Chapitre 51

Cela faisait trois jours que Lyly était de retour chez sa cousine, et que celle-ci semblait pensive, voire effacée lorsqu'elles échangeaient ensemble durant le repas. John, lui, passait de longues journées au travail afin de rattraper la bourde que l'un de ses collègues avait faite et qui avait causé son renvoi.

Lyly ne comprenait pas vraiment le comportement de sa cousine, et ne savait pas non plus comment l'aborder. Peut-être avait-elle des problèmes dont elle ne souhaitait pas parler, et dans ce cas, Lyly ne souhaitait pas forcer. Mais, et si elle-même souhaitait également aborder le sujet avec sa petite cousine et ne savait pas comment se lancer ? La situation semblait complexe.

Quant à Théo, il était retourné chez lui, et Laure avait apparemment quitté les lieux qu'une fois après que le jeune homme soit rentré. Avaient-ils échangé et avait-elle tenté de le draguer ? Théo lui avait indiqué qu'elle n'avait pas traîné, ce qui l'avait surpris. Même si Laure n'avait rien tenté cette fois-ci, il était certain qu'elle avait le béguin pour lui, et qu'elle n'allait pas si facilement baisser les bras.

Le temps s'adoucissait de plus en plus, ce qui faisait du bien au moral. Lyly mit son manteau dans la corbeille à linge, sortit une veste de sa penderie, et l'enfila. Elle devait à tout prix passer dans un supermarché si elle souhaitait avoir de quoi manger le matin. Elle indiqua depuis le couloir de l'entrée à sa cousine qui se trouvait à l'étage qu'elle sortait faire quelques courses, et passa la porte.

Les enfants avaient également troqué leurs gros manteaux pour de plus petites vestes. Le printemps était bel et bien installé. Lyly ouvrit légèrement la fermeture de sa veste et marcha le long du trottoir.

Cela faisait déjà plusieurs semaines qu'elle n'avait pas fait de crises de panique. Et les cauchemars se faisaient de plus en plus rare, surtout lorsqu'elle dormait auprès de Théo. Peut-être allait-elle aborder cela lors de son rendez-vous avec monsieur Kurmin le lendemain matin.

Elle attendit que le feu tricolore passe au rouge, traversa le passage piéton et se rendit compte qu'elle avait oublié ses écouteurs. Elle leva les yeux en l'air, et tourna à gauche pour traverser un petit parc qui lui permettrait de gagner du temps sur son parcours.

Elle n'avait pas vu Théo depuis trois jours. Peut-être devrait-elle lui apporter quelque chose à grignoter entre la correction de deux copies ? Elle se demanda ce qu'il pouvait bien préférer en viennoiseries, contourna deux jeunes nounous avec leur poussette, et observa les personnes présentes dans le parc. Pendant que certaines sortaient leur animal de compagnie, d'autres couraient ou bien flânaient, sans trop savoir où elles allaient.

Ce que lui avait dit Théo au petit matin à l'hôtel lui revint en mémoire lorsqu'elle croisa une grand-mère à la sortie du parc, et se surprit à s'arrêter au milieu du trottoir afin de l'observer. Quand s'en rendit compte, elle reprit brusquement sa marche, gênée, et continua de longer le trottoir.

Au moment où Théo était parti saluer Enrico et lui avait serré la main, les yeux dans les yeux, le jeune enseignant avait eu la très nette intuition que c'était la dernière fois qu'il le voyait. Il avait été incapable de lui expliquer pourquoi, ni comment, mais il avait ressenti au plus profond de lui que c'était bel et bien la dernière fois qu'il voyait son grand-père, qu'il croisait son regard, et lui serrait la main. Était-ce parce que c'était ce qu'il redoutait, ou était-ce un mauvais présage ? Théo n'en savait rien, mais cela l'avait déstabilisé, et il s'était haït d'avoir laissé cette pensée lui traverser l'esprit.

