Chapitre 40 - partie 2

Lyly erra dans les rues du centre-ville après la fin des cours et ne se rendit compte des heures qui s'étaient écoulées que lorsqu'elle vit certains commerçants abaisser le volet de leur boutique. Vingt heures. Cela faisait deux heures qu'elle marchait ici et là, les pensées vagabondant dans son crâne. Elle devrait être en ce moment-même en train de réviser pour ses futurs partiels, ou même en train de manger un bon repas chaud de sa cousine dans le salon pendant que John ferait des commentaires sur l'actualité ou se moquerait de certains hommes politiques qu'il ne pouvait pas voir. Au lieu de cela, elle errait dans les ruelles, seule et déprimée.

Elle ne pouvait pas recommencer comme avant. Non. Ce n'était pas possible. Monsieur Kurmin l'avait aidé à avancer, Théo l'avait soutenu et conseillé, tout comme Ashley et John. Non, elle ne pouvait pas tout laisser tomber, pas après tout ce qu'ils avaient fait. Ce serait égoïste.

Et puis aussi pour elle. Elle avait pris sur elle et s'était bougée afin de progresser. Elle ne pouvait pas faire ça. Non.

Lyly, gelée, fit demi-tour et prit le chemin du retour, ses mains glacées calées dans les poches de sa veste. Cela faisait déjà un petit moment qu'elle n'avait pas vécu de grosses crises de panique, c'était relativement bon signe, non ?

Il était temps de reprendre les choses en main, du moins d'essayer... Elle n'arrivait pas à joindre son père depuis qu'il était parti samedi, certes, mais ce n'allait sûrement pas être le cas de sa mère. Elle allait devoir essayer de trouver un moment pour répondre à ses appels, ne serait-ce que pour savoir ce qu'elle avait à dire. Non pas qu'elle voulait l'entendre, loin de là même, mais elle en avait assez d'entendre son téléphone sonner, de voir les appels manqués de sa mère s'afficher sur son écran principal. Elle pourrait répondre, la laisser parler, et raccrocher. Elle n'avait même pas besoin d'ouvrir la bouche, juste d'écouter, ou faire semblant d'écouter, c'était une possibilité.

Lyly soupira. Elle allait devoir la rappeler, ou lui répondre. Oui. Elle allait devoir le faire, ne serait-ce qu'une fois. La jeune femme attendit qu'un énorme camion lui passe devant afin de traverser le passage piéton. Elle sortit son téléphone de sa poche et vit deux messages de sa cousine.

- Tu as fini les cours ?

- Tu rentres quand ? On t'attend pour manger ?

La jeune femme pianota une rapide réponse à sa cousine afin de lui indiquer qu'elle rentrait, et rangea son téléphone dans l'une de ses poches.

Ces temps-ci, ce n'était pas la grande forme. Certes, elle se sentait faible, nulle, ce n'était pas nouveau. Mais le fait qu'elle découvre tout cela de ses parents, qu'elle ait à réviser puis à choisir où postuler pour un Master lui mettait une pression énorme sur les épaules. Elle n'avait jamais aimé prendre de grandes décisions, elle détestait cela, même. Et puis elle était tellement attachée à Théo qu'elle faisait de ridicules gaffes, comme le fait de l'appeler au téléphone en voyant qu'il était en pleine conversation avec une bombe atomique du nom de Laure. L'amour ne lui réussissait pas vraiment, visiblement. Encore fallait-il trouver ce qui lui réussissait...




Lyly passa la porte d'entrée de chez Ashley qu'à vingt heures quarante-cinq. Visiblement, Ashley et John avaient déjà terminé de manger. Elle ôta sa veste, l'accrocha à l'entrée, enleva ses chaussures et pénétra dans le salon. John était assis sur le canapé, au téléphone. Il fit un rapide signe de la main à Lyly pour la saluer puis se concentra sur son appel. La jeune femme jeta un œil dans les alentours, s'assura que Théo n'était pas encore arrivé, et monta les marches rapidement.

- T'as mangé ?

Lyly vit sa cousine sortir de la salle de bain, les cheveux enroulés dans une serviette de bain.

- Non, je n'ai pas très faim.

Ashley recouvrit sa brosse à dents de dentifrice et leva un œil vers sa cousine.

- T'es malade ?

