Chapitre 18
Lyly ne parvint pas à relancer la discussion à propos de son ancien beau père. Le fait que sa mère ait pu autant détourner la question qu'elle lui avait posé la veille ne rassurait pas Lyly. Loin de là. Malgré sa crise de panique durant la nuit, la jeune fille était parvenue à se rendormir en rejoignant sa mère dans sa chambre en prétextant qu'elle souhaitait seulement rester à ses côtés, et elle attendait désormais dans la cuisine que sa mère l'y rejoigne afin de manger leur déjeuner.
Exceptionnellement Lyly s'était mise aux fourneaux et avait préparé un repas de pâtes à l'italienne, dont l'odeur avait déjà envahi les pièces de la petite maisonnette. Ce n'était pas que Lyly n'aimait pas cuisiner, bien au contraire. Mais un jour, son ancien beau père avait eu l'audace de lui cracher que son repas était dégueulasse, avant de jeter son assiette à la poubelle. Non seulement elle avait mis du temps à le confectionner dans la cuisine, mais en plus de cela elle n'avait jamais réussi de meilleur repas que celui-ci.
Bien trop vexée, Lyly n'avait jamais remis la main à la pâte, malgré les excuses qu'il lui avait faites le lendemain midi. La jeune fille avait bien conscience qu'il en avait eu après sa journée et non pas réellement après son repas, elle savait pertinemment bien qu'il avait passé une très mauvaise journée ce jour-ci, et que cela lui était retombé dessus par malchance, mais Lyly n'avait pas accepté sa remarque, plus déplacée qu'autre chose.
Anne rejoignit sa fille à table et inspira longuement la succulente odeur qui remontait de son assiette fumante. Satisfaite, elle adressa un joli sourire à sa fille avant d'engouffrer sa fourchette pleine de pâtes et de morceaux de poulet dans la bouche. A son plus grand regret Lyly ne cuisinait plus, et c'est bien décidée à profiter de cette occasion qu'elle engouffra une seconde fois sa fourchette débordante d'aliments dans la bouche, ravie.
— Tu aimes ?
Anne acquiesça vivement de la tête et avala le dernier bout de poulet dans sa bouche.
— C'est délicieux.
Lyly porta à son tour la fourchette dans sa bouche.
— Et Chris, alors ? reprit Anne. Je me suis dit que ça pouvait être une bonne idée de le prévenir de ta venue, ici, c'est pour ça qu'il est passé hier. Il passera d'ailleurs probablement ce soir ou demain.
— Oui, c'était une super idée. Ça m'a fait du bien de le revoir.
Anne avala une gorgée d'eau et reposa délicatement son verre sur la table, sans quitter le regard de sa fille.
— Et, ça te fait plaisir qu'il revienne bientôt ? Je veux dire, ça pourrait être l'occasion de vous rapprocher et...
— Maman...
Lyly pensa soudainement à Théo, à la réaction qu'il aurait pu avoir en étant témoin de cette scène. Aurait-il surréagit ? Se serait-il muré dans le silence ?
— C'est un bon garçon, Lyly. Il...
— Mais je n'en doute pas, maman ! répliqua aussitôt Lyly en coupant sa mère. Je sais que c'est quelqu'un de bien... Il est adorable, il est sérieux... Je sais quel genre de personne il est, vraiment. Mais je ne suis pas intéressée par lui. S'il te plaît, n'envisage plus cette possibilité...
— D'accord, concéda Anne gentiment. Je suis désolée, ça ne se reproduira plus.
Lyly adressa un léger sourire à sa mère et plongea son regard dans son assiette.
Qu'aurait-elle pu ajouter ? Qu'un autre homme occupait ses pensées ? Qu'elle était tiraillée entre l'envie de vouloir laisser une chance à Théo, s'il demandait à en avoir une, ou l'envie de tout laisser tomber, de peur de ne pas être à la hauteur, de peur d'échouer ? Elle savait qu'elle ne pouvait pas en parler à Ashley pour le moment, et sa mère était l'être en qui elle avait le plus confiance.
