Chapitre 23 - partie 1
La maison était plongée dans un silence apaisant. Seuls les quelques roucoulements des oiseaux posés sur des branches des arbres voisins parvinrent à pénétrer dans la cuisine de la maisonnette, que Théo traversait en enfilant son t-shirt blanc de footing. Il ouvrit le réfrigérateur, en sortit une petite bouteille d'eau, avala la fin du liquide incolore et la jeta à la poubelle.
Il jeta un œil par la fenêtre, conclut que sortir en simple short et t-shirt pouvait faire l'affaire vu le ciel déjà ensoleillé, et sortit de la maison, reposé. Il allait faire un petit peu frais, mais courir allait le réchauffer.
La nuit avait été apaisante. Lyly et lui avaient dormi dans leur chambre respective, tenant à ne pas davantage éveiller les soupçons d'Ashley, mais le fait qu'ils aient pu parler une dizaine de minutes dans la cuisine lui avait fait du bien. Il était clair que Lyly et Anne allaient se réconcilier, mais il était également clair que la jeune fille n'allait pas avouer la vérité à sa mère. Lyly avait peur. Peur d'inquiéter sa mère. Peur de s'apitoyer sur son sort. Peur de voir de la déception dans les yeux de sa génitrice.
Théo traversa la route en courant, et longea le trottoir à grandes foulées. Il avait essayé de raisonner Lyly, de lui faire comprendre que sa mère ne souhaitait que son bien et qu'elle n'allait pas la haïr en apprenant que sa fille n'avait jamais pu mettre un terme à ses crises de panique, mais la jeune fille était restée borner et avait mis fin à la discussion en se relevant de sa chaise. Elle s'était approchée de lui, et l'avait enlacé une seconde fois, avant de retourner se coucher.
Le jeune homme se rangea sur la gauche pour laisser passer une jeune femme en pleine course, et vira de nouveau sur sa droite afin de traverser le passage piéton, avant qu'une voiture grise aux vitres teintées ne vienne lui frôler le postérieur. Intrigué, Théo continua sa course, tout en suivant la voiture des yeux, et prit un petit sentier.
Quatre minutes plus tard, il se trouva de nouveau les pieds sur le bitume, la sueur coulant sur le front, et était sur le point de traverser la piste cyclable afin de rejoindre l'autre côté du trottoir lorsqu'il aperçut la voiture grise aux vitres teintées rangée sur le côté de la route. Théo s'arrêta brusquement sur le trottoir, le cœur battant violemment, le souffle légèrement coupé, et observa la plaque d'immatriculation. C'était la même que celle qui avait manqué de le renverser quelques minutes plus tôt.
Le jeune homme sentit la colère monter en lui. Les sourcils désormais nettement froncés, il se dirigea vers la voiture tout en se craquant les phalanges, et la portière côté passager s'ouvrit.
Lyly sursauta et se redressa vivement sur son lit. Était-ce bien un cri qui venait de raisonner dans la maison ? La jeune fille sauta de son matelas, enfila ses chaussons et tendit l'oreille en ouvrant la porte de sa chambre.
— Fous-moi la paix, Ashley, lança Théo, sèchement.
Théo semblait énervé. Lyly regarda l'heure sur l'horloge, intriguée. Il n'était que neuf heures. Que se passait-il ?
— Tu pourrais me parler un peu mieux que ça, je suis pas un chien, répondit Ashley, agacée.
Lyly ferma la porte de sa chambre et avança dans le couloir sur la pointe des pieds. Elle vit sa mère soupirer avant de disparaître dans le salon, pendant que John tentait de calmer la situation.
— Calmez-vous, vous allez réveiller Lyly.
— C'est déjà le cas.
Lyly apparut dans la cuisine, et recouvrit aussitôt sa bouche de ses mains lorsqu'elle vit le visage de Théo amoché. Du sang coulait de son arcade sourcilière gauche et sa lèvre inférieure semblait également légèrement ouverte. Théo tourna aussitôt le dos à Lyly et appliqua du produit sur un coton afin de soigner ses blessures.