- Non. Mais si j'ai faim je descendrai pour grignoter quelque chose.

- On t'a laissé de la viande et de la sauce curry dans le frigo. T'auras juste à réchauffer.

Lyly acquiesça et entra dans sa chambre. Elle sortit son classeur de cours, le lança sur son lit, s'assit sur le rebord de celui-ci et révisa quelques chapitres en attendant que sa cousine soit sortie de la salle de bain. Elle avait toujours tendance à traîner, même lorsque que quelqu'un attendait son tour, ce qui parfois agaçait Lyly et John.



Lyly ne sortit de la salle de bain que vingt minutes plus tard, vêtue de son pyjama et de ses chaussettes vertes fluo, et retrouva Théo assit sur son lit, le visage baissé vers le classeur de cours de Lyly. Visiblement, ce qu'il lisait ne lui plaisait pas, ses sourcils étaient froncés et il secoua parfois la tête d'indignement.

- Hey, dit-elle timidement.

Théo releva la tête et la vit poser ses affaires sur le dos de sa chaise.

- Ça fait longtemps que tu es là ?

- Dix minutes.

Il referma le classeur et croisa le regard de Lyly, qui se trouvait désormais au milieu de la chambre, les bras croisés sur sa poitrine, visiblement gênée.

- Tu lisais quel cours ? tenta-t-elle doucement.

- Management. Je ne comprends pas comment on peut encore donner des cours comme ça. Il vous imprime vraiment tous les cours ?

- Oui. On ne recopie pas grand chose.

- Et il fait quoi pendant le cours ? Il lit ?

- La plupart du temps, oui. Il lit la feuille, assis sur sa chaise, et explique certains termes quand les gens posent des questions. C'est tout.

Théo leva les yeux en l'air d'indignation.

- Mais... je suppose que tu n'es pas venu pour me parler de mes cours...

Le jeune enseignant posa ses yeux sur Lyly et la fixa un moment en silence, cherchant comment tourner sa phrase. Il ne voulait pas être brut. Ni même lui parler sèchement. C'était souvent compliqué de s'expliquer avec Lyly. Il ne savait jamais trop comment s'adresser à elle pour ne pas la blesser, la faire se renfermer sur elle-même.

- Qu'est-ce qui t'est passé par la tête pour m'appeler comme ça, juste parce que je parlais avec Laure ?

- Je ne sais pas.

- Bien sûr que si tu sais.

- J'étais juste jalouse...

Théo ricana nerveusement.

- Mais jalouse de quoi ? Que je lui parle ?

- Oui...

- Comment tu réagirais si je faisais pareil en voyant que tu parles avec Chris ?

- Théo...

- Répond-moi.

- Ce n'est pas la même chose !

- C'est même pire, tu es sortie avec Chris !

- Parce que tu vas me dire que tu n'es pas sorti avec Laure ?

Théo hocha la tête que non.

- Ne me fais pas croire que tu n'es jamais sorti avec elle, qu'il ne s'est jamais rien passé avec elle. Quand je l'ai vu pour la première fois au bowling, Ashley et Justin m'avaient dit que c'était une sorte d'ex à toi.

- C'est faux.

- Tu ne l'as jamais embrassé ? Tu n'as... JAMAIS... couché avec elle ?

Lyly le vit lever les yeux au ciel et se relever du lit.

- Tu veux que je sois honnête avec toi mais tu ne l'es même pas avec moi, lança Lyly. En pl...

- Ce n'est pas une question d'honnêteté, la coupa Théo. Ouais, on a couché ensemble Laure et moi, mais c'était il y a longtemps, et c'était une énorme connerie.

Lyly ressentit un pincement au cœur et quitta le regard de Théo. Elle tourna les yeux vers sa fenêtre où la nuit était déjà totalement tombée. Elle se doutait qu'il avait probablement eu d'autres relations avant elle, mais savoir qu'il avait pu embrasser Laure la répugnait, et cela n'était rien comparé à ce qu'elle ressentait depuis qu'elle savait qu'ils avaient couché ensemble.

- Et après tu t'étonnes que je sois jalouse...

- C'était une énorme connerie, répéta-t-il. Je n'avais plus aucun contact avec elle avant qu'on la croise au bowling.

Lyly ne répondit pas. Les imaginer s'embrasser...

- Ne commence pas à douter de moi.

