu mon père la dernière fois et...

Ashley releva aussitôt un instant la tête vers Lyly, étonnée.

— Quoi ?

— Je ne te l'ai pas dit parce que j'avais besoin de temps pour réfléchir, reprit Lyly. J'en ai discuté avec Théo, et, je pense que ce serait bien que je retourne où habite ma mère. Pour comprendre où en sont les recherches, pour voir si elle a bien repris contact avec Ludovic...

La grande cousine se redressa droite sur la chaise, ses chaussures désormais aux pieds, et interrogea Lyly du regard.

— Y retourner ? Avec Théo ?

Lyly hocha la tête que non.

— Avec qui ?

— Seule.

Ashley secoua la tête que non et plia sa jambe droite sur celle de gauche.

— Ça va pas bien dans ta tête.

— Ce n'est pas une question, Ashley. Je vais y aller. Probablement dans une semaine, le temps que tout soit prêt.

— Et Théo te laisse faire ? s'étonna Ashley. Il veut bien que tu y ailles seule ?

— Il n'est pas enjoué, mais il sait très bien que ma décision est prise. J'ai besoin de comprendre, j'ai besoin que tout ça se termine. Tu comprends ? Je ne peux pas vivre en ayant peur.

— Je comprends Lyly, mais tu parles quasiment plus du tout avec ta mère, où tu comptes dormir ? Dans un hôtel ?

— C'est une des questions que je dois régler dans la semaine, justement.

Ashley maintint son regard dans celui de sa cousine, et le décrocha lorsque John pénétra dans le salon, vêtu d'un blaser noir, d'une chemise blanche et d'un pantalon de la même couleur que sa veste. Ses chaussures brillaient.

— Je suis désolée, mais il faut qu'on y aille. On reparlera de ça quand on reviendra, annonça Ashley en se redressant sur ses jambes.

Elle regarda Lyly.

— Tu es sûre que tu veux pas que j'appelle Théo ?

Lyly hocha la tête que oui. Ashley fixa un moment Lyly, hésitante, et rejoignit finalement John près de la porte.

— On en reparle dès notre retour, assura Ashley en se retournant vers Lyly juste avant de passer la porte d'entrée. Hésite pas à nous envoyer un message s'il y a un problème, d'accord ?

— Promis.

— A tout à l'heure, Lyly, conclut John en lui souriant.

Il la salua d'un geste de la main, et le jeune couple sortit de la maison avant de refermer la porte derrière eux. Lyly attendit que la porte soit fermée à clé, puis elle se rendit dans la cuisine pour se préparer un repas.



Lyly ramena son assiette ainsi que ses couverts dans la cuisine, sortit l'eau du réfrigérateur, et coupa le feu en-dessous la poêle. Elle fit glisser son escalope de dinde dans son assiette, se servit quelques cuillerées de pâtes, sortit de la sauce tomate du réfrigérateur et s'installa sur sa chaise, son téléphone posé à ses côtés.

Seuls les cliquetis de la pendule brisaient le calme dans laquelle la maison était plongée. Au premier abord, Lyly n'y prêta pas attention. Puis après avoir entièrement coupé son escalope, elle leva les yeux vers l'horloge, et ne se rendit compte qu'à ce moment là à quel point ce silence pouvait être frustrant.

Parcourut de frissons, elle baissa les yeux vers son assiette, piqua dans quelques pâtes, et les inséra dans sa bouche, légèrement mal à l'aise. Ce silence. Cette solitude. Cette horloge. Tous ces éléments la replongeaient violemment dans son passé. Combien de temps avait-elle passé dans sa chambre d'hôpital lorsqu'elle était petite, à regarder la pendule ? Combien de temps avait-elle observé l'aiguille faire le tour de l'horloge ? Elle en avait eu du temps pour faire cela. Beaucoup trop de temps peut-être, d'ailleurs.

Elle attrapa le tube de sauce tomate, ôta son capuchon et en versa sur le sommet de ses pâtes qu'elle avait mélangé avec sa viande. Après avoir ramassé le tube dans le réfrigérateur, elle reprit place sur la chaise, et déverrouilla son téléphone. Elle avait envie de parler, de se changer les idées. Elle ne pouvait pas replonger dans son passé, pas maintenant. Elle lança un appel vidéo avec Théo, et n'attendit que deux coups avant de voir le visage du jeune homme apparaître sur son téléphone, en gros plan.

— Coucou, lança-t-elle en souriant. Je te dérange ?

