Chapitre 43

Comme prévu, Lyly et Théo passèrent chez Ashley pour prendre quelques affaires, trouvèrent comme excuse auprès d'elle qu'ils souhaitaient passer un peu plus de temps ensemble, et la grande cousine blonde, souriante, les avait accompagné jusqu'à la voiture de Théo, n'imaginant pas un seul instant ce qu'avait vécu le jeune couple plus tôt la veille.

Théo aurait souhaité parler avec Lyly, ce qu'elle ressentait en ce moment-même dans la voiture, mais il savait au plus profond de lui-même que ce n'était pas le moment. Il commençait à réellement bien connaître Lyly, et s'il y avait une chose dont il était sûr à l'instant, c'était qu'il devait la laisser tranquille, et la laisser se remettre de ses émotions, peu importe ce que lui voulait de son côté.

Ils passèrent la journée du dimanche dans le calme, sans faire le moins du monde allusion à ce qui s'était passé au supermarché et à l'hôtel, et Lyly alla se coucher à vingt-et-une heures, une heure avant que Théo ne la rejoigne et voie qu'elle était déjà totalement endormie sur son flanc gauche, dos à lui.



À son réveil, Lyly fut surprise de voir que Théo ne se trouvait pas à ses côtés, se passa la main sur le sommet du crâne, et se leva, tout en s'étirant les bras vers le plafond. Elle passa à la douche, se prépara, et passa dans la cuisine manger une brioche au beurre. L'appartement était plongé dans le silence. Elle croqua dans son petit-déjeuner, traversa le couloir et s'approcha de la porte du bureau de Théo, curieuse. Alors qu'elle était sur le point de frapper, elle se ravisa en entendant le jeune homme parler de l'autre côté de la porte, probalement au téléphone, et laissa son bras retomber, tout en mâchant sa brioche.

- Oui bien sûr. Mhhhhhh non, pas vraiment.

Lyly se surprit à se rendre compte qu'elle était en train d'écouter la conversation, ce qui était mal.

- Je sais, maman. Oui, je sais, mais j'ai beaucoup de travail.

Lyly tourna les talons, mal à l'aise, et retourna dans la chambre. Elle fit le lit, installa ses affaires dessus, et se plongea dans ses révisions, jusqu'à l'heure du repas.

Peu après dix-neuf heures, Théo alla ouvrir la porte d'entrée, remercia le livreur et prit les deux commandes, pendant que Lyly posait deux bouteilles sur la table du salon. Il apparut dans la pièce quelques instants plus tard, deux gros sacs dans les bras, qu'il déposa avant de se mettre à table avec Lyly, affamé.

Le jeune couple n'avait pas vu passer la journée, bien trop plongés dans les révisions et la rédaction des derniers examens. Ils n'avaient pas non plus eu trop le temps d'échanger, ce qui était bon signe pour Théo, qui ne souhaitait pas la déranger pendant ses révisions.

Il tendit une serviette en papier à Lyly, et piqua dans son assiette emplie d'un plat asiatique, que sa mère Tôm Tâm avait tendance à cuisiner en automne.

- Si ma mère voyait notre repas... avoua-t-il en grimaçant. Elle serait folle.

- Elle n'aime pas ?

- Oh que si, elle en fait tous les ans d'ailleurs. Mais elle préfère faire les repas elle-même plutôt que les commander.

- Elle n'a pas tort.

- C'est vrai. Mais je ne suis pas un très très bon cuisinier, et je n'ai jamais essayé ce plat.

Il analysa ce que contenait son assiette, et releva les yeux vers Lyly, qui le regardait tout en mâchant, deux tresses lui tombant sous les seins.

- Je t'ai entendu parler avec ta mère ce matin au téléphone. Elle avala sa bouchée et s'essuya la bouche. Elle va bien ?

- Ça va. Elle me demandait quand j'allais repasser, et si tu allais bien.

- Oh.

- Je crois que mes parents t'apprécient. Je veux dire... sans te mettre la pression hein, mais ils ont l'air de bien t'aimer.

- Je les aime bien aussi. Ils ont été très accueillants la dernière fois.

Théo apporta sa fourchette jusqu'à sa bouche et acquiesça.

- Mes parents aiment bien rendre les invités à l'aise. Pour eux, si tu viens dans leur maison, tu dois te sentir comme chez toi. Tu ne dois pas te sentir mal à l'aise, tu dois te sentir comme un membre de notre famille.

Lyly remplit les deux verres d'eau, et avala une gorgée du sien, sous les yeux attentifs de Théo.

- Et Angèle ? Comment elle va ?