Ashley le fixa, vexée, et tourna son regard vers John, avant de stopper ses yeux sur sa cousine. Elle les leva en l'air et sortit en trombe de la cuisine, avant de claquer la porte de sa chambre.
John soupira et regarda à son tour Lyly.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— J'en sais rien, je viens d'arriver, répondit John, visiblement blasé.
Théo s'appliqua le coton sur l'arcade sourcilière en observant son reflet dans la porte transparente du petit four posé sur l'un des meubles de la cuisine.
— Je vais aller calmer Ashley, appelez-moi si vous avez besoin de moi, reprit-il avant de disparaître à son tour dans le couloir.
Lyly se précipita sur Théo et posa ses mains sur le dos du jeune homme, qui se redressa aussitôt, le corps crispé.
— Théo, qu'est-ce qui s'est passé ?
Il appliqua une seconde fois du coton sur son arcade sourcilière, grimaça de douleur, et observa rapidement sa lèvre dans la porte transparente. Ça allait faire l'affaire.
— Théo, parle-moi, je t'en prie, l'implora-t-elle.
Il fit volte-face, prêt à s'en aller, mais son corps s'arrêta aussitôt à la vue de Lyly, qui l'observait, les yeux rougis.
Lyly sentit une boule au ventre apparaître à la vue de Théo, amoché. Son t-shirt blanc était couvert de traces de sang, et sa lèvre... Bon Dieu.
— Ce n'est rien. Ne t'en fais pas.
Il contourna habilement Lyly, le flacon de produit et les cotons pleins de sang dans la main droite, et sortit de la cuisine, laissant ainsi Lyly seule, les bras ballants, impuissante.
La jeune femme enfila sa veste, fit rapidement ses lacets et passa dans la cuisine prévenir sa mère.
— Je vais voir Chris.
Elle était sur le point de disparaître dans le couloir lorsque sa mère l'interpella timidement. Lyly repassa sa tête dans la cuisine, et vit sa mère tourner les talons avant de s'arrêter en face d'elle, hésitante.
— J'ai beaucoup réfléchi, Lyly... Et je tenais à...
— Laisse tomber, maman. C'es toublié.
Sa mère lui adressa un sourire timide.
— Je suis quand même désolée. J'ai...
— Maman, l'interrompit Lyly avant de l'enlacer contre elle. Je comprends, c'est oublié.
Anne serra sa fille de toute ses forces et déposa un baiser sur sa joue avant de reculer.
— Tu sais ce qui s'est passé avec Théo ?
Lyly soupira et hocha la tête que non.
— C'est une bonne personne, j'en suis sûre. Mais... Lyly, il faut éclaircir cette histoire. Il s'est sûrement battu, et je ne trouve pas ça très correct. Surtout vis-à-vis de toi.
— Je sais que tu t'inquiètes, mais j'ai confiance en Théo... Je suis sûre qu'il a une très bonne raison. Elle hésita. Et j'ai beau me dire que je devrais insister pour savoir la vérité, je me rends compte que je suis mal placée pour forcer quelqu'un à parler. Il y a tellement de choses dont je ne parle pas que je n'ai pas le droit.
— Ce n'est pas pareil, Lyly, il...
— Maman, la coupa gentiment Lyly, bien sûr que si c'est pareil. Et je ne veux pas parler de ça avec toi. Théo est quelqu'un de bien. Je lui fais confiance.
Lyly observa la pendule dans la cuisine.
— Je vais être en retard si je ne pars pas maintenant. Et je ne veux pas faire attendre Chris. À tout à l'heure.
A son retour aux côtés de Chris vers midi et demi, Lyly apprit que sa cousine avait réservé les billets du retour et qu'il ne lui restait plus qu'une nuit ici. Elle ôta sa veste ainsi que ses chaussures et aida sa mère à mettre les couverts pendant que Chris saluait John, concentré sur le match qui passait à la télévision.
