Chapitre 35 - partie 1
Hello,
Eh bien ça y est, je vous publie aujourd'hui le chapitre que je voulais tant vous faire lire. Un chapitre qui vous en apprendra enfin davantage sur Théo, un chapitre que j'ai vraiment beaucoup aimé écrire, même s'il n'est pas très très joyeux...
J'espère vous voir dans les commentaires pour avoir un retour. Pour savoir si vous vous y attendiez, si vous êtes choqués, si cela vous touche ou non. Je vous attends.
Bonne lecture. :)
-G
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Lyly se remémora chaque mot qu'avait prononcé Théo ces quinze dernières minutes, tantôt le visage contre ses paumes, tantôt ses mains plongées dans ses cheveux, à la fois irrité et attristé. Détruit.
À l'âge de huit ans, durant une soirée de mars, alors qu'il était assis sur l'une des chaises de la cuisine en train d'observer sa mère en train de cuisiner, il l'avait vu jeter avec fureur sa cuillère dans l'évier et il avait sauté de sa chaise en l'apercevant se ruer dans le couloir afin de coller son oreille à la porte d'entrée qui menait vers le couloir de l'immeuble. La voisine hurlait, encore une fois. Il avait, comme presque chaque soir, entendu des claquements, comme une main s'abattant sur la joue de quelqu'un, puis des gros coups contre la porte d'entrée de la voisine, comme si l'homme lui prenait la tête et la lui cognait fortement contre la paroi de la porte.
Théo avait vu sa mère s'essuyer les mains sur son tablier puis l'avait vu l'ôter avant de se tourner vers lui. Elle s'était approchée de lui, un sourire bienveillant sur le visage, et s'était baissée à sa hauteur en lui mettant le tablier entre les mains.
- Mon chéri, tu vas rester ici, d'accord ? Tu ne bouges pas, maman revient.
Malgré le calme qu'elle avait tenté de lui laisser paraître, il avait aussitôt vu son visage se transformer lorsqu'elle s'était redressée. Elle avait retrouvé tout son sérieux, il avait aperçu ses mains trembler, avant d'ouvrir leur propre porte d'entrée. Son père lui avait demandé où elle allait, puis il s'était lui aussi rué dans le couloir en comprenant ce qu'elle s'apprêtait à faire. La voisine hurlait encore, pleurait, suppliait la personne avec qui elle était d'arrêter, mais les claquements continuaient, et un gros fracas avait fait sursauter Théo de peur et lâcher le tablier. Alors qu'il s'apprêtait à avancer afin de mieux entendre les chuchotements de ses parents dans le couloir, son père était réapparu et s'était arrêté en face de lui. Il s'était baissé à sa hauteur, comme sa mère l'avait fait plus tôt, puis lui avait posé les mains sur les épaules, comme s'il parlait d'adulte à adulte. Ce que son père avait toujours fait avec son fils. Jamais il ne l'avait traité comme un enfant.
- Tu vas aller dans ta chambre, d'accord, champion ? Maman et moi on va aller voir la voisine.
- Pourquoi ? Parce qu'elle crie ?
Son père avait hoché la tête que oui.
- Nous ne voulons pas que tu restes là, d'accord ? Tu vas dans ta chambre, et tu en ressors que quand on te l'aura dit. Tu as bien compris ?
Théo avait hoché la tête, avait reçu le baiser de son père sur la joue, et l'avait vu s'éloigner avant de disparaître dans le couloir avant que la porte ne se referme sur eux.
Mais depuis qu'il était petit, son père n'avait cessé de lui dire que c'était lui l'homme de la maison lorsque son père n'était pas là, et qu'il devait prendre soin de sa mère en son absence. Alors, certes, son père était là, mais il avait bien le droit de vouloir prendre soin de son père et de sa mère, les deux à la fois, non ?
Il avait encore réfléchi, pesant le pour et le contre de s'il pouvait sortir sans se faire par la suite sermonner par ses parents, quand il avait entendu sa mère crier, puis la voix de l'homme qui vivait parfois avec la voisine crier à son tour. Son père avait également hurlé, et il n'avait plus entendu qu'une masse de voix difformes s'entremêler les unes aux autres. Puis il y eut un boum. Un bruit sourd. Théo avait donc couru, ses petits pieds clapotant le sol, et ouvert la porte en silence. Avec ce qui se passait dans le couloir, il était quasi impossible qu'on l'entende appuyer sur la poignée, encore plus depuis que les chiens s'étaient mis à aboyer après ce bruit sourd qui avait résonné dans l'immeuble.