Théo inspira et avala son morceau de bœuf.

- Je crois que ça va...

- Tu crois ?

- C'est toujours compliqué avec Angèle. On ne sait jamais si elle va bien ou mal. Elle ne laisse pas ses émotions transparaître, elle a toujours la même expression faciale et ne s'ouvre quasiment pas... Donc je t'avoue que je ne sais pas. Ma mère m'a dit que ça allait, mais on ne sait jamais vraiment.

Lyly acquiesça la tête et baissa les yeux vers sa fourchette qu'elle tenait dans sa main droite. Angèle semblait échapper à la compréhension de tous, mais pourquoi ? Pourquoi agissait-elle comme cela ? Qu'avait-elle vécu pour agir de cette manière ?

- Dis-moi.

Lyly releva la tête vers Théo, qui la regardait.

- Je sais que tu es en train de te poser des tonnes de questions, reprit-il.

La jeune fille tenta de masquer sa surprise ainsi que son petit sourire, et baissa de nouveau les yeux vers son assiette. Théo la connaissait si bien. C'était absolument incroyable.

- Comment tu fais ? demanda-t-elle avant d'ancrer ses yeux dans ceux de Théo.

Il haussa les épaules.

- Arrête de mentir, dit-elle en lançant sa serviette sur Théo, qui la rattrapa avant de se la prendre dans la figure.

Le jeune homme lâcha un petit rire et reposa la serviette sur la table.

- Si on ne t'observe pas, on ne te comprend pas, Lyly. Si je ne t'avais pas observé comme je l'ai fait depuis le début pour essayer de comprendre ce qui m'échappait, jamais je n'aurais pu autant te connaître... En règle générale, tu ne dis pas mais tu montres. Quand tu baisses la tête, quand tu joues avec tes mains, quand tu rougies, quand tu fixes quelque chose sans bouger, tout ça en dit long sur toi, bien plus que si tu parlais.

- Un vrai psychopathe, lâcha-t-elle avant de croiser ses bras sur sapoitrine, un sourire en coin. Tu es un vrai psychopathe.

Théo pouffa et haussa une seconde fois les épaules.

- Et tu ne cherches même pas à le nier.

- Si être un psychopathe c'est essayer de cerner quelqu'un pour tenter de l'aider, ça me va.

Lyly roula des yeux et reprit sa fourchette en main.

- Je me demandais, tout à l'heure, ce qui avait bien pu se passer dans la vie d'Angèle pour agir comme ça... Elle a l'air tellement renfermé sur elle-même...

- Sans trop rentrer dans les détails, Tô Tâm et Pascal ne pouvaient pas avoir d'enfants ensemble, alors ils ont voulu adopter des enfants qui avaient vécu des choses très dures. J'ai été le premier à être adopté, puis Angèle l'a été quelques années après. On ne sait pas tout ce qu'elle a vécu, elle n'en a jamais parlé à personne.

- Mais tes parents ne savent rien de ce qu'elle a vécu ?

- Si, bien sûr. Mais on se doute qu'elle a dû garder beaucoup de choses pour elle.

- Et qu...

- Et qu'est-ce qu'on sait ? la coupa-t-il.

Lyly acquiesça.

- On sait que son père a eu des gestes déplacés envers elle. Et que sa mère n'a rien fait pour l'aider.

- Et ça a été plus loin ? demanda Lyly, les yeux écarquillés.

- Angèle ne l'a jamais formulé, mais c'est possible...

- Mais c'est dégueulasse !

- Le mot est même faible, Lyly.

Lyly se laissa tomber au fond de sa chaise, sa fourchette dans la main, et fixa Théo, les bras ballants.

- Et tu vas me dire que tu arrives à tirer du positif de ce qu'elle a vécu ?

- Je n'ai jamais cherché à tirer du positif de cette histoire, non. Je ne sais quasiment rien de ce qu'elle a vécu, et elle me parle très peu... alors c'est difficile de juger quelque chose qui m'échappe.

- Tu te rends compte à quel point tout ce qui nous entoure est obscure ?

Théo leva un sourcil de surprise.

- Je veux dire... Tu as vu ce que tu as vécu ? Et ce que j'ai vécu ? Et ce que ta petite sœur a enduré ? Comment c'est possible ? Comment ça se fait qu'il nous arrive ce genre de chose ? Pourquoi on n'a pas pu avoir une enfance normale ?

Lyly baissa la tête vers son assiette, les sourcils froncés.

- On est vraiment nés sous une mauvaise étoile, Théo.