Elle le vit hocher la tête et répondre à son sourire. D'après le fond derrière lui il se trouvait dans son bureau. Elle plaça son téléphone contre la bouteille.

— Tu es en train de manger ?

— Oui, je me suis préparée un truc rapidement. Je ne savais pas quoi faire.

— Bon appétit, tu manges seule ?

— Merci. Oui, Ashley et John sont sortis. Ils mangent au restaurant.

Théo posa son téléphone contre le mur afin que son téléphone reste droit et reprit son stylo.

— Ah bah ça se passe mieux entre eux, ça veut dire.

Lyly haussa les épaules et mélangea de nouveau sa nourriture afin que la sauce tomate soit entièrement étalée dans son assiette.

— Ashley essaye de se racheter. Je trouve ça bien, mais en même temps, je trouve ça dommage qu'il lui en veuille autant.

— C'est compliqué les histoires de couple. Je comprends ce que tu veux dire, mais je comprends aussi ce que John a ressenti.

— Qu'est-ce que tu comprends ?

Elle piqua dans son assiette, et rentra le tout dans sa bouche, pendant que Théo la regardait amusé.

— Tu t'en mets partout, rigola-t-il. Je comprends le fait qu'il se soit senti mis de côté. Il a eu l'impression qu'Ashley avait eu peur de lui en parler, alors que quand tu es en couple, tu n'es pas censé avoir peur de parler de quelque chose.

Lyly avala et s'essuya la bouche avec sa serviette de table.

— C'est plus complexe que ça... Quand on a peur on fait parfois des choses insensées. Le fait d'aller à l'hôpital ne l'engageait pas. Elle voulait juste des conseils.

— Ouais, mais, elle a quand même commencé les démarches seules. Il aurait voulu être là pour elle. Elle a attendu quelques jours avant de lui dire, ça veut dire qu'elle est restée mal pendant plusieurs jours, même toi tu avais vu que quelque chose n'allait pas.

— Oui, et John l'aurait sûrement vu s'il n'avait pas été autant au travail, fit remarquer Lyly. Tout est tombé au mauvais moment.

— Dans tous les cas, c'est difficile de se mettre dans la peau des gens. On ne peut pas savoir ce qu'on aurait fait tant qu'on ne le vit pas.

— C'est vrai.

Lyly se servit un verre d'eau, et avala quelques gorgées en regardant Théo, qui avait les yeux baissés vers des documents.

— Tu fais quoi ?

Elle mâcha une fourchette de nourriture, et rencontra son regard.

— Je suis en train de remplir des documents pour l'université. Et je ne vais pas tarder à manger.

— Tu comptes manger quoi ?

— Je m'étais préparé une quiche hier, je vais sûrement manger les deux dernières parts qui restent.

Lyly acquiesça et regarda son assiette. Son plat manquait de salade.

— Je reviens.

Elle se releva de la chaise, et alla jeter un œil dans le réfrigérateur, mais rien. Aucune trace de salade. Elle soupira et reprit place sur la chaise.

— Tu cherchais quoi ?

— De la salade, mais il n'y en a pas. Il y en a rarement, rajouta-t-elle, Ashley n'aime pas trop ça.

— Et tu manges quoi ?

Lyly reprit son téléphone en main et lui montra son assiette. Lorsqu'elle entendit Théo exploser de rire, elle reposa son téléphone et se retint de rire. Pourtant, le jeune homme le remarqua, et son fou rire s'amplifia.

— Mais pourquoi tu rigoles ? Qu'est-ce qu'elle a mon assiette ?

— Mais t'as vu l'état de ton repas ? demanda-t-il en rigolant. T'as plus de sauce que de pâtes là-dedans. Elles sont totalement noyées.

Lyly rigola à son tour, et baissa les yeux vers son repas. Il était clair que son assiette était toute rouge et que sa nourriture trempait dans la sauce tomate, mais c'était ce qui lui permettait d'apprécier son repas. Et elle avait toujours mangé ses pâtes de cette façon.

— Oui, bon, c'est sûr que ça ne vaut pas ta quiche, mais c'est bon quand même.

Théo secoua la tête d'amusement et tenta de prendre une grande inspiration pour se calmer. Elle le regarda, attendrie, et remarqua que les trois premiers boutons de sa chemise blanche étaient défaits.

— Tu devrais enlever d'autres boutons pendant que tu y es, le nargua-t-elle en fourrant une autre fois sa fourchette dans la bouche.

Théo la regarda un long moment et arqua un sourcil.

— Bonne idée.