Lyly avait essayé de le rassurer mais elle n'avait pas su trouver les mots. Elle était bien placée pour savoir que ce genre de ressenti n'était pas dû au hasard, et qu'il était primordial d'écouter ce que son intuition nous dictait, du moins de ne pas l'ignorer.

Elle pénétra dans le magasin, décrocha un sac près des caisses et tourna les talons afin de se rendre au rayon des fruits et légumes. Lyly choisit quelques bananes et clémentines qu'elle pourrait éventuellement manger le matin, et avança jusqu'au rayon des biscuits et aliments bio. Elle s'arrêta devant les étalages, hésitante, plongea quelques produits dans son sac, et fit demi-tour afin de se rendre aux caisses. Elle attrapa au passage une boîte de chewing-gums, posa ses aliments sur le tapis roulant, et attendit son tour.

Lorsqu'elle sortit du magasin, son sac en plastique relativement bien rempli dans la main droite, elle passa dans une boulangerie pour acheter quelques viennoiseries et décida de se rendre chez Théo à pied.

Lyly aimait beaucoup ce temps. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi apaisée. Elle avait des problèmes, certes, mais elle avait terminé sa Licence, avait accordé sa confiance à Théo ainsi qu'à Ashley et John, et n'avait plus qu'à attendre les résultats de ses examens ainsi que les réponses à ses candidatures.

Les quelques nuages présents ne parvenaient pas à cacher les rayons du soleil. Lyly leva les yeux vers le ciel, s'arrêta sur le côté du trottoir et ferma ses paupières un instant. Elle inspira longuement l'air, rouvrit les yeux, et suivit du regard un groupe d'oiseaux virevolter au-dessus de sa tête. Elle reprit sa marche, un sourire sur le visage, et arriva devant chez Théo quinze minutes plus tard.

Elle s'arrêta devant la porte, s'assura dans le reflet de l'écran de son téléphone que son visage était potable, et frappa quatre coups. Elle entendit la voix de Théo de l'autre côté de la porte se rapprocher, vit la poignée s'abaisser, et le jeune homme apparut devant elle, son téléphone à l'oreille, les cheveux légèrement en bataille, et un début de barbe naissante sur le visage. Il répondit au sourire de Lyly, se rangea afin de la laisser entrer chez lui, et referma la porte derrière eux. Il lui fit signe qu'il devait terminer son appel et Lyly le suivit des yeux avant qu'il ne disparaisse dans son bureau.

Il ne semblait pas avoir mis de ceinture puisque son jean noir retombait légèrement plus bas que d'habitude. S'il ne portait pas de polo, peut-être aurait-elle même pu voir le haut de son caleçon dépasser. Lyly déposa son sac sur l'une des chaises du salon, sortit le sachet contenant les quelques viennoiseries qu'elle avait acheté pour son petit ami, et le posa sur la table. Elle ne comptait pas traîner. Théo avait probablement beaucoup de travail, et elle souhaitait s'occuper du problème de sa grande cousine. Lyly releva la tête, ouvrit totalement la fermeture de sa veste, et observa le salon.

Voir que Laure ne se trouvait plus au milieu de la pièce, un sac de vêtements posé près des pieds, était une bonne chose. Lyly n'avait aucune idée de si elle avait essayé de recontacter Théo depuis, mais elle tenta d'éloigner cette interrogation de son esprit afin de ne pas perdre sa bonne humeur, et observa la pièce.

— Désolé, je devais vraiment finir cet appel.

Lyly pivota sur ses talons, un sourire sur le visage. Lorsque Théo aperçut la joie resplendissante sur le visage de la jeune femme, il ne pu s'empêcher de sourire en retour et s'arrêta en face d'elle. Il passa ses bras autour des hanches de la jeune femme, et la rapprocha de lui afin de l'embrasser.

— Tu as l'air de bonne humeur, constata-t-il en souriant. Qu'est-ce qui te rend aussi joyeuse ?