- Au fond, je crois que c'est pour ça qu'on se comprend aussi bien. On était fait pour se rencontrer, Lyly. Si je n'avais pas vécu ce que j'ai vécu, peut-être que je ne serais pas aussi à l'écoute, aussi calme et autant observateur. Si tu n'avais pas vécu tout ce que tu as vécu, tu ne m'aurais peut-être pas autant attiré l'attention et intrigué, tu ne serais peut-être jamais venue voir Ashley dans cette ville, et tu n'aurais jamais autant développé les qualités que tu as en toi.



Lyly se réveilla le lendemain plus tôt que la veille, en transe, et se leva du lit avant Théo, les idées embrouillées. Elle se servit un chocolat chaud, un bout de brioche au beurre et s'installa dans le canapé, la télévision éteinte. Cette nuit, Lyly avait rêvé d'Angèle. Son cauchemar avait été affreux. Bien trop affreux pour tenter de mettre des mots dessus. Des pleurs, des cris, Théo qui débarquait et tuait le père d'Angèle.

La jeune étudiante frissonna. Si Angèle ne parlait que très peu, cela était probablement dû à ce qu'elle avait vécu avant d'être adoptée. Elle vivait de façon permanente avec un traumatisme, et ne côtoyait personne, pas même son frère Théo qui souhaiterait sûrement passer plus de temps avec elle. Avaient-ils pu échanger parfois ? Avaient-ils eu des occasions de rire ensemble ?S'étaient-ils entraidés ? N'avaient-ils jamais tissé de liens ?

Tout cela contrariait Lyly. Elle qui aurait tant aimé avoir un frère ou une sœur... Elle qui aurait tant aimé avoir quelqu'un auprès d'elle, surtout lorsqu'elle était tombée malade... C'était si dur d'imaginer deux enfants se haïr. Certes, ils n'avaient pas le même sang, mais ils faisaient désormais partie de la même famille. Des liens avaient irrémédiablement été crées après l'adoption des deux enfants.

Lyly failli lâcher sa tasse de chocolat chaud en sentant des lèvres se poser sur le sommet de son crâne. Comme s'il avait tout prémédité, Théo stabilisa aussitôt la tasse de la jeune femme entre ses mains, et ôta sa main lorsqu'il remarqua que Lyly la tenait désormais bien entre ses doigts.

- Tu m'as fait peur.

Lyly posa sa tasse sur la table basse et se retourna sur le canapé, avant de tomber en face des hanches du jeune homme. Elle releva les yeux et le vit, fraîchement rasé, les cheveux coiffés et une chemise noire parfumée sur le dos, les trois premiers boutons déboutonnés, comme il avait si l'habitude de le faire quand il était chez lui.

- Tu sens bon, reprit-elle. Tu vas où préparé comme ça ?

- Je vais déposer un bouquin chez ta cousine que John m'avait prêté il y a longtemps, je l'ai terminé hier soir. Après je dois passer chez le dentiste, et je dois aller faire deux, trois courses.

- Oh.

- Tu veux venir ?

Lyly hocha la tête que non.

- J'aurais bien voulu, mais je dois réviser... Tu seras là pour manger avec moi ce midi ?

- Bien sûr.

Théo vint déposer un vif baiser sur les lèvres de Lyly, et enfila sa veste qu'il avait posé sur le dos d'une des chaises du salon.

- Je fais de mon mieux pour rentrer avant midi. S'il y a un souci, tu m'appelles, d'accord ?

- Promis.

- À tout à l'heure.

Lyly répondit à son signe de la main, et vit la porte d'entrée se renfermer sur Théo trente secondes plus tard, laissant le salon parfumé après son départ.



Lyly révisa deux heures trente, et décida de lâcher ses cahiers un peu après onze heures, les yeux explosés de fatigue. Elle se laissa tomber sur le lit, la tête enfoncée dans l'un des coussins, et attrapa aveuglément son téléphone. Sa mère avait de nouveau tenté de l'appeler dans les alentours de dix heures alors qu'elle était en train de réviser. Lyly leva les yeux, agacée, et tomba dans les messages qu'elle avait échangé avec Chris il y a de cela quelques semaines.

Cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas parlé ensemble. Ayant un peu de temps devant elle, Lyly appuya sur le numéro de Chris et lança un appel. Lorsqu'elle tomba sur le répondeur, elle raccrocha, et se dirigea dans la petite conversation qu'elle avait eu avec son père. Elle n'avait pas eu de nouvelles depuis qu'il avait quitté l'appartement d'Ashley, pourquoi ne répondait-il plus ? Elle lui écrivit un message rapidement, lui demanda de la rappeler, reposa aveuglément son téléphone sur le lit, et ferma un instant les yeux.