C'était l'homme de la maison, lui aussi avait son mot à dire. Chaque nuit il était réveillé par la voisine qui pleurait. Chaque nuit il entendait de gros fracas contre les murs, et parfois il entendait de la vaisselle voler par la fenêtre avant se se briser au contact du trottoir, où le passage était heureusement plus rare la nuit.
Alors Théo s'était avancé, les manches retroussées, comme son père l'avait fait avant de quitter l'appartement, en chaussettes, celle de gauche jaune et celle de droite rouge, comme son père le faisait si bien avec ses propres chaussettes, et vit son père de profil, les bras en l'air. Il avait continué d'avancer, intrigué, mais plus personne hurlait. La voisine ne pleurait plus.
- Lâchez ça, avait supplié son père. Tout va s'arranger, baissez ça, s'il vous plaît. Tout ira bien. Tout va s'arranger.
Puis il y eut un autre boum. Ce même bruit sourd. Il avait vu la peur se dessiner brièvement sur le visage de son père, c'était la première fois qu'il l'avait vu comme cela. Théo avait continué à avancer, en silence, les mains levées comme son père, parce qu'il aimait beaucoup l'imiter. Et c'est lorsqu'il eut enfin presque atteint son père qu'il vit son visage barbu se tourner vers lui. Le trentenaire avait tenté de lui dire quelque chose, mais Théo avait vu un bout noir, l'extrémité d'une arme, se coller sur la joue de son père, puis entendu un autre boum, cette fois-ci plus fort, et encore un autre, mais cette fois-ci au niveau de la poitrine.
Il n'avait pas eu le temps de se cacher le visage et avait vu la joue de son père éclater. Un morceau de peau avait volé dans le couloir et du sang lui avait éclaboussé le visage.
Théo s'était essuyé les lèvres d'un revers de manche, sonné, et avait vu son père s'écrouler sous ses yeux, sur le sol, un trou dans la joue d'où il percevait nettement à travers la peau ses dents noyées dans le sang.
Il avait vu l'homme en question sortir de l'appartement, et s'était brusquement arrêté, le pistolet en main, en apercevant le petit bonhomme au milieu du couloir, les cheveux en bataille, les bras en l'air et le visage couvert de tâches de sang. Il avait fixé Théo, les prunelles de ses yeux ancrées dans les siennes, avait réfléchi, avait enlevé le cran de sûreté pour pouvoir tirer une nouvelle fois une balle, puis l'avait finalement rangé à l'arrière de son jean, contre l'élastique de son caleçon, sans quitter le regard brun de Théo, qui ne savait plus quoi faire. Lorsque le petit garçon avait baissé un instant la tête pour voir la flaque de sang fraîche provenir de sous le corps de son père s'étendre sous ses chaussettes, il avait senti une lame fraîche et tranchante s'enfoncer contre la peau de son cou, juste en dessous de son petit menton. Il avait aussitôt levé les yeux, puis lentement la tête, paniqué, et avait retrouvé l'homme en face de lui, bien plus proche cette fois. Un sourire s'était dessiné sur le visage du tueur, et Théo avait senti la lame du couteau s'enfoncer un peu plus contre sa peau, jusqu'à sentir un léger filet de sang couler le long de son cou, que l'homme avait suivi des yeux, satisfait, les yeux plissés. Le souffle coupé, Théo avait senti la lame lui couper encore légèrement la peau, puis l'homme avait ricané, l'avait enfoncé davantage, et s'était reculé en voyant la lame de son couteau couverte d'une fine ligne ensanglantée. Il avait rangé son arme, avait tourné les talons et filé à toute vitesse dans la cage d'escaliers, le laissant ainsi les bras levés, immobile. Traumatisé. Tétanisé.