— Rien, je suis juste contente, répondit-elle en passant ses bras autour de la nuque de Théo. Il fait beau, j'ai fini mes examens, et je suis en face de mon petit ami. J'ai tout pour être joyeuse aujourd'hui, tu ne crois pas ?

Théo acquiesça la tête d'un air amusé.

— Dis comme ça, c'est vrai que tu as toutes les raisons d'être contente.

—C'est quoi cette coupe, dit-elle en passant l'une de ses mains à travers les cheveux du jeune homme, tu t'es tiré sur les cheveux ou quoi ?

— J'ai passé la journée dans mon bureau, et certains trucs m'ont pris la tête.

— C'est grave ?

Théo hocha la tête que non et jeta un œil à ce qui se trouvait sur la table.

— Tu as apporté quelque chose ?

— Je suis passée faire des courses, et j'en ai profité pour t'acheter quelques viennoiseries.

— Oh, mais c'est gentil ça.

Il reporta ses yeux sur Lyly.

— On en mange ensemble ?

— Je ne veux pas trop traîner, je sais que tu as beaucoup de travail, tu les mangeras quand tu auras un petit moment.

— Tu t'en vas déjà ?

— Monsieur Pavinkis a du travail, je ne veux pas le retarder.

— C'est super sympa en tout cas, merci.

Lyly lui sourit de plus belle et analysa sa barbe. C'était comme s'il n'avait pas pris le temps de se raser depuis qu'il l'avait déposé chez Ashley trois jours auparavant.

— Tu vas bien, à part ça ? tenta-t-elle. Je veux dire... en vrai ?

— Ça va, j'ai beaucoup de copies à corriger, mais je gère, ne t'en fais pas.

— Et tu as des nouvelles d'Ashley ?

— Non, je ne lui ai pas parlé depuis que je t'ai déposé chez elle l'autre jour. Pourquoi ? Elle n'est pas chez elle ?

— Si, si. Mais... Elle a l'air bizarre depuis quelques jours, je pensais que tu aurais pu m'en dire plus, mais je vois que non.

— Bizarre comment ? Elle s'est peut-être prise la tête avec John ?

— John passe beaucoup de temps à son travail en ce moment.

Théo acquiesça.

— Il m'en a parlé un peu hier, c'est vrai. A cause de son collègue qui s'est fait virer.

— Oui, du coup je le vois moins...

— Tu penses que ça a un lien ?

Lyly réfléchit et finit par lever les épaules.

— Je ne sais pas. Je pense que je vais lui demander.

— Tiens-moi au courant si tu apprends quelque chose, si je peux aider.

— Promis.

Elle déposa un rapide baiser sur les lèvres de Théo, et se détacha de ses bras afin de récupérer son sac posé sur la chaise.

— Il faut que j'y aille.

Théo la raccompagna jusqu'à la porte, où ils s'arrêtèrent face à face en souriant.

— Bon courage, Théo.

— Merci, fais attention à toi en rentrant. Tu m'appelles s'il y a un problème.

Lyly acquiesça.

— Merci d'être passée, ça m'a fait plaisir.

— À moi aussi.

Théo observa Lyly ouvrir la porte, resplendissante de bonheur. Elle le salua d'un signe de la main, laissa le jeune homme fermer la porte, et tourna à gauche sur le trottoir afin de rentrer.




Ashley n'était décidément pas prête à parler de ce qu'elle traversait. Elle essaya à plusieurs reprises de faire croire à sa petite cousine que cela n'était pas grave, en vain. Voir Ashley démoralisée ne lui ressemblait pas, sans parler du fait que John passait peu de temps près d'elle, à cause de son travail. Lorsque Lyly reçut un message de Théo en fin de soirée afin de savoir si elle avait des nouvelles et qu'elle lui expliqua que sa cousine ne souhaitait rien lui dire, il lui proposa de passer le lendemain chez elles, et lui pria de ne pas s'inquiéter. Pourtant, Théo savait aussi bien que Lyly qu'elle n'était pas du genre à laisser tomber et à laisser les autres de côté.