Lyly ralentit sa mastication en suivant les gestes de Théo. Il posa son stylo, et défit son quatrième bouton en la défiant du regard, puis le cinquième. Ne pouvant voir plus bas, elle vit seulement quelques mouvements de bras, et ce n'est que lorsqu'il se défit totalement de sa chemise qu'elle stoppa sa mastication.

Il lui adressa son plus beau sourire, et pouffa en voyant le regard que lui lançait Lyly.

— C'est vrai que c'est bien mieux comme ça, indiqua-t-il.

Elle avala ce qu'elle avait dans la bouche, et ne pu détacher son regard de son corps. Théo avait la particularité d'avoir la peau douce. Extrêmement douce. Et cela, elle ne l'avait remarqué que lorsqu'elle avait osé parcourir le haut de son corps de ses mains lors de leur nuit à l'hôtel.

Quand ses mains avaient glissé contre le corps bouillant du jeune homme, elle avait senti la peau de Théo se recouvrir de frissons, et ce n'était qu'un détail parmi tant d'autres qui lui avaient permis de se rendre compte d'à quel point elle lui faisait de l'effet. Lyly faisait de l'effet à Théo. Et même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi, cela lui allait.

— T'es vraiment un gros vantard, lâcha-t-elle en rigolant. Vraiment un gros vantard. Mais si tu veux jouer à ça, je peux t'assurer que tu vas perdre.

— Ah ouais ? Vraiment ? la nargua-t-il. Je ne demande qu'à voir ça.

Il croisa ses bras, les yeux plissés, et attendit de voir ce que Lyly avait derrière la tête, mais elle se contenta de s'essuyer la bouche avec sa serviette.

Cela ne lui ressemblait pas, mais pourquoi ne pas jouer ? Elle était seule avec Théo. Et elle aimait les défis.

Ce n'est que lorsqu'il la vit relever brusquement les yeux vers lui qu'il comprit qu'elle l'avait pris aux mots, et qu'il allait perdre. Il la vit se passer lentement la langue sur les lèvres afin de les humidifier, éloigner ses cheveux à l'arrière de ses épaules, et ne pu que l'imaginer attraper le bas de son t-shirt gris. Elle le fit passer par dessus sa tête d'un geste à la fois long et sensuel, et se vit dans la miniature de la vidéo en soutien-gorge, également gris, à dentelles.

Elle se retint de rire en voyant le regard figé de Théo sur son corps, et se contenta de le fixer sérieusement du regard tout en ignorant la vague de chaleur qui lui traversait le corps, et les joues. Ne pas se regarder dans la miniature. Elle ne pouvait pas se dégonfler, pas maintenant.

— C'est vrai qu'il fait moins chaud d'un coup, précisa-t-elle.

Théo resta silencieux, le visage ahuri.

— Quoi que, peut-être que j'ai encore un peu trop chaud.

Il détailla le corps de Lyly, et décroisa lentement ses bras. Lorsqu'il la vit se relever de la chaise, prête à déboutonner son pantalon, il leva les mains en l'air.

— C'est bon, t'as gagné, se précipita-t-il. C'est bon.

Elle se rassit sur sa chaise, un sourire de vainqueur sur le visage. Elle était bien contente de ne pas avoir eu à aller jusque-là. De toute manière, elle ne l'aurait sûrement pas fait, Théo avait réagi au bon moment.

Il secoua la tête.

— Tu sais très bien l'effet que tu me fais et tu joues avec ça, s'indigna-t-il en soupirant.

Lyly lui adressa son plus beau sourire, et renfila rapidement son t-shirt. Théo secoua la tête, et renfila sa chemise.

— Sache que je vais te le faire payer, la prévint-il en souriant.

— Sauf si on ne se revoit plus, le provoqua-t-elle en souriant en retour.

— Je peux débarquer chez toi dans une dizaine de minutes si je le veux, ne me tente pas.

Lyly pouffa et regarda son assiette. Elle n'avait plus faim. De toute façon, son repas semblait tiède et manquait de salade.

— Je pensais que ce que j'avais fait t'aurait donné envie de me rejoindre, le taquina-t-elle.

— Tu sais très bien que oui... Mais je dois absolument finir ça ce soir.

Lyly éloigna son assiette derrière la bouteille, et se contenta de sourire à Théo. Oui, elle le savait. Théo ne cachait jamais son attirance pour elle. Mais était-ce parce qu'il ne le souhaitait pas, ou parce qu'il n'y parvenait pas ? La déstabilisait-elle autant ?