Théo n'avait pas bougé de sa place les quinze minutes qui avaient suivi. Il était resté immobile, les bras en l'air, marmonnant à son père qu'il avait peur et que son cou lui faisait mal. Il lui avait demandé de se relever car il perdait beaucoup trop de sang, mais son père n'avait pas bougé. Et plus rien ne bougeait dans l'appartement, c'était le calme absolu. Lorsque la police était arrivée un quart d'heure plus tard et avait bouclé l'immeuble pour être sûre que plus personne n'en entre et n'en sorte, des policiers avaient découvert Théo au milieu du couloir, du sang séché sur le visage, les cheveux, les vêtements et les mains, les bras toujours en l'air. Les pieds ancrés dans la flaque désormais moins liquide. Un des hommes s'était approché de lui, avait tenté de le rassurer en disant qu'il était désormais en sécurité et qu'il pouvait baisser les bras, mais Théo était resté immobile, les bras en compote, sa coupure sur le cou lui faisant mal. Si le tueur revenait, il pourrait avoir une chance s'il les gardait levés. Puis ils l'avaient ramené chez lui, et une femme l'avait rejoint afin de le rassurer et de lui soigner sa blessure. Mais, ce n'était pas de cette femme dont il avait eu besoin, mais de sa mère, qui n'était pas ressortie de cet appartement.
Lyly resta la bouche couverte de ses mains, prise d'effroi profondément choquée, et profondément anéantie. Elle voulut se ruer sur Théo pour l'enlacer, mais il lui fit signe que non d'un vif signe de la main, avant de jeter son visage entre ses mains. Elle vit son dos trembler, sauter par accoues, et ses mains devenir humides.
Malgré le refus de Théo, elle s'avança, toujours le visage amoché, et prit place sur le canapé, auprès de cet homme qui avait vécu une horreur dès l'âge de huit ans. Il avait vu ses parents mourir sous ses yeux. Il avait croisé le regard du tueur. Il avait été à deux doigts de se faire trancher la gorge. Bordel. C'était l'homme le plus courageux qu'elle n'avait jamais connu.
Elle glissa sa main contre la nuque du jeune homme, qui lâcha prise et tourna brusquement son visage vers Lyly. Elle le tira aussitôt vers lui et l'enlaça du plus fort qu'elle le pu, malgré son atroce douleur à l'épaule.
Elle lui frotta le dos, lui massa la nuque, passa sa main dans ses cheveux afin de le rassurer, de montrer qu'il n'était pas seul, mais Lyly avait bel et bien conscience que c'était de ses parents dont il avait besoin. Il avait eu une sacré dose de courage pour lui en parler sans flancher. Il avait eu sacrément confiance en elle pour lui en parler. Lyly n'en revenait toujours pas.
- Je suis tellement, tellement, tellement désolée, marmonna-t-elle.
Il resserra son étreinte, les larmes dévalant ses joues, et ferma les paupières un moment. Il n'en avait quasiment jamais parlé. Même John, son meilleur ami, n'était pas au courant. Si Lyly ne comprenait pas avec cela qu'il était dingue d'elle, qu'il avait confiance en elle...
Il s'essuya d'un revers de manche les yeux, les larmes continuant de dévaler ses joues, et s'écarta délicatement des bras de Lyly. Il se releva du canapé, marcha en silence jusque dans la cuisine et accrocha ses mains sur le rebord de l'évier. Il fit un pas en arrière et se pencha en avant, le corps tremblant, sous les yeux humides de Lyly, qui vit quelques larmes s'échouer désormais sur le sol
- Je peux te préparer quelque chose ?
Elle le vit secouer la tête que non, puis se redresser. Il s'essuya rapidement les joues, dos à elle, posa un instant ses mains de chaque côté de sa taille afin de prendre le temps de reprendre son souffle, et se tourna vers Lyly, les yeux rougis, gonflés, humides. Il avança en silence vers elle, lui fit signe de s'asseoir, ce qu'elle fit, et il disparut de la cuisine, avant de réapparaître, une trousse de premiers secours dans les mains.
Voir Théo comme cela lui faisait mal au cœur. Elle avait envie d'embrasser ses pommettes, de poser ses lèvres sur ses paupières gonflées, de le serrer fort contre elle et ne plus jamais le relâcher, mais Théo en avait décidé autrement, et il était désormais assis à sa hauteur, en train de lui tapoter à l'aide d'un coton et d'un désinfectant le dessous du nez afin d'ôter le sang séché.