Lyly ouvrit instantanément ses paupières lorsqu'elle sentit une main se poser sur sa cuisse. Elle découvrit Théo assit sur le rebord du lit, qui la regardait en souriant.

- Ça révise dur ici.

- Hey !

Elle lui tapota gentiment les cuisses, ce qui fit rire Théo, et elle se frotta longuement les yeux, légèrement dans les vapes.

- Je me suis endormie.

- Ça j'avais remarqué.

Théo se redressa du lit et regarda sa montre.

- Tu es arrivé quand ?

- Il y a dix minutes. Un peu après onze heures trente. Tu as faim ?

- Oui, un peu.

Théo lui tendit ses mains, qu'elle attrapa, afin de se redresser.

- On va aller préparer, alors. Suis-moi.




Après six heures de révision et une heure de sieste, Lyly rejoignit Théo dans la cuisine afin de l'aider à préparer le repas, mit la table, et attendait patiemment que le repas soit prêt quand elle entendit son téléphone sonner. Elle sauta du canapé, jeta un œil à qui pouvait bien l'appeler, prête à ignorer l'appel si c'était encore sa mère qui tentait de la joindre, mais elle prit aussitôt son téléphone entre ses mains lorsqu'elle vit que ce n'était ni son père, ni sa mère, mais Chris. Elle décrocha et se réfugia dans la chambre.

- Chris ?

- Salut, Lyly ! J'ai vu que tu avais essayé de m'appeler ce matin.

La jeune femme s'assit en tailleur sur la couette du lit.

- Oui, mais tu n'as pas répondu.

- J'étais au travail, désolé. Comment ça va ? Ça fait longtemps !

- Oui, grimaça-t-elle, je sais, j'ai un peu perdu pied ces derniers temps. Désolée... Mais ça va mieux, et toi ?

- Ah merde, tu te sens vraiment mieux ?

- Oui, ça va. Ne t'en fais pas.

- Avec Théo aussi ?

- Oui, tout va bien aussi. Elle s'arreta
En fait, je crois que depuis que je le connais ça va mieux. Il...

Arriverait-elle à qualifier Théo ? A décrire comment il était avec elle ? Non, c'était bien trop dur...

- Il te rend heureuse, termina Chris. Quand on était tous chez ta mère, je voyais bien comment vous vous comportiez tous les deux. Tu semblais vraiment aller mieux. Ça faisait longtemps que je t'avais pas vu comme ça.

- Comment ?

- Je saurais pas comment t'expliquer. Tu avais l'air plus heureuse, plus vivante, tu rigolais beaucoup, t'avais l'air de passer un super moment ici

- J'étais vraiment heureuse de voir que toutes les personnes qui comptaient pour moi à cet instant étaient réunis. C'est rare...

- Ouais, j'imagine... D'ailleurs, en parlant de ça, ta mère m'a appelé cet après-midi.

Lyly sentit son cœur bondir dans sa poitrine.

- Quoi ? Elle t'appelle souvent ?

- Pas vraiment, en fait. C'est très rare.

- Elle t'a dit quelque chose en particulier ?

- Elle m'a demandé si j'avais de tes nouvelles, elle m'a dit que tu ignorais tous ses appels et tous ses messages, ça m'a vachement surpris.

Lyly secoua la tête, agacée, et resta silencieuse.

- Tout va bien avec ta mère ?

- Pas vraiment, mais il faut que je règle ça. Merci de me l'avoir dit, Chris.

- Pas de souci. J'espère que ça va s'arranger entre elle et toi... Vous vous entendiez tellement bien avant.

- Oui, je sais...

Lyly entendit frapper et vit Théo pousser légèrement la porte afin d'y passer la tête.

- C'est prêt, chuchota-t-il.

La jeune étudiante acquiesça la tête et le vit de nouveau disparaître dans le couloir.

- Il faut que j'y aille, le repas est prêt.

- Je vais aller manger aussi, bon appétit, Lyly !

- Merci, toi aussi, et merci d'avoir rappelé !

- Pas de souci. Fais attention à toi.

- Toi aussi, à plus Chris.

- À plus.

Une fois que Chris ait raccroché, Lyly déposa le téléphone sur le lit et rejoignit Théo dans le salon, qui venait de terminer de servir les deux assiettes.

- Ma mère a appelé Chris, lança-t-elle sèchement, malgré elle, en prenant place sur sa chaise.

- Elle lui a dit quoi ?

- Que je ne répondais ni à ses appels, ni à ses messages.

- Et... C'est quoi le rapport avec Chris ?