Le lendemain après-midi, après son rendez-vous avec monsieur Kurmin qui s'était relativement bien passé, Théo vint chercher Lyly en voiture devant le bâtiment et tous deux roulèrent en direction de la maison d'Ashley, qui devrait être en principe chez elle à cette heure-ci. Lyly indiqua par message à sa cousine qu'elle rentrait, et glissa son téléphone dans la poche de sa veste.

Il faisait vraiment beau. Le ciel était d'un bleu si clair que Lyly ne pu s'empêcher de le fixer de l'autre côté de la vitre. Le printemps était sa saison préférée. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid, et sa veste sur le dos lui suffisait amplement. Pas besoin d'un pull en-dessous celle-ci ou bien de l'échanger pour un manteau. Non. Le printemps semblait avoir conscience du parfait équilibre, et Lyly adorait l'équilibre.

— Tu m'as dit que ton rendez-vous s'était bien passé, mais tu n'en as pas dit plus. Tu veux en parler ?

Lyly resta à admirer le ciel un instant, puis se redressa et tourna son visage vers Théo qui avait déjà reporté son regard sur la route.

— On a beaucoup parlé. Enfin, j'ai beaucoup parlé, rectifia-t-elle. C'est vraiment un bon psychologue. Il connaît le parfait dosage. Il sait quand écouter, quand parler et quand me faire réagir. C'est comme s'il était dans ma tête et savait ce dont j'ai réellement besoin.

— Dis comme ça, il a l'air vraiment compétent.

— Très compétent, même. C'est un peu perturbant, au final, de se dire qu'il en connaît autant sur moi alors que moi, j'en connais peu sur lui, si ce n'est rien. Je sais juste qu'il vient du Cameroun.

— C'est un peu le but, le psychologue n'est pas là pour te raconter sa vie ni pour trop s'ouvrir à toi. Il sait très bien qu'il y a des limites.

Lyly acquiesça et observa la voiture rouge devant eux.

— Il n'empêche que j'aurais bien voulu en savoir un peu plus sur lui.

Ils tournèrent à droite et s'enfoncèrent dans la rue qui menait à la maison d'Ashley.

— Tu peux toujours essayer de lui poser quelques questions, mais ne sois pas étonnée s'il te répond vaguement, voire pas du tout.

Théo gara sa voiture sur le rebord du trottoir, coupa le contact, et suivit Lyly à l'extérieur. Il verrouilla les portes, et marcha derrière la jeune femme en enfonçant les clés dans sa poche.

La rue était vide, et la voiture de John n'était pas garée à sa place habituelle. Théo accéléra son allure pour rejoindre Lyly près de la porte et pénétra dans la maison qui se trouvait plongée dans le silence. Le jeune couple s'échangea un regard perplexe, et avança dans le salon. Personne.

— Ashley ?

Lyly alla faire un tour dans la chambre de sa cousine, mais Ashley ne s'y trouvait pas. Elle monta à l'étage pour jeter un œil dans les pièces, mais rien, sa cousine était introuvable. Lyly descendit et rejoignit Théo qui n'avait pas bougé du salon.

— Rien.

— Elle a répondu à ton message ?

Elle sortit son téléphone de sa poche et vérifia si elle avait reçu une réponse de sa cousine, mais rien. Le dernier message qu'elle avait reçu était celui de Théo, auquel elle avait répondu avant de le rejoindre dans sa voiture.

— Non, pas de réponse.

— Quand tu es partie, elle était là ?

— Oui, elle était dans sa chambre.

Théo observa la pièce, les sourcils froncés.

— Tu devrais peut-être l'appeler, suggéra Théo. Et John, il est encore au travail ?

— Oui, mais d'après ce qu'il a dit hier à table, tout devrait bientôt pouvoir se calmer. Il a quasiment tout réglé. Elle réfléchit. On va attendre un peu, si ça ne te dérange pas.