Elle le regardait plisser les yeux, grogner lorsque le sang ne souhaitait pas se détacher, et froncer les sourcils lorsqu'il cherchait quoi nettoyer. Des larmes ne demandaient qu'à dévaler ses paupières, mais il se battait pour les retenir. Et même s'il se battait si bien, il ne parvenait pas à stopper le tremblement de ses lèvres, le tremblement de sa mâchoire.
Bordel, il ne prenait même pas le temps nécessaire de pleurer. Souhaitait-il paraître fort aux yeux de Lyly ? Ne se permettait-il pas d'être "faible" par moment ? Ne pouvait-il pas un instant relâcher la pression ?
Un petit bleu prenait place au dessus des lèvres de Lyly. Il y glissa l'un de ses doigts, le cœur lourd de voir à quel point elle avait été amochée, puis croisa le regard attristé de Lyly. Il fut pris de court lorsque Lyly se jeta sur ses lèvres, mais il ne la repoussa pas, et mit toute sa colère, toute sa haine, toute sa rancœur dans ses baisers. Il écrasa à plusieurs reprises ses lèvres sur celles de Lyly, qui n'avait jamais reçu de tels baisers de sa part avant, et rentra brusquement sa langue dans la bouche de Lyly, à la recherche de la sienne, à la recherche d'un contact qui pourrait lui réchauffer le cœur, l'âme. Il plaqua sa main à l'arrière du crâne de Lyly pour immobiliser son visage, et continua de lui embrasser brutalement les lèvres.
Alors, durant l'espace d'un instant, il en oublia le visage amoché de Lyly. Durant l'espace d'un instant il oublia qu'il était en train d'extérioriser sa peine et sa rage en malmenant les lèvres de Lyly. Ce qui ne lui ressemblait pas.
Lorsqu'il sentit que Lyly ne parvenait plus à suivre le mouvement, à suivre ses gestes brusques, il écarta ses lèvres des siennes et colla son front contre celui de Lyly. Il tenta de reprendre son souffle, le cœur retourné, et ferma ses paupières.
Il ne pouvait pas extérioriser tout cela sur quelqu'un, et encore moins sur Lyly. La situation lui avait de nouveau échappé. Cela ne devait plus se reproduire, pas sur Lyly. En sentant subitement les doigts de Lyly lui caresser les pommettes, il sentit son corps se détendre et laissa ses pensées s'envoler, ses larmes couler.
Elle décolla son visage de celui de Théo, déposa délicatement ses lèvres sur le front de Théo, et l'enlaça en calant son visage contre sa nuque.
Elle avait quitté la maison de Théo un peu avant onze heures. Elle avait insisté pour rester avec lui, mais il avait gentiment refusé, expliquant qu'il souhaitait être seul, et avait appelé Ashley pour qu'elle vienne chercher sa cousine en voiture.
Lorsque sa cousine était apparue devant la porte d'entrée de Théo, pleine de rage, celle-ci s'était aussitôt envolée en apercevant le visage de Lyly, ainsi que celui du jeune homme, qui paraissait extrêmement fatigué.
Elles étaient rentrées en silence, Lyly ne souhaitant pas encore parler de ce qui s'était passé en ville, et Ashley lasse, sentant que les choses lui échappaient, encore.
Quand Lyly vit que son père n'était plus chez sa cousine, elle monta dans sa chambre, passa à la douche, et se coucha, après avoir envoyé un message à Théo.
À son réveil, après un cauchemar digne des plus gros films d'horreur auquel elle ne souhaitait pas penser, Lyly se toucha le sommet du crâne et navigua un moment sur son téléphone, cherchant à trouver les horaires de Théo sur le site de l'université. Lorsqu'elle tomba dessus, elle fit une capture d'écran, sortit de son lit, et disparut dans la salle de bain pour vérifier l'état de son visage, s'appliquer une crème sur l'épaule et se bander le poignet.
Le but de la journée était de ne pas trop solliciter son épaule et son poignet. Moins elle bougerait, mieux elle le vivrait.