- Je ne comprends pas pourquoi tu restes en contact avec elle, répondit-elle, indignée. Je ne comprends pas pourquoi tu ne lui dis pas que tu as quelqu'un dans ta vie, à moins que...

- À moins que rien du tout, la coupa-t-il. Je...

Il soupira.

- Bon, tu veux savoir quoi sur elle et sur moi ? Combien de fois on a couché ensemble ? Pourquoi on l'a fait ? Comment on s'est connus ? Je n'ai rien à cacher, Lyly.

Lyly se remémora leur appel téléphonique lorsqu'ils étaient chez sa mère et son passage chez Théo. Elle se remémora le jour où Laure avait débarqué à l'université, pimpante jusqu'au bout des ongles. Puis leur discussion sur le parking de l'université. Elle ne comprenait pas pourquoi ils gardaient contact.

- Pourquoi tu continues de lui parler ? Je n'aime pas vraiment l'idée que tu puisses garder contact avec ton ex...

- Ce n'est pas une ex. C'est... Il secoua la tête. Si tu veux savoir, je l'ai connu il y a quatre ans, plus ou moins. Je... Il se gratta la tête, nerveux. Je voyais très bien que je n'arrivais pas à sortir longtemps avec une femme à cause du décès de mes parents. Parce que... quand arrivait le mois de mars et que j'étais en couple avec quelqu'un, je me renfermais sur moi-même et ça ne plaisait pas. La fille avec qui j'étais en couple ne savait pas ce que j'avais vécu, alors elle me faisait des reproches, essayait de me pousser pour que je retrouve la pêche que j'avais quand on s'était rencontrés, mais son agissement me faisait me renfermer encore plus, et on finissait par se quitter. Aucune ne comprenait pourquoi j'agissais comme ça, et je les comprends... Tout ça pour dire que quand j'ai compris que je devais peut-être aller voir un spécialiste pour essayer d'aller de l'avant, j'ai cherché un psychologue, et je suis tombée sur Laure.

Lyly tourna enfin la tête vers Théo, qui fixait le sol, perdu dans ses pensées.

- J'ai eu beaucoup de mal à aborder le décès de mes parents, avoua-t-il, mais elle a réussi à me faire parler, elle a réussi à me prouver que je pouvais avoir confiance en elle et qu'on allait avancer ensemble afin de m'aider. Alors, au bout de trois mois, j'ai commencé à sentir une légère différence. Je me sentais un peu mieux, un peu plus léger. Je revenais de très loin, alors j'étais vraiment fier de moi. Je sentais que j'allais enfin peut-être pouvoir avancer. Lentement, certes, mais sûrement.

Théo soupira et se gratta rapidement l'arcade sourcilière.

- Et puis ça a un peu dérapé. Je n'ai jamais su si c'était autorisé, mais on a commencé à se voir en dehors des séances. On a commencé à traîner ensemble, à aller boire des verres tous les deux. J'étais vraiment content de voir que je pouvais enfin parler à quelqu'un de ce que j'avais vécu sans avoir peur que ça soit répété, sans avoir peur qu'on me regarde avec pitié. Et finalement, un soir, on a couché ensemble. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais ça s'est fait. Quand je me suis réveillé le lendemain, je me suis rendu compte de la connerie qu'on avait faite. Laure ne semblait pas aussi gênée que moi, elle semblait même contente, mais je lui ai fait comprendre que ça ne devait plus se reproduire. Quand elle a vu à quel point ça m'avait perturbé, elle m'a promis que ça ne se reproduirait plus... Mais au fil des semaines j'ai senti à quel point elle était attirée par moi. Ses séances étaient toujours aussi efficaces, mais elle avait tendance à être un peu plus douce avec moi qu'avant, parfois elle venait même me presser l'épaule ou bien me prendre la main quand elle voyait que ce n'était pas la forme, ce qui n'était pas possible pour moi. Alors un jour, j'ai annulé la prochaine séance, et je lui ai dit qu'on ne devait plus se voir. Elle m'a supplié de continuer, mais j'ai refusé, je l'ai remercié pour tout et je suis parti.

Théo releva les yeux et les planta dans ceux de Lyly.

- Et je ne lui avais pas reparlé depuis ce soir au bowling.

- Tu souhaitais la revoir ?

Théo hocha la tête que non.