- Elle lui a demandé s'il avait de mes nouvelles, sûrement pour savoir si j'ignorais tout le monde.

Théo inspira calmement et s'assit à sa place.

- Il faut vraiment que tu la rappelles, Lyly.

- Je sais...

- Tu sais mais tu ne le fais pas... Je sais que tu lui en veux, mais explique-toi une bonne fois pour toute avec elle. Elle a besoin d'explications, et toi aussi.

-Je ne vois pas ce que je pourrais apprendre en lui parlant... C'est une menteuse.

- Tu n'as rien à perdre.

- Si, mon temps.

Théo leva les yeux en l'air et croqua dans son morceau de pain.

- Je ne pensais pas te dire ça un jour, mais tu n'agis pas comme une adulte, là. On dirait une enfant.

Lyly le scruta, un sourcil levé de surprise, et se renfrogna.

- Je ne dis pas ça pour te vexer. Tu sais bien ce que je pense de toi, je pense tout sauf que tu es une gamine. Tu vaux bien mieux que ça. Ta mère t'a menti, certes, mais tu as besoin d'avoir des réponses pour passer à autre chose, et ce n'est pas en la snobant que tu le sauras.

Lyly piqua sa fourchette dans son bout de patate, puis changea d'avis, prit son couteau afin de la détacher des dents du couvert, et l'écrasa du dos de celui-ci afin de la réduire en bouilli.

- Lyly...

- Je ne suis pas une gamine.

- Tu n'as pas écouté ce que je t'ai dit.

- Si, j'ai écouté.

Elle leva les yeux vers Théo.

- Tu as de super parents, tu n'imagines pas à quel point je t'envie. Mais tu ne peux pas deviner ce que je ressens quand j'entends parler de ma mère, cracha-t-elle.

- Explique-moi, alors, répondit-il calmement en reposant sa fourchette et son couteau sur la table.

- Je... Elle posa ses couverts à son tour, nerveuse. Je remets absolument toutes les conversations qu'on a eu elle et moi en question ! s'exclama-t-elle. Je me demande tout le temps si elle n'a pas continué de me mentir, année après année, en me regardant dans le blanc des yeux. Elle secoua la tête d'énervement. Avant que je vienne ici, ma mère c'était toute ma vie. Je te jure que j'aurais pu donner ma vie pour elle tellement c'était la personne qui m'importait le plus. Et ça me fait mal, horriblement mal de voir qu'elle n'a pas su me respecter comme moi je la respectais, qu'elle n'a pas su être aussi franche que moi. Je me sens trahie.

Théo posa instinctivement sa main sur celle de Lyly, mais celle-ci la ôta brusquement et quitta son regard.

- Lyly.

Théo retourna sa main, le dos de celle-ci contre la table, prête à accueillir celle de la jeune femme.

- Lyly, s'il te plaît, répéta-t-il. Je sais que tu es énervée, mais ce n'est pas moi l'ennemi dans l'histoire. On a tous des tas de questions, moi le premier. Pourquoi avoir tiré sur mes parents au lieu de quitter l'appartement ? Pourquoi m'avoir laissé en vie alors que je l'avais vu et que je pouvais le dénoncer ? Pourquoi les avoir abattu tous les trois alors qu'ils étaient tous innocents ? Pourquoi est-ce qu'il avait une arme ? Est-ce qu'il avait le permis qui allait avec ? Est-ce qu'au fond ce n'est pas à cause du gouvernement qui ne contrôle pas assez les trafics d'armes ? Il s'arrêta. Je n'aurais jamais les réponses à mes questions, reprit-il calmement. Contrairement à toi, je ne peux pas prendre mon téléphone, composer un numéro et poser mes questions pour espérer avoir des réponses. Je sais que c'est impossible. Mais toi tu peux. Tu peux prendre ton téléphone et appeler ta mère. Et je ne dis pas ça pour elle, mais pour toi. Tu as besoin de ses réponses, tu as besoin de savoir pour passer à autre chose et te sentir mieux. Tu as des tonnes de choses qui te mangent de l'intérieur, ne laisse pas ça te détruire à son tour. Saisis la chance qui t'est donnée.

Non sans surprise, après un instant de silence, Lyly retrouva le regard de Théo, désolée.

- Tu vas y arriver.

Elle observa la main de Théo, encore prête à accueillir la sienne, et la déposa timidement, avant de sentir celle du jeune homme se refermer sur sa main.

Les explications avec sa mère promettaient d'être animées et le ton allait sûrement monter. Mais Lyly avait conscience qu'elle ne pourrait pas y échapper. Non. Pas après ce que Théo avait réussi à lui faire prendre conscience.

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