Elle traversa le couloir, son sac maintenu par une lanière sur son épaule intacte, et rejoignit près de la cafétéria Olivia et Mathilde. Elle s'assit à leur table.
- Je suis désolée, j'ai complètement oublié de vous envoyer mon travail hier. Je l'ai déposé ce matin sur le drive du groupe.
- Génial, je vais regarder ça ! se réjouit Olivia.
Elle replaça ses lunettes sur son nez et navigua sur son ordinateur.
- Comment tu t'es fait ton bleu sous le nez ?
Lyly haussa les épaules.
- Je me suis prise une porte hier soir, répondit-elle à Mathilde. Ma cousine ne savait pas que j'étais derrière la porte et je me la suis prise en plein dans le nez.
- C'est drôle que ton nez n'ait rien, pouffa Mathilde.
- T'as même fait la conclusion ! C'est génial ! s'exclama Olivia.
Lyly lui répondit par un simple sourire et vit Olivia tourner son ordinateur vers Mathilde. Elles lurent les grandes lignes de sa partie et la conclusion puis se jetèrent un regard épaté, avant de se tourner vers Lyly.
- T'as carrément géré. Tu as hyper bien synthétisé dans la conclusion.
- C'est clair, approuva Mathilde. Franchement si avec ça on n'a pas minimum seize, je me tue.
- Je me suis beaucoup inspirée de vos parties pour que la mienne colle avec les vôtres. Donc vous y êtes pour quelque chose aussi, assura Lyly. J'espère vraiment que la prof appréciera.
- C'est obligé ! s'exclama Mathilde, excitée, en tapant dans ses mains. Ça vous dit ce soir vous passez chez moi ? On va fêter ça.
- Carrément !
- À quelle heure ? demanda Lyly. Vu que je vis chez ma cousine je ne veux pas trop rentrer tard...
- Ah mais aucun souci ! Après les cours on peut aller direct chez moi, on boit un coup, et voilà, répondit Mathilde.
- Ça me va, on se rejoint à la sortie de l'université à dix-neuf heures, alors.
Lyly acquiesça et regarda sa montre. Les cours venaient de finir. Si elle ne voulait pas le louper, c'était maintenant.
Lyly se leva de sa chaise.
- Je dois aller voir quelqu'un avant d'aller en cours, il faut que j'y aille.
- À tout à l'heure, Lyly, acquiesça Olivia en lui souriant.
Elle leur fit un signe de la main et tourna les talons. Elle prit la cage d'escaliers et les monta aussi vite que possible. Salle 218. Encore un étage à monter. Lyly accéléra son allure, se trompa de couloirs et dû quasiment courir afin de ne pas prendre trop de retard. Si elle le ratait de peu, cela serait ballot.
Elle s'enfonça dans le bon couloir et pu relâcher la pression lorsqu'elle vit au loin un jeune homme devant la porte, attendant sûrement l'un de ses amis qui se trouvait encore à l'intérieur. Elle ralentit et jeta du couloir un œil dans la salle de classe. Un étudiant faisait visiblement lire un texte de son cahier, et Théo, intéressé, avait le regard baissé vers les pages pleines d'écritures et hochait par moment la tête.
Théo avait ce don de dissocier le privé du professionnel. Il avait beau passer un mois difficile, il avait beau être au plus bas, il parvenait toujours à mettre les pieds à l'université en faisant comme si de rien n'était. Il était là, en train de discuter avec son étudiant, hochant la tête et souriant par moment, comme si son cœur n'était pas empli d'une profonde douleur.
Le jeune homme rangea son cahier, remercia Théo qui lui fit un signe de tête, et sortit de la classe. Il rejoignit son ami dans le couloir, et tous deux s'éloignèrent en parlant du tout nouveau jeu sur Playstation 4 qui venait de sortir. Elle s'assura que personne n'était dans le coin, et elle entra à son tour, timidement, dans la classe. Elle voulait lui parler. Savoir comment il se sentait. Être près de lui.