Anne fila dans la cuisine pour terminer le repas, Ashley parut un peu plus décontractée et alla prêter main forte à sa tante, qui avait besoin que quelqu'un lui épluche de l'ail.
Lyly avança lentement dans le couloir, et arrivée devant la chambre de Théo, poussa légèrement la porte pour voir s'il se trouvait ici. Elle le découvrit assis devant le bureau, la tête baissée, un stylo en main, en pleine correction de copies. Elle avança timidement, poussa la porte derrière elle et ne s'arrêta qu'une fois près du bureau. Il releva lentement la tête, fixa un instant le mur contre lequel le bureau était collé, avant de déposer son stylo sur la copie. Ses phalanges étaient tellement amochées. Il s'était donc bel et bien battu, il n'y avait plus aucun doute.
— Je pense que tu ne veux pas me voir, mais on va bientôt manger... Et... Je voulais aussi voir si tu allais bien... Elle hésita et finit par soupirer. Chris est ici, il va manger avec nous.
Théo continua de fixer le mur, la mâchoire légèrement contractée.
— Désolée de t'avoir dérangé, lâcha-t-elle avant de tourner les talons.
Elle était sur le point de dépasser la chaise où était installé Théo lorsqu'il pivota vers Lyly et tendit ses bras afin d'attraper les hanches de la jeune fille. Il l'attira rapidement vers lui et releva les yeux vers son visage.
— Tu ne me déranges pas. Mais, j'ai besoin de temps pour moi... S'il te plaît.
Lyly acquiesça et posa ses mains sur la chevelure du jeune homme. Il ferma les yeux sous le contact de ses mains et déposa son front sur le ventre de la jeune étudiante.
— Tu veux en parler ?
Il hocha la tête que non, toujours le front collé au t-shirt de Lyly. Elle lui massa lentement le cuir chevelu avant de se pencher légèrement et d'y déposer ses lèvres.
— Je ne pense pas vous rejoindre, murmura-t-il, je n'ai pas faim.
— Je te préviendrai quand même lorsque l'on mangera, comme ça si tu changes d'avis...
Il acquiesça la tête et décolla son front du t-shirt de la jeune fille avant d'y déposer un baiser. Il releva son regard vers Lyly, la fixa un instant et pivota de nouveau pour faire face à son bureau.
Comprenant que la discussion était terminée, Lyly sortit de la chambre et referma la porte derrière elle afin qu'aucun bruit extérieur ne puisse venir le déranger.
Personne n'avait rien laissé paraître de l'incident de la matinée. Pendant le repas Ashley avait plaisanté avec Chris, John avait explosé de rire avec Anne, et Théo ne les avait pas rejoint. Mais Lyly était-elle étonnée ? Pas vraiment.
Ce qu'elle avait vu en passant la porte de la chambre de Théo afin de le prévenir que c'était l'heure du repas l'avait chamboulé. Blessée. Comment pouvait-il s'ouvrir à cette femme, cette Laure, et non pas à elle ? Elle lui avait demandé s'il souhaitait en parler et il lui avait dit non, alors comment pouvait-il oser le faire avec cette femme qu'elle détestait ?
Quand Lyly l'avait croisé dans le couloir après le repas elle l'avait ignoré. Il l'avait interpellé, avait essayé de lui attraper le bras, mais Lyly avait réussi à s'en libérer et avait filé dans la cuisine, vexée.
Lyly passa les pieds par dessus la branche sur le sol et releva la tête droit devant elle. John, hilare, portait Ashley sur son dos, qui souriait, emplie de bonheur. Anne, quant à elle, parlait au téléphone à dix mètres derrière elle.
Lyly se rapprocha de Chris. Celui-ci passa instinctivement son bras gauche sur les épaules de la jeune fille et la rapprocha de lui.
— T'as pas la forme, toi.