Théo acquiesça.

— Tu peux t'asseoir si tu veux, je vais aller chercher de quoi boire. Tu veux une bière ?

— Non, du jus ou de l'eau plutôt.

Lyly tourna les talons, et s'éclipsa dans la cuisine.

Elle était en train de sortir une bouteille de jus de fruits lorsqu'elle entendit la porte d'entrée se refermer. Elle sortit avec précipitation trois verres et fila dans le salon, la bouteille de jus sous le bras, où elle découvrit Ashley qui venait de saluer Théo.

— On t'a cherché partout, ça va ?

Lyly déposa la boisson et les verres sur la table.

— Tu veux boire quelque chose ? ajouta-t-elle.

— J'ai pas trop soif, répondit-elle, fatiguée, mais merci.

Elle contourna la table tout en ôtant sa veste et s'assit sur le canapé, dos à Théo et Lyly.

— Ashley, tu vas bien ? tenta Théo.

— Ça va, marmonna-t-elle.

La grande cousine avait le visage baissé, comme si elle naviguait sur son téléphone.

Lyly remplit deux verres de jus de fruits et en déposa un devant Théo, qui la remercia d'un geste de la tête, les yeux plantés sur Ashley. Lyly avait raison, sa cousine semblait préoccupée. Mais par quoi ?

— Je suis désolé d'insister Ashley, mais, on voit très bien que quelque chose ne va pas. Tu ne veux vraiment pas en parler ?

Il la vit relever lentement le visage, mais elle resta immobile et silencieuse.

— On ne te forcera jamais à parler. Mais, ta cousine tient à toi, et moi aussi. Alors, si tu as besoin de parler, de conseils, on est là. J'espère que tu le sais ça.

Ashley posa son téléphone sur le canapé, et glissa ses mains, paume contre paume, entre ses cuisses. Lyly s'assit près de Théo.

— Ashley, s'il te plaît, dis quelque chose, reprit Lyly d'un ton inquiet. On veut t'aider.

La concernée se leva finalement du canapé, le visage baissé, et s'avança vers la table. Lorsqu'elle releva les yeux vers le jeune couple, tous deux la découvrirent les yeux rouges, des larmes au bord des yeux. Elle s'assit à l'autre bout de la table, les lèvres tremblantes, prête à pleurer, et cala ses cheveux à l'arrière de ses oreilles.

A la vue de l'état de sa cousine, Lyly sentit son cœur se compresser et tourna les yeux, attristée, vers Théo, qui regardait Ashley, l'air peiné. Lorsqu'elle sentit la main du jeune homme sous la table se glisser dans la sienne, Lyly se sentit soudainement plus légère, comme si Théo et elle partageait la même peine, et elle reporta ses yeux sur Ashley, qui avait le regard baissé sur la nappe.

— Il s'est passé quelque chose avec John ? demanda Lyly.

A peine eut-elle le temps de terminer sa phrase qu'elle vit Ashley éclater en sanglots. Elle plongea son visage dans ses mains, honteuse de pleurer devant eux, et laissa ses larmes, trop longtemps retenues, couler.

Lyly sauta de sa chaise et se précipita sur Ashley. Elle passa son bras autour de ses épaules, et lui frotta fortement le bras.

— On est là Ashley, explique-nous, on peut essayer de t'aider. Je t'en prie, la supplia Lyly.

La jeune femme blonde tourna son visage vers le ventre de Lyly et le cala contre celui-ci. Lyly se rapprocha davantage en observant Théo, et la serra contre elle afin de la consoler.

Il fallut un peu plus de cinq minutes à Ashley pour laisser retomber la pression. Lorsqu'elle se sentit légèrement plus soulagée et apte à faire face au regard de Théo ainsi qu'à celui de sa cousine, elle recula des bras de Lyly et passa ses longs doigts sur ses joues afin d'effacer les traces que les larmes avaient laissé sur leur passage. D'un revers de manche, elle s'essuya le bout du nez et se massa le front. Une migraine commençait à pointer le bout de son nez.