- C'était une bonne amie, mais je savais que c'était mieux qu'on arrête de se parler. Elle me désirait, et moi non. Je ne pouvais pas la laisser espérer. Mais on a finalement été manger ensemble au restaurant le jour où je t'ai vu avec Antoine. Elle avait insisté, elle voulait savoir comment j'allais. Alors j'ai accepté. Elle savait très bien que le mois de mars arrivait et elle savait très bien comment je le vivais chaque année. Il s'arrêta. J'ai conscience qu'elle utilise mon passé pour se rapprocher de moi. Mais, elle m'a pas mal aidé pendant ses séances, je lui devais bien ça.

Lyly acquiesça lentement la tête. Elle comprenait désormais un peu mieux.

- Je comprends que tu l'aies mal pris le fait que je préfère me confier à elle quand on était chez ta mère, plutôt qu'à toi. Mais tu ne savais pas encore tout ça de moi, je ne pouvais pas tout te déballer comme ça, n'importe quand ! Alors que Laure, elle, savait... Je savais que je n'aurais pas besoin de tout lui expliquer, elle était déjà au courant. Il s'arrêta. Alors, je l'ai appelé après m'être battu avec le mec en Mercedes parce que je savais que la situation m'avait échappé, je savais que ça avait un lien avec mon passé, avec toute la peine et la colère que j'avais en moi. J'avais besoin d'extérioriser, d'avoir des conseils, parce que je me sentais horriblement mal. Quand j'ai débarqué chez ta mère avec le visage amoché, j'ai vu la façon dont ta mère m'a regardé. Je me suis senti encore plus en colère, et j'avais tellement honte...

Le jeune homme inspira longuement.

- Mais toutes les fois où elle débarque à l'université, je ne suis jamais au courant. Elle sait très bien que je ne réponds pas à ses messages et que la seule chance qu'elle a de me croiser est à l'université ou chez moi. C'est pour ça qu'elle est venue à plusieurs reprises.

- Hier, vous...

- On parlait de comment je me sentais. Elle demandait comment j'avais vécu le mois de mars, si ça allait mieux.

- Elle est venue pour te demander ça ?

- Tu te doutes aussi bien que moi qu'elle fait ça aussi pour se rapprocher de moi, mais oui, on a parlé que de ça. Quand j'ai vu que la conversation tournait en rond, je suis rentré chez moi. Seul.

Lyly décroisa ses bras et avança vers Théo afin de s'arrêter en face de lui. Elle leva le bras et lui caressa lentement le visage, pendant que le jeune homme ne la quittait pas des yeux, le visage impassible.

- Tu ne peux pas agir comme ça quand tu es jalouse, c'est insensé.

Elle laissa son bras retomber et acquiesça lentement la tête.

- Je sais qu'on a encore plein de choses à apprendre l'un de l'autre, plein de choses m'échappent encore, mais il faut vraiment qu'on communique, Lyly. Si j'avais su à quel point tout ça te prenait la tête, je t'en aurais parlé avant. Je ne pensais pas que tu avais une si grande obsession envers Laure. C'était une bonne psychologue, une bonne amie, mais tu comptes bien plus qu'elle à mes yeux, il faut vraiment que tu te le rentres dans le crâne.

Lyly ne répondit pas. Il tapait dans le mille. Comme toujours.

-Lyly...

- Il n'y a pas que ça, bafouilla-t-elle, fatiguée.

- Comment ça ?

- Si je t'avais vu avec elle un autre jour, je n'aurais probablement pas agi comme ça. Je me sens... dépassée. Dépassée par tout ce qui se passe en ce moment. Je n'arrive pas à tout gérer.

Théo l'attira lentement vers elle et Lyly se laissa enlacer, le cœur lourd.

- Je suis désolée d'être aussi chiante.

- On va s'en sortir. Il déposa un chaste baiser sur le sommet du crâne de la jeune fille et lui caressa lentement le dos. Tu n'es pas seule. On va traverser tout ça ensemble.

-C'est tellement compliqué ces derniers temps...

-On va s'en sortir. Mais pour ça, on doit se faire confiance.

Lyly acquiesça.

- Tu dors ici cette nuit ?

Lyly le sentit hocher la tête que oui.

- J'ai pris des affaires avec moi. Mais je te préviens, je serai levé à cinq heures.

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