Elle haussa les épaules et observa sa cousine. Elle semblait si heureuse auprès de John. Jamais elle ne les avait vu se prendre la tête. Ils étaient fait pour être ensemble, elle en était certaine. Cela n'avait rien à voir avec Théo et elle. Lyly ne parvenait pas à s'ouvrir à lui, du moins pas assez. Où cela allait-il les mener ? Elle et sa cousine étaient si différentes... De toute manière, ce qu'elle avait vu dans la chambre l'avait fait brutalement retomber sur terre. Théo avait toujours semblé être honnête avec elle, mais cette fois-ci il ne l'avait pas été. Il avait dit ne pas vouloir parler de ce qui s'était passé, et il en avait pourtant parlé à Laure. Lui non plus ne lui disait pas tout.
— Allô la terre.
Lyly émergea de ses pensées et s'excusa.
— Je suis pas le mec le plus intelligent du monde, mais je sais bien que ça a à voir avec Théo. Qu'est-ce qui se passe ?
— Je te l'ai dit, je suis sûre qu'il s'est battu, mais il ne veut pas en parler. Elle souffla. Je comprends, et je ne veux pas insister, à le forcer à parler. Mais... Tu te rends compte qu'il a préféré en parler avec la première psy que j'ai vu alors que moi il a refusé ?
— Ils sont amis, non ?
— Je n'en avais pas l'impression... Je sais qu'ils ont vécu quelque chose ensemble, du moins qu'ils se sont fréquentés... Mais je ne savais pas qu'il préférait lui parler plutôt qu'à moi... Elle soupira. Toutes les fois où je l'ai vu avec elle, il semblait mal à l'aise, tendu, alors quand je l'ai vu en pleine conversation vidéo je n'ai pas compris...
Chris réfléchit.
— Et qu'est-ce qu'ils disaient quand tu les as vu ? Qu'est-ce qu'il a dit quand tu l'as surpris ?
Lyly souffla sur une araignée qui venait de se poser sur la peau de son avant-bras droit.
— Il ne m'a pas vu. Quand j'ai remarqué qu'il était en vidéo avec elle, je me suis sentie conne... alors je suis partie. Elle le regarda. Tu penses que j'aurais dû rester ?
— Je pense rien du tout... Et qu'est-ce qu'ils disaient ? Tu as appris quelque chose ?
Elle haussa les épaules.
— Il disait qu'il n'avait pas vécu ça depuis longtemps, qu'il avait pété les plombs. Quand je suis partie elle était en train de lui dire que ce genre de chose arrivait, que le passé pouvait empiéter sur le présent, que certaines réactions étaient difficiles à éradiquer lorsque l'on n'était pas encore parvenu à passer à autre chose, à vivre en paix avec notre vécu.
Chris acquiesça la tête et pressa l'épaule de Lyly afin de lui montrer son soutien.
— La meilleure chose à faire serait de lui parler. Mais je sais que tu le feras pas.
Lyly ricana nerveusement.
— C'est facile à dire, j'en suis conscient, mais faire des suppositions est la dernière des choses à faire. Surtout quand on est des spécialistes en mauvaises suppositions... Et je sais à quel point tu es une experte dans ce domaine. Alors, essaie de prendre sur toi et va le voir. Tu réfléchis trop. Laisse parler ton cœur et laisse deux minutes de côté ta raison.
— Il n'a pas voulu me parler Chris, il a préféré en parler à cette femme... alors qu'il reste avec elle, je ne veux pas me mettre sur leur chemin. C'est peut-être ce que je fais depuis le début, finalement. Je suis peut-être un frein à leur histoire... Il a fait son choix.
Chris tourna son regard vers Lyly, les sourcils froncés. Il paraissait offusqué.
— T'es complètement à l'ouest, mais complètement ! Bordel, Lyly, t'as déjà remarqué la façon dont il te regardait ? T'as déjà fait face à son regard ? Parce que putain, j'en ai vu des gens amoureux, mais lui, c'est un autre niveau.
Anne raccrocha et courut sur quelques mètres afin de rejoindre Lyly et Chris, ce qui mit brusquement fin à leur discussion.
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