Lyly reprit sa place près de Théo, et avala une gorgée de jus, anxieuse. C'était la première fois qu'elle voyait Ashley pleurer, cela ne présageait rien de bon.

— Je suis désolée, marmonna-t-elle la voix tremblante. Je voulais pas pleurer...

— Tu te sens un peu mieux ? demanda Théo d'un ton rassurant.

Ashley acquiesça lentement la tête et prit une longe inspiration.

— Je voulais embêter personne avec mes problèmes, mais c'est trop dur, je sais pas comment faire.

— Tu n'embêtes personne, assura Lyly. Encore moins nous.

— Je sais, répondit-elle, je sais... Mais, c'est tellement compliqué... J'ai même pas réussi à en parler à John, ça m'était encore jamais arrivé. Je suis complètement perdue.

— Perdue à cause de quoi, exactement ? demanda Théo.

Ashley secoua lentement la tête, et ferma un moment ses paupières. Elle renifla, et sortit de sa poche le mouchoir que lui avait donné Lyly quelques minutes auparavant.

— John le sait même pas.

Elle s'essuya le bout du nez, et prit une grande inspiration.

— Je suis enceinte.

Lyly reposa son verre, la bouche entrouverte, et ne parvint pas à détacher son regard de sa cousine, qui semblait de nouveau avoir envie de pleurer. Devait-elle la féliciter, ou bien cet enfant n'était-il pas désiré ? Elle resta silencieuse.

Ashley essuya les quelques larmes qui parvinrent à s'échapper de ses yeux, et releva le regard vers Théo, qui l'observait, la mâchoire légèrement contractée. Théo savait. Théo comprenait.

— Et... ce n'est pas une bonne nouvelle ? demanda timidement Lyly.

Elle vit Théo secouer la tête que non.

— Pourquoi ?

Lyly regarda sa cousine, qui n'avait pas lâché les yeux de Théo.

— Je ne comprends pas, ajouta-t-elle, mal à l'aise. J'ai raté un épisode ?

— Mes parents sont très croyants, commença Ashley, la voix tremblante. Ils sont contre l'avortement.

Lyly fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas. Pourquoi parlait-elle de ses parents ? Ils n'avaient rien à voir là-dedans et n'habitaient même pas dans la ville.

— Et je veux pas d'enfants, reprit-elle. John le sait très bien.

— Pourquoi tu ne lui en as pas parlé ?

— J'ai peur de sa réaction, avoua-t-elle en baissant les yeux. S'il veut garder cet enfant, et moi non... Et si mes parents apprennent que j'ai avorté...

— Mais on s'en fiche de tes parents, Ashley, la décision n'appartient qu'à toi et John, pas à tes parents.

— Tu comprends pas...

Lyly se mura dans le silence, et baissa son visage vers son verre à moitié plein. Non, elle ne comprenait pas.

— J'ai voulu aller avorter seule, mais si John l'apprend un jour...

— Tu as été te renseigner sur comment ça se passait ? l'interrogea Théo.

— Oui, j'ai eu un rendez-vous avec mon médecin mardi.

— Et tu es encore dans les temps ?

Ashley indiqua d'un signe de tête que oui.

— Si tu veux mon avis, dans tous les cas, tu ne peux pas prendre cette décision sans en parler à John. On n'en parlera pas, mais si un jour il l'apprend, tu peux le perdre. Je ne pense pas que tu souhaites prendre ce risque.

— Non...

Elle se moucha rapidement dans son mouchoir en papier, et observa Lyly, qui était désormais bien trop silencieuse. Cela devait faire une minute qu'elle fixait son verre.