Pensive, elle piqua aveuglément sa fourchette dans son assiette. Elle compliquait toujours les situations, c'était malheureusement ce qu'elle faisait de mieux.
— J'ai quelqu'un.
Anne remonta son regard vers sa fille et arrêta l'élan de son bras. Elle le laissa avec lenteur retomber sur la table et attendit que sa fille continue, les sourcils levés de surprise.
— Enfin, on n'est pas ensemble... Mais, je crois qu'il y a quelque chose entre nous... Je crois qu'il y a quelque chose mais je ne sais pas vraiment quoi en penser... C'est une situation assez compliquée... je crois.
— Pourquoi est-ce compliqué ? Tu l'aimes ?
Anne adressa un tendre sourire à sa fille.
— Comment l'as-tu connu ? reprit-elle.
— C'est un ami d'Ashley. Enfin, l'ami du copain à Ashley. Elle me l'a présenté. Mais je ne pensais pas qu'il occuperait autant mes pensées... Elle soupira. Il a débarqué comme ça dans ma vie, maman. Je n'étais pas prête pour ça. Je crois même que je ne serai jamais prête pour ça. Je ne veux pas être obligée de me confier, de devoir tout lui raconter. Tu sais à quel point je suis quelqu'un de compliqué. Je...
— Lyly, la coupa Anne tendrement. Tu n'as pas à te forcer à faire des choses. Tu dois le faire parce que tu en reçois le besoin, mais jamais tu ne dois être forcée... S'il tient vraiment à toi, il ne te brusquera pas... S'il sait ce que tu as vécu, il te laissera le temps qu'il faudra...
Lyly resta silencieuse. Elle disait vrai. Mais Théo n'était pas au courant de son vécu, loin de là. Alors comment allait-il pouvoir lui laisser du temps, être aussi patient, sans savoir son passé ?
— Tu ne lui as rien dit ?
La jeune fille laissa son regard plongé dans son assiette et resta immobile sur sa chaise.
— Mais pourquoi as-tu autant honte d'en parler, Lyly ? Pourquoi n'oses-tu pas en parler ? Penses-tu réellement qu'il va te tourner le dos s'il l'apprend ? Penses-tu vraiment qu'il aura honte de le savoir ? Si c'est un homme bien, il saura comment réagir, crois-moi.
— Mais c'est quelqu'un de bien, répondit aussitôt Lyly en relevant le visage et en braquant ses yeux dans ceux de sa mère. Je crois vraiment que c'est quelqu'un de bon. Il est à l'écoute, tendre, gentil... Le problème ce n'est pas lui, maman. Le problème c'est moi. Ça a toujours été moi...
— Mais qu'est-ce que tu racontes ? demanda sérieusement sa mère, les sourcils maintenant froncés. Tu n'as jamais été un problème et tu ne le seras jamais, tu m'entends ? Jamais.
— Tu sais aussi bien que moi que je vous en ai fait baver... Vous dormiez très peu papa et toi, vous vous êtes quittés juste après... L'autre qui entre dans ta vie et la bouleverse... Moi qui fais une gaffe... Je suis toujours reliée à nos problèmes, absolument tout le temps...
Anne hocha négativement la tête et soupira longuement. Elle posa sa fourchette sur la table.
— Ça faisait déjà un moment que ton père et moi nous ne nous entendions plus. Ça nous a permis de rester plus longtemps ensemble, mais c'est tout. Et ce qui est tombé sur toi n'a jamais été de ta faute, c'est arrivé et c'est tout, je n'essaie plus de comprendre. La seule chose que je retiens est que tu es avec moi aujourd'hui, et c'est ce qui compte. Elle réfléchit. « L'autre », comme tu dis, a été l'une de mes plus grosses erreurs, parmi une autre, mais encore une fois, tu n'y es pour rien. Ne redis plus jamais une telle connerie, Lyly, plus jamais. Tu es ce qui m'est arrivé de plus beau. Jamais tu ne seras un problème pour moi.