— Tu sais, la dernière fois je suis passée à la bibliothèque, reprit-elle en changeant de sujet, et j'ai appris pas mal de choses sur les émotions. Je pense m'acheter des livres là-dessus, c'est vraiment intéressant.

— Tu cherchais quelque chose en particulier ? demanda-t-il en faisant tournoyer aveuglément son stylo entre ses doigts.

Était-ce parce qu'il était encore nerveux de ce qui venait de se passer qu'il faisait tourner aussi vite son stylo ? Ou bien le faisait-il régulièrement ? Elle ne l'avait jamais remarqué auparavant.

— Je cherchais à comprendre certaines de mes peurs... Et je suis tombée sur des paragraphes qui parlaient de ça. C'est dingue, parce qu'en psychologie il est dit qu'on a en tout six émotions primaires, et d'autres émotions considérées comme secondaires. Je ne le savais pas du tout.

— Et quelles sont les émotions primaires ? La peur, je présume ? tenta-t-il.

Il la vit acquiescer la tête et croiser ses bras sur la table.

— La peur, mais aussi la surprise, la joie, la colère, le dégoût et la tristesse, si je me souviens bien.

— Et celles secondaires ?

— Il y en a plein, mais je sais qu'il y a la fierté, la culpabilité, la gratitude... Je pensais qu'ils considéraient les émotions primaires comme celles les plus importantes, mais en fait non, c'est juste que c'est plus simple pour les philosophes que les émotions soient catégorisées dans des groupes.

— Et ça t'a permis de mieux comprendre tes peurs ?

— Un petit peu. Elle fit la moue. Disons que j'ai un peu plus compris la différence entre l'anxiété et la peur... Je pense que ce que je ressens c'est davantage de l'anxiété que de la peur, si on se réfère aux définitions.

Théo hocha la tête de compréhension.

— Anxiété vis-à-vis de quoi ? demanda-t-il, intéressé.

Lyly baissa les yeux vers le bas de son écran, et réfléchit un instant.

Il était difficile de dire ouvertement ce dont elle avait peur. Même si elle savait que Théo était une personne très compréhensive, il allait peut-être trouver cela tiré par les cheveux de voir ce qui se cachait au plus profond d'elle-même.

— Lyly ?

— De beaucoup de choses, répondit-elle lentement.

— Tu ne veux pas en parler ?

— Pas maintenant... si tu veux bien.

— Bien sûr.

Elle releva les yeux vers le visage de Théo, et sentit son corps se détendre totalement lorsqu'elle remarqua la façon dont il la regardait. Son sourire rassurant et ses yeux légèrement plissés la firent sourire en retour, et elle regarda l'heure en haut de son écran.

— Je vais te laisser terminer ton document, proposa-t-elle. Moi je vais monter, j'ai encore beaucoup de choses à réfléchir.

— A propos de quoi ?

— De ma mère, Ludovic et Chris. Il faut que je trouve une solution.

— Tu as appelé Chris ?

— Oui mais il n'a pas répondu. J'ai laissé un message vocal, j'espère qu'il va me rappeler.

Théo acquiesça la tête.

— Tu me tiens au courant, d'accord ?

— Promis.

Lorsque ses yeux dérivèrent vers son repas, elle soupira. 

— Dire que John et Ashley vont manger un super repas ce soir...

— T'aurais dû te commander quelque chose. Rien qu'une pizza. Celle au saumon par exemple, que tu adores.

— Je n'avais pas du tout prévu de manger seule... Et je pensais qu'il y aurait quelque chose d'autre dans le frigo. Mais tant pis, je vais dévorer le dernier pot de glace.

Théo pouffa et rassembla toutes ses feuilles en un seul et même tas.

— Et toi, tu m'invites quand au restaurant ? le titilla-t-elle. Tu es romantique comme homme, ça m'étonne que tu n'y aies pas encore pensé.

Elle le vit lever les yeux en l'air au terme "romantique" et secouer la tête.

— Je te rappelle que j'avais déjà réservé une table pour fêter la fin de tes examens, mais que tu es partie de chez moi parce que Laure était là.

Lyly se sentit soudainement immensément stupide, et se plongea dans le silence, gênée. Elle avait oublié cet élément. Elle l'avait même carrément oublié.

— Un autre jour, peut-être...

— Peut-être ? répéta Lyly. 

Théo tenta de garder son sérieux en apercevant la vague surprise de Lyly, mais lorsqu'elle baissa les yeux, légèrement déçue, il craqua, et rigola.

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