— Lyly, ça fait longtemps que t'as pas vu mes parents. Ils sont très croyants, si un jour ils apprennent que j'ai avorté, je sais qu'ils m'en voudront. Peut-être même qu'ils me feront la gueule. Quand ils ont appris l'autre jour que je voulais pas d'enfant, ils ont essayé de me faire changer d'avis, parce qu'ils veulent être grands-parents. Dans la société d'aujourd'hui, quand une femme veut pas d'enfant, les gens trouvent ça bizarre et comprennent pas. Sauf qu'il y a rien de bizarre, c'est juste que c'est si peu commun qu'on se fait juger... Et je veux pas faire d'enfants juste pour faire comme tout le monde. Je veux pas être malheureuse juste pour faire plaisir aux gens.

— Si tu es sûre de ce que tu veux, tu devrais en parler à John, alors, affirma Lyly. Ce qui compte c'est votre bonheur. Si vous êtes heureux comme ça, c'est le principal. Tes parents ne l'apprendront pas.

Ashley acquiesça lentement la tête et réfléchit un instant en silence. Elle observa Lyly, puis Théo, avant de reporter son regard sur Lyly.

— Comment vous feriez, vous ?

Théo leva un sourcil, curieux.

— Comment ça ?

— Si Lyly était enceinte.

Elle vit le jeune homme ouvrir de grands yeux. Quant à Lyly, elle baissa les siens, gênée.

— Je n'y ai jamais pensé, avoua Théo.

Il se gratta nerveusement la joue. Lui père ? Il ne l'avait encore jamais envisagé. Il n'y avait même carrément jamais pensé.

— Mais... si Lyly était enceinte, je préférerais qu'elle me le dise.

— Et si tu apprenais qu'elle avait avorté ?

— Sans m'en parler ?

Ashley hocha la tête que oui.

— Je lui en voudrais.

Même si la situation était inventée de toute pièce, Lyly se sentait gênée, voire jugée. Jugée pour une chose qu'elle n'avait même pas faite.

— Pourquoi ?

Théo soupira et cala son dos contre la chaise. Il aurait aimé échapper à ces questions, mais il savait que ses réponses pouvaient l'aider. Ashley avait besoin de conseils, il ne pouvait pas refuser d'y répondre.

— Parce qu'un enfant ça se fait à deux, et que je pense être légitime de savoir quand ma copine est enceinte. Je sais très bien que c'est son corps et qu'elle est libre de prendre des décisions si ça la concerne, mais je verrais ça comme un échec si elle ne me le disait pas. On est censés pouvoir communiquer, on est assez matures tous les deux pour pouvoir faire face à ce genre de situation.

— Et si tu veux un enfant, et elle non ?

Théo tourna son visage vers Lyly, qui n'avait toujours pas relevé les yeux vers eux.

— On a jamais parlé de ça, elle et moi.

Il fronça les sourcils, et regarda Ashley.

— Mais, si c'était le cas, reprit-il, j'essayerais de savoir si c'est une décision définitive, ou si elle ne veut pas d'enfant juste pour le moment... Je ne pense pas que ce soit bien de faire un enfant si l'un des deux n'en souhaite pas un. L'enfant a besoin d'être aimé par ses deux parents, il le ressent si ce n'est pas le cas.

— Tes parents sont contre l'avortement car ils voient ça comme un acte cruel ? Lyly releva la tête et regarda sa cousine. Comme une sorte d'acte barbare ?

— Oui. Car dans la religion, l'avortement est considéré comme un meurtre. Pour elle, l'enfant a rien demandé et donc mérite pas la mort. C'est très complexe, mais c'est ce que mes parents disaient quand j'étais adolescente. Je sais que si je leur parle de ce que je veux faire, ils vont faire référence à la religion, à Dieu, et c'est tout ce que je veux pas entendre. Pas maintenant.

 — Ecoute.

Théo se redressa sur sa chaise.

— Merci de nous en avoir parlé, Ashley. Tout ce qu'on peut te recommander maintenant, c'est d'en parler à John. Il travaille beaucoup, mais dis-le-lui quand il va rentrer ce soir. Il mérite de le savoir.

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