Lyly resta cloîtrée dans le silence et posa son regard sur sa fourchette. Elle l'attrapa avec lenteur sous les yeux de sa mère et piqua un morceau de poulet avec son couvert en inox avant de le porter jusqu'à sa bouche. Elle n'avait plus faim. Cela lui avait coupé l'appétit.
Pourtant, une fois de plus, c'était elle qui avait provoqué la prise de tête, c'était elle qui avait provoqué cela, et non pas sa mère.
— Et... reprit sa mère, hésitante. Cet homme, il s'appelle comment ?
La jeune fille vit soudainement le visage de Théo se dessiner dans son esprit, et sans bien comprendre comment, elle sentit sa haine se dissiper. Son petit sourire en coin lui ferait sûrement toujours autant d'effet. Et son rire... Son fameux rire...
— Théo, répondit-elle enfin, pensive. Il s'appelle Théo.
Toutes deux n'abordèrent plus le sujet de l'après-midi et allèrent dans les alentours de seize heures faire quelques magasins dans le centre-ville. Anne acheta une nouvelle robe rouge à sa fille ainsi qu'un nouveau téléphone, ayant été mise au courant du vol dans la maison d'Ashley.
Elles s'arrêtèrent dans un petit magasin afin de déguster une gaufre chaude et rentrèrent un peu avant vingt heures afin d'accueillir Chris chez elles. Celui-ci resta manger le repas du soir, et le duo d'amis s'installa dans l'herbe du jardin à l'arrière en fin de soirée, alors qu'Anne était au téléphone dans le salon.
— Tu penses un jour pouvoir dire ce que tu penses à tes parents ?
— Jamais, répondit Chris en observant la pelouse sous ses pieds. Ils sont bien trop obsédés par leur travail. Pourtant, tu vois, j'ai beau avoir vingt-deux ans, je m'en suis jamais remis.
— De leur habitude ?
— Ouais, mais pas que. De tout. Ils ont jamais été là pour moi, mais ils ont jamais essayé non plus. Ils ont jamais fait d'effort. Je pense que s'ils l'avaient voulu ils l'auraient fait.
Lyly observa Chris arracher de l'herbe nerveusement.
— Je crois que certains parents ne le remarquent pas. Ils ne font pas attention. Ils pensent qu'en te donnant de l'argent ça compensera leur absence, ils pensent faire ce qu'il y a de mieux pour toi.
Il soupira.
— C'est loin d'être le cas. J'ai beau pouvoir m'acheter plein de vêtements, pouvoir faire plein de sorties, ça me sert à rien. Ça m'occupait, ouais, mais maintenant quand je rentre, je me rends compte à quel point je me sens seul, que j'ai jamais pu passer une soirée avec eux, comme une famille normale. On a jamais regardé la télé ensemble ou fait des sorties.
Lyly posa délicatement sa main sur l'épaule de son ami, et celui-ci tourna lentement sa tête vers la jeune fille, avant de lui adresser un triste sourire.
— J'ai l'habitude... enfin je crois. En fait, je sais pas si on peut s'y habituer. Je crois que j'aurai toujours ce petit manque en moi, et que ça me suivra toujours. Ils ont échoué quelque part ou personne pourra jamais faire grand chose.
— Peut-être qu'une jolie jeune fille passera par là et...
— Non Lyly, la coupa-t-il gentiment. Même si un jour je vis une belle histoire avec quelqu'un, ça comblera jamais le manque que j'ai connu quand j'étais petit. Mon enfance fait partie de mon passé, et personne pourra la modifier, c'est trop tard maintenant.
La jeune fille acquiesça lentement la tête et lui compressa délicatement l'épaule afin de le réconforter. Chris était un homme bien, il n'y avait aucun doute là-dessus. Malgré l'absence de ses parents, il avait reçu une belle éducation de la part de ses nourrices. Elles avaient assuré.
— Il faut que je te montre un endroit, viens avec moi, acheva-t-il.
Chris se redressa sur ses jambes, attrapa les mains que Lyly lui tendait afin de l'aider à se relever, et tous deux sortirent de la maison après avoir indiqué à Anne qu'ils s'absentaient.
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