Il avait retrouvé son visage fermé. Sérieux. Presque triste. Celui qu'il ne laissait jamais paraître en cours, ni même à ses amis. Maintenant dos à elle, penché sur son sac, il ne se retourna que lorsqu'il entendit un bruit de fermeture. Il croisa furtivement le regard inquiet de Lyly, et se pencha de nouveau sur son sac, afin d'y ranger sa trousse.
- Coucou, osa-t-elle timidement.
Il plaça correctement sa trousse au fond de son sac, s'assura que son téléphone était bien dans la poche arrière de son jean, et refit face à son bureau pour prendre son classeur.
- Salut.
Il cala minutieusement son classeur dans un coin de son sac, écarta sa trousse pour lui laisser la place nécessaire, et se redressa. Lyly jeta un œil vers le couloir. Personne. Elle reporta ses yeux sur Théo, qui était désormais en train d'ôter sa veste du dossier de sa chaise.
- Comment tu te sens ?
Il jeta à son tour un œil discret vers la porte pour s'assurer que personne n'était dans le coin.
- Ça va.
- Pas à moi, Théo.
Il enfila sa veste et rangea son téléphone dans l'une de ses poches.
- Pas ici, répondit-il.
Il passa son sac en bandoulière par dessus sa tête et le cala contre son dos, sa bandoulière désormais calée sur son torse, entre ses deux pectoraux. Par chance, plus personne n'avait cours dans cette salle ce jour-ci. Il se tourna vers la jeune fille et l'observa.
- Je sais, mais je m'inquiète pour toi.
- Tout va bien.
- Non. Ce n'est pas vrai.
Il soupira.
- Oui, ce n'est pas vrai. Tu as raison. Mais qu'est-ce que tu veux que je te dise, Lyly ? Que je suis au fond du gouffre ? Je sais que c'est un passage, alors j'attends. Il n'y a que ça à faire.
- Comment tu fais ?
- De quoi ?
- Ça, répondit-elle en le désignant de la tête. Réagir comme tu le fais.
Il expira lentement, lasse.
- J'ai l'habitude. Je n'aime pas qu'on s'inquiète pour moi, soupira-t-il. Et...
- Tu ne t'autorises même pas à pleurer, Théo. C'est mauvais. Tu as à peine pleuré hier.
Il la fixa.
- À quoi ça sert que je pleure ? Ce qui est fait est fait. Je ne peux pas retourner en arrière, je ne peux pas sauver mes parents, je...
- Mais tu as le droit de pleurer ! Tu as le droit de montrer que ça ne va pas ! Elle s'arrêta et reprit plus doucement. J'ai peur pour toi, Théo...
Il s'avança et s'arrêta près de Lyly, son visage à quelques mètres du sien.
- Tu ne dois pas t'en faire pour moi, reprit-il doucement. J'ai toujours géré.
Elle aurait aimé lui toucher le visage, passer ses doigts sur ses lèvres qu'elle idolâtrait tant, mais elle ne pouvait pas le faire. Pas ici. Si quelqu'un déboulait dans la classe alors qu'elle lui caressait le visage, ils pourraient avoir des problèmes, bien plus Théo qu'elle, d'ailleurs.
- Je peux passer te voir ce soir ?
Il hocha la tête que non.
- Je ne serai pas chez moi avant vingt-deux heures, peut-être vingt-trois. Je vais manger chez un ami.
- Un collègue ?
- Non, un ami du lycée.
Il jeta un vif coup d'œil vers le couloir avant de reporter son regard sur Lyly, qui ne le quittait pas des yeux.
- Écoute... J'ai conscience de tout ce dont je t'ai parlé hier, et... Et je n'ai pas l'habitude d'en parler. Quasiment personne n'est au courant, même pas John, alors... Il soupira. Je te connais, tu es une personne curieuse, et je suis sûr que tu as des questions, mais pas ici. On aura le temps d'en parler plus tard... Si tu veux.
Lyly acquiesça la tête. Bien sûr qu'elle avait des tonnes de questions en tête. Il lui adressa un léger sourire, pas très convaincant.
- Il faut que j'aille à mon prochain cours.
La jeune étudiante se décala habilement pour laisser Théo s'en aller. Il lui adressa un léger sourire de remerciement, lui pressa rapidement la main et sortit de la classe, les mains enfoncées dans les poches de sa veste, le visage de nouveau